Aviation,
combustibles, carburant, Avia, raison sociale, risque de confusion,
nom de domaine, swissaviaconsult.ch, péremption, principe de la
spécialité, signe fantaisiste, force distinctive, droit d’être
entendu ; art. 29 al. 2 Cst., art. 2 al. 2 CC, art. 8 CC, art.
951 CO.
Les
actions défensives en matière de propriété intellectuelle et de
concurrence déloyale peuvent s’éteindre lorsqu’elles sont mises
en œuvre trop tard. La péremption pour avoir tardé à agir doit
toutefois être admise avec retenue, plus particulièrement encore en
cas de conflits entre raisons de commerce. Selon l’art. 2 al. 2 CC
en effet, un droit ne sera pas protégé seulement si son exercice
est manifestement abusif. L’abus de droit réside dans le fait que
l’ayant droit adopte un comportement contradictoire (venire
contra factum proprium) : l’inaction prolongée suscite
l’apparence d’une tolérance, que contredit l’action en justice
intentée des années plus tard. La péremption suppose que l’ayant
droit ait toléré la violation de ses droits pendant une longue
période sans s’y opposer et que l’auteur de la violation ait
entre-temps acquis lui-même une position digne de protection (c.
3.1). Le moment à partir duquel la passivité du titulaire est à
prendre en considération est celui où il a eu connaissance ou
aurait dû avoir connaissance de l’utilisation du signe litigieux.
Pour les raisons de commerce, la jurisprudence prévoit qu’en vertu
de l’effet positif du registre du commerce, les tiers auxquels une
inscription est devenue opposable ne peuvent pas se prévaloir de ce
qu’ils l’ont ignorée. Savoir après combien de temps
d’inactivité du lésé la péremption doit être admise dépend
des circonstances de l’espèce. Le législateur a renoncé à fixer
un délai déterminé. Ce choix correspond au mécanisme de l’art.
2 al. 2 CC qui suppose une certaine élasticité. La jurisprudence
récente en matière de signes distinctifs fait état d’une période
oscillant en règle générale entre 4 et 8 ans (c. 3.2). S’agissant
de la position digne de protection, ce qui est décisif est que la
raison sociale de l’auteur de la violation se soit imposée dans le
public (sur le marché) comme étant le signe distinctif de
l’entreprise ensuite d’un long et paisible usage et que le
défendeur se soit ainsi créé une position concurrentielle
avantageuse. Cette position concurrentielle doit être telle que les
désavantages sérieux qui résulteraient pour l’auteur de la
violation de l’abandon du signe litigieux justifient de faire
supporter au lésé (ayant droit) l’inconvénient de ne plus
pouvoir faire valoir ses droits exclusifs à son égard. Le préjudice
économique que subirait l’auteur de la violation s’il devait
cesser l’utilisation du signe litigieux peut, selon les
circonstances, entrer dans la notion de désavantage sérieux.
L’existence d’un chiffre d’affaires important n’est toutefois
en soi pas suffisant, mais l’auteur de la violation doit
nécessairement établir le lien entre ce chiffre d’affaires et
l’utilisation du signe litigieux. Les désavantages sérieux
peuvent également revêtir un aspect qualitatif : ce sera le
cas lorsque l’utilisation du signe litigieux a, pour l’auteur de
la violation, une importance stratégique vis-à-vis de certains
clients (c. 3.3). Depuis sa constitution, la défenderesse a
développé ses activités dans le domaine de l’aviation et elle a
noué des collaborations fructueuses avec des partenaires, soit
environ 20 magasins de réparation et des fournisseurs de pièces
détachées pour les avions. C’est grâce aux deux associés de la
société défenderesse qui ont su profiter de leurs relations
personnelles que celle-ci a acquis une position sur le marché. Il
n’est pas établi qu’un changement de raison sociale, et en
particulier l’abandon de l’élément « Avia »
entraînerait de sérieux inconvénients pour la défenderesse
puisque dans le domaine hautement spécialisé de l’aéronautique,
les contrats se concluent en fonction des compétences personnelles
des gérants ou des employés et que le nom de la société est
secondaire (c. 3.4). Ainsi, si la passivité des demanderesses
pendant 5 ans et demi (depuis l’inscription au registre du
commerce) pourrait remplir la première condition de la péremption,
la seconde condition (position digne de protection) n’est elle pas
remplie (c. 3.5). En vertu de l’art. 951 CO, la raison de commerce
d’une société commerciale ou d’une société coopérative doit
se distinguer nettement de toute autre raison de commerce d’une
société commerciale ou d’une société coopérative déjà
inscrite en Suisse (c. 4.2). Il y a risque de confusion lorsque la
raison sociale d’une entreprise (l’auteur de la violation) peut
être prise pour une autre (celle de l’ayant droit) – confusion
dite directe – ou lorsque les raisons sociales peuvent certes être
distinguées mais qu’elles donnent l’impression erronée qu’il
existe des liens juridiques ou économiques entre les deux
entreprises concernées – confusion dite indirecte –. Le principe
de la spécialité qui prévaut en droit des marques ne s’applique
pas en droit des raisons de commerce. Le champ de protection de la
raison de commerce peut ainsi également couvrir les signes utilisés
par d’autres entreprises qui offrent d’autres produits ou
services et qui, partant, ne sont pas dans un rapport de concurrence.
