Action
en constatation de la nullité d’une marque, marque de base, marque
internationale, enregistrement international, intérêt digne de
protection, intérêt pour agir, attaque centrale, sécurité du
droit, recours admis ; art. 6 al. 3 PAM, art. 52 LPM, art. 59
al. 2 lit. a CPC.
Une
société fait enregistrer en novembre 2016 le signe « EF-G
[…] ». En se basant sur cette marque, elle obtient
l’enregistrement international du signe auprès de l’OMPI. En
mars 2018, les demanderesses ont ouvert une action en constatation de
nullité (art. 52 LPM) contre elle, et demandé la radiation de la
marque. Le Tribunal cantonal, considérant qu’elles n’ont aucun
intérêt digne de protection à l’issue d’un procès en Suisse,
a rejeté leur action. La question de savoir s'il convient d'examiner
l'exigence d'un intérêt à l'action à la lumière de l'art. 59 al.
2 lit. a CPC (intérêt digne de protection) ou à l'aune de l'art.
52 LPM (intérêt juridique) peut rester ouverte. A cet égard, la
notion d' « intérêt juridique » telle qu'elle découle de l'art.
52 LPM doit être comprise largement, et n'exclut pas la prise en
compte d'un intérêt de fait. Comme l'art. 59 al. 2 lit. a CPC,
l'art. 52 LPM consacre en réalité, malgré la formulation employée
par le législateur, l'exigence d'un intérêt digne de protection à
la constatation immédiate. Un intérêt digne de protection à
l’action en nullité existe lorsqu'une incertitude plane sur les
relations juridiques des parties, qu'une constatation touchant
l'existence et l'objet du rapport de droit pourrait l'éliminer et
que la persistance de celle-ci entrave le demandeur dans sa liberté
de décision au point d'en devenir insupportable (c. 3.1).
Indépendamment des éventuelles activités commerciales menées (ou
qui seront menées) par les demanderesses sur le territoire suisse,
celles-ci ont un intérêt (digne de protection) évident à
introduire leur action en nullité. Il faut en effet tenir compte du
fait que la demande en constatation de nullité des demanderesses est
une « attaque centrale » en vertu du système de Madrid,
qui leur permettrait, dans l’hypothèse d’une admission, de
réduire à néant la protection conférée à la marque de la
défenderesse dans tous les pays étrangers désignés par celle-ci
dans son enregistrement international (obtenu sur la base de la
marque suisse) (c. 3.2). Selon le mécanisme prévu par le système
de Madrid, l’enregistrement international s’appuie toujours sur
une marque déposée ou enregistrée (la marque de base) sur le plan
national (c’est-à-dire dans le pays d’origine). La marque
internationale est dépendante de la marque de base nationale durant
cinq ans, à partir de la date de l’inscription dans le registre du
Bureau international de l’OMPI (c. 4.1). En vertu de l'art. 6 al. 3
PM, si, avant l'expiration du délai de cinq ans, une action visant à
la radiation ou à l'invalidation de l'enregistrement issu de la
demande de base (dans le pays d'origine) aboutit, la protection
résultant de l'enregistrement international ne pourra plus être
invoquée et celle conférée (ou demandée) dans tous les
territoires étrangers désignés par le titulaire s'éteint
également automatiquement. La possibilité d’une telle action,
dite « attaque centrale », est une pierre angulaire du
système de Madrid (c. 4.2). La demande de constatation de nullité a
été introduite alors que l’enregistrement international était
encore dépendant de l’enregistrement de base (suisse). Partant, si
la marque suisse est déclarée nulle, la protection internationale
ne pourra plus être invoquée et elle s’éteindra dans tous les
territoires nationaux désignés par la défenderesse. Il résulte
des constatations cantonales que les parties sont en litige, au sujet
de la marque « EF-G. _____ » dans de nombreux pays, parmi
lesquels ceux qui sont désignés dans l’enregistrement
international de la défenderesse. En outre, l’une des
demanderesses détient, dans certains de ses pays, plusieurs
enregistrements de marques qui contiennent l’acronyme
« EFG.______ » (c. 4.3.1). Dans ces conditions, les
demanderesses disposent d’un intérêt réel (concret) à actionner
en nullité la marque (de base) suisse de la défendresse : ce
n’est qu’ainsi qu’elles peuvent bénéficier des effets de
l’ « attaque centrale », prévue par le système
de Madrid. L’admission de cette action aura un effet direct sur les
litiges opposant les parties dans les pays désignés par
l’enregistrement international de la défenderesse. L'intérêt (à
l'action) est d'autant plus marqué que la Suisse est membre de
l'Arrangement et du Protocole de Madrid et que, en comparaison
internationale, elle est à l'origine d'un grand nombre
d'enregistrements internationaux. Il serait dès lors tout à fait
inapproprié de soustraire ceux-ci à l'examen de l'autorité
judiciaire (seule à même de trancher définitivement la question de
la nullité) pour la seule raison que les parties ne sont pas en
concurrence sur le territoire suisse (c. 4.3.2). A cela s'ajoute que
l’ « attaque centrale » incite les déposants (qui
ne souhaitent pas prendre le risque, en cas d'admission de cette
« attaque », de perdre leur marque dans l'ensemble des
pays désignés) à entreprendre une évaluation sérieuse de la
qualité de leurs marques (s'agissant en particulier de leur force
distinctive), avant tout dépôt dans le pays d'origine. Cela a pour
effet de favoriser la clarté des registres et, de manière générale,
la sécurité juridique, que les milieux intéressés suisses actifs
dans le domaine des marques appellent de leurs vœux ; le
contrôle par l'autorité judiciaire est à cet égard un corollaire
utile est nécessaire (c. 4.3.3). Il en résulte que, contrairement à
l'opinion de l'autorité précédente, les demanderesses ont un
intérêt digne de protection à faire constater la nullité de la
marque de base (suisse) (c. 4.4). Le recours est admis (c. 5). [SR]