VON ROLL

17 février 2015

TF, 17 février 2015, 4A_553/2014 (d)

sic! 6/2015, p. 396-391, « Von Roll Hydro / Von Roll Water » ; marque combinée, nom de domaine, raison de commerce, contrat de coexistence en matière de marque, interprétation du contrat, réelle et commune intention des parties, principe de la confiance, principe de la bonne foi, action en cession du nom de domaine, action en radiation de la marque, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, risque de confusion, contenu significatif, Von Roll Water Holding AG ; art. 42 al. 1 LTF, art. 42 al. 2 LTF, art. 74 al. 2 lit. b LTF, art. 75 al. 2 lit. a LTF, art. 90 LTF, art. 106 al. 1 LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 18 al. 1 CO, art. 951 al. 2 CO, art. 956 al. 2 CO, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 3 al. 3 LPM, art. 13 al. 1 LPM.

Selon l’art. 951 al. 2 CO, les raisons de commerce des sociétés anonymes, des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés coopératives doivent se distinguer nettement de toute autre raison de commerce d’une société revêtant l’une de ces formes déjà inscrites en Suisse. En outre, selon l’art. 956 al. 2 CO, celui qui subit un dommage du fait d’une utilisation indue d’une raison de commerce peut agir en cessation de trouble et, en cas de faute, réclamer des dommages et intérêts. L’art. 13 al. 1 LPM confère au titulaire d’une marque le droit exclusif de l’utiliser pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d’en disposer. Le titulaire d’une marque antérieure peut également faire valoir le motif relatif d’exclusion à l’enregistrement de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM vis-à-vis du titulaire d’une marque postérieure à la sienne. Selon l’art. 3 al. 1 lit. c LPM, sont exclus de l’enregistrement les signes similaires à une marque antérieure destinés à des produits ou services identiques ou similaires lorsqu’il en résulte un risque de confusion. Le TF est amené à trancher la question de savoir si ces principes s’appliquent sans autre ou si la convention de coexistence passée entre les parties au moment du rachat d’une partie des actions de la recourante par l’intimée, ainsi que la transaction judiciaire intervenue par la suite en complément de cette convention, l’emportent sur les principes généralement applicables du droit des signes distinctifs concernant l’existence d’un risque de confusion. L’objet d’un contrat doit être déterminé par l’interprétation des manifestations de volonté des parties. Le but de l’interprétation du contrat est ainsi en premier lieu l’établissement de la réelle et commune intention des parties, selon l’art. 18 al. 1 CO. Si une concordance réelle des volontés n’est pas établie, il convient, pour déterminer la volonté hypothétique des parties, d’interpréter leurs déclarations selon le principe de la confiance en s’arrêtant à la manière dont elles pouvaient et devaient être comprises, tant du point de vue de leur teneur qu’en lien avec l’ensemble des circonstances. Il s’agit ainsi d’analyser le contenu des déclarations des parties qui ne doivent pas être examinées de manière isolée, mais en fonction de leur signification concrète. C’est le moment de la conclusion du contrat qui est déterminant, car une interprétation en fonction du comportement ultérieur des parties n’est pas significative. La question de l’interprétation objective des déclarations de volonté relève du droit et est examinée librement par le TF qui demeure cependant lié par les constatations cantonales précédentes portant sur les circonstances extérieures de fait, ainsi que sur la connaissance et la volonté des parties (c. 2.2.2). Comme l’autorité précédente n’a pas pu établir de volonté concordante des parties concernant l’utilisation de la raison sociale « Von Roll Water Holding AG » et de la marque « VON ROLLWATER » litigieuse, les conventions, soit le contrat de vente initial et l’arrangement judiciaire ultérieur, doivent être interprétées selon le principe de la confiance. Il en résulte que les sociétés membres du groupe Von Roll pourraient continuer d’utiliser la marque « VON ROLL » seule ou en lien avec des éléments se distinguant significativement des marques revenant aux sociétés du groupe dont les actions étaient reprises. Il est ainsi établi qu’en tout cas en ce qui