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  • à l'intégrité de l'œuvre

24 janvier 2013

OG ZH, 24 janvier 2013, LK100006-0/U (d)

sic! 11/2013, p. 697-707, « Bildungssoftware » (Hilty Reto, Anmerkung) ; œuvre, programme d’ordinateur, risque de récidive, individualité, partie d’œuvre, droit d’auteur, droit de reproduction, droit de mise en circulation, droit à l’intégrité de l’œuvre, libre utilisation, exploitation d’une prestation d’autrui, action en constatation, devoir de fidélité du travailleur, fardeau de la preuve ; art. 321a CO, art. 328 CO, art. 2 LDA, art. 10 LDA, art. 11 LDA, art. 61 LDA, art. 62 LDA, art. 2 LCD, art. 5 LCD, art. 9 LCD.

Un risque de récidive tombe lorsque le défendeur reconnaît de manière contraignante et explicite l’illicéité de son comportement et s’oblige à y mettre fin (c. 4.2). Il ne suffit pas de déclarer vouloir respecter une interdiction provisionnelle sans reconnaître matériellement la prétention du demandeur (c. 4.3). Dans une telle situation, l’intérêt à l’action au fond en cessation subsiste (c. 4.4). Le caractère individuel d’un programme d’ordinateur peut être admis lorsqu’il n’est ni banal ni courant du point de vue des spécialistes. Les « petites monnaies du droit d’auteur », c’est-à-dire les créations certes simples, mais qui ont un caractère individuel, sont aussi protégées. La protection d’un logiciel est la règle et son absence de caractère individuel l’exception. L’unicité statistique de programmes volumineux et développés durant des années est évidente, si bien que la protection est présumée. C’est donc la partie qui allègue l’absence de protection qui supporte le fardeau de la preuve (c. 5.1). Sur la base de l’art. 2 al. 4 LDA, des séquences de programmes peuvent également être protégées. La présomption de protection vaut également pour elles si elles ne sont pas triviales et qu’elles ont un certain volume (c. 5.2). Entre deux logiciels, c’est la comparaison des codes-sources qui permet de déterminer si le droit à l’intégrité (art. 11 LDA), le droit de reproduction (art. 10 al. 2 lit. a LDA) et le droit de distribution (art. 10 al. 2 lit. b LDA) ont été violés (c. 5.3). L’art. 5 LCD peut empêcher de reprendre des parties de programmes non protégées par le droit d’auteur. Mais il doit alors s’agir du résultat d’un travail (c. 7.2). Même en cas de reprises peu importantes (en volume) d’éléments protégés, le titulaire des droits d’auteur n’est pas tenu de les tolérer (c. 8.9). Encas de violation de la LDA ou de la LCD, l’action en constatation est subsidiaire par rapport aux actions en exécution d’une prestation : l’intérêt à la première n’existe pas lorsque les secondes sont possibles (c. 9.3.1). La force probante d’une expertise ne peut pas être remise en cause par de simples allégations et contestations d’une partie. Puisque la protection d’un logiciel est assez facilement admise, il faut aussi largement reconnaître une « libre utilisation » si l’auteur de la nouvelle œuvre, inspirée de la première, a utilisé la marge de manœuvre dont il disposait (c. 9.4.2). La poursuite d’une même fin, un style de programme semblable et une fonctionnalité comparable ne sont des éléments déterminants ni en droit d’auteur, ni en concurrence déloyale. Il en va de même des principes et idées à la base du logiciel (en particulier des algorithmes et de la logique du programme). En revanche, la structure du logiciel peut être protégée par la LDA et la LCD (c. 9.4.3). Le devoir de fidélité du travailleur vis-à-vis de son employeur ne vaut pas de manière absolue. Il est limité par l’art. 328 CO, qui protège les intérêts légitimes du travailleur, parmi lesquels celui de préparer une activité future (c. 9.5.5). Dans ce contexte, le développement d’un logiciel, sans publicité ni marketing, de même que l’établissement de formulaires de facturation, ne viole pas ce devoir de fidélité (c. 9.5.6). [VS]

19 avril 2016

TF, 19 avril 2016, 4A_675/2015 (f)

Recours en matière civile, droit à l’intégrité de l’œuvre, droit de la personnalité, engagement excessif, pesée d’intérêts, œuvre, individualité, œuvre d’architecture ; art. 75 al. 2 LTF, art. 2 al. 2 CC, art. 27 al. 2 CC, art. 28 al. 2 CC, art. 11 al. 2 LDA, art. 12 al. 3 LDA.

