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  • Enrichissement illégitime

07 juillet 2009

OG ZH, 7 juillet 2009, LK060009/U (d)

sic! 12/2010, p. 889-900, « Love » (Thouvenin Florent, Anmerkung) ; œuvre, individualité, unicité statistique, Indiana, Love, oeuvre dérivée, libre utilisation, création parallèle, remise du gain, enrichissement illégitime, action en fourniture de renseignements ; art. 41 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 3 LDA, art. 11 LDA, art. 62 al. 1 lit. c LDA, art. 62 al. 2 LDA.

C'est l'impression d'ensemble qui s'en dégage qui détermine si une création de l'esprit a un caractère individuel; à lui seul, le critère de l'unicité statistique (statistische Einmaligkeit) n'est pas décisif (c. IV.1.1). « Love » (1966) de Robert Indiana (Fig. 1a) est une œuvre (art. 2 LDA) protégée par le droit d'auteur (c. IV.1.2-IV.1.3). En vertu des art. 3 et 11 LDA, l'auteur peut interdire l'utilisation de son œuvre dans une œuvre dérivée, c'est-à-dire dans une œuvre nouvelle dans laquelle son œuvre est reconnaissable dans son caractère individuel ; il ne peut en revanche pas s'opposer à la libre utilisation de son œuvre, c'est-à-dire à la reprise non reconnaissable de son œuvre, comme source d'inspiration (c. IV.2.1). Les cadrans des montres fabriquées par la défenderesse (Fig. 1b) sont des œuvres dérivées de l'œuvre « Love » car, malgré les — minimes — différences qu'ils présentent avec elle et le remplacement du « O » de « Love » par un cœur, l'œuvre « Love » reste clairement reconnaissable (c. IV.2.2-IV.2.3). En droit suisse, la protection d'une création parallèle (Doppel-/Parallelschöpfung) — c'est-à-dire d'une création identique à une autre, mais née de manière totalement indépendante — est exclue (c. IV.3.1-IV.3.2; à ce sujet, voir la critique de Thouvenin). L'action en remise du gain (art. 62 al. 2 LDA) nécessite la mauvaise foi du gérant (art. 423 CO) (c. V.3.1 et V.3.5.1). La démonstration que l'œuvre Love est très connue n'est pas un indice suffisant de la mauvaise foi du designer de la défenderesse (c. V.3.3.2). La défenderesse n'est toutefois plus de bonne foi dès le moment où la demanderesse fait valoir ses droits pour la première fois (par courrier) (c. V.3.4 et V.4). Outre les actions prévues par l'art. 62 al. 2 LDA (art. 41 et 423 CO), l'action en restitution de l'enrichissement illégitime (art. 62 CO) peut être intentée par un auteur dont les droits ont été violés ; elle ne nécessite pas de faute, mais ne permet d'obtenir que la valeur des économies réalisées grâce à la violation (généralement les coûts de licence), à l'exclusion de la remise du gain (c. V.3.5.1). L'action en fourniture de renseignements (art. 62 al. 1 lit. c LDA) permet d'exiger de la défenderesse la communication du gain net réalisé (c. V.4).

Fig. 1a – Love (demanderesse)
Fig. 1a – Love (demanderesse)
Fig. 1b – Montre (défenderesse)
Fig. 1b – Montre (défenderesse)

24 mai 2012

OG ZH, 24 mai 2012, LK020010-O/U (d)

sic! 7-8/2013, p. 445-461, « Tunnels d’Arrissoules » ; œuvre, droit d’auteur, tunnel, œuvre du génie civil, projet, partie d’œuvre, œuvre d’architecture, individualité, liberté de création, protection des idées, contenu scientifique, calcul, plan, offre, enseignement technique, responsabilité de la collectivité publique pour ses agents, acte illicite, concurrence déloyale, exploitation d’une prestation d’autrui, remise du gain, mauvaise foi, gestion d’affaires, faute, enrichissement illégitime ; art. 3 CC, art. 4 CC, art. 41 CO, art. 55 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 5 lit. a LCD, art. 5 lit. b LCD, art. 9 LCD, art. 11 LCD.

