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  • Remise
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07 juillet 2009

OG ZH, 7 juillet 2009, LK060009/U (d)

sic! 12/2010, p. 889-900, « Love » (Thouvenin Florent, Anmerkung) ; œuvre, individualité, unicité statistique, Indiana, Love, oeuvre dérivée, libre utilisation, création parallèle, remise du gain, enrichissement illégitime, action en fourniture de renseignements ; art. 41 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 3 LDA, art. 11 LDA, art. 62 al. 1 lit. c LDA, art. 62 al. 2 LDA.

C'est l'impression d'ensemble qui s'en dégage qui détermine si une création de l'esprit a un caractère individuel; à lui seul, le critère de l'unicité statistique (statistische Einmaligkeit) n'est pas décisif (c. IV.1.1). « Love » (1966) de Robert Indiana (Fig. 1a) est une œuvre (art. 2 LDA) protégée par le droit d'auteur (c. IV.1.2-IV.1.3). En vertu des art. 3 et 11 LDA, l'auteur peut interdire l'utilisation de son œuvre dans une œuvre dérivée, c'est-à-dire dans une œuvre nouvelle dans laquelle son œuvre est reconnaissable dans son caractère individuel ; il ne peut en revanche pas s'opposer à la libre utilisation de son œuvre, c'est-à-dire à la reprise non reconnaissable de son œuvre, comme source d'inspiration (c. IV.2.1). Les cadrans des montres fabriquées par la défenderesse (Fig. 1b) sont des œuvres dérivées de l'œuvre « Love » car, malgré les — minimes — différences qu'ils présentent avec elle et le remplacement du « O » de « Love » par un cœur, l'œuvre « Love » reste clairement reconnaissable (c. IV.2.2-IV.2.3). En droit suisse, la protection d'une création parallèle (Doppel-/Parallelschöpfung) — c'est-à-dire d'une création identique à une autre, mais née de manière totalement indépendante — est exclue (c. IV.3.1-IV.3.2; à ce sujet, voir la critique de Thouvenin). L'action en remise du gain (art. 62 al. 2 LDA) nécessite la mauvaise foi du gérant (art. 423 CO) (c. V.3.1 et V.3.5.1). La démonstration que l'œuvre Love est très connue n'est pas un indice suffisant de la mauvaise foi du designer de la défenderesse (c. V.3.3.2). La défenderesse n'est toutefois plus de bonne foi dès le moment où la demanderesse fait valoir ses droits pour la première fois (par courrier) (c. V.3.4 et V.4). Outre les actions prévues par l'art. 62 al. 2 LDA (art. 41 et 423 CO), l'action en restitution de l'enrichissement illégitime (art. 62 CO) peut être intentée par un auteur dont les droits ont été violés ; elle ne nécessite pas de faute, mais ne permet d'obtenir que la valeur des économies réalisées grâce à la violation (généralement les coûts de licence), à l'exclusion de la remise du gain (c. V.3.5.1). L'action en fourniture de renseignements (art. 62 al. 1 lit. c LDA) permet d'exiger de la défenderesse la communication du gain net réalisé (c. V.4).

Fig. 1a – Love (demanderesse)
Fig. 1a – Love (demanderesse)
Fig. 1b – Montre (défenderesse)
Fig. 1b – Montre (défenderesse)

02 décembre 2011

OG ZH, 2 décembre 2011, LK110002-0/U (d)

sic! 6/2012, p. 378-386, « Le-Corbusier-Möbel IV » ; œuvre, œuvre des arts appliqués, individualité, Le Corbusier, auteur, coauteur, imitation, contrat de vente, abus de droit, usage privé, droit de mise en circulation, publicité, dommage, remise du gain, concurrence déloyale ; art. 42 al. 2 CO, art. 10 al. 2 lit. b LDA, art. 3 lit. d LCD, art. 100 LDIP, art. 118 LDIP

Vu l'ATF 113 II 190, les modèles de meubles LC2, LC3 et LC4 sont protégés par la LDA ; tel n'est en revanche pas le cas du modèle LC1 (c. V.1.2-V.1.3). Par ailleurs, selon l'Obergericht ZH, les modèles LC6 (Fig. 2a) et LC7 (Fig. 2b) sont protégés par la LDA, car leurs éléments ne sont pas purement fonctionnels (c. V.1.4-V.1.5). Heidi Weber n'a ni la qualité d'auteur d'une œuvre indépendante ou dérivée (c. 2.1) ni la qualité de coauteur des meubles en cause, car elle n'a procédé (avec l'accord de « Le Corbusier ») sur ces meubles qu'à des modifications mineures (simplifications pour la production en série, modifications d'ordre pratique, choix de nouveaux matériaux) qui n'ont pratiquement pas d'incidence sur leur design (c. V.2.2-V.2.3). La vente, par les défendeurs (italiens), d'imitation de meubles « Le Corbusier » à des acheteurs suisses est régie par le droit italien (art. 100 LDIP, art. 118 LDIP) en vertu duquel l'acheteur devient propriétaire à la conclusion du contrat, avec la fabrication de la chose ou avec son acquisition par le vendeur. Il ne peut donc pas être considéré que les défendeurs — qui ne se chargent pas eux-mêmes du transport des meubles de l'Italie vers la Suisse, mais proposent les services d'un transporteur — vendent (art. 10 al. 2 lit. b LDA) des meubles en Suisse (et y violent des droits d'auteur). Il n'y a pas d'abus de droit, car le droit d'auteur italien n'offre pas de protection à ces meubles et n'interdit donc ni leur fabrication ni leur mise en circulation (c. V.3.2.1-V.3.2.2). Peut rester ouverte la question de savoir si un acquéreur de ces meubles (qui, selon la LDA, violent les droits de la demanderesse) peut, en Suisse, se prévaloir de l'exception d'usage privé (c. V.3.2.2 in fine). Bien que la vente elle-même ne constitue pas une violation de la LDA (c. V.3.3.3), les défendeurs violent l'art. 10 al. 2 lit. b LDA en proposant à la vente en Suisse (grâce, notamment, à l'envoi de prospectus avec des prix en francs suisses à des adresses en Suisse, ainsi qu'à l'utilisation d'un site Internet en allemand consultable en Suisse) ces imitations de meubles (LC2, LC3, LC4, LC6 et LC7) (c. V.3.3.2). Du fait qu'ils ne font pas de publicité avec le nom « Le Corbusier » (et parfois même sans l'abréviation LC), qu'ils ne laissent pas entendre que leurs produits sont ceux de la demanderesse et qu'ils ont les mêmes coûts de production et de publicité que la demanderesse, les défendeurs ne violent pas la LCD (c. VI.1), en particulier l'art. 3 lit. d LCD, en lien avec le modèle LC1 (c. VI.2). Le fait que le défendeur 1 ait détruit des pièces nécessaires au calcul du dommage doit être apprécié en sa défaveur au sens de l'art. 42 al. 2 CO (c. VII.2.1-VII.2.2). Dans la fixation du dommage (art. 42 al. 2 CO), il convient de prendre en compte un bénéfice net de 10 % du prix de vente final des meubles, ce qui prend en considération le fait que les défendeurs ont les mêmes coûts que la demanderesse et le fait que l'absence de frais de licence pour les défendeurs est compensée par les prix plus bas pratiqués par les défendeurs (c. VII.2.4.2). Vu que ce ne sont que les actes de publicité qui sont illicites et qu'ils touchent avant tout les acheteurs individuels (et non les revendeurs), il convient d'estimer à 62 % du bénéfice net le gain à restituer à la demanderesse et de réduire encore légèrement ce montant afin de tenir compte du fait que d'éventuelles ventes du modèle LC1 ne violent ni la LDA ni la LCD (c. VII.2.4.3).

