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08 février 2013

TF, 8 février 2013, 4A_474/2012, 4A_478/2012 et 4A_584/2012 (f)

sic! 6/2013, p. 360-362, « Pneus-Online II » ; concurrence déloyale, rectification d’un jugement, délai de recours, action en remise du gain, remise du gain, vraisemblance, preuve, lien de causalité, concours de causes, comportement parasitaire, mauvaise foi, nom de domaine, pneus-online.com, risque de confusion, signe appartenant au domaine public ; art. 423 CO, art. 2 LCD, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 9 al. 3 LCD, art. 334 al. 4 CPC ; cf. N 354 (vol. 2007-2011 ; TF, 19 juillet 2010, 4A_168/2010 ; sic! 11/2010, p. 797-801, « Pneus-Online » ; medialex 4/2010, p. 236 [rés.]).

La notification de la décision rectifiée au sens de l’art. 334 al. 4 CPC fait courir un nouveau délai de recours, mais uniquement pour les points concernés par la rectification, à l’exclusion des moyens que les parties auraient pu et dû invoquer à l’encontre du premier arrêt. Le recours déjà pendant et dirigé contre le premier jugement entaché d’erreur n’est pas systématiquement privé d’objet par le nouvel arrêt rectificatif. Lorsque la rectification concerne un point du jugement qui n’est pas visé par le recours, respectivement ne revêt aucune incidence sur le recours, celui-ci doit logiquement continuer à produire ses effets (c. 2). La remise du gain selon les dispositions sur la gestion d’affaires imparfaite ou intéressée vise à sanctionner l’ingérence inadmissible dans les affaires d’autrui du gérant dont la volonté est de traiter l’affaire d’autrui comme la sienne propre et de s’en approprier les profits (c. 4.1). Les méthodes de vente ou de publicité propres à faire naître une confusion au sens de l’art. 3 lit. d LCD correspondent à la notion d’usurpation de l’affaire d’autrui liée à l’art. 423 CO (c. 4.1). Le maître doit établir le lien de causalité entre l’usurpation de l’affaire d’autrui et les profits nets réalisés. La vraisemblance prépondérante suffit. Il est majoritairement admis que seule la part de gain imputable à la gestion d’affaires non autorisée est sujette à restitution. Ainsi, lorsque les profits ne sont pas uniquement imputables à l’ingérence illicite,mais à un concours de causes (kombinationseingriff), tels que le marketing adroit du gérant, un bon réseau de distribution, la qualité des services offerts, les prix avantageux pratiqués, etc., le juge déterminera selon sa libre appréciation leurs impacts sur le profit réalisé. En cas de doute quant à l’appréciation des différentes causes, il faut se prononcer contre le gérant (c. 4.2). Le fait de créer délibérément un risque de confusion pour exploiter de façon parasitaire la réputation d’autrui en utilisant sciemment des noms de domaine très similaires à celui de ce dernier constitue un comportement déloyal au sens de la LCD. Cependant, le droit à la remise de gain n’est admis que lorsque l’utilisation déloyale du nom de domaine constituait le motif de la conclusion du contrat générateur de profit. C’est une question de fait que de déterminer les motifs de conclure un contrat, à savoir si les clients ont été amenés à contracter en raison d’une confusion causée par des noms de domaine très semblables, ou si des éléments étaient propres à dissiper cette confusion (c. 5.2). L’action en remise de gain de l’art. 423 CO ne peut être dirigée que contre le gérant qui a agi de mauvaise foi. La preuve de la mauvaise foi incombe au maître (c. 8.1). Agit de mauvaise foi celui qui choisit et utilise sciemment une multitude de noms de domaine très semblables à celui préexistant d’un concurrent en « verrouillant » la quasi-totalité des noms de domaine imaginables en cette matière, en créant ainsi délibérément un risque de confusion pour exploiter de façon parasitaire la réputation déjà acquise par son concurrent. La bonne foi du gérant ne saurait découler automatiquement du seul fait que les noms de domaine enregistrés relèvent du domaine public (c. 8.3). [LG]

20 novembre 2013

TF, 20 novembre 2013, 6B_411/2013 (d)

sic! 3/2014, p. 153-154, « Duftbäumchen » ; concurrence déloyale, marque tridimensionnelle, signe tridimensionnel, sapin, arbre magique, désodorisant, recours en matière pénale, présomption d’innocence, dol, qualité pour agir du preneur de licence, action pénale, concours imparfait, publicité, campagne publicitaire, établissement des faits, arbitraire dans la constatation des faits ; art. 9Cst., art. 32Cst., art. 95 LTF, art. 97 al. 1 LTF, art. 105 al. 1 LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 61 al. 1 lit. b LPM, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 23 al. 1 LCD, art. 23 al. 2 LCD, art. 10 CPP ; cf. N 435 (vol. 2007-2011 ; Handelsgericht ZH, 9 juillet 2010, HG080097 ; sic! 1/2011, p. 39-42, « Wunder- Baum »).