Un projet de construction de tunnels autoroutiers comportant un rapport technique, des commentaires, des calculs, des dessins et des plans, peut constituer une œuvre protégée au sens du droit d'auteur si les contingences techniques, juridiques et fonctionnelles (y compris naturelles) qui ont présidé à sa réalisation ont laissé à son auteur une marge de manœuvre suffisante pour qu'il ait néanmoins pu réaliser des choix créateurs autonomes débouchant sur un résultat individuel ; ce qui n'a pas été admis en l'espèce (c. IV.3-5). Les œuvres d'architecture, au sens de l'art. 2 al. 2 lit. e LDA, sont toutes les œuvres par lesquelles l'espace est structuré par une intervention humaine. Les productions des architectes, ingénieurs, architectes d'intérieur, paysagistes et décorateurs peuvent être protégées par la LDA. Les tunnels sont aussi mentionnés par la doctrine comme pouvant constituer des œuvres architecturales s'ils satisfont aux conditions de protection du droit d'auteur (c. IV.3.5.1). La forme des œuvres architecturales est souvent déterminée par leur but et d'autres contraintes (fonction, emplacement, dispositions en matière de police des constructions, moyens financiers du maître de l'ouvrage). La liberté de création de l'architecte est ainsi limitée, et ses réalisations peuvent donc bénéficier de la protection du droit dès qu'elles présentent un degré d'individualité, même réduit (c. IV.3.5.2). Les œuvres d'un ingénieur civil dépendent encore plus de contingences techniques (topographies, matériaux, tracé des voies, lois de la physique, problèmes de statique) et la liberté créatrice passe à l'arrière-plan. Dès qu'une forme d'exécution est imposée par les contingences techniques et qu'il n'existe pas d'alternative dépourvue d'impact sur l'effet image technique recherché, la réalisation ne présente pas d'individualité et appartient au domaine public. C'est souvent le cas pour les constructions du génie civil (ponts, routes et tunnels) qui, malgré leur caractère parfois esthétique, sont généralement dépourvues d'individualité étant donné les conditions qui ont présidé à leur réalisation comme les propriétés du sol, les exigences techniques et la dépendance aux matériaux utilisés. Si toutefois les conditions particulières à un cas d'espèce ont laissé une certaine marge de manœuvre à l'auteur de la réalisation considérée, plusieurs variantes étant imaginables pour résoudre le problème technique ou scientifique donné, les choix effectués par l'auteur du projet lui confèrent un caractère individuel (c. IV.3.5.3). Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Le contenu scientifique ou technique de plans, calculs, projets, dessins techniques, etc., n'est pas protégé par le droit d'auteur. Il peut l'être par le droit des brevets ou par le fait de demeurer secret, mais n'entre pas en ligne de compte pour déterminer si la réalisation à laquelle il est lié est individuelle et bénéficie de la protection du droit d'auteur (c. IV.3.6). La LCD ne protège pas les idées ou les méthodes. Ainsi, la simple idée de renoncer à un dispositif de drainage d'un tunnel pour laisser les eaux s'infiltrer dans la montagne n'est pas protégée par la LCD (c. IV.7.3). Par contre, la reprise et l'utilisation par un tiers de calculs, offres et plans, sans l'autorisation de leur auteur, constituent un acte de concurrence déloyale dont les auteurs sont non seulement celui qui a lancé l'appel d'offres, mais aussi les tiers qui utilisent ou exécutent les résultats de cet appel d'offres (c. IV.7.4). Tel n'est pas le cas si ces tiers ont développé leurs activités sur la base de leurs propres calculs (c. IV.7.5). La remise du gain selon l'art. 423 CO suppose la mauvaise foi du gérant (c. IV.14.4). La bonne foi est présumée. Toutefois, en vertu de l'art. 3 al. 2 CC, ne peut se prévaloir de sa bonne foi celui qui, en déployant l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui, n'aurait pas pu être de bonne foi (c. IV.14.5). Le fait de renoncer à vérifier si un acte est susceptible de violer les droits de tiers, lorsqu'on a des raisons de penser que tel pourrait être le cas, est constitutif de mauvaise foi (c. IV.14.9.1). Dans le cas d'espèce toutefois, le tribunal n'a retenu ni la mauvaise foi (en raison d'une attention insuffisante), ni la faute du défendeur (c. IV.14.10). Du moment qu'il ne peut être reproché au défendeur ni un manque d'attention, ni un défaut de surveillance, il ne peut pas non plus lui être reproché une violation de ses obligations de vérification et de surveillance au sens du droit de la concurrence, ce qui ne laisse pas place à une action en restitution de l'enrichissement illégitime au sens de l'art. 62 CO (c. IV.15). [NT]

Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt

18 mars 2015

TFB, 18 mars 2015, S2013_009 (d)

Assistance judiciaire, chance de succès, violation d’un brevet, revendication, limitation de revendications, juge de formation technique, faute, mauvaise foi, enrichissement illégitime, procédure sommaire ; art. 35 al. 2 LTFB, art. 41 ss CO, art. 62 ss CO, art. 423 CO, art. 117 lit a CPC, art. 117 lit. b CPC.

Le plaignant requiert que l’assistance judiciaire gratuite lui soit accordée en relation avec la violation alléguée de deux brevets. Selon l’art. 117 lit. b CPC, un tel droit existe si la cause ne paraît pas dépourvue de toute chance de succès. En l’espèce, les chances de succès dépendent notamment de la validité des brevets litigieux et de l’existence de violations de ces brevets par les défendeurs. Cette appréciation requiert une expertise technique, justifiant la consultation d’un juge ayant une formation technique au sens de l’art. 35 al. 2 LTFB (c. 6.2). Les brevets en cause contiennent plusieurs limitations de revendications (c. 6.3 et 6.4). Suivant l’avis du juge de formation technique, le juge unique considère qu’il est plausible qu’au moins une des revendications ait été violée (c. 6.7). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’assistance judiciaire peut être accordée même si le risque de revers est légèrement supérieur aux chances de succès. Le critère décisif est de déterminer si une partie qui aurait les ressources financières nécessaires déciderait raisonnablement d’ouvrir action (c. 7). En l’espèce, la plainte a des chances raisonnables de succès, puisqu’une violation d’une revendication au moins apparaît plausible (c. 7.2). Les deux brevets en cause ayant expiré en 2012 et 2013, le plaignant peut uniquement invoquer des prétentions financières. Les actions fondées sur les art. 41 ss CO et 423 CO supposent respectivement une faute ou la mauvaise foi du défendeur, qui ne peuvent être établies en l’espèce, les violations ayant été commises avant que les revendications, qui étaient originairement invalides, aient été limitées. Seule la restitution fondée sur les art. 62 ss CO est envisageable. L’assistance judiciaire pourra ultérieurement être retirée si l’action fondée sur l’enrichissement illégitime devait apparaître comme étant dénuée de chances de succès (c. 7.3). L’assistance judiciaire est allouée (c. 8). [SR]