Fig. 2a – Table LC6
Fig. 2a – Table LC6
Fig. 2b – Chaise LC7
Fig. 2b – Chaise LC7

24 mai 2012

OG ZH, 24 mai 2012, LK020010-O/U (d)

sic! 7-8/2013, p. 445-461, « Tunnels d’Arrissoules » ; œuvre, droit d’auteur, tunnel, œuvre du génie civil, projet, partie d’œuvre, œuvre d’architecture, individualité, liberté de création, protection des idées, contenu scientifique, calcul, plan, offre, enseignement technique, responsabilité de la collectivité publique pour ses agents, acte illicite, concurrence déloyale, exploitation d’une prestation d’autrui, remise du gain, mauvaise foi, gestion d’affaires, faute, enrichissement illégitime ; art. 3 CC, art. 4 CC, art. 41 CO, art. 55 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 5 lit. a LCD, art. 5 lit. b LCD, art. 9 LCD, art. 11 LCD.

Un projet de construction de tunnels autoroutiers comportant un rapport technique, des commentaires, des calculs, des dessins et des plans, peut constituer une œuvre protégée au sens du droit d'auteur si les contingences techniques, juridiques et fonctionnelles (y compris naturelles) qui ont présidé à sa réalisation ont laissé à son auteur une marge de manœuvre suffisante pour qu'il ait néanmoins pu réaliser des choix créateurs autonomes débouchant sur un résultat individuel ; ce qui n'a pas été admis en l'espèce (c. IV.3-5). Les œuvres d'architecture, au sens de l'art. 2 al. 2 lit. e LDA, sont toutes les œuvres par lesquelles l'espace est structuré par une intervention humaine. Les productions des architectes, ingénieurs, architectes d'intérieur, paysagistes et décorateurs peuvent être protégées par la LDA. Les tunnels sont aussi mentionnés par la doctrine comme pouvant constituer des œuvres architecturales s'ils satisfont aux conditions de protection du droit d'auteur (c. IV.3.5.1). La forme des œuvres architecturales est souvent déterminée par leur but et d'autres contraintes (fonction, emplacement, dispositions en matière de police des constructions, moyens financiers du maître de l'ouvrage). La liberté de création de l'architecte est ainsi limitée, et ses réalisations peuvent donc bénéficier de la protection du droit dès qu'elles présentent un degré d'individualité, même réduit (c. IV.3.5.2). Les œuvres d'un ingénieur civil dépendent encore plus de contingences techniques (topographies, matériaux, tracé des voies, lois de la physique, problèmes de statique) et la liberté créatrice passe à l'arrière-plan. Dès qu'une forme d'exécution est imposée par les contingences techniques et qu'il n'existe pas d'alternative dépourvue d'impact sur l'effet image technique recherché, la réalisation ne présente pas d'individualité et appartient au domaine public. C'est souvent le cas pour les constructions du génie civil (ponts, routes et tunnels) qui, malgré leur caractère parfois esthétique, sont généralement dépourvues d'individualité étant donné les conditions qui ont présidé à leur réalisation comme les propriétés du sol, les exigences techniques et la dépendance aux matériaux utilisés. Si toutefois les conditions particulières à un cas d'espèce ont laissé une certaine marge de manœuvre à l'auteur de la réalisation considérée, plusieurs variantes étant imaginables pour résoudre le problème technique ou scientifique donné, les choix effectués par l'auteur du projet lui confèrent un caractère individuel (c. IV.3.5.3). Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Le contenu scientifique ou technique de plans, calculs, projets, dessins techniques, etc., n'est pas protégé par le droit d'auteur. Il peut l'être par le droit des brevets ou par le fait de demeurer secret, mais n'entre pas en ligne de compte pour déterminer si la réalisation à laquelle il est lié est individuelle et bénéficie de la protection du droit d'auteur (c. IV.3.6). La LCD ne protège pas les idées ou les méthodes. Ainsi, la simple idée de renoncer à un dispositif de drainage d'un tunnel pour laisser les eaux s'infiltrer dans la montagne n'est pas protégée par la LCD (c. IV.7.3). Par contre, la reprise et l'utilisation par un tiers de calculs, offres et plans, sans l'autorisation de leur auteur, constituent un acte de concurrence déloyale dont les auteurs sont non seulement celui qui a lancé l'appel d'offres, mais aussi les tiers qui utilisent ou exécutent les résultats de cet appel d'offres (c. IV.7.4). Tel n'est pas le cas si ces tiers ont développé leurs activités sur la base de leurs propres calculs (c. IV.7.5). La remise du gain selon l'art. 423 CO suppose la mauvaise foi du gérant (c. IV.14.4). La bonne foi est présumée. Toutefois, en vertu de l'art. 3 al. 2 CC, ne peut se prévaloir de sa bonne foi celui qui, en déployant l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui, n'aurait pas pu être de bonne foi (c. IV.14.5). Le fait de renoncer à vérifier si un acte est susceptible de violer les droits de tiers, lorsqu'on a des raisons de penser que tel pourrait être le cas, est constitutif de mauvaise foi (c. IV.14.9.1). Dans le cas d'espèce toutefois, le tribunal n'a retenu ni la mauvaise foi (en raison d'une attention insuffisante), ni la faute du défendeur (c. IV.14.10). Du moment qu'il ne peut être reproché au défendeur ni un manque d'attention, ni un défaut de surveillance, il ne peut pas non plus lui être reproché une violation de ses obligations de vérification et de surveillance au sens du droit de la concurrence, ce qui ne laisse pas place à une action en restitution de l'enrichissement illégitime au sens de l'art. 62 CO (c. IV.15). [NT]

Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt

08 février 2013

TF, 8 février 2013, 4A_474/2012, 4A_478/2012 et 4A_584/2012 (f)

sic! 6/2013, p. 360-362, « Pneus-Online II » ; concurrence déloyale, rectification d’un jugement, délai de recours, action en remise du gain, remise du gain, vraisemblance, preuve, lien de causalité, concours de causes, comportement parasitaire, mauvaise foi, nom de domaine, pneus-online.com, risque de confusion, signe appartenant au domaine public ; art. 423 CO, art. 2 LCD, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 9 al. 3 LCD, art. 334 al. 4 CPC ; cf. N 354 (vol. 2007-2011 ; TF, 19 juillet 2010, 4A_168/2010 ; sic! 11/2010, p. 797-801, « Pneus-Online » ; medialex 4/2010, p. 236 [rés.]).

La notification de la décision rectifiée au sens de l’art. 334 al. 4 CPC fait courir un nouveau délai de recours, mais uniquement pour les points concernés par la rectification, à l’exclusion des moyens que les parties auraient pu et dû invoquer à l’encontre du premier arrêt. Le recours déjà pendant et dirigé contre le premier jugement entaché d’erreur n’est pas systématiquement privé d’objet par le nouvel arrêt rectificatif. Lorsque la rectification concerne un point du jugement qui n’est pas visé par le recours, respectivement ne revêt aucune incidence sur le recours, celui-ci doit logiquement continuer à produire ses effets (c. 2). La remise du gain selon les dispositions sur la gestion d’affaires imparfaite ou intéressée vise à sanctionner l’ingérence inadmissible dans les affaires d’autrui du gérant dont la volonté est de traiter l’affaire d’autrui comme la sienne propre et de s’en approprier les profits (c. 4.1). Les méthodes de vente ou de publicité propres à faire naître une confusion au sens de l’art. 3 lit. d LCD correspondent à la notion d’usurpation de l’affaire d’autrui liée à l’art. 423 CO (c. 4.1). Le maître doit établir le lien de causalité entre l’usurpation de l’affaire d’autrui et les profits nets réalisés. La vraisemblance prépondérante suffit. Il est majoritairement admis que seule la part de gain imputable à la gestion d’affaires non autorisée est sujette à restitution. Ainsi, lorsque les profits ne sont pas uniquement imputables à l’ingérence illicite,mais à un concours de causes (kombinationseingriff), tels que le marketing adroit du gérant, un bon réseau de distribution, la qualité des services offerts, les prix avantageux pratiqués, etc., le juge déterminera selon sa libre appréciation leurs impacts sur le profit réalisé. En cas de doute quant à l’appréciation des différentes causes, il faut se prononcer contre le gérant (c. 4.2). Le fait de créer délibérément un risque de confusion pour exploiter de façon parasitaire la réputation d’autrui en utilisant sciemment des noms de domaine très similaires à celui de ce dernier constitue un comportement déloyal au sens de la LCD. Cependant, le droit à la remise de gain n’est admis que lorsque l’utilisation déloyale du nom de domaine constituait le motif de la conclusion du contrat générateur de profit. C’est une question de fait que de déterminer les motifs de conclure un contrat, à savoir si les clients ont été amenés à contracter en raison d’une confusion causée par des noms de domaine très semblables, ou si des éléments étaient propres à dissiper cette confusion (c. 5.2). L’action en remise de gain de l’art. 423 CO ne peut être dirigée que contre le gérant qui a agi de mauvaise foi. La preuve de la mauvaise foi incombe au maître (c. 8.1). Agit de mauvaise foi celui qui choisit et utilise sciemment une multitude de noms de domaine très semblables à celui préexistant d’un concurrent en « verrouillant » la quasi-totalité des noms de domaine imaginables en cette matière, en créant ainsi délibérément un risque de confusion pour exploiter de façon parasitaire la réputation déjà acquise par son concurrent. La bonne foi du gérant ne saurait découler automatiquement du seul fait que les noms de domaine enregistrés relèvent du domaine public (c. 8.3). [LG]

14 janvier 2013

TF, 14 janvier 2013, 5A_792/2011 (f)

sic! 5/2013, p. 293-295, « Blogs » ; medialex 2/2013, p. 78-80 (Fanti Sébastien,Remarques) ; droit de la personnalité, blog, action défensive, action en dommages-intérêts, remise du gain, qualité pour défendre, responsabilité de l’hébergeur, hébergeur ; art. 28 CC, art. 28a CC.

La question de la qualité pour défendre se détermine selon le droit au fond. La Suisse n’a pas adopté de législation particulière concernant la responsabilité civile ou pénale des hébergeurs de blogs, quand bien même la question est étudiée dans le cadre du postulat 11.3912 « Donnons un cadre juridique aux médias sociaux », adopté par le Conseil national le 23 décembre 2011. Actuellement, les art. 28 ss CC sont donc applicables (c. 6.1). D’après l’art. 28 al. 1 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe. En matière d’actions défensives, cette formulation vise non seulement l’auteur originaire de l’atteinte, mais aussi toute personne dont la collaboration cause, permet ou favorise cette atteinte, sans qu’une faute soit nécessaire. En d’autres termes, peut être concerné celui qui, sans être l’auteur des propos litigieux ou en connaître le contenu ou l’auteur, contribue à leur transmission (c. 6.2). En l’espèce, l’atteinte à la personnalité résulte de la publication sur Internet d’un billet rédigé par un tiers, auquel la recourante a fourni un espace ayant permis la diffusion de ce billet. Si la recourante n’est donc pas l’auteur de l’atteinte, elle y a participé au sens de l’art. 28 al. 1 CC et a donc la légitimation passive. Le fait qu’elle n’ait pas la maîtrise des propos rapportés, ou qu’elle ne puisse pas contrôler tous les blogs qu’elle héberge, n’est pas pertinent. Ces éléments ressortissent en effet à la question de la faute, laquelle n’est pas nécessaire dans le cadre d’une action défensive. Reconnaître la légitimation passive de l’hébergeur pour une telle action n’implique pas automatiquement que les fournisseurs d’accès se verront désormais actionnés en dommages-intérêts ou en réparation du tort moral. En effet, si le lésé peut aussi choisir contre qui il veut intenter une action réparatrice, son choix est limité par le fait qu’il ne peut s’adresser qu’à ceux dont il parvient à prouver la faute. Enfin, il n’appartient pas à la justice mais au législateur de réparer les prétendues « graves conséquences » pour Internet et les hébergeurs que pourrait avoir l’application du droit actuel (c. 6.3). [VS]

