I Droit d'auteur et droits voisins

Notion d'œuvre (art. 2 LDA)

En général

13 février 2008

TF, 13 février 2008, 4A_404/2007 (d)

ATF 134 III 166 ; sic! 6/2008, p. 462-467, « Arzneimittel-Kompendium II » ; JdT 2008 I 381 et 399 ; œuvre, individualité, compendium, produits pharmaceutiques, concurrence déloyale, exploitation d'une prestation d'autrui ; art. 2 al. 1 LDA, art. 5 lit. c LCD.

Pour qu'une œuvre soit individuelle, il ne suffit pas qu'elle soit statistiquement unique, s'il doit être admis avec un haut degré de vraisemblance qu'un tiers, mis dans la même situation et soumis aux mêmes contraintes que l'auteur, aurait créé une œuvre identique ou en tout cas semblable sur l'essentiel à la réalisation dont l'individualité est examinée. La portée de l'art. 5 lit. c LCD doit être interprétée restrictivement, le but de la LCD n'étant pas d'introduire de nouvelles catégories de biens protégés. Ainsi, la protection de l'art. 5 lit. c LCD n'entre en ligne de compte que pendant la période limitée nécessaire pour permettre à l'auteur d'une base de données d'amortir les frais qu'il a dû consentir pour sa réalisation. Une fois que ces frais ont été amortis, un tiers peut reprendre le résultat du travail considéré sans violer l'art. 5 lit. c LCD, même s'il ne consent pas d'investissements personnels importants, puisqu'il ne tire pas de cette reprise d'avantages indus sur le plan de la concurrence, le premier venu étant déjà rentré dans ses frais.

08 mai 2008

OG BE, 8 mai 2008, APH 04 4621 V1JUD (d)

sic! 4/2009, p. 244-252, « Expo.02-Karte » (Thouvenin Florent, Anmerkung) ; œuvre, individualité, carte géographique, Expo.02, qualité pour agir, concurrence déloyale, imitation servile, exploitation d’une prestation d’autrui ; art. 2 LDA, art. 10 al. 2 LDA, art. 2 LCD, art. 3-8 LCD, art. 5 LCD, art. 9 al. 1 LCD.

La carte géographique thématique de la demanderesse constitue une œuvre protégée (art. 2 LDA), car elle est le résultat de nombreux choix qui lui confèrent un caractère individuel (c. 2b). La reprise, par la défenderesse, dans sa propre carte, en particulier des signes conventionnels (Signaturen) figurant sur la carte de la demanderesse constitue une violation des droits de reproduction et de mise en circulation (art. 10 al. 2 LDA) de la demanderesse (c. 2c). Du fait qu'il entre en concurrence avec d'autres fournisseurs de cartes de géographie, un office fédéral est activement légitimé au sens de l'art. 9 al. 1 LCD (c. 3a). La LDA et la LCD sont applicables cumulativement (c. 3b). La clause générale de l'art. 2 LCD est subsidiaire par rapport aux dispositions spéciales des art. 3-8 LCD (c. 3c). En l'espèce, en l'absence de reprise directe au moyen de procédés techniques de reproduction, la reprise de la carte de la demanderesse n'est pas prohibée par l'art. 5 lit. c LCD (c. 3d). En raison du caractère public de la carte reprise, l'art. 5 lit. a et b LCD n'est pas non plus applicable (c. 3e-3f). La reprise de la carte de la demanderesse permet à la défenderesse de s'épargner plusieurs phases de production et viole dès lors l'art. 2 LCD (imitation servile) (c. 3h).

16 janvier 2009

TC VD, 16 janvier 2009, CM08.019573, 9/2009 (f) (mes. prov.)

sic! 6/2010, p. 428-432, « Projet de réaménagement d’un axe routier » ; œuvre, individualité, projet, idée, axe routier, mesures provisionnelles, qualité pour agir, théorie de la finalité, exploitation d’une prestation d’autrui ; art. 2 al. 1 LDA, art. 2 al. 4 LDA, art. 5 lit. a et b LCD.

Lorsque la marge de manoeuvre du créateur est restreinte, par exemple par des contraintes techniques, un degré d'individualité réduit suffit à la qualification d'œuvre au sens de l'art. 2 al. 1 LDA. Selon l'art. 2 al. 4 LDA, les projets d'œuvres sont assimilés à des œuvres s'ils remplissent les conditions posées par l'art. 2 al. 1 LDA. Une simple idée ne peut en revanche pas être protégée (c. II.b). Les appelants ne peuvent pas se prévaloir de droits d'auteur sur une idée (ou un concept général) qui porte (en particulier) sur le projet de restructuration d'un axe routier (démolition d'un pont et création d'un giratoire) et qui n'est matérialisée que par de vagues esquisses, ce d'autant que l'idée a germé dans l'esprit de tiers (c. II.c). Par ailleurs, les appelants n'ont pas qualité pour agir, car il y a lieu d'admettre, en application de la théorie de la finalité, qu'ils ont contractuellement cédé à un tiers leurs (éventuels) droits d'auteur sur le projet, notamment en facturant leurs prestations selon le tarif usuel (c. III). Pour être protégée contre la reprise indue au sens de l'art. 5 lit. a et b LCD, une prestation doit, en principe, être le résultat matérialisé d'un travail ayant nécessité des efforts intellectuels et matériels. Sont par conséquent libres la reprise et l'exploitation des idées, des connaissances ou de tout autre contenu intellectuel du résultat d'un travail. En l'espèce, le concept global de restructuration d'un axe routier et la concrétisation de cette idée sur un plan à peine esquissé ne sauraient être considérés comme le résultat matérialisé d'un travail (c. IV).