Le grief de violation des droits fondamentaux (y compris l'application arbitraire du droit fédéral et l'arbitraire dans la constatation des faits) doit être exposé de manière précise dans le recours contre la décision attaquée et étayé de manière substantielle. Autrement, il n'est pas entré en matière le concernant (c. 1). Il n'est pas arbitraire de retenir, comme l'a fait l'autorité précédente, que les adultes de notre pays connaissent la marque de l'arbre magique désodorisant, même s'ils n'ont pas une conception détaillée de sa forme (c. 1.2). Que la recourante se soit fait remettre un layout de la campagne publicitaire de Noël avec la forme, la grandeur, etc., de l'arbre magique n'y change rien. Il n'est pas juste que l'instance précédente ait déduit de la connaissance de cette marque dans le public la connaissance de celle-ci par la recourante. La Cour s'est basée, pour l'admettre, sur une appréciation des dépositions de la recourante dans la procédure d'instruction. Comme la recourante ne démontre pas que — et dans quelle mesure — l'appréciation des preuves de l'instance précédente, qui l'a amenée à retenir que la recourante connaissait le nom de l'arbre magique, de même que son utilisation et sa forme, serait insoutenable et violerait la présomption d'innocence, le recours ne satisfait pas les conditions de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (c. 1.2). Lorsqu'une violation du droit à la marque, selon l'art. 61 LPM, remplit aussi les conditions d'un comportement déloyal au sens de l'art. 3 al. 1 lit. d LCD, il y a spécialité et l'état de faits spécifique au droit des marques l'emporte. Dans ce cas, il y a concours imparfait entre les dispositions pénales de la LPM et de la LCD. L'application complémentaire de l'art. 3 al. 1 lit. d LCD à côté de la protection du droit des marques prend par contre tout son sens lorsqu'une protection ne peut être déduite de la LPM, ou en présence de circonstances qui ne sont pertinentes que sous l'angle de la concurrence déloyale. Le recours à une protection selon la LCD peut ainsi entrer en ligne de compte vu les conditions d'application différentes mises par la LCD et la LPM à l'ouverture de l'action pénale (c. 3.3). À la différence du reste du droit des signes distinctifs (marques, raisons de commerce et noms), le droit de la concurrence ne concerne pas seulement les cas où deux signes sont susceptibles d'être confondus. Il se rapporte bien plus au cas où un certain comportement est de nature à induire le public en erreur par la création d'un risque de confusion. Le droit de la concurrence protège les intérêts de toutes les parties prenantes à la concurrence et va au-delà de la protection offerte par les lois spéciales comme la LPM. En tant que preneuse de licence non exclusive, l'entreprise fabriquant les arbres magiques dans notre pays ne pouvait pas se prévaloir d'une violation du droit à la marque. Elle disposait par contre d'un droit à porter plainte au sens de l'art. 23 al. 2 LCD. Seule la protection de la LCD lui était ouverte. D'une part, la campagne publicitaire de la recourante a violé le droit à la marque du titulaire de celle-ci, en mettant en circulation, au sens de l'art. 61 al. 1 lit. b LPM des produits imitant cette marque (insérés dans les dépliants publicitaires concernés). D'autre part, elle a enfreint la LCD en créant un risque de confusion et en portant atteinte à la position sur le marché de la preneuse de licence qui était digne de protection (c. 3.4). Le recours est rejeté. [NT]

12 novembre 2019

TF, 12 novembre 2019, 4A_88/2019 (f)  

Contrat de distribution, escroquerie, concurrence déloyale, droit des marques, droit d’auteur, remise du gain, appréciation des preuves, arbitraire, allégation des parties, gestion d’affaires, fardeau de la preuve, fardeau de l’allégation, remise du gain, atteinte combinée, concours de causes ; art. 9 Cst., art. 8 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 70 CP, art. 62 al. 2 LDA.