30 janvier 2014

TFB, 30 janvier 2014, O2012_033 (f)

sic! 6/2014, p. 376-388, « Couronne dentée » ; brevet, horlogerie, violation d’un brevet, couronne dentée, affichage, mécanisme d’affichage, guichet de cadran, cadran, grande date, mouvement, montre, dispositif d’affichage, homme de métier, action en interdiction, action en constatation de la nullité d’un brevet, action en fourniture de renseignements, action échelonnée, description du comportement illicite, cumul des titres de protection, extension illicite de l’objet du brevet, nouveauté en droit des brevets, non évidence, conclusions précises, remise du gain, fardeau de la preuve, fardeau de l’allégation, maxime de disposition, concurrence déloyale ; art. 26 al. 1 lit. a LTFB, art. 26 al. 4 LTFB, art. 41 LTFB, art. 10 des Directives procédurales du TFB du 28.11.2011, art. 8 CC, art. 26 al. 1 lit. a LBI, art. 26 al. 1 lit. c LBI, art. 26 al. 1 lit. d LBI, art. 51 al. 1 LBI, art. 58 al. 2 LBI, art. 66 lit. a LBI, art. 66 lit. b LBI, art. 72 LBI, art. 125 al. 1 LBI, art. 3 al. 1 lit. b LCD ; cf. N 916 (TF, 2 octobre 2014, 4A_142/2014 ; sic! 1/2015, p. 49-53, « Couronne dentée II ») et N 929 (TFB, 2 juin 2015, O2012_033 ; sic! 12/2015, p. 695-696, « Couronne dentée III »).