07 juillet 2009

OG ZH, 7 juillet 2009, LK060009/U (d)

sic! 12/2010, p. 889-900, « Love » (Thouvenin Florent, Anmerkung) ; œuvre, individualité, unicité statistique, Indiana, Love, oeuvre dérivée, libre utilisation, création parallèle, remise du gain, enrichissement illégitime, action en fourniture de renseignements ; art. 41 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 3 LDA, art. 11 LDA, art. 62 al. 1 lit. c LDA, art. 62 al. 2 LDA.

C'est l'impression d'ensemble qui s'en dégage qui détermine si une création de l'esprit a un caractère individuel; à lui seul, le critère de l'unicité statistique (statistische Einmaligkeit) n'est pas décisif (c. IV.1.1). « Love » (1966) de Robert Indiana (Fig. 1a) est une œuvre (art. 2 LDA) protégée par le droit d'auteur (c. IV.1.2-IV.1.3). En vertu des art. 3 et 11 LDA, l'auteur peut interdire l'utilisation de son œuvre dans une œuvre dérivée, c'est-à-dire dans une œuvre nouvelle dans laquelle son œuvre est reconnaissable dans son caractère individuel ; il ne peut en revanche pas s'opposer à la libre utilisation de son œuvre, c'est-à-dire à la reprise non reconnaissable de son œuvre, comme source d'inspiration (c. IV.2.1). Les cadrans des montres fabriquées par la défenderesse (Fig. 1b) sont des œuvres dérivées de l'œuvre « Love » car, malgré les — minimes — différences qu'ils présentent avec elle et le remplacement du « O » de « Love » par un cœur, l'œuvre « Love » reste clairement reconnaissable (c. IV.2.2-IV.2.3). En droit suisse, la protection d'une création parallèle (Doppel-/Parallelschöpfung) — c'est-à-dire d'une création identique à une autre, mais née de manière totalement indépendante — est exclue (c. IV.3.1-IV.3.2; à ce sujet, voir la critique de Thouvenin). L'action en remise du gain (art. 62 al. 2 LDA) nécessite la mauvaise foi du gérant (art. 423 CO) (c. V.3.1 et V.3.5.1). La démonstration que l'œuvre Love est très connue n'est pas un indice suffisant de la mauvaise foi du designer de la défenderesse (c. V.3.3.2). La défenderesse n'est toutefois plus de bonne foi dès le moment où la demanderesse fait valoir ses droits pour la première fois (par courrier) (c. V.3.4 et V.4). Outre les actions prévues par l'art. 62 al. 2 LDA (art. 41 et 423 CO), l'action en restitution de l'enrichissement illégitime (art. 62 CO) peut être intentée par un auteur dont les droits ont été violés ; elle ne nécessite pas de faute, mais ne permet d'obtenir que la valeur des économies réalisées grâce à la violation (généralement les coûts de licence), à l'exclusion de la remise du gain (c. V.3.5.1). L'action en fourniture de renseignements (art. 62 al. 1 lit. c LDA) permet d'exiger de la défenderesse la communication du gain net réalisé (c. V.4).

Fig. 1a – Love (demanderesse)
Fig. 1a – Love (demanderesse)
Fig. 1b – Montre (défenderesse)
Fig. 1b – Montre (défenderesse)

25 août 2009

OG ZG, 25 août 2009, SO 2008 43 (d)

sic! 10/2010, p. 721-723, « Le Corbusier Möbel II » ; œuvre, œuvre des arts appliqués, meuble, Le Corbusier, imitation ; art. 67 al. 1 lit. f LDA, art 3 lit. d LCD, art. 23 al. 1 LCD.

L'utilisation, dans la fabrication de meubles, d'armatures en acier combinées à des rembourrages de forme carrée ne peut pas être protégée en tant que telle par le droit d'auteur (c. 2.3.2). L'art. 67 al. 1 lit. f LDA punit néanmoins la mise en circulation de meubles qui dégagent la même impression générale que des meubles « Le Corbusier » protégés par le droit d'auteur (ATF 113 II 190) (c. 2.3.1-2.3.2). La qualité des matériaux utilisés ne joue aucun rôle et le fait que les imitations ne subissent pas de déformation après utilisation ne constitue pas une différence déterminante. N'ayant pas d'influence sur leur apparence, la manière différente dont les meubles sont désignés ne joue pas non plus de rôle (c. 2.3.2). En lien avec l'art. 23 al. 1 LCD, l'art. 3 lit. d LCD punit la mise en circulation d'imitations serviles d'œuvres d'autrui. L'apparence identique des meubles suffit à faire naître une confusion. Même si elle est utilisée entre guillemets, la désignation « Le Corbusier » est de nature à renforcer la confusion (c. 3.3).

LCD (RS 241)

- Art. 23

-- al. 1

- Art. 3

-- al. 1 lit. d

LDA (RS 231.1)

- Art. 67

-- al. 1 lit. f

01 avril 2010

TF, 1er avril 2010, 4A_638/2009 (f)

ATF 136 III 225 ; sic! 7/8/2010, p. 526-530, « Guide orange » ; medialex 3/2010, p. 170 (rés.) ; œuvre, guide, individualité, auteur, coauteur, contrat de travail, action en exécution, action en constatation, péremption ; art. 2 CC, art. 2 al. 1 LDA, art. 61 LDA, art. 62 LDA.