concerne les signes dont l’utilisation a été autorisée à ces dernières et qui ont été reconnus conventionnellement comme leur étant propres, les champs de protection des signes des deux partenaires contractuels ont été délimités, en ce sens que les sociétés du groupe Von Roll s’interdisaient non seulement l’utilisation de signes identiques,mais aussi celle de signes similaires, de manière à ce qu’un risque de confusion puisse être exclu en vertu des éléments additionnels utilisés. Le risque de confusion ne doit ainsi pas être examiné sans autre selon les principes du droit des marques, puisque le contrat prévoit que chacune des parties peut continuer d’utiliser l’élément « Von Roll » de sorte qu’un risque de confusion ne peut résulter que de l’utilisation des éléments l’accompagnant. Il ne saurait toutefois en être déduit que l’examen du risque de confusion ne saurait au moins être orienté par les principes posés en droit des signes distinctifs. La conception de l’autorité précédente que l’exigence d’une différence significative entre les signes devrait se limiter à leurs aspects graphiques et sonores ne convainc pas. Une compréhension aussi étroite ne découle pas de l’interprétation objective du contrat qui implique bien plus que le contenu significatif des ajouts utilisés soit pris en compte (c. 2.2.3). La transaction judiciaire du 7 septembre 2006 complète le contrat de coexistence initial qui prévoyait l’utilisation des marques « VON ROLL INFRATEC », « VON ROLL HYDROTEC » et « VON ROLL CASTING » par les sociétés du groupe repris. Le contrat de base doit ainsi être compris selon le principe de la bonne foi que les sociétés du groupe Von Roll sont libres d’utiliser les marques, respectivement la raison de commerce « VON ROLL », avec toutes les formes d’ajouts possibles, dans la mesure où ceux-ci se différencient de manière significative des marques « VON ROLL INFRATEC », « VON ROLL HYDRO », « VON ROLL CASTING » et « VON ROLL ITEC ». Les signes distinctifs de l’intimée doivent ainsi en particulier conserver une distance suffisante par rapport à la marque « VON ROLL HYDRO ». Le fait que les sociétés du groupe repris soient expressément autorisées selon le contrat à protéger en outre les dénominations « hy », « rohr », « pipes », « tubi », « tubes », « tuyeaux », « valves », « valvole », « valvi » et « schieber » en lien avec le terme « vonRoll » comme élément de marque, ne permet pas de déduire, comme le soutient l’intimée, qu’elle-même serait en contrepartie sans autre habilitée à utiliser des traductions des termes attribués à l’autre partie. L’obligation pour les sociétés du groupe Von Roll de se distinguer suffisamment des signes « VON ROLL INFRATEC », « VONROLLHYDRO », «VONROLLCASTING » et « VONROLL ITEC » est indépendante du droit des sociétés du groupe repris d’enregistrer d’autres signes à titre de marques. En vertu de l’arrangement conventionnel intervenu, l’intimée ne peut ainsi utiliser la raison de commerce « Von RollWater Holding AG » et la marque « VON ROLL WATER » que dans la mesure où il n’en résulterait pas de risque de confusion avec le signe « VON ROLL HYDRO », respectivement avec les raisons de commerce inscrites de la recourante « vonRoll hydroservices AG » et « vonRoll hydro (suisse) AG » ou avec la marque enregistrée « VON ROLL HYDRO ». Il n’est pas déterminant à cet égard que ni le contrat initial, ni son complément judiciaire, n’aient expressément concédé l’utilisation du terme « Water » à la recourante (c. 2.2.4). Le recours est partiellement admis et la cause renvoyée à l’autorité cantonale pour l’examen de l’existence d’un éventuel risque de confusion entre les dénominations concernées, en particulier en raison du contenu significatif des désignations litigieuses. [NT]

26 octobre 2020

TF, 26 octobre 2020, 4A_129/2020 (d)

Action en constatation, action en constatation négative, intérêt digne de protection, action en exécution, action formatrice, opposition, marque verbale, marque combinée, marque figurative, interprétation du contrat, principe de la confiance, principe de la bonne foi, droit d’être entendu, arbitraire, Von Roll, recours rejeté ; art. 9 Cst., art. 29 al. 2 Cst., art. 18 al. 1 CO, art. 3 LPM, art. 14 LPM, art. 31 al.1 LPM, art. 33 LPM, art. 52 LPM, art. 59 al. 2 lit. a CPC, art. 88 CPC.