Le risque de confusion doit toutefois être jugé de manière plus
stricte lorsque les entreprises ont des activités identiques ou
similaires ou qu’elles exercent leurs activités dans un périmètre
géographique restreint (c. 4.2.1). Savoir si deux raisons de
commerce se distinguent clairement se détermine sur la base de
l’impression d’ensemble qu’elles donnent au public concerné,
celui-ci étant défini principalement en fonction des cercles dans
lesquels les entreprises sont actives. Le risque de confusion est
apprécié dans chaque langue nationale. Les confusions concrètes
(effectives) ne sont, selon les circonstances, que des indices d’un
risque de confusion. Les raisons de commerce ne doivent pas seulement
se différencier par une comparaison attentive de leurs éléments
mais aussi par le souvenir qu’elles peuvent laisser. Il convient
surtout de prendre en compte les éléments frappants que leur
signification ou leur sonorité mette particulièrement en évidence,
si bien qu’ils ont une importance accrue pour l’appréciation du
risque de confusion. Cela vaut en particulier pour les désignations
de pure fantaisie qui jouissent généralement d’une force
distinctive importante (vu les grandes possibilités de choix qui
sont à disposition), à l’inverse des désignations génériques
appartenant au domaine public. Le caractère distinctif (par
opposition au caractère générique) d’un élément composant la
raison de commerce peut être originaire ou s’être imposé par
l’usage du signe dans le commerce (c. 4.2.2). L’examen d’un
éventuel besoin absolu de libre disposition n’a de sens qu’en
présence d’une désignation générique susceptible d’acquérir
une force distinctive suite à un usage intensif (imposition dans le
commerce). Or, le signe litigieux « Avia » revêt
un caractère fantaisiste (donc une force distinctive) ce qui exclut
toute discussion quant à un éventuel besoin absolu de libre
disposition (c. 4.4.4). Le risque de confusion est une question de
droit et il n’est pas nécessaire d’apporter des preuves visant à
établir d’éventuelles confusions effectives (réelles) (c.
4.4.6). Le signe « Avia » est doté d’une force
distinctive originaire et il existe un risque de confusion entre les
raisons sociales des parties (c. 4.4.7). Le nom « Avia »
est notoire auprès du public suisse et l’utilisation de ce terme
dans les raisons sociales fondent un risque de confusion indirecte
très marqué (c. 5.1.2). Si, d’un point de vue technique, le nom
de domaine n’est qu’un instrument qui a pour fonction
d’identifier un ordinateur connecté au réseau, pour l’usager
d’Internet il désigne un site web comme tel et permet de
rechercher la personne qui l’exploite, la chose ou les prestations
qui s’y rattachent. Dans cette mesure, le nom de domaine est en
principe comparable à un signe distinctif, comme un nom, une raison
sociale ou une marque. La fonction d’identification des noms de
domaine a pour conséquence qu’ils doivent se distinguer
suffisamment des signes distinctifs appartenant à des tierces
personnes et protégés par un droit absolu, cela afin d’empêcher
des confusions. Partant, si le signe utilisé comme nom de domaine
est protégé par le droit des raisons de commerce, le titulaire des
droits exclusifs y afférents peut en principe interdire aux tiers
non autorisés l’usage de ce signe comme nom de domaine. En cas de
collision entre divers droits, il convient de peser les intérêts
respectifs afin de parvenir à la solution la plus équitable
possible. Pour juger du risque de confusion entre la raison de
commerce d’un titulaire et le nom de domaine d’une autre
personne, il faut tenir compte de l’adresse Internet qui permet
d’accéder à ce site, et non du contenu de celui-ci. C’est
uniquement cette adresse qui éveille l’intérêt du public et lui
donne l’espoir d’obtenir des informations conformes à
l’association d’idées évoquées par le nom de domaine. Partant,
il n’importe que les services offerts dans le site soient de nature
totalement différente de ceux proposés par le titulaire de la
raison de commerce (c. 6.1). In casu, dans le nom de domaine
« swissaviaconsult.ch », la signification des mots
« swiss » et « consult » étant
évidente, le public concerné reconnaît sans aucune difficulté le
mot « avia » entre les deux signes. Les
considérations faites sur le risque de confusion existant entre les
raisons de commerce peuvent sans autre être reprises en rapport avec
le nom de domaine (c. 6.2). Lorsqu’on ne voit pas quelle influence
la violation du droit d’être entendu a pu avoir sur la procédure,
il n’y a pas lieu d’annuler la décision attaquée. Ainsi, le
recourant qui se contente de dénoncer une violation de son droit
d’être entendu sans contester le fond de la décision n’a aucun
intérêt à procéder et son moyen devra être déclaré irrecevable
(c. 7.1). Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
[NT]