À la différence de l'action en exécution (art. 62 LDA), l'action en constatation (art. 61 LDA) n'est pas susceptible d'être touchée par la péremption (art. 2 CC). Toutefois, selon les circonstances, l'intérêt légitime à la constatation exigé par l'art. 61 LDA (qui implique une incertitude — sur un droit ou sur les relations juridiques des parties découlant du droit d'auteur — susceptible d'être éliminée par une constatation judiciaire) peut être nié en cas de retard à agir (c. 3.2). En l'espèce, le recourant a un intérêt légitime à la constatation de sa qualité d'auteur du « Guide orange » (manuel d'intervention pratique destiné aux sapeurs-pompiers). Il ne peut être reproché au recourant de ne pas avoir agi pendant les 27 années durant lesquelles les relations entre les parties ont été harmonieuses. Par ailleurs, en raison de l'incessibilité des droits moraux, l'intérêt d'une personne physique à faire constater qu'elle est l'auteur d'une œuvre ne saurait disparaître par l'écoulement du temps (c. 3.3). La reconnaissance judiciaire de la qualité d'auteur d'une œuvre ne préjuge toutefois pas de la cession préalable par l'auteur, dans le cadre par exemple du contrat de travail qui lie les parties, de droits moraux transmissibles ou de droits patrimoniaux (c. 3.3). La disposition originale de la matière (par fiches d'intervention comprenant, pour chaque produit, en tout cas une étiquette chimique, le numéro ONU, une échelle des dangers, une description du produit et de ses dangers, différentes rubriques indiquant aux intervenants comment agir au mieux selon les situations, ainsi qu'une indication des constantes) rend le « Guide orange » individuel et en fait une œuvre au sens de l'art. 2 al. 1 LDA (c. 4.2). Est coauteur celui qui concourt de manière effective à la détermination définitive de l'œuvre ou à sa réalisation. Sa contribution peut résider dans la forme ou dans la structure du contenu, pour autant qu'elle revête l'individualité nécessaire. En l'espèce, le recourant est coauteur du « Guide orange », car il ne s'est pas limité à exécuter les instructions de son employeur (c. 4.3).

02 mai 2011

TF, 2 mai 2011, 4A_78/2011 (d)

sic! 9/2011, p. 504-509, « Le-Corbusier-Möbel III » ; œuvre, œuvre des arts appliqués, meuble, individualité, Le Corbusier, imitation, contrat de vente, action en interdiction, action en cessation, abus de droit, conclusion, concurrence déloyale ; art. 2 al. 1 LDA, art. 2 al. 2 lit. f LDA, art. 62 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 1 lit. b LDA, art. 3 lit. d LCD, art. 3 lit. e LCD, art. 100 al. 1 LDIP, art. 118 LDIP.

À l'exception du remplacement de la condition de l'originalité par celle de l'individualité (c. 2.1), la définition de l'œuvre (art. 2 al. 1 LDA) n'a pas été modifiée par la LDA de 1992 (c. 2.4). Il n'y a pas de raison de revenir sur la décision du TF (ATF 113 II 190) selon laquelle le siège LC 1 ne présente pas un degré d'individualité suffisant (il est similaire à deux sièges créés antérieurement par des tiers) pour être qualifié d'œuvre (des arts appliqués [art. 2 al. 2 lit. f LDA]) et être protégé par la LDA (c. 2.4). Dans le cadre d'une action en interdiction (art. 62 al. 1 lit. a LDA) ou en cessation (art. 62 al. 1 lit. b LDA), le demandeur doit indiquer précisément ce qui doit être interdit au défendeur. Le juge est lié par les conclusions du demandeur (c. 3.2). En l'espèce, la vente, par les intimés (italiens), d'imitation de divers meubles « Le Corbusier » à des clients suisses est régie par le droit italien (art. 100 al. 1 LDIP, art. 118 LDIP) en vertu duquel l'acheteur devient propriétaire à la conclusion du contrat déjà. Il ne peut donc pas être considéré que les intimés — qui ne se chargent pas eux-mêmes du transport des meubles de l'Italie vers la Suisse, mais proposent les services d'un transporteur — vendent des meubles en Suisse (et y violent des droits d'auteur). Il n'y a pas d'abus de droit, car le droit d'auteur italien n'offre pas de protection à ces meubles et n'interdit donc ni leur fabrication ni leur mise en circulation (c. 3.4). Doit dès lors être rejetée la conclusion de la recourante tendant à interdire aux intimés de vendre en Suisse (« in der Schweiz zu verkaufen ») ces imitations de meubles (c. 3.4-3.7). Est en revanche admise la conclusion de la recourante tendant à interdire aux intimés de proposer au public, en particulier à la vente via Internet, ces meubles en Suisse (c. 3.3). La LCD ne prohibe en principe pas l'imitation. Si elle interdit l'utilisation de prestations dans des circonstances particulières relevant de la concurrence, elle ne protège pas pour autant ces prestations en tant que telles (c. 4.1). Du fait que, dans leur publicité pour l'imitation du siège LC 1, ils ne se réfèrent pas à « Le Corbusier », ni n'utilisent son nom, ni ne font allusion à la série de meubles « LC », ni ne font usage des expressions « Original-Qualität » ou « klassische Ausführung », les intimés ne violent pas l'art. 3 lit. d et e LCD (c. 4.2).