Selon l’art. 423 al. 1 CO, auquel renvoie l’art. 62 al. 2 LDA (de même que l’art. 55 al. 2 LPM et l’art. 9 al. 3 LCD), lorsque la gestion n’a pas été entreprise dans l’intérêt du maître, celui-ci n’en a pas moins le droit de s’approprier les profits qui en résultent (c. 3.1). Cette disposition vise l’hypothèse de la gestion d’affaires imparfaite de mauvaise foi, le gérant intervenant illicitement dans les affaires du maître en agissant non pas dans l’intérêt de ce dernier mais dans son propre intérêt ou celui d’un tiers. L’art. 423 CO a pour but essentiel d’éviter que le gérant, auteur de l’ingérence, ne profite de celle-ci et qu’il en conserve les profits. La remise du gain remplit ainsi aujourd’hui également une fonction préventive (ou punitive) et plus seulement une fonction de rééquilibrage. Pour que la règle de l’art. 423 CO trouve application, trois conditions cumulatives doivent être réalisées : 1) une atteinte illicite aux droits d’autrui, l’intervention du gérant ayant lieu sans cause et ne reposant ni sur un contrat, ni sur la loi. En matière de droit d’auteur, toute utilisation non autorisée des droits appartenant à des tiers est considérée comme une intervention illicite ; 2) le gérant intervenant sans droit dans les affaires d’autrui doit avoir la volonté de gérer celle-ci exclusivement ou de manière prépondérante dans son propre intérêt ; 3) la mauvaise foi du gérant est nécessaire qui est donnée s’il sait ou doit savoir qu’il s’immisce dans la sphère d’autrui sans avoir de motif pour le faire (c. 3.1.1). Si ces conditions sont remplies, le gérant est tenu de restituer au maître le profit (illégitime) qu’il a réalisé, soit tout avantage pécuniaire résultant de l’ingérence qui réside dans la différence entre le patrimoine effectif de l’auteur de la violation et la valeur qu’aurait ce patrimoine en l’absence de toute violation. Le profit doit être en lien de causalité avec l’atteinte illicite incriminée. Il incombe au maître de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’atteinte illicite à ses biens juridiques et les profits nets réalisés par le gérant. A cet égard, une vraisemblance prépondérante suffit (c. 3.1.2). On est en présence d’une « atteinte combinée » ou d’un « concours de causes » lorsque le profit réalisé par le gérant résulte aussi bien de l’atteinte aux biens juridiquement protégés d’un tiers (le maître) que de l’activité licite menée par le gérant lui-même (know-how, qualité de ses services, recours à une campagne de marketing particulièrement réussie, réseau de distribution performant, etc.). La restitution (au maître) ne peut alors porter que sur la partie du profit qui découle de l’atteinte, par le gérant, aux biens juridiquement protégés du maître. Ce concours de causes a été envisagé par le législateur puisque celui-ci a explicitement exprimé sa volonté de laisser le Juge apprécier librement (parmi les divers facteurs ayant permis au gérant de réaliser un gain) la mesure dans laquelle celui-ci résulte de l’atteinte illicite aux biens du maître. Lorsque le gérant ayant porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle du maître a également commis une infraction pénale (in casu : une escroquerie) au détriment d’une tierce personne, la part du profit qui en découle (soit le produit de l’infraction) ne devra pas être restituée au maître. Dans cette situation, le comportement du gérant, qui s’est enrichi illégitimement au dépens du consommateur (lésé), donne naissance à un (nouveau) fondement juridique (distinct de celui à l’origine de la remise de gain) permettant exclusivement à ce lésé de faire valoir sa prétention tendant au remboursement du montant qu’il a versé sans cause (c. 3.1.3). Dans la mesure où la restitution porte sur l’enrichissement net du gérant, le maître a la charge de prouver le montant de la recette brute, alors que le gérant doit établir le montant des coûts engagés. Une évaluation par application analogique de l’art. 42 al. 2 CO n’est admissible que si les conditions en sont remplies. La preuve facilitée prévue par cette règle ne libère pas le demandeur de la charge de fournir au Juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l’attendre de lui, tous les éléments de faits qui constituent des indices de l’existence du profit et qui permettent ou facilitent son estimation ; elle n’accorde pas au lésé la faculté de formuler, sans indication plus précise, des prétentions en remise de gain de n’importe quelle ampleur. Par conséquent, si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l’estimation, l’une des conditions dont dépend l’application de l’art. 42 al. 2 CO n’est pas réalisée, alors même que, le cas échéant, l’existence d’un dommage est certaine. Le lésé est alors déchu du bénéfice de cette disposition ; la preuve du dommage n’est pas rapportée et, en conséquence, conformément au principe de l’art. 8 CC, le Juge doit refuser la réparation (c. 3.1.4). In casu, en amenant par une construction astucieuse, ses clients à lui payer des montants surfacturés, le défendeur a en réalité adopté un comportement constitutif d’escroquerie. Celui-ci lui a permis de s’enrichir illégitimement au dépens des clients lésés, donnant ainsi naissance à un (nouveau) fondement juridique (distinct de celui applicable pour la remise du gain). L’enrichissement du défendeur découle de la mise en scène, constitutive d’une infraction pénale, que celui-ci a élaborée au préjudice de ses clients. Lésés par les agissements du défendeur, ce sont ses clients qui, sur le plan civil, sont légitimés à demander la restitution de l’indu au défendeur qui s’est enrichi illégitimement (art. 62ss CO ; cf. éventuellement aussi l’art. 70 CP sur la confiscation de valeurs patrimoniales). La défenderesse ne saurait dès lors prétendre au paiement d’un montant dont un tiers (le client lésé) est le seul créancier et qui repose sur un fondement différent de celui qui sous-tend l’art. 423 CO (c. 3.2.1). Le recours est rejeté. [NT]