V Domaines apparentés à la propriété intellectuelle

Protection des AOP/ AOC et des IGP

Législation

02 février 2009

TF, 2 février 2009, 2C_506/2008 (f)

ATF 135 II 243 ; sic! 6/2009, p. 423-430, « AOC Genève » ; AOP, législation, boissons alcoolisées, vin, territorialité, Genève, Suisse, France, droit international public, méthodes d’interprétation, signe trompeur, qualité pour recourir ; art. 3 lit. a de l’Annexe 7 de l’Accord bilatéral CH-UE, art. 89 al. 1 LTF, art. 18 al. 3 LDAl, art. 21 al. 3 Ordonnance sur le vin, art. 69 al. 2 RVins/GE.

Les vignerons ou les propriétaires-encaveurs qui cultivent des vignes et produisent du vin sur le territoire cantonal genevois ont qualité pour déposer un recours en matière de droit public (art. 89 al. 1 LTF) contre l'art. 69 al. 2 RVins/GE qui permet aux vins issus des vignes sises en France voisine de bénéficier de l'AOC Genève (c. 1.2). Tant l'art. 3 lit. a de l'Annexe 7 de l'Accord bilatéral CH-UE que les règles générale du droit international public s'opposent à ce que les vins vinifiés en Suisse, mais issus de vignes situées en France, puissent bénéficier d'une AOC d'un canton suisse (c. 3). Au surplus, l'interprétation de l'art. 21 al. 3 Ordonnance sur le vin exclut la possibilité, pour les cantons, d'étendre une AOC au-delà des frontières nationales (c. 4-5). Une telle extension de l'AOC causerait de nombreuses difficultés au niveau de son contrôle (c. 5.2). Elle serait trompeuse (art. 18 al. 3 LDAl) à l'égard des consommateurs (c. 5.3). Il est par ailleurs problématique de faire dépendre l'attribution d'une AOC à des vignobles en fonction du domicile de leurs propriétaires (c. 6). En conclusion, l'art. 69 al. 2 RVins/GE viole aussi bien le droit international que le droit fédéral. Il doit être annulé (c. 6-8).

05 avril 2011

TF, 5 avril 2011, 2C_649/2010 (f)

« Règlement du 9 juin 2010 modifiant le règlement sur la vigne et les vins de Genève » ; AOP, législation, boissons alcoolisées, vin, aire géographique, territorialité, Genève, Suisse, France, immunité des lois fédérales, droit cantonal, méthodes d’interprétation, séparation des pouvoirs, délégation, égalité de traitement, légalité, primauté du droit international, force dérogatoire du droit fédéral, qualité pour recourir ; art. 1 ss de l’Annexe 7 de l’Accord bilatéral CH-UE, art. 190 Cst., art. 82 lit. b LTF, art. 1 ss RVV/GE, art. 35 LVit/GE.

Les recourants — viticulteurs exploitant des vignes situées dans le canton de Genève — ont qualité pour former un recours en matière de droit public (art. 82 lit. b LTF) contre le Règlement du 9 juin 2010 modifiant le Règlement du 20 mai 2009 sur la vigne et les vins de Genève (RVV/GE) (dans le sens d'une extension de l'aire géographique de l'AOC Genève à certaines parcelles situées en France voisine), car leurs intérêts sont effectivement touchés par cet acte normatif (c. 1.1-1.2). L'obligation d'appliquer les lois fédérales et le droit international prévue par l'art. 190 Cst. a également une portée à l'égard du droit cantonal qui constitue un acte d'exécution des lois fédérales et/ou du droit international (c. 1.3). Le TF n'annule un acte normatif cantonal que s'il ne se prête à aucune interprétation conforme au droit invoqué ou si sa teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'il soit interprété de façon contraire au droit supérieur (c. 1.4). Le grief de violation du principe de la séparation des pouvoirs (c. 2.2) doit être rejeté, car les modifications litigieuses du RVV/GE se fondent (en particulier) sur la norme de délégation de l'art. 35 LVit/GE et, pour l'essentiel, mettent directement en œuvre la nouvelle teneur de l'Annexe 7 de l'Accord bilatéral CH-UE, modifiée par la décision no 1/2009 du Comité mixte (c. 2.3). Le grief de violation de l'égalité de traitement (c. 3.2 in fine) ne saurait conduire à l'annulation des modifications litigieuses du RVV/GE, car l'assimilation, pour ce qui est du droit à l'AOC Genève, de la production — vinifiée en Suisse — des vignes situées en France voisine à la vendange provenant du canton de Genève est prévue par l'Annexe 7 de l'Accord bilatéral CH-UE, dans sa nouvelle teneur, qui lie le TF en vertu de l'art. 190 Cst. (c. 3.3). Il est certes possible que les modifications litigieuses du RVV/GE ne permettent pas de trancher sans hésitation toutes les questions soulevées par les recourants, mais le principe de la légalité (c. 3.2) n'exige pas que la loi (au sens matériel) règle la totalité des problèmes pouvant se poser en relation avec l'objet de la réglementation (c. 1.4 et 3.4). Le grief de violation de la primauté du droit international doit être rejeté, car il n'apparaît pas que les modifications litigieuses du RVV/GE contreviennent à l'Accord bilatéral CH-UE dans sa teneur modifiée par le Comité mixte (c. 4.2). Enfin, le grief de violation de la force dérogatoire du droit fédéral est mal fondé, car un principe d'immutabilité de la zone viticole n'existe pas en droit fédéral (c. 5.2).