02 décembre 2011

OG ZH, 2 décembre 2011, LK110002-0/U (d)

sic! 6/2012, p. 378-386, « Le-Corbusier-Möbel IV » ; œuvre, œuvre des arts appliqués, individualité, Le Corbusier, auteur, coauteur, imitation, contrat de vente, abus de droit, usage privé, droit de mise en circulation, publicité, dommage, remise du gain, concurrence déloyale ; art. 42 al. 2 CO, art. 10 al. 2 lit. b LDA, art. 3 lit. d LCD, art. 100 LDIP, art. 118 LDIP

Vu l'ATF 113 II 190, les modèles de meubles LC2, LC3 et LC4 sont protégés par la LDA ; tel n'est en revanche pas le cas du modèle LC1 (c. V.1.2-V.1.3). Par ailleurs, selon l'Obergericht ZH, les modèles LC6 (Fig. 2a) et LC7 (Fig. 2b) sont protégés par la LDA, car leurs éléments ne sont pas purement fonctionnels (c. V.1.4-V.1.5). Heidi Weber n'a ni la qualité d'auteur d'une œuvre indépendante ou dérivée (c. 2.1) ni la qualité de coauteur des meubles en cause, car elle n'a procédé (avec l'accord de « Le Corbusier ») sur ces meubles qu'à des modifications mineures (simplifications pour la production en série, modifications d'ordre pratique, choix de nouveaux matériaux) qui n'ont pratiquement pas d'incidence sur leur design (c. V.2.2-V.2.3). La vente, par les défendeurs (italiens), d'imitation de meubles « Le Corbusier » à des acheteurs suisses est régie par le droit italien (art. 100 LDIP, art. 118 LDIP) en vertu duquel l'acheteur devient propriétaire à la conclusion du contrat, avec la fabrication de la chose ou avec son acquisition par le vendeur. Il ne peut donc pas être considéré que les défendeurs — qui ne se chargent pas eux-mêmes du transport des meubles de l'Italie vers la Suisse, mais proposent les services d'un transporteur — vendent (art. 10 al. 2 lit. b LDA) des meubles en Suisse (et y violent des droits d'auteur). Il n'y a pas d'abus de droit, car le droit d'auteur italien n'offre pas de protection à ces meubles et n'interdit donc ni leur fabrication ni leur mise en circulation (c. V.3.2.1-V.3.2.2). Peut rester ouverte la question de savoir si un acquéreur de ces meubles (qui, selon la LDA, violent les droits de la demanderesse) peut, en Suisse, se prévaloir de l'exception d'usage privé (c. V.3.2.2 in fine). Bien que la vente elle-même ne constitue pas une violation de la LDA (c. V.3.3.3), les défendeurs violent l'art. 10 al. 2 lit. b LDA en proposant à la vente en Suisse (grâce, notamment, à l'envoi de prospectus avec des prix en francs suisses à des adresses en Suisse, ainsi qu'à l'utilisation d'un site Internet en allemand consultable en Suisse) ces imitations de meubles (LC2, LC3, LC4, LC6 et LC7) (c. V.3.3.2). Du fait qu'ils ne font pas de publicité avec le nom « Le Corbusier » (et parfois même sans l'abréviation LC), qu'ils ne laissent pas entendre que leurs produits sont ceux de la demanderesse et qu'ils ont les mêmes coûts de production et de publicité que la demanderesse, les défendeurs ne violent pas la LCD (c. VI.1), en particulier l'art. 3 lit. d LCD, en lien avec le modèle LC1 (c. VI.2). Le fait que le défendeur 1 ait détruit des pièces nécessaires au calcul du dommage doit être apprécié en sa défaveur au sens de l'art. 42 al. 2 CO (c. VII.2.1-VII.2.2). Dans la fixation du dommage (art. 42 al. 2 CO), il convient de prendre en compte un bénéfice net de 10 % du prix de vente final des meubles, ce qui prend en considération le fait que les défendeurs ont les mêmes coûts que la demanderesse et le fait que l'absence de frais de licence pour les défendeurs est compensée par les prix plus bas pratiqués par les défendeurs (c. VII.2.4.2). Vu que ce ne sont que les actes de publicité qui sont illicites et qu'ils touchent avant tout les acheteurs individuels (et non les revendeurs), il convient d'estimer à 62 % du bénéfice net le gain à restituer à la demanderesse et de réduire encore légèrement ce montant afin de tenir compte du fait que d'éventuelles ventes du modèle LC1 ne violent ni la LDA ni la LCD (c. VII.2.4.3).

Fig. 2a – Table LC6
Fig. 2a – Table LC6
Fig. 2b – Chaise LC7
Fig. 2b – Chaise LC7

24 mai 2012

OG ZH, 24 mai 2012, LK020010-O/U (d)

sic! 7-8/2013, p. 445-461, « Tunnels d’Arrissoules » ; œuvre, droit d’auteur, tunnel, œuvre du génie civil, projet, partie d’œuvre, œuvre d’architecture, individualité, liberté de création, protection des idées, contenu scientifique, calcul, plan, offre, enseignement technique, responsabilité de la collectivité publique pour ses agents, acte illicite, concurrence déloyale, exploitation d’une prestation d’autrui, remise du gain, mauvaise foi, gestion d’affaires, faute, enrichissement illégitime ; art. 3 CC, art. 4 CC, art. 41 CO, art. 55 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 5 lit. a LCD, art. 5 lit. b LCD, art. 9 LCD, art. 11 LCD.