L’art. 41 LTFB implique un transfert automatique au TFB de tous les procès qui n’ont pas encore été plaidés sur le fond au 1er janvier 2012, quel que soit l’avancement de l’instruction. Selon l’art. 10 des Directives procédurales du TFB, le TFB reprend le traitement des procédures qui, au moment de l’entrée en vigueur de la LTFB, sont pendantes devant les tribunaux cantonaux, dans la mesure où la juridiction cantonale concernée justifie que les débats principaux n’ont pas encore eu lieu. L’interprétation du droit cantonal revient aux juridictions cantonales auxquelles il appartient de déterminer à quel moment il convient d’admettre, selon leur propre procédure cantonale, que les débats principaux sont réputés avoir eu lieu (c. 14). Les actions en cessation de trouble doivent viser l’interdiction d’un comportement précisément décrit. La partie condamnée doit apprendre ce qu’elle n’est plus en droit de faire, et les autorités d’exécution ou les autorités pénales doivent savoir quel comportement elles doivent empêcher ou peuvent assortir d’une peine. Si l’on fait valoir auprès de ces autorités que le défendeur a répété un acte prohibé malgré l’interdiction du juge civil, celles-ci doivent seulement avoir à vérifier si les conditions factuelles invoquées sont remplies. En revanche, elles ne doivent pas être amenées à qualifier sur le plan juridique le comportement en cause. Mentionner l’essence des revendications d’un brevet dans les conclusions visant l’interdiction de sa violation peut s’avérer insuffisant. Le mode de violation du brevet ou le mode d’exécution allégué doit ainsi être décrit de façon à ce qu’un examen purement factuel permette sans autre de constater si on est en présence d’une forme d’exécution prohibée. Il faut donc décrire la forme de violation comme un acte technique réel, à travers certaines caractéristiques qui ne nécessitent aucune interprétation juridique ou interprétation de termes techniques ambigus. Ceci en particulier parce que le dispositif du jugement, éventuellement interprété sur la base des considérants, doit exposer concrètement quelles caractéristiques du mode d’exécution sont attaquées en tant que mise en œuvre de l’enseignement technique. Il ne suffit ainsi pas de répéter les caractéristiques mentionnées dans le brevet. Une description du mode de violation est nécessaire; et ce n’est que lorsque les caractéristiques du mode d’exécution utilisant le brevet litigieux sont concrètement désignées qu’une éventuelle interdiction peut être exécutée. Ce n’est en fait que lorsque l’énoncé de la revendication est spécifique au point qu’un examen purement factuel permet sans autre de constater si on est en présence d’une forme d’exécution prohibée et que cet énoncé ne nécessite aucune interprétation juridique ou interprétation de termes techniques ambigus, que la désignation concrète des caractéristiques techniques concrètes du mode d’exécution peut se confondre avec l’énoncé de la revendication qui fonde l’interdiction. Ce qui a été admis en l’espèce (c. 17). Est réputée constituer une extension allant au-delà du contenu des pièces initialement déposées, une modification qui n’est pas divulguée à la date pertinente (de dépôt ou d’un éventuel report au sens de l’art. 58 a LBI), soit un enrichissement technique du contenu de la demande et donc un apport d’informations de nature technique qui ne se déduit pas – directement et sans ambiguïté – de l’intégralité du contenu technique – explicite ou implicite – soumis à la date pertinente. Pour toutes les prétentions relevant du droit privé fédéral, l’art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve auquel correspond, en principe, le fardeau de l’allégation et, partant, les conséquences de l’absence de preuve ou d’allégation. La partie qui entend se prévaloir d’un motif de nullité d’un brevet supporte le fardeau de la preuve, à moins que la loi n’en dispose autrement, conformément à l’art. 8 CC. Un état de fait qui n’a pas été allégué par la partie qui en supporte le fardeau ne peut pas être admis par le juge et, si en raison d’un défaut d’allégation, un état de fait ne peut pas être pris en considération ou demeure incertain, le juge doit se prononcer en vertu de l’art. 8 CC en défaveur de la partie qui supporte le fardeau de la preuve. Dès lors que la partie qui souhaite se prévaloir du motif de nullité découlant d’une extension illicite de l’art. 26 al. 1 lit. c LBI supporte le fardeau de la preuve de cette extension illicite et doit alléguer de façon détaillée d’une part la modification en cause et d’autre part la détermination de l’homme du métier et l’étendue de ses connaissances à la date pertinente (date de dépôt ou de report). Le même principe d’allégation détaillée relative à l’homme du métier et à ses connaissances s’applique à la question de l’activité inventive et à la suffisance de description au sens des art. 26 al. 1 lit. a (en relation avec l’art. 1 al. 2) et 26 al. 1 lit. b LBI. Il ne suffit dès lors pas de simplement alléguer qu’une modification particulière ne serait pas explicitée dans le contenu des pièces initialement déposées (à la date de dépôt ou de report). Encore faut-il identifier l’homme du métier (typiquement par sa profession et/ou sa formation) et ses connaissances générales (typiquement les sujets techniques qu’il doit maîtriser en sa qualité d’homme du métier déterminé) à la date pertinente et expliquer pour quels motifs une telle modification ne se déduirait pas du contenu explicite des pièces initialement déposées à l’aide des connaissances de l’homme du métier (c. 19). Tel n’a pas été le cas en l’espèce. La Cour a retenu en outre qu’il résultait de l’examen des pièces modifiées en cours de procédure d’enregistrement qu’aucune extension illicite n’était intervenue (c. 20 et c. 21-23). Concernant la nouveauté, la Cour rappelle qu’une combinaison avec d’autres documents n’est pas admissible et considère qu’il convient dès lors d’admettre la nouveauté de l’invention revendiquée par rapport aux deux antériorités invoquées (c. 26). Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si pour l’homme du métier elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique. L’homme du métier joue ainsi un rôle décisif dans l’appréciation de l’activité inventive. À l’instar de la question de l’examen de l’extension illicite, l’appréciation de l’activité inventive présuppose une allégation détaillée quant à la détermination de l’homme du métier et ses connaissances à la date pertinente par la partie qui souhaite se prévaloir du motif de nullité correspondant au sens de l’art. 26 al. 1 lit. a (en relation avec l’art. 1 al. 2) et 26 al. 1 lit. b LBI. Cette information est nécessaire afin de déterminer si ses connaissances générales auraient incité et permis à l’homme du métier de combler une lacune entre une ou plusieurs antériorités déterminées (par exemple une ou plusieurs publications et/ou usage public antérieur) et l’invention revendiquée. Une telle allégation détaillée est également nécessaire afin de déterminer si ses connaissances générales auraient permis à l’homme du métier de combiner les enseignements contenus dans des antériorités différentes afin de les réduire en un mode d’exécution combinée (réelle) couvert par l’invention revendiquée. Le défaut d’une allégation détaillée en ce sens contraint en principe le juge à rejeter le motif de nullité invoqué, ainsi que cela a été fait en l’espèce, la demanderesse ayant présenté l’homme du métier uniquement comme un praticien du domaine technologique normalement qualifié qui possède des connaissances générales dans le domaine concerné et qui est censé avoir eu accès à tous les éléments de l’état de la technique (c. 32). Selon l’art. 125 al. 1 LBI, dans la mesure où, pour la même invention, un brevet suisse et un brevet européen ayant effet en Suisse ont été délivrés au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet suisse ne porte plus effet dès la date à laquelle le délai pour former opposition au brevet européen est échu, ou la procédure d’opposition a définitivement abouti au maintien en vigueur du brevet européen. Dans le contexte de la LBI, une invention se comprend comme une règle de comportement technique portant sur l’utilisation des éléments naturels ou des forces de la nature et aboutissant à un résultat déterminé. L’invention est définie dans une ou plusieurs revendications du brevet (art. 51 al. 1 LBI). En l’espèce, la revendication 1 du brevet suisse concerné ne définit pas la même invention que celle de la revendication 1 du brevet européen. Le brevet suisse décrit ainsi une règle différente de celle du brevet européen. Par conséquent, les deux brevets ne protègent pas la même invention et les conditions d’application de l’art. 125 LBI ne sont pas réalisées (c. 37). L’art. 72 al. 1 LBI prévoit que celui qui est atteint ou menacé dans ses droits par l’un des actes mentionnés à l’art. 66 LBI, notamment par la contrefaçon ou par l’imitation d’une invention brevetée (art. 66 lit. a LBI) peut demander la cessation de cet acte. Comme en l’espèce la demanderesse a prouvé que la défenderesse viole le brevet litigieux, comme l’atteinte a déjà commencé et, comme selon la correspondance échangée entre les parties respectives et leurs conseils, et selon les contestations intervenues dans la présente procédure, elle n’a pas pris fin, il convient d’ordonner à la défenderesse – sous la menace de l’art. 292 CP, soit l’amende – de cesser tout usage du mécanisme breveté en relation avec des montres (c. 40). Quand il est, comme en l’espèce, impossible pour le demandeur de chiffrer ses prétentions lorsque l’ignorance résulte de faits qui sont entre les mains du défendeur ou d’un tiers, le demandeur peut intenter une action dite échelonnée, dans laquelle une conclusion en reddition de comptes est liée à une conclusion indéterminée en paiement de la somme due. La seconde est principale, la première est complémentaire. L’action en renseignement découle de l’art. 66 lit. b LBI (c. 41). [NT]

19 mars 2014

TFB, 19 mars 2014, O2013_007 (d)

sic! 9/2014, p. 560-562, « Netzstecker » ; action en dommages-intérêts, action en remise du gain, licence exclusive, remise du gain, mauvaise foi, violation d’un brevet, fardeau de la preuve, vraisemblance, pouvoir d’appréciation, frais ; art. 2 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 423 CO, art. 73 LBI.