L’un des plus anciens groupes industriels de Suisse, le groupe Von Roll, s’est restructuré en 2003. Les contrats conclus au moment de la scission ont fait l’objet de plusieurs contentieux. L’un d’entre eux prévoyait notamment que la défenderesse avait le droit d’utiliser et/ou de faire protéger la dénomination sociale « vonRoll » avec les adjonctions « infratec », « hydro », « casting » et « itec », en tant que raison sociale et/ou en tant que marque. En 2017, la défenderesse a déposé quatre marques combinées contenant ces désignations. Après que la demanderesse ait fait opposition à ces enregistrements, la défenderesse a intenté avec succès devant le tribunal cantonal soleurois une action en constatation de droit contre elle. La demanderesse, qui recourt contre le jugement du tribunal cantonal, ne parvient pas à démontrer l’existence d’une violation de son droit d’être entendue au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. ou de l’interdiction de l’arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. par l’instance précédente (c. 2.2 – 2.4). Elle fait aussi valoir que l’instance inférieure aurait estimé à tort que la défenderesse avait un intérêt à la constatation et qu’elle aurait violé, en entrant en matière sur le recours, les art. 59 al. 2 lit. a et 88 CPC, ainsi que l’art. 52 LPM (c. 3). L’action en constatation de droit vise à faire constater l’existence ou l’inexistence d’un droit ou d’un rapport de droit. Le demandeur doit établir un intérêt digne de protection à la constatation immédiate. Cet intérêt n’est pas nécessairement de nature juridique, il peut s’agir d’un pur intérêt de fait. Cette condition est notamment remplie lorsque les relations juridiques entre les parties sont incertaines et que cette incertitude peut être levée par la constatation judiciaire. Toute incertitude n’est pas suffisante : il faut qu’on ne puisse plus attendre du demandeur qu’il en tolère le maintien, parce qu’elle l’entrave dans sa liberté de décision. Dans le cas d’une action en constatation négative, notamment, il faut également tenir compte des intérêts de la partie intimée, qui est contrainte d’entrer de manière prématurée dans une procédure. Cela enfreint la règle selon laquelle c’est en principe au créancier, et non au débiteur, de déterminer à quel moment il entend faire valoir son droit. Une procédure judiciaire précoce peut désavantager le créancier s’il est obligé de fournir des preuves avant qu’il ait la volonté et les moyens de le faire. En règle générale, l’intérêt à la constatation fait défaut lorsque le titulaire d’un droit dispose d’une action en exécution ou d’une action formatrice, immédiatement ouverte, qui lui permettrait d’obtenir directement le respect de son droit ou l’exécution de l’obligation. En ce sens, l’action en constatation de droit est subsidiaire par rapport à ces actions (c. 3.2). C’est à tort que la demanderesse nie l’intérêt à la constatation de la défenderesse, en faisant valoir que l’IPI peut examiner avec un plein pouvoir de cognition s’il existe un risque de confusion, et donc un motif d’exclusion, dans le cadre de la procédure d’opposition pendante en vertu des art. 31 al. 1 et 33 LPM. En réalité, sa cognition est strictement limitée, le conflit de signes devant être évalué tel qu’il ressort du registre. Par conséquent, dans une procédure d’opposition, l’intimé ne peut pas se défendre en faisant valoir que l’opposant ne tient pas compte des accords contractuels. La demanderesse ne peut pas non plus être suivie lorsque, dans le même contexte, elle estime qu’il est (matériellement) sans importance dans la présente procédure que la défenderesse soit habilitée à enregistrer les marques en cause sur la base de la relation contractuelle existant entre les parties. Si la demanderesse est contractuellement obligée de tolérer les enregistrements litigieux, elle ne peut pas invoquer son droit à la marque prioritaire pour les empêcher. Le titulaire de la marque ne peut faire valoir son droit exclusif à l'encontre de la partie contractante que si celle-ci viole le contrat (c. 3.3). L’argument