Un projet de construction de tunnels autoroutiers comportant un rapport technique, des commentaires, des calculs, des dessins et des plans, peut constituer une œuvre protégée au sens du droit d'auteur si les contingences techniques, juridiques et fonctionnelles (y compris naturelles) qui ont présidé à sa réalisation ont laissé à son auteur une marge de manœuvre suffisante pour qu'il ait néanmoins pu réaliser des choix créateurs autonomes débouchant sur un résultat individuel ; ce qui n'a pas été admis en l'espèce (c. IV.3-5). Les œuvres d'architecture, au sens de l'art. 2 al. 2 lit. e LDA, sont toutes les œuvres par lesquelles l'espace est structuré par une intervention humaine. Les productions des architectes, ingénieurs, architectes d'intérieur, paysagistes et décorateurs peuvent être protégées par la LDA. Les tunnels sont aussi mentionnés par la doctrine comme pouvant constituer des œuvres architecturales s'ils satisfont aux conditions de protection du droit d'auteur (c. IV.3.5.1). La forme des œuvres architecturales est souvent déterminée par leur but et d'autres contraintes (fonction, emplacement, dispositions en matière de police des constructions, moyens financiers du maître de l'ouvrage). La liberté de création de l'architecte est ainsi limitée, et ses réalisations peuvent donc bénéficier de la protection du droit dès qu'elles présentent un degré d'individualité, même réduit (c. IV.3.5.2). Les œuvres d'un ingénieur civil dépendent encore plus de contingences techniques (topographies, matériaux, tracé des voies, lois de la physique, problèmes de statique) et la liberté créatrice passe à l'arrière-plan. Dès qu'une forme d'exécution est imposée par les contingences techniques et qu'il n'existe pas d'alternative dépourvue d'impact sur l'effet image technique recherché, la réalisation ne présente pas d'individualité et appartient au domaine public. C'est souvent le cas pour les constructions du génie civil (ponts, routes et tunnels) qui, malgré leur caractère parfois esthétique, sont généralement dépourvues d'individualité étant donné les conditions qui ont présidé à leur réalisation comme les propriétés du sol, les exigences techniques et la dépendance aux matériaux utilisés. Si toutefois les conditions particulières à un cas d'espèce ont laissé une certaine marge de manœuvre à l'auteur de la réalisation considérée, plusieurs variantes étant imaginables pour résoudre le problème technique ou scientifique donné, les choix effectués par l'auteur du projet lui confèrent un caractère individuel (c. IV.3.5.3). Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Le contenu scientifique ou technique de plans, calculs, projets, dessins techniques, etc., n'est pas protégé par le droit d'auteur. Il peut l'être par le droit des brevets ou par le fait de demeurer secret, mais n'entre pas en ligne de compte pour déterminer si la réalisation à laquelle il est lié est individuelle et bénéficie de la protection du droit d'auteur (c. IV.3.6). La LCD ne protège pas les idées ou les méthodes. Ainsi, la simple idée de renoncer à un dispositif de drainage d'un tunnel pour laisser les eaux s'infiltrer dans la montagne n'est pas protégée par la LCD (c. IV.7.3). Par contre, la reprise et l'utilisation par un tiers de calculs, offres et plans, sans l'autorisation de leur auteur, constituent un acte de concurrence déloyale dont les auteurs sont non seulement celui qui a lancé l'appel d'offres, mais aussi les tiers qui utilisent ou exécutent les résultats de cet appel d'offres (c. IV.7.4). Tel n'est pas le cas si ces tiers ont développé leurs activités sur la base de leurs propres calculs (c. IV.7.5). La remise du gain selon l'art. 423 CO suppose la mauvaise foi du gérant (c. IV.14.4). La bonne foi est présumée. Toutefois, en vertu de l'art. 3 al. 2 CC, ne peut se prévaloir de sa bonne foi celui qui, en déployant l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui, n'aurait pas pu être de bonne foi (c. IV.14.5). Le fait de renoncer à vérifier si un acte est susceptible de violer les droits de tiers, lorsqu'on a des raisons de penser que tel pourrait être le cas, est constitutif de mauvaise foi (c. IV.14.9.1). Dans le cas d'espèce toutefois, le tribunal n'a retenu ni la mauvaise foi (en raison d'une attention insuffisante), ni la faute du défendeur (c. IV.14.10). Du moment qu'il ne peut être reproché au défendeur ni un manque d'attention, ni un défaut de surveillance, il ne peut pas non plus lui être reproché une violation de ses obligations de vérification et de surveillance au sens du droit de la concurrence, ce qui ne laisse pas place à une action en restitution de l'enrichissement illégitime au sens de l'art. 62 CO (c. IV.15). [NT]

Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt

29 août 2012

HG AG, 29 août 2012, HOR.2011.22 (d)

sic! 6/2013, p. 344-350, « Nicolas Hayek » ; droit d’auteur, œuvre photographique, individualité, dommage, gain manqué, confiscation, transfert de droits d’auteur, interprétation du contrat, théorie de la finalité, principe de la proportionnalité ; art. 41 al. 1 CO, art. 42 al. 2 CO, art. 2 al. 2 lit. g LDA, art. 16 al. 2 LDA, art. 62 al. 2 LDA, art. 63 LDA.

Pour déterminer si l'on est en présence d'une œuvre protégée, le choix des différentes composantes d'une image, leur cadre, de même que la répartition des ombres et de la lumière peuvent jouer un rôle (c. 7.1.2). L'art. 42 al. 2 CO ne dispense pas le lésé de prouver la vraisemblance du gain manqué. La simple allégation d'une possibilité de vendre l'œuvre ne suffit pas (c. 7.2.5). Un supplément par rapport à la redevance habituelle équivaudrait à des dommages-intérêts punitifs et ne serait pas compatible avec les principes de la responsabilité extra contractuelle (c. 7.2.6). Lorsqu'un photographe n'utilise pas la marge de manœuvre dont il dispose, ni en ce qui concerne la technique photographique, ni en ce qui concerne la composition, il n'y a pas d'œuvre protégée au sens du droit d'auteur (c. 8.1.1). Les circonstances ayant permis la photographie ne sont pas pertinentes pour juger du caractère individuel de celle-ci (c. 8.1.2). D'après l'art. 16 al. 2 LDA, l'autorisation de publier l'œuvre une première fois n'implique pas de pouvoir la reproduire dans des éditions subséquentes. La preuve du contraire n'est pas rapportée en l'espèce (c. 9.2.1.3.2). Une demande de confiscation au sens de l'art. 63 LDA ne peut porter que sur des objets qui appartiennent à la partie défenderesse, ou qui sont en sa possession (c. 9.2.2). Celle-ci n'a pas besoin d'être en faute (c. 9.2.3). La confiscation doit en outre satisfaire à l'exigence de proportionnalité (c. 9.3.1). En l'espèce, la confiscation et la destruction d'une revue contenant une photographie publiée sans autorisation ne serait pas conforme au principe de la proportionnalité, vu que cette revue contient aussi des images et des articles publiés licitement. De plus, l'art. 63 LDA est une disposition potestative et une nouvelle infraction au droit d'auteur n'est pas vraisemblable (c. 9.3.2). [VS]