Le recours en matière civile au TF est ouvert sur la base de l'art. 75 al. 2 let. a LTF, même si le tribunal supérieur cantonal n'a pas statué sur recours (c. 1.1). Le TF ne peut s'écarter des faits retenus par l'autorité cantonale que s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui équivaut à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst (c. 1.2). Il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée ; il n'est pas lié par l'argumentation des parties mais s'en tient aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours, sous réserve d'erreurs manifestes (c. 1.3). En l'espèce, la modification projetée ne toucherait pas uniquement la terrasse couverte, mais « l'aspect général de la maison ». Il s'agit donc de savoir si la villa (dans son ensemble) est protégée par le droit d'auteur (c. 3). Le critère décisif réside dans l'individualité, qui doit s'exprimer dans l'œuvre elle-même. L'individualité se distingue de la banalité ou du travail de routine ; elle résulte de la diversité des décisions prises par l'auteur, de combinaisons surprenantes et inhabituelles, de sorte qu'il paraît exclu qu'un tiers confronté à la même tâche ait pu créer une œuvre identique. Le caractère individuel exigé dépend de la liberté de création dont l'auteur jouit. Lorsque cette liberté est restreinte, une activité indépendante réduite suffira à fonder la protection; il en va notamment ainsi pour les œuvres d'architecture en raison de leur usage pratique et des contraintes techniques qu'elles doivent respecter. Relève du fait la question de savoir comment une œuvre se présente et si l'architecte a créé quelque chose de nouveau, ou s'il s'est limité à juxtaposer des lignes ou des formes connues. C'est en revanche une question de droit que de juger si, au vu des faits retenus, la notion juridique de l'œuvre a été correctement appliquée (c. 3.1). Il résulte de l'état de fait dressé par la cour précédente que la villa litigieuse est le fruit d'un travail intellectuel et qu'elle possède un cachet propre (c. 3.2). L'architecte, qui conçoit une œuvre destinée à satisfaire les besoins du maître de l'ouvrage, dispose d'un droit à l’intégrité plus restreint que les autres auteurs, vu l'art. 12 al. 3 LDA. Cet alinéa est mal placé à l'art. 12 LDA. Pour les œuvres d'architecture, l'auteur (l'architecte) perd, au profit du propriétaire, les prérogatives découlant de l'art. 11 al. 1 LDA. En d'autres termes, le propriétaire a fondamentalement le droit de modifier l'œuvre architecturale (c. 4.2). Ce droit du propriétaire reste toutefois soumis à une double limite : premièrement, il ne peut réaliser la modification projetée si elle porte atteinte au noyau dur du droit à l'intégrité (art. 11 al. 2 LDA) ; la deuxième limite découle de l'art. 2 al. 2 CC, selon lequel l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (c. 4.2.1). Si l'architecte entend s'assurer le maintien en l'état de son œuvre, il peut prévoir contractuellement, avec le propriétaire, qu'il conserve le droit d'interdire des transformations, ou qu'il se réserve le droit de les exécuter lui-même (c. 4.2.3). Il résulte de l'art. 11 al. 2 LDA et de la jurisprudence qu'il faut seulement se demander si une modification est attentatoire à la personnalité de l'architecte. Contrairement à ce qui se fait en Allemagne, il n'y a pas lieu d'entreprendre une pesée des intérêts de celui-ci et du propriétaire de l'œuvre; on ne peut pas non plus s'abstenir d'examiner l'atteinte à la personnalité de l'auteur pour la seule raison que celui-ci y aurait préalablement consenti (c. 4.3). Malgré un courant de doctrine allant en sens contraire, cet avis du TF doit être confirmé. L'interprétation repose en effet sur l'énoncé clair de l'art. 11 al. 2 LDA : d'une part, cette disposition ne contient aucun renvoi à l'art. 28 CC ; d'autre part, elle règle explicitement la question du consentement en indiquant que, même si celui-ci a été donné contractuellement par l'auteur, cela ne justifie en principe pas - contrairement à ce que prévoit l'art. 28 al. 2 CC - l'atteinte