de la demanderesse selon lequel, en vertu du principe de subsidiarité de l’action en constatation, la défenderesse aurait pu introduire une action en exécution pour mettre fin à la situation illicite ne peut pas non plus être suivi. Compte tenu des incertitudes découlant de la relation contractuelle spécifique entre les parties quant à l’admissibilité de l’usage respectif des signes, ainsi que des différents litiges juridiques survenus entre les parties ou entre les sociétés de leurs groupes, la défenderesse a un intérêt digne de protection à ce qu’il soit établi, au-delà de la procédure d’opposition en cours, que ses signes ne portent pas atteinte aux marques de la plaignante. L’incertitude existant dans la relation juridique entre les parties peut être levée par la décision judiciaire demandée, et on ne peut attendre de la défenderesse qu’elle tolère le maintien de cette incertitude (c. 3.4). La demanderesse reproche à l’instance précédente, en se basant sur l’art. 18 al.1 CO, une interprétation erronée des conventions passées entre les parties (c. 4). Compte tenu de la formulation et des circonstances concrètes de la conclusion des deux contrats en cause, la juridiction inférieure a considéré que les parties n’avaient pas eu l’intention, en utilisation la désignation « vonRoll » dans le second contrat, de restreindre l’orthographe de cet élément du signe. Ce faisant, elle a notamment tenu compte du comportement ultérieur de la demanderesse, qui a elle-même utilisé le signe verbal « vonRoll » dans cette orthographe. Le Tribunal fédéral est lié par ces constatations. Même si l’on n’admettait pas qu’il existait une concordance de volontés entre les parties, on ne pourrait reprocher à l’instance précédente de ne pas avoir tenu compte des principes d’interprétation pertinents du droit des contrats, conformément au principe de la confiance. Une partie ne peut en effet s’appuyer sur le fait que son cocontractant aurait dû comprendre une disposition contractuelle de bonne foi dans un certain sens que dans la mesure où elle a elle-même effectivement compris cette disposition de cette manière. Si la demanderesse n’a pas compris l’utilisation de l’orthographe « vonRoll » au moment de la conclusion du second contrat comme une restriction de l’utilisation autorisée du signe, elle ne peut attribuer, selon le principe de la bonne foi, un tel sens à cette disposition. En tout état de cause, compte tenu de la disposition contractuelle permettant expressément à la défenderesse d’enregistrer le signe « VON ROLL » avec certains ajouts en tant que « marque verbale et/ou figurative », la simple utilisation d’une orthographe différente dans la deuxième convention, qui ne sert en outre qu’à « confirmer, préciser et compléter » la première, ne saurait être comprise, même d’un point de vue objectif, comme une restriction de la forme d’usage autorisée sans autre indication particulière. Selon le principe de la bonne foi, il ne pouvait être déduit du simple fait de l'orthographe spécifique utilisée qu'une représentation graphique des éléments du mot, telle qu'elle était utilisée dans les marques déposées par la défenderesse, n'était pas contractuellement autorisée (c. 4.3.2). Compte tenu des accords passés entre les parties, la demanderesse ne peut pas s’opposer aux enregistrements effectués en se fondant, sur la base de l’art. 3 LPM, sur ses propres marques prioritaires « VON ROLL » et « VON ROLL ENERGY ». Elle ne dispose d’aucun droit de priorité fondé sur le droit des marques sur le logo déposé par la défenderesse, puisqu’elle admet elle-même que sa marque « VON ROLL » (fig.), incorporant ce logo, a été radiée, et que les marques opposantes sont des marques purement verbales. En conséquence, c’est à raison que l’instance précédente a considéré que, compte tenu des accords conclus entre les parties, les marques déposées par la défenderesse ne violent pas les marques verbales "VON ROLL" et "VON ROLL ENERGY" détenues par la requérante, et que celles-ci ne font pas obstacle à leur enregistrement (c. 4.4). Le recours est rejeté (c. 5). [SR]