Le lésé au bénéfice d’une licence exclusive peut agir en dommages-intérêts aux conditions qui prévalent en droit des obligations ou, alternativement, en remise du gain, selon les dispositions applicables en matière de gestion d’affaires sans mandat (art. 423 CO) (c. 4.2). Le gain consiste alors en la différence entre le patrimoine effectif du contrefacteur et la valeur de ce même patrimoine s’il n’avait pas commercialisé les contrefaçons (en l’espèce des prises d’alimentation électrique (Netzstecker). Le revenu net étant déterminant, il convient de déduire les coûts engagés par le contrefacteur. La jurisprudence soumet de surcroît l’action en remise de gain à la condition de la mauvaise foi du contrefacteur. Agit notamment de mauvaise foi celui qui savait, devait savoir ou pouvait savoir qu’il agissait de manière contraire au droit (art. 2 CC). Cette condition est remplie si le contrefacteur maintient son activité litigieuse suite à la réception d’un courrier de mise en demeure l’informant qu’il agit de manière contraire au droit. Il en va de même lorsqu’un commerçant spécialisé dans les appareils high-tech commande, sans effectuer de recherches préalables, un produit potentiellement protégé, dans un pays dont il est connu qu’il n’offre pas une protection adéquate des droits immatériels (c. 4.3). Le fardeau de la preuve du gain manqué est supporté par le lésé. L’art. 42 al. 2 CO s’applique par analogie à l’action en remise du gain lorsqu’il n’est pas possible d’établir le gain manqué de manière exacte. Il suffit au lésé de rendre sa prétention plausible sur le fond et sur son étendue. Il n’est pas nécessaire que des factures détaillées soient produites. La remise du gain est au surplus conditionnée à la violation d’un droit. Il faut alors déterminer dans quelle mesure le droit violé est à l’origine de la décision d’achat ou si d’autres circonstances ont joué un rôle prépondérant dans ce cadre. La réponse à cette question relève du pouvoir d’appréciation du juge (c. 4.3). Les frais d’avocat et d’agent de brevets engagés par le lésé avant le procès en vue de contrôler l’existence d’une violation d’un brevet ou de faire notifier des courriers de demeure à la partie adverse constituent des frais en lien direct avec le procès. Leur remboursement peut être exigé par le lésé (c. 4.5). [FE]

29 mai 2019

TF, 29 mai 2018, 4A_12/2018 (d)

Harry Potter, préservatif, produits pornographiques, marque combinée, remise du gain, fourniture de renseignements, jugement partiel, action échelonnée, obligation de renseigner, intérêt digne de protection, fardeau de la preuve, fardeau de l’allégation, appréciation des preuves, arbitraire, maxime des débats, participation à l’administration des preuves, droit d’être entendu ; art. 9 Cst., art. 29 al. 2 Cst., art. 8 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 55 CPC, art. 59 al. 2 lit. a CPC, art. 164 CPC ; cf. N415 (vol. 2007-2011 ; KGSZ, 17 août 2010, ZH 2008 19 ; sic ! 2/2011, p. 108-110, « Harry Potter / Harry Popper (fig.) ») ; N900 (TF, 7 novembre 2013, 4A_224/2013 ; sic ! 3/2014, p. 162-163, « Harry Potter / Harry Popper (fig.) II ») et N902 (TF, 26 janvier 2015, 4A_552/2014).

Selon l’art. 42 al. 2 CO, le dommage qui ne peut pas être exactement établi doit être déterminé par le Juge équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par le lésé. Hormis dans le cas rare de la prise en compte des principes abstraits déduits de l’expérience, cette détermination équitable du dommage se base sur une appréciation de l’état de fait et relève ainsi de la détermination des faits qui n’est revue par le TF qu’en cas d’arbitraire. Il incombe au Juge dans le cadre d’un exercice correct de sa liberté d’appréciation de faire la lumière sur les critères de décision dont il envisage de tenir compte, respectivement sur ceux pour lesquels il a besoin d’informations complémentaires. La latitude donnée au Juge de considérer le dommage comme établi sur la base d’une simple estimation n’a pas pour but d’exonérer le demandeur de manière générale du fardeau de la preuve, ni non plus de lui conférer la possibilité d’élever des prétentions en dommages et intérêts de n’importe quelle hauteur sans avoir à fournir de plus amples indications. Bien au contraire, l’application de cette disposition ne le dispense pas d’alléguer, dans toute la mesure possible et exigible, toutes les circonstances qui constituent un indice de l’existence d’un dommage et en permettent la détermination. L’art. 42 al. 2 CO ne libère pas le demandeur de son obligation d’étayer sa réclamation. Les circonstances alléguées doivent être de nature à justifier suffisamment l’existence d’un dommage, ainsi qu’à en rendre l’ordre de grandeur saisissable. Cela vaut aussi en cas de réclamation de la remise du gain en ce qui concerne les circonstances que la partie chargée du fardeau de la preuve souhaite invoquer concernant la réalisation d’un gain, respectivement sa diminution. Un établissement exact des faits ne doit cependant pas être exigé dans les cas où l’art. 42 al. 2 CO s’applique, dans la mesure où l’allégement du fardeau de la preuve consacré en faveur du demandeur par cette disposition comporte aussi une limitation du fardeau de l’allégation et de l’étayement des faits (« Substanziierung ») (c. 3.1). Du moment qu’en dépit de l’obligation qui découlait pour elle du jugement partiel précédent, la recourante refusait de communiquer à l’autre partie les informations nécessaires pour établir le montant du gain que cette dernière ne pouvait pas fournir, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en fixant le gain dans le cadre d’une application par analogie de l’art. 42 al. 2 CO et en le déterminant en fonction de l’ensemble des circonstances. Il n’est pas nécessaire pour permettre de recourir à une telle application par analogie de l’art. 42 al. 2 CO de se trouver en présence d’un refus injustifié de collaborer au sens de l’art. 164 CPC (c. 3.5). Le respect du droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. implique que le tribunal entende, examine et prenne en compte dans son processus décisionnel les éléments avancés par celui que la décision atteint dans ses droits. Le jugement doit être motivé pour que les parties puissent se faire une idée des considérants du tribunal. La motivation doit mentionner de manière succincte les considérations qui ont guidé le tribunal et sur lesquelles il fonde son jugement. Il n’est par contre pas nécessaire que la décision passe en revue de manière détaillée et réfute chacun des arguments soulevés par les parties. Il suffit que le jugement soit motivé de telle sorte qu’il puisse, le cas échéant, être contesté de manière adéquate. Le fait qu’une autre solution ait pu entrer en ligne de compte ou même être préférable n’est pas déjà constitutif d’arbitraire. Tel n’est le cas que lorsque le jugement attaqué est manifestement insoutenable, en contradiction claire avec la situation de fait, viole crassement une norme ou un principe de droit incontesté ou contrevient d’une manière choquante aux principes de la justice (c. 4.1). [NT]

31 octobre 2018

Appellationsgericht des Kantons Basel-Stadt, 31 octobre 2018, ZK.2017.2 (d)

sic! 6/2019, p. 367-375, « Lichtgestalten »; action en constatation, action en interdiction, qualité pour agir, licence exclusive, droit de citation, droit à l’intégrité de l’œuvre, intégrité de l’œuvre, publication du jugement, tort moral, action en remise du gain, remise du gain, action en dommages-intérêts, dommage, preuve du dommage, obligation de renseigner, fixation du dommage ; art. 41 CO, art. 49 CO, art. 423 CO, art. 11 al. 1 LDA, art. 11 al. 2 LDA, art. 25 LDA, art. 61 LDA, art. 62 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 2 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 66 LDA.