20 août 2021

TF, 20 août 2021, 2C_322/2021 (d)

Indication de provenance, denrées alimentaires, indication fallacieuse, signe trompeur, consommateur moyen, armoiries publiques, étiquette, marque combinée, boisson alcoolisée, bière, Valais, Saas, recours rejeté ; art. 18 al. 3 LDAl, art. 12 al. 1 ODAlOUs, art. 1 al. 1 lit. g ch. 1 Ordonnance du DFI sur les boissons, art. 65 al. 1 Ordonnance du DFI sur les boissons.

Une société ayant son siège dans le canton du Valais commercialise une bière appelée « Saas das Bier ». Outre cette dénomination, l’étiquette apposée sur les bouteilles comporte une étoile valaisanne aux couleurs rouge et blanche des armoiries cantonales, ainsi qu’un panorama de montagne. La bière n’est pas produite en Valais, la société ne disposant pas de ses propres installations de brassage. Le lieu où est effectivement brassée et mise en bouteille la bière est indiqué en petits caractères sur l’étiquette. La loi sur les denrées alimentaires (LDAl, RS 817.0) a notamment pour but de protéger les consommateurs contre les tromperies en matière de denrées alimentaires et d'objets usuels, et de mettre à leur disposition les informations nécessaires à l'acquisition de ces produits (c. 6.1). Concernant la protection contre la tromperie, l'art. 18 al. 1 LDAl dispose que toute indication concernant des denrées alimentaires doit correspondre à la réalité. L’al. 2 précise que la présentation, l’étiquetage et l’emballage des produits visés à l’al. 1 ainsi que la publicité pour ces produits ne doivent pas induire le consommateur en erreur. Les dispositions de la LPM relatives aux indications de provenance suisse sont réservées. Selon l’al. 3, sont notamment réputés trompeurs les présentations, les étiquetages, les emballages et les publicités de nature à induire le consommateur en erreur sur la fabrication, la composition, la nature, le mode de production, la durée de conservation, le pays de production, l’origine des matières premières ou des composants, les effets spéciaux ou la valeur particulière du produit. Selon l’art. 12 al. 1 de l’Ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels (ODAlOUs, RS 817.02), qui concrétise cette protection, les dénominations, les indications, les illustrations, les conditionnements, les emballages et les inscriptions qui figurent sur les conditionnements et sur les emballages, ainsi que la présentation, la publicité et les informations alimentaires doivent correspondre à la réalité et exclure toute possibilité de tromperie quant à la nature, à la provenance, à la fabrication, au mode de production, à la composition, au contenu et à la durée de conservation de la denrée alimentaire concernée (c. 6.1.1). Sont notamment trompeuses les indications inexactes sur la provenance d'une denrée alimentaire ou les indications qui donnent l'impression erronée que le produit ou ses matières premières proviennent d'une région déterminée. La question de savoir si la présentation d'un produit alimentaire doit être qualifiée de trompeuse dépend de différents facteurs. Une violation de l'interdiction d'induire en erreur peut résulter d'indications isolées sur la denrée alimentaire, mais aussi, le cas échéant, seulement de son apparence globale. Le critère permettant de déterminer si la présentation d'une denrée alimentaire doit être considérée comme trompeuse au sens des dispositions précitées s’apprécie du point de vue du consommateur moyen. Son besoin légitime d’information est déterminant, en partant du principe qu'il ne connaît généralement pas les prescriptions détaillées du droit des denrées alimentaires. En outre, l'aptitude objective à la tromperie est suffisante. Il n'est pas nécessaire de prouver qu'un certain nombre de consommateurs moyens ont effectivement été trompés. En revanche, la possibilité éloignée que le produit suscite des idées erronées chez le