Fig. 2 – « Bild 2 » (cf. c. 8.1)
Fig. 2 – « Bild 2 » (cf. c. 8.1)

21 septembre 2012

TC NE, 21 septembre 2012, CCIV.2011.10 (f)

sic! 2/2013, p. 93-94, « Diffusion de musique par DJs dans le bar R » ; œuvre, droit d’auteur, droits voisins, musique improvisée, gestion individuelle ; art. 33 ss LDA.

La protection des artistes interprètes est accordée à la personne qui a exécuté l'œuvre ou qui a collaboré à l'exécution sur le plan artistique. Ce qui est protégé, c'est l'exécution d'une œuvre, soit d'une création de l'esprit. Lorsque l'action créatrice et l'exécution coïncident de manière à ne pas pouvoir être séparées, on ne pourra accorder en principe que la protection du droit d'auteur, puisqu'au moment de la prestation immatérielle il n'y a pas encore d'œuvre qui pourrait être exécutée. Cela vaut notamment pour la musique improvisée (c. 3.a). En cas de diffusion de musique par la TV, les droits voisins sont dus en plus des droits d'auteur, même si les DJs touchent eux-mêmes un cachet et s'il leur arrive d'utiliser des phonogrammes qu'ils ont eux-mêmes créés ou d'accompagner la diffusion des mix d'une animation à caractère artistique (c. 3.b). [VS]

17 juin 2015

HG BE, 17 juin 2015, HG 15 39 (d) (mes. prov.)

Œuvre, droit d’auteur, individualité de l’œuvre, unicité statistique, œuvre photographique, transfert de droits d’auteur, recueil, contrat de licence, concurrence déloyale, exploitation d’une prestation d’autrui, mesures provisionnelles, vraisemblance, examen théorique des conducteurs de véhicules automobiles, programme d’ordinateur, CD-ROM, Excel ; art. 2 al. 1 LDA, art. 4 LDA, art. 6 LDA, art. 9 LDA, art.16 al. 1 LDA, art. 65 LDA, art. 5 lit. c LCD.

Pour l’examen théorique des conducteurs de véhicules automobiles, la demanderesse — l’association des services des automobiles — a conçu 276 questions avec pour chacune trois réponses possibles et des images (et photographies) associées. Ce matériel est mis sur le marché par le biais de contrats de licence. Sans bénéficier d’une telle licence, la défenderesse a repris un CD sur lequel étaient enregistrées les questions et les réponses sous forme de tableau Excel, les images et des instructions sur la façon d’assembler les questions et les images. En droit d’auteur, l’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre. Lorsqu’une œuvre est créée par un employé, l’employeur ne peut acquérir les droits d’auteur sur cette œuvre, et faire valoir les droits exclusifs qui y sont liés, qu’en se les faisant céder (art. 16 al. 1 LDA) (c. 17.1). Si le matériel d’examen constitue une œuvre, les membres du groupe de travail qui les ont conçues en sont les auteurs. La demanderesse n’étant pas parvenue à rendre vraisemblable une cession expresse ou tacite des droits, la requête de mesures provisionnelles doit déjà être rejetée pour défaut de légitimation active (c. 17.4-17.5). La requête doit aussi être rejetée au motif que la demanderesse n’est pas parvenue à rendre vraisemblable l’existence d’une œuvre protégée (c. 18). Selon le critère de l’unicité statistique, l’œuvre doit se distinguer de ce qui est usuel au point qu’il paraisse exclu qu’un tiers, confronté à la même tâche, puisse créer une œuvre pratiquement identique (c. 18.1). En l’espèce, tant les images que les questions et réponses ne sont pas suffisamment individuelles pour être protégées. Les images ne constituent que de banales représentations de diverses situations, qui pourraient être réalisées de manière similaire par d’autres personnes ayant reçu la consigne de réaliser des images correspondant aux questions. Il en va de même pour les questions, qui ne constituent qu’une banale compilation de questions possibles d’examen découlant de la législation et dictées par la logique (c. 18.5). On ne peut non plus conclure à l’existence d’un recueil, le choix et l’ordonnancement des éléments n’étant pas individuels. Les questions sont listées de manière banale dans une liste Excel, sans avoir été, apparemment, disposées volontairement dans un ordre particulier, et les images sont stockées séparément (c. 18.7). Sous l’angle de l’art. 5 lit. c LCD, la demanderesse ne rend pas vraisemblable que sa compilation de questions constitue un produit prêt à être mis sur le marché. Le matériel enregistré sur le CD ne constitue pas un logiciel d’apprentissage fini, mais la matière de base permettant aux acquéreurs de développer leurs propres logiciels d’apprentissage. En outre, la demanderesse ne parvient pas à rendre vraisemblable que la défenderesse n’a pas effectué de sacrifice correspondant. La défenderesse n’a pas simplement copié le matériel de la demanderesse, mais elle l’a intégré dans son propre produit, modifiant notamment l’ordre des réponses et les images (c. 21.3). La demande de mesures provisionnelles doit donc aussi être rejetée sous l’angle de l’art. 5 lit. c LCD (c. 21.4). [SR]

12 juillet 2017

TF, 12 juillet 2017, 4A_115/2017 (d)

Meuble, Max Bill, droit d’auteur, design, concurrence déloyale, contrat de licence, œuvre des arts appliqués, individualité de l’œuvre, originalité des designs, tabouret de bar ; art. 2 al. 1 LDA, art. 2 al. 2 lit. f LDA, art. 2 al. 1 LDes.