à son droit. Lorsque le législateur entendait effectivement renvoyer, dans la LDA, aux dispositions du Code civil, il l’a fait de manière expresse (cf. art. 33a LDA). D'un point de vue systématique et téléologique, on relèvera aussi que la protection accordée à l'auteur par l’art. 11 al. 2 LDA coïncide dans une large mesure avec la protection de l'art. 27 al. 2 CC, selon lequel nul ne peut aliéner sa liberté, ni s'en interdire l'usage, dans une mesure contraire aux lois ou aux mœurs. Or, l'existence d'un engagement excessif (au sens de l'art. 27 al. 2 CC) doit être établie exclusivement en fonction de son effet sur celui qui s'est obligé, sans appréciation globale tenant compte également de l'intérêt de tiers (c. 4.4). S'agissant de l'atteinte à la personnalité au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, ce n'est pas l'intégrité de l'œuvre qui est protégée, mais la réputation professionnelle et l’honneur de l’architecte en tant que personne. A cet égard, le législateur a préconisé une interprétation restrictive de l'art. 11 al. 2 LDA (c. 4.5). Si l’œuvre a un degré d’individualité élevé, le juge sera plus enclin à admettre que l'altération constitue une atteinte à la réputation (c. 4.6). Pour juger de l'atteinte à la personnalité de l'auteur, il faut se fonder sur des considérations objectives et non la mesurer à l'aune de la sensibilité plus ou moins exacerbée de cet auteur. L'architecte d'une école ou d'un centre commercial sera en principe conscient de la vocation utilitaire de son œuvre, et donc du fait que le propriétaire de l'immeuble dispose d'une plus grande latitude. Au contraire, pour une église, on sera plus vite enclin, en cas de transformation, à admettre une lésion de la réputation de l'architecte qui en a entrepris la réalisation. Il importe aussi de savoir si le bâtiment a bénéficié ou non, avant la transformation projetée, d'une longue et importante exposition tant par sa fréquentation par le public que par sa présence dans les recueils de référence architecturales. Si l'œuvre a fait l'objet d'une importante exposition, le risque que, une fois la modification réalisée, le public se fasse une mauvaise image de l'auteur de l'œuvre initiale est réduit. L'importance et la nature des modifications doivent également être prises en compte, notamment leur impact temporaire ou définitif sur l'œuvre. De même, il s'agit d'examiner la finalité des modifications et des adaptations projetées. Si elles sont dictées par des désirs purement esthétiques, le juge sera plus vite enclin à les déclarer contraires à l’art. 11 al. 2 LDA (c. 4.6.1). En l’espèce, il semble que, pour une maison familiale, la destination utilitaire soit au premier plan. Il ressort également de l'expertise que si la villa litigieuse présente des éléments qui la distinguent des villas communément érigées, il est vraisemblable qu'il existe des précédents pour chacun de ses éléments dans d'autres constructions ou dans l'histoire de l'architecture. D’autre part, la création de l'architecte a fait l'objet de plusieurs publications entre 2002 et 2008, et donc d'une exposition relativement importante. Les observateurs intéressés ont ainsi pu se faire une image de la réalisation de l'architecte. Sa modification est de nature fonctionnelle, en ce sens qu'elle répond à un besoin des propriétaires et de leurs enfants. L'adaptation projetée (réversible) ne modifie pas l'œuvre initiale de manière définitive. En résumé, ces divers indices ne vont pas dans le sens d'une grande intensité de la relation entre la personnalité de l'auteur et son œuvre; quant aux modifications projetées, même si elles ont un impact sur l'aspect de la maison, elles sont de nature fonctionnelle, de sorte que les atteintes sont de celles qui ne commandent pas une protection impérative de l'auteur. C'est ainsi en transgressant l'art. 11 al. 2 LDA que la cour cantonale a admis la demande et fait interdiction aux défendeurs de mettre en œuvre les travaux modifiant leur villa. Les propriétaires n’ont commis aucun abus de droit (c. 5.2.2). [VS]