consommateur moyen n’est pas suffisante (c. 6.1.2). Le produit « Saas das Bier » relève incontestablement du champ d'application matériel de la législation sur les denrées alimentaires, qui englobe la bière en tant que denrée alimentaire (art. 4 al. 1 et al. 2 lit. a LDAl, ainsi qu'art. 1 al. 1 lit. g ch. 1 et art. 63ss de l'Ordonnance du DFI sur les boissons, RS 817.022.12). Le produit de la recourante doit donc respecter les prescriptions de la législation sur les denrées alimentaires. Il découle de l’art. 12. al. 1 ODAlOUs que, nonobstant la formulation trop étroite de l’art. 18 al. 3 LDAl, la protection contre la tromperie interdit non seulement les allégations trompeuses concernant le pays de production, mais également celles qui concernent d’autres provenances, éventuellement régionales ou locales (c. 6.2.1). Selon les constatations de l'instance précédente, la présentation de la bière fait référence à plusieurs endroits à la vallée de Saas, située dans le canton du Valais. En particulier, la dénomination spécifique « Bier », au sens de l'art. 65 al. 1 de l'Ordonnance du DFI sur les boissons, est précédée de l'indication de provenance « Saas ». Au-dessus, l'étiquette du produit comporte une étoile valaisanne aux couleurs blanche et rouge des armoiries cantonales. Sous la désignation, un panorama de montagne est représenté, établissant une référence claire au canton montagneux qu’est le Valais. Par cette présentation, la recourante donne au consommateur moyen que le produit « Saas das Bier » provient de cette région (c. 6.2.2). Le fait que l'étiquette de la bière indique, en petits caractères, le lieu où la bière est effectivement brassée et mise en bouteille n’y change rien. En raison des autres éléments qui figurent sur l’étiquette, les consommateurs n’ont aucune raison objective de supposer que la bière pourrait provenir d’un autre endroit. La protection contre la tromperie prévue par la législation sur les denrées alimentaires a pour but de protéger les consommateurs contre les fausses représentations causées par une présentation ou par un étiquetage trompeurs, sans leur imposer une obligation de se renseigner plus avant. En outre, même s’il lit l’indication, le consommateur moyen a inévitablement l'impression que le produit de la recourante doit avoir un quelconque lien avec la vallée de Saas, dans le canton du Valais (c. 6.2.3). Le produit « Saas das Bier » de la recourante éveille ainsi clairement l'impression trompeuse que ses propriétés caractéristiques lui ont été conférées dans la vallée de Saas, dans le canton du Valais. Sa présentation doit donc être considérée comme trompeuse au sens de l'art. 18 LDAl et de l'art. 12 al. 1 ODAlOUs. Contrairement à l'avis de la recourante, il n'est pas déterminant qu'elle n'ait pas eu l'intention de tromper avec la présentation et la désignation de la bière. Il suffit, comme c’est le cas en l’espèce, que la présentation d'un produit soit objectivement de nature à induire en erreur (c. 6.2.4). Le signe « Saas das Bier » a été enregistré en mars 2020 comme marque combinée, notamment pour des bières provenant de Suisse (CH 744978). La réserve de l’art. 18 al. LDAl, qui renvoie aux dispositions de la LPM relatives aux indications de provenance suisse, ne doit pas être comprise de telle manière qu’il ne subsiste pas de champ d’application indépendant pour la protection contre la tromperie selon le droit des denrées alimentaires dès qu’une denrée alimentaire porte une indication de provenance au sens des art. 47ss LPM. En particulier, l'utilisation d'une indication de provenance licite au sens de la LPM ne justifie pas une présentation de denrées alimentaires qui éveille chez les consommateurs des représentations erronées sur leur provenance. Les règles de la LPM ne prévalent pas sur celles du droit alimentaire (c. 6.3). Le recours est rejeté (c. 7). [SR]