Les œuvres des arts appliqués bénéficient de la protection du droit d’auteur lorsqu’elles constituent des créations intellectuelles présentant un caractère individuel. La loi révisée n’exige plus, pour qu’une création puisse être protégée, qu’elle soit originale, en ce sens qu’elle reflète la personnalité de son auteur(e). Il est nécessaire que le caractère individuel s’exprime dans l’œuvre elle-même et ce qui est déterminant est l’individualité de l’œuvre, pas celle de son auteur. Le degré d’individualité requis dépend de la marge de manœuvre à disposition de l’auteur pour réaliser une configuration (« Gestaltung ») individuelle. Plus cette marge de manœuvre est faible, plus facilement l’individualité doit être admise. Est ainsi protégé ce qui, en tant que création individuelle ou originale, se distingue des prérequis matériels ou naturels imposés par la finalité de l’œuvre. Lorsque son but utilitaire dicte la configuration d’une création donnée en la ramenant à des formes connues préexistantes de telle manière qu’il ne demeure pratiquement plus de place pour des caractéristiques individuelles ou originales, on se trouve en présence d’une création purement artisanale qui n’est pas éligible à la protection du droit d’auteur. La jurisprudence pose en plus de relativement hautes exigences concernant l’individualité des œuvres des arts appliqués ; dans le doute, il s’agit ainsi de considérer être en présence d’une prestation purement artisanale (c. 2.1). Il existe suffisamment de formes de chaise différentes pour qu’il ne puisse pas être considéré que leur configuration serait essentiellement ou exclusivement dictée par leur finalité. La jurisprudence admet d’ailleurs de manière constante qu’elles peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur. Ceci pour autant qu’une forme individuelle et artistique leur soit donnée qui aille au-delà d’un travail purement artisanal ou industriel et qui se distingue clairement des formes préexistantes. Tel est le cas lorsqu’un meuble se différencie nettement des courants stylistiques observables jusque-là et leur insuffle une nouvelle orientation ou y contribue de manière essentielle (c. 2.2). Pour déterminer si une création est éligible à la protection du droit d’auteur, il ne convient pas d’analyser les réalisations antérieures examinables pour en individualiser les différents éléments constitutifs et les comparer en mosaïque à ceux de la création considérée. Ce qui est déterminant du point de vue de la protection du droit d’auteur est l’impression artistique que dégage une réalisation donnée et qui n’est pas la conséquence nécessaire ou même exclusive d’un seul élément de la construction, mais est déterminée par la configuration, le tracé et le concours de tous ces éléments. Il est possible que la configuration d’un élément domine et soit saillante au point de le rendre frappant. Mais la comparaison des éléments isolés n’est pas déterminante, comme ne l’est pas non plus le fait que certains soient préexistants ou déjà connus (c. 2.4). Dans son ATF 113 II 190, le TF a indiqué que l’individualité est donnée lorsqu’un meuble se distingue clairement des courants stylistiques présents jusque-là et leur insuffle une nouvelle orientation ou y contribue de manière essentielle. Cet arrêt souligne également comme étant déterminant pour l’individualité de l’œuvre qu’il puisse y être décelé une configuration artistique individuelle allant au-delà d’un simple travail artisanal ou industriel et se distinguant clairement des formes préexistantes. Cela peut aussi être le cas lorsque cette création n’est pas à l’origine d’un nouveau courant stylistique, ni n’y contribue de manière essentielle (c. 2.5). Dans son arrêt non publié 4A_78/2011 du 2 mai 2011, le TF a confirmé la pratique voulant qu’en cas de doute en matière d’œuvre des arts appliqués il faille considérer être en présence d’une prestation purement artisanale (c. 2.6.1). Les domaines d’application de la LDA d’une part, et de la LDes, d’autre part, se distinguent par le fait que le droit d’auteur protège les créations individuelles et la LDes celles qui sont originales (« eigenartig »). La protection de ces deux lois porte sur des arrangements de forme créatifs. Du moment que le but de la protection de ces deux lois est fondamentalement semblable, il en résulte du point de vue de la portée différente de la protection, que les exigences relatives à l’individualité du droit d’auteur doivent être plus élevées que celles de l’originalité du droit du design. On ne peut ainsi considérer être en présence d’une œuvre des arts appliqués protégée par le droit d’auteur que si la configuration artistique d’un objet artisanal présente au moins de manière claire et incontestable l’originalité exigée en droit du design au sens de l’art. 2 al. 1 LDes. Celle-ci est donnée lorsque l’impression générale qui se dégage de la forme du produit considéré se différencie de manière déterminante de ce qui était déjà connu d’après la perception qu’en ont les personnes directement intéressées à acheter le produit. Comme les œuvres des arts appliqués sont conditionnées par leur but utilitaire, il est déterminant de vérifier si leur configuration artistique telle qu’elle peut être déployée dans ce cadre utilitaire se distingue si clairement des formes préexistantes qu’elle paraît exceptionnelle (c. 2.6.2). Dans le cas particulier, le tabouret de bar dessiné par Max Bill constitue une œuvre protégée par le droit d’auteur si en tant que création individuelle ou originale il se distingue clairement des conditions matérielles ou naturelles imposées par sa finalité pratique (c. 2.8). Les éléments qui caractérisent un tabouret de bar de par sa fonction consistent en des montants qui supportent un élément permettant de s’assoir à une hauteur de 60 à 80 cm et sont reliés entre eux par une bande horizontale qui les enserre à environ 20 cm du sol. La liberté de manœuvre concernant la configuration de tabourets présentant ces différents éléments n’est pas très limitée. Les montants ne doivent pas nécessairement être obliques mais peuvent également être verticaux (auquel cas, pour des raisons de stabilité, ils doivent plutôt être disposés sur les bords extérieurs du placet). Le placet lui-même peut prendre des formes différentes (carré, rond ou ovale, avec ou sans dossier). Les bandes de liaison entre les montants peuvent être de section carrée ou ronde et installées à l’extérieur ou à l’intérieur des montants. En plus, le choix des matériaux ou les couleurs utilisées peuvent changer fondamentalement l’impression d’ensemble que dégage la configuration d’un tabouret de bar (c. 2.8.2). Celui dont il est question se caractérise par le minimalisme de ses formes, ce qui ne doit pas conduire à en nier l’individualité au motif qu’un plus ample dépouillement ne serait pas pensable. Les formes classiques se distinguent justement entre elles par le fait que l’élégance de leur composition est fonction d’éléments minimaux. Les éléments fonctionnellement nécessaires d’un tabouret de bar (montants, placet et barre de stabilisation) sont organisés de manière minimaliste dans le tabouret de bar concerné, de façon à ce que les trois montants, reliés entre eux par une barre de section ronde, soient inclinés de manière oblique pour se rattacher de façon optimale à un placet rond aux proportions correspondantes. Il ne saurait en être déduit qu’il s’agirait aussi de la forme technico-fonctionnelle la plus stable et qu’elle ne devrait par conséquent pas être monopolisée. L’impression artistique que cette configuration minimaliste permet d’atteindre n’est pas conditionnée par la fonction du tabouret de bar considéré (c. 2.8.3). L’autorité inférieure a pris en compte 4 modèles comme formes de tabouret de bar préexistantes. L’impression générale dégagée par le tabouret de bar litigieux se distingue si artistiquement des formes préexistantes retenues dans le jugement attaqué que son individualité est indéniable. C’est en particulier le rapport entre les montants qui sont inclinés de manière organisationnellement optimale et le placet rond de relativement petite taille qui marque l’impression d’ensemble dégagée par ce tabouret d’une façon qu’aucun des modèles préexistants ne suggérait, même de manière seulement approchante (c. 2.8.4). De par son organisation minimaliste des éléments nécessaires pour un tabouret de bar et la manière dont ils sont proportionnés les uns par rapport aux autres, le tabouret de bar dessiné par Max Bill suscite une impression d’ensemble qui l’individualise comme tel et le distingue clairement des modèles préexistants. La protection du droit d’auteur ne peut pas être refusée à cette œuvre des arts appliqués. Le recours est admis et les conclusions de la demande allouées également en ce qui concerne ce tabouret de bar (c. 2.8.5). [NT]