La mise en œuvre de droits à rémunération s’avère en général difficile dans le domaine du droit d’auteur. Si l’action en constatation était subsidiaire par rapport à l’action en exécution d’une prestation, il y aurait en l’espèce un risque important qu’elle soit irrecevable faute d’intérêt et que l’action en remise du gain soit rejetée en raison de l’inexistence d’un gain, quand bien même il y a apparemment une violation du droit d’auteur. De plus, la jurisprudence sur la subsidiarité de l’action en constatation a pour but d’éviter plusieurs procès successifs, d’abord en constatation puis en exécution. En l’espèce, ces considérations d’économie de la procédure ne valent pas puisque les demandeurs font valoir les deux actions dans le même procès. Enfin, la constatation peut offrir une protection juridique d’une autre nature ou supplémentaire par rapport à l’action en exécution. Il y a donc en l’espèce un intérêt à la constatation (c. 2.1). L’action en constatation n’est pas liée à la titularité du droit invoqué, mais à la preuve d’un intérêt. Elle est normalement à disposition du licencié exclusif lorsque son droit relatif dépend du droit d’auteur à constater. S’agissant de l’action en exécution d’une prestation, la qualité pour agir du licencié exclusif résulte de l’art. 62 al. 3 LDA (c. 2.2). Une citation au sens de l’art. 25 LDA doit servir de commentaire, de référence ou d’illustration. Elle ne doit pas avoir un but autonome, mais une fonction de justification. Il doit exister, d’une part, un rapport matériel entre l’œuvre citée et la représentation propre ; d’autre part, la citation doit être d’importance subordonnée. Si le texte cité suscite un intérêt principal, l’art. 25 LDA n’est pas applicable (c. 3.2). En l’espèce, les conditions d’application de l’art. 25 LDA ne sont pas remplies (c. 3.3). Le doit à l’intégrité de l’œuvre vaut aussi bien pour les petites modifications que pour les grandes. Il est violé par toute modification non autorisée. En l’espèce, il n’est donc pas nécessaire de déterminer si les modifications sont seulement marginales, comme le prétend la défenderesse (c. 4.2). Une citation falsifiée, ou sortie de son contexte de sorte à présenter l’auteur sous un autre jour, est inadmissible au même titre qu’une utilisation de l’œuvre dans un contexte rejeté par l’auteur. Une altération portant atteinte à la personnalité, au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, ne sera reconnue que pour les modifications importantes ayant des conséquences négatives, et cela de manière restrictive. Il s’agira alors d’une forme de détérioration particulièrement grave, d’une falsification flagrante du contenu de l’expression intellectuelle, cette dernière se manifestant dans l’œuvre en tant qu’émanation de la personnalité de l’auteur. Il n’y a pas une telle altération en l’espèce (c. 4.3). L’action en interdiction de l’art. 62 al. 1 lit. a LDA suppose un intérêt à la protection actuel et suffisant. Celui-ci existera en cas de mise en danger concrète du droit, c’est-à-dire lorsqu’une violation future est sérieusement à craindre. Les conclusions en interdiction doivent viser des actes concrets réservés à l’auteur d’après l’art. 10 LDA et elles doivent être rédigées précisément, de sorte que les actes interdits soient sans autre reconnaissables pour la partie défenderesse et les autorités d’exécution (c. 5.2). Etant donné que la défenderesse conteste l’illicéité de son comportement, il y a un risque de récidive donc un intérêt actuel et suffisant pour demander l’interdiction (c. 5.3). La fonction première d’une publication du jugement est de mettre fin à la violation du droit d’auteur. Pour l’ordonner, le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il devra peser les intérêts divergents des parties et s’orienter sur le principe de la proportionnalité. Les demandeurs devront avoir un intérêt à la publication, par exemple le besoin d’informer un cercle de personnes dépassant leurs proches des violations constatées du droit d’auteur, afin de mettre fin au trouble ou à la confusion sur le marché. Une publication pourra être opportune lorsque la partie violant les droits conteste l’illicéité de son comportement, de sorte que d’autres atteintes sont à craindre. En revanche, on pourra renoncer à la publication si les violations datent déjà de quelques temps ou qu’elles n’ont pas eu de retentissement, ni chez les professionnels ni dans le public. En l’espèce, les violations n’ont pas fait de bruit et n’ont pas occasionné de confusion au sein des lecteurs, si bien qu’une publication du jugement serait injustifiée (c. 6). Comme il n’y a aucune altération au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre n’est pas suffisamment grave pour fonder une indemnité pour tort moral selon l’art. 49 al. 1 CO (c. 7). Un droit à la remise du gain selon l’art. 423 CO suppose qu’une personne s’approprie une affaire, c’est-à-dire intervienne dans la sphère juridique d’autrui et en retire un gain de manière causale. La personne doit également agir de mauvaise foi, ce qui est le cas en l’espèce. C’est le gain net qui est pris en considération, c’est-à-dire que les frais du gérant sont déduits du montant brut. Ce dernier devra être prouvé par le lésé, tandis que le gérant supportera le fardeau de la preuve de ses frais. Dans la présente affaire, l’action en remise de gain serait justifiée, si bien que le titulaire du droit d’auteur doit être renseigné par la défenderesse sur les éventuels gains qu’elle a réalisés. Ce droit n’appartient pas au licencié exclusif, qui n’est pas habilité à demander la remise du gain (c. 8.2). La fixation du dommage selon la méthode de l’analogie avec la licence nécessite que le titulaire du droit d’auteur ait été prêt à autoriser l’utilisation de l’œuvre. Elle ne dispense pas le demandeur de prouver l’existence d’un dommage. Il faut donc encore examiner si le demandeur aurait été prêt à conclure un contrat de licence (c. 8.3). [VS]

12 novembre 2019

TF, 12 novembre 2019, 4A_88/2019 (f)  

Contrat de distribution, escroquerie, concurrence déloyale, droit des marques, droit d’auteur, remise du gain, appréciation des preuves, arbitraire, allégation des parties, gestion d’affaires, fardeau de la preuve, fardeau de l’allégation, remise du gain, atteinte combinée, concours de causes ; art. 9 Cst., art. 8 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 70 CP, art. 62 al. 2 LDA.