20 mai 2016

AG BS, 20 mai 2016, ZK.2015.9 (d)

sic! 11/2016, p. 594 ss, « Panoramabild » ; légitimation passive, nom de domaine, œuvre protégée, œuvre photographique, individualité, unicité statistique, caractère individuel, réparation du dommage, licence libre ; art. 41 CO, art. 2 LDA, art. 62 LDA, art. 95 ss CPC.

Le demandeur a ouvert action contre la société qui, d’après l’« impressum » du site internet utilisant la photographie litigieuse, exploite ce site. Pourtant, cette société n’est pas celle qui est titulaire du nom de domaine employé pour le site en question. Il appartient au demandeur d’alléguer et de prouver les faits fondant la légitimation passive. Cela n’a pas été suffisamment fait en l’espèce (c. 2.2). Les photographies qui auraient pu être faites par n’importe quel artisan ne sont pas protégées. Ce n’est pas le procédé de fabrication mais le résultat qui doit être l’expression d’une pensée et avoir un caractère individuel. En tant que création de l’esprit, l’œuvre doit reposer sur une volonté humaine et être l’expression d’une pensée. En l’espèce, le cadrage et les proportions de la photographie litigieuse ne sont pas originaux ou individuels. Il s’agit d’une image que d’autres auraient pu faire de la même façon ou du moins de manière très semblable, surtout avec les moyens techniques actuels. La question de savoir avec quelle technique et à quels coûts le résultat a été atteint n’est pas déterminante. Le fait que l’aspect de la ville photographiée ait changé n’a rien à voir avec la composition de l’image, respectivement son unicité statistique ou son originalité. Ce n’est pas le motif représenté qui doit être original et avoir un caractère individuel, mais bien l’œuvre. Ce qui est déterminant, c’est l’unicité statistique de la composition de l’image (c. 2.3). En cas de violation du droit d’auteur, le dommage peut constituer en une diminution d’actifs, une augmentation de passifs ou un gain manqué. En l’espèce, la photographie litigieuse était distribuée sous une licence libre, dont la seule condition était la citation du nom de l’auteur et de son site internet. Cette condition n’a pas été respectée, mais cela ne signifie pas que des revenus de licence ont échappé au demandeur. Celui-ci n’avait pas l’intention de mettre la photographie à disposition de tiers pour qu’elle puisse être utilisée contre paiement. On ne comprend donc pas en quoi aurait consisté le gain manqué. Par conséquent, le demandeur n’a pas prouvé avoir subi un dommage. Les frais d’avocat et les débours de celui-ci font en principe l’objet des règles de procédure civile suisse sur les frais de procès. En dehors de ce cadre, ils ne sont remboursables que si les conditions de la réparation du dommage sont remplies. Le demandeur n’a pas non plus prouvé un dommage sur ce point (c. 2.4). [VS]