Selon l’art. 423 al. 1 CO, auquel renvoie l’art. 62 al. 2 LDA (de même que l’art. 55 al. 2 LPM et l’art. 9 al. 3 LCD), lorsque la gestion n’a pas été entreprise dans l’intérêt du maître, celui-ci n’en a pas moins le droit de s’approprier les profits qui en résultent (c. 3.1). Cette disposition vise l’hypothèse de la gestion d’affaires imparfaite de mauvaise foi, le gérant intervenant illicitement dans les affaires du maître en agissant non pas dans l’intérêt de ce dernier mais dans son propre intérêt ou celui d’un tiers. L’art. 423 CO a pour but essentiel d’éviter que le gérant, auteur de l’ingérence, ne profite de celle-ci et qu’il en conserve les profits. La remise du gain remplit ainsi aujourd’hui également une fonction préventive (ou punitive) et plus seulement une fonction de rééquilibrage. Pour que la règle de l’art. 423 CO trouve application, trois conditions cumulatives doivent être réalisées : 1) une atteinte illicite aux droits d’autrui, l’intervention du gérant ayant lieu sans cause et ne reposant ni sur un contrat, ni sur la loi. En matière de droit d’auteur, toute utilisation non autorisée des droits appartenant à des tiers est considérée comme une intervention illicite ; 2) le gérant intervenant sans droit dans les affaires d’autrui doit avoir la volonté de gérer celle-ci exclusivement ou de manière prépondérante dans son propre intérêt ; 3) la mauvaise foi du gérant est nécessaire qui est donnée s’il sait ou doit savoir qu’il s’immisce dans la sphère d’autrui sans avoir de motif pour le faire (c. 3.1.1). Si ces conditions sont remplies, le gérant est tenu de restituer au maître le profit (illégitime) qu’il a réalisé, soit tout avantage pécuniaire résultant de l’ingérence qui réside dans la différence entre le patrimoine effectif de l’auteur de la violation et la valeur qu’aurait ce patrimoine en l’absence de toute violation. Le profit doit être en lien de causalité avec l’atteinte illicite incriminée. Il incombe au maître de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’atteinte illicite à ses biens juridiques et les profits nets réalisés par le gérant. A cet égard, une vraisemblance prépondérante suffit (c. 3.1.2). On est en présence d’une « atteinte combinée » ou d’un « concours de causes » lorsque le profit réalisé par le gérant résulte aussi bien de l’atteinte aux biens juridiquement protégés d’un tiers (le maître) que de l’activité licite menée par le gérant lui-même (know-how, qualité de ses services, recours à une campagne de marketing particulièrement réussie, réseau de distribution performant, etc.). La restitution (au maître) ne peut alors porter que sur la partie du profit qui découle de l’atteinte, par le gérant, aux biens juridiquement protégés du maître. Ce concours de causes a été envisagé par le législateur puisque celui-ci a explicitement exprimé sa volonté de laisser le Juge apprécier librement (parmi les divers facteurs ayant permis au gérant de réaliser un gain) la mesure dans laquelle celui-ci résulte de l’atteinte illicite aux biens du maître. Lorsque le gérant ayant porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle du maître a également commis une infraction pénale (in casu : une escroquerie) au détriment d’une tierce personne, la part du profit qui en découle (soit le produit de l’infraction) ne devra pas être restituée au maître. Dans cette situation, le comportement du gérant, qui s’est enrichi illégitimement au dépens du consommateur (lésé), donne naissance à un (nouveau) fondement juridique (distinct de celui à l’origine de la remise de gain) permettant exclusivement à ce lésé de faire valoir sa prétention tendant au remboursement du montant qu’il a versé sans cause (c. 3.1.3). Dans la mesure où la restitution porte sur l’enrichissement net du gérant, le maître a la charge de prouver le montant de la recette brute, alors que le gérant doit établir le montant des coûts engagés. Une évaluation par application analogique de l’art. 42 al. 2 CO n’est admissible que si les conditions en sont remplies. La preuve facilitée prévue par cette règle ne libère pas le demandeur de la charge de fournir au Juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l’attendre de lui, tous les éléments de faits qui constituent des indices de l’existence du profit et qui permettent ou facilitent son estimation ; elle n’accorde pas au lésé la faculté de formuler, sans indication plus précise, des prétentions en remise de gain de n’importe quelle ampleur. Par conséquent, si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l’estimation, l’une des conditions dont dépend l’application de l’art. 42 al. 2 CO n’est pas réalisée, alors même que, le cas échéant, l’existence d’un dommage est certaine. Le lésé est alors déchu du bénéfice de cette disposition ; la preuve du dommage n’est pas rapportée et, en conséquence, conformément au principe de l’art. 8 CC, le Juge doit refuser la réparation (c. 3.1.4). In casu, en amenant par une construction astucieuse, ses clients à lui payer des montants surfacturés, le défendeur a en réalité adopté un comportement constitutif d’escroquerie. Celui-ci lui a permis de s’enrichir illégitimement au dépens des clients lésés, donnant ainsi naissance à un (nouveau) fondement juridique (distinct de celui applicable pour la remise du gain). L’enrichissement du défendeur découle de la mise en scène, constitutive d’une infraction pénale, que celui-ci a élaborée au préjudice de ses clients. Lésés par les agissements du défendeur, ce sont ses clients qui, sur le plan civil, sont légitimés à demander la restitution de l’indu au défendeur qui s’est enrichi illégitimement (art. 62ss CO ; cf. éventuellement aussi l’art. 70 CP sur la confiscation de valeurs patrimoniales). La défenderesse ne saurait dès lors prétendre au paiement d’un montant dont un tiers (le client lésé) est le seul créancier et qui repose sur un fondement différent de celui qui sous-tend l’art. 423 CO (c. 3.2.1). Le recours est rejeté. [NT]