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  • Responsabilité

24 mai 2012

OG ZH, 24 mai 2012, LK020010-O/U (d)

sic! 7-8/2013, p. 445-461, « Tunnels d’Arrissoules » ; œuvre, droit d’auteur, tunnel, œuvre du génie civil, projet, partie d’œuvre, œuvre d’architecture, individualité, liberté de création, protection des idées, contenu scientifique, calcul, plan, offre, enseignement technique, responsabilité de la collectivité publique pour ses agents, acte illicite, concurrence déloyale, exploitation d’une prestation d’autrui, remise du gain, mauvaise foi, gestion d’affaires, faute, enrichissement illégitime ; art. 3 CC, art. 4 CC, art. 41 CO, art. 55 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 2 LDA, art. 5 lit. a LCD, art. 5 lit. b LCD, art. 9 LCD, art. 11 LCD.

Un projet de construction de tunnels autoroutiers comportant un rapport technique, des commentaires, des calculs, des dessins et des plans, peut constituer une œuvre protégée au sens du droit d'auteur si les contingences techniques, juridiques et fonctionnelles (y compris naturelles) qui ont présidé à sa réalisation ont laissé à son auteur une marge de manœuvre suffisante pour qu'il ait néanmoins pu réaliser des choix créateurs autonomes débouchant sur un résultat individuel ; ce qui n'a pas été admis en l'espèce (c. IV.3-5). Les œuvres d'architecture, au sens de l'art. 2 al. 2 lit. e LDA, sont toutes les œuvres par lesquelles l'espace est structuré par une intervention humaine. Les productions des architectes, ingénieurs, architectes d'intérieur, paysagistes et décorateurs peuvent être protégées par la LDA. Les tunnels sont aussi mentionnés par la doctrine comme pouvant constituer des œuvres architecturales s'ils satisfont aux conditions de protection du droit d'auteur (c. IV.3.5.1). La forme des œuvres architecturales est souvent déterminée par leur but et d'autres contraintes (fonction, emplacement, dispositions en matière de police des constructions, moyens financiers du maître de l'ouvrage). La liberté de création de l'architecte est ainsi limitée, et ses réalisations peuvent donc bénéficier de la protection du droit dès qu'elles présentent un degré d'individualité, même réduit (c. IV.3.5.2). Les œuvres d'un ingénieur civil dépendent encore plus de contingences techniques (topographies, matériaux, tracé des voies, lois de la physique, problèmes de statique) et la liberté créatrice passe à l'arrière-plan. Dès qu'une forme d'exécution est imposée par les contingences techniques et qu'il n'existe pas d'alternative dépourvue d'impact sur l'effet image technique recherché, la réalisation ne présente pas d'individualité et appartient au domaine public. C'est souvent le cas pour les constructions du génie civil (ponts, routes et tunnels) qui, malgré leur caractère parfois esthétique, sont généralement dépourvues d'individualité étant donné les conditions qui ont présidé à leur réalisation comme les propriétés du sol, les exigences techniques et la dépendance aux matériaux utilisés. Si toutefois les conditions particulières à un cas d'espèce ont laissé une certaine marge de manœuvre à l'auteur de la réalisation considérée, plusieurs variantes étant imaginables pour résoudre le problème technique ou scientifique donné, les choix effectués par l'auteur du projet lui confèrent un caractère individuel (c. IV.3.5.3). Tel n'a pas été le cas en l'espèce. Le contenu scientifique ou technique de plans, calculs, projets, dessins techniques, etc., n'est pas protégé par le droit d'auteur. Il peut l'être par le droit des brevets ou par le fait de demeurer secret, mais n'entre pas en ligne de compte pour déterminer si la réalisation à laquelle il est lié est individuelle et bénéficie de la protection du droit d'auteur (c. IV.3.6). La LCD ne protège pas les idées ou les méthodes. Ainsi, la simple idée de renoncer à un dispositif de drainage d'un tunnel pour laisser les eaux s'infiltrer dans la montagne n'est pas protégée par la LCD (c. IV.7.3). Par contre, la reprise et l'utilisation par un tiers de calculs, offres et plans, sans l'autorisation de leur auteur, constituent un acte de concurrence déloyale dont les auteurs sont non seulement celui qui a lancé l'appel d'offres, mais aussi les tiers qui utilisent ou exécutent les résultats de cet appel d'offres (c. IV.7.4). Tel n'est pas le cas si ces tiers ont développé leurs activités sur la base de leurs propres calculs (c. IV.7.5). La remise du gain selon l'art. 423 CO suppose la mauvaise foi du gérant (c. IV.14.4). La bonne foi est présumée. Toutefois, en vertu de l'art. 3 al. 2 CC, ne peut se prévaloir de sa bonne foi celui qui, en déployant l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui, n'aurait pas pu être de bonne foi (c. IV.14.5). Le fait de renoncer à vérifier si un acte est susceptible de violer les droits de tiers, lorsqu'on a des raisons de penser que tel pourrait être le cas, est constitutif de mauvaise foi (c. IV.14.9.1). Dans le cas d'espèce toutefois, le tribunal n'a retenu ni la mauvaise foi (en raison d'une attention insuffisante), ni la faute du défendeur (c. IV.14.10). Du moment qu'il ne peut être reproché au défendeur ni un manque d'attention, ni un défaut de surveillance, il ne peut pas non plus lui être reproché une violation de ses obligations de vérification et de surveillance au sens du droit de la concurrence, ce qui ne laisse pas place à une action en restitution de l'enrichissement illégitime au sens de l'art. 62 CO (c. IV.15). [NT]

Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1a – Tunnel d’Arrissoules, Amtsprojket
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1b – Tunnel d’Arrissoules, Projektvariante A____AG
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt
Fig. 1c – Tunnel d’Arrissoules, Ausführungsprojekt

14 janvier 2013

TF, 14 janvier 2013, 5A_792/2011 (f)

sic! 5/2013, p. 293-295, « Blogs » ; medialex 2/2013, p. 78-80 (Fanti Sébastien,Remarques) ; droit de la personnalité, blog, action défensive, action en dommages-intérêts, remise du gain, qualité pour défendre, responsabilité de l’hébergeur, hébergeur ; art. 28 CC, art. 28a CC.

La question de la qualité pour défendre se détermine selon le droit au fond. La Suisse n’a pas adopté de législation particulière concernant la responsabilité civile ou pénale des hébergeurs de blogs, quand bien même la question est étudiée dans le cadre du postulat 11.3912 « Donnons un cadre juridique aux médias sociaux », adopté par le Conseil national le 23 décembre 2011. Actuellement, les art. 28 ss CC sont donc applicables (c. 6.1). D’après l’art. 28 al. 1 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe. En matière d’actions défensives, cette formulation vise non seulement l’auteur originaire de l’atteinte, mais aussi toute personne dont la collaboration cause, permet ou favorise cette atteinte, sans qu’une faute soit nécessaire. En d’autres termes, peut être concerné celui qui, sans être l’auteur des propos litigieux ou en connaître le contenu ou l’auteur, contribue à leur transmission (c. 6.2). En l’espèce, l’atteinte à la personnalité résulte de la publication sur Internet d’un billet rédigé par un tiers, auquel la recourante a fourni un espace ayant permis la diffusion de ce billet. Si la recourante n’est donc pas l’auteur de l’atteinte, elle y a participé au sens de l’art. 28 al. 1 CC et a donc la légitimation passive. Le fait qu’elle n’ait pas la maîtrise des propos rapportés, ou qu’elle ne puisse pas contrôler tous les blogs qu’elle héberge, n’est pas pertinent. Ces éléments ressortissent en effet à la question de la faute, laquelle n’est pas nécessaire dans le cadre d’une action défensive. Reconnaître la légitimation passive de l’hébergeur pour une telle action n’implique pas automatiquement que les fournisseurs d’accès se verront désormais actionnés en dommages-intérêts ou en réparation du tort moral. En effet, si le lésé peut aussi choisir contre qui il veut intenter une action réparatrice, son choix est limité par le fait qu’il ne peut s’adresser qu’à ceux dont il parvient à prouver la faute. Enfin, il n’appartient pas à la justice mais au législateur de réparer les prétendues « graves conséquences » pour Internet et les hébergeurs que pourrait avoir l’application du droit actuel (c. 6.3). [VS]

08 février 2019

TF, 8 février 2019, 4A_433/2018 (d)

« Blocage de sites internet illicites » ; action en cessation, blocage de sites internet, fournisseur d’accès, responsabilité du fournisseur d’accès, solidarité, acte illicite, acte de participation, causalité adéquate, intérêt digne de protection, droit d’auteur, précision des conclusions, usage privé, piraterie ; art. 8 WCT, art. 42 al. 2 LTF, art. 76 al. 1 lit. b LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 4 CC, art. 28 CC, art. 50 CO, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 24a LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 110 LDIP.

La recourante a un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision. Son recours en matière civile est donc recevable, sous réserve qu’il soit suffisamment motivé (c. 1.1). Le droit d’auteur ne connait pas de disposition comme l’art. 66 lit. d LBI ou l’art. 9 al. 1 LDes qui traiterait des actes de participation. L’art. 50 CO ne règle pas seulement la responsabilité solidaire pour la réparation d’un dommage, mais il constitue la base légale de la responsabilité civile des participants. Cette disposition peut être invoquée non seulement en cas d’action réparatoire, mais aussi en cas d’action en cessation. Les normes particulières du droit de la personnalité – art. 28 al. 1 CC – ou des droits réels ne sont pas applicables en droit d’auteur. Comme l’action en dommages-intérêts, l’action en cessation suppose une violation du droit d’auteur et un rapport de causalité adéquate entre la contribution du participant attaqué et cette violation (c. 2.2.1). Les clients de l’intimée, auxquels celle-ci confère l’accès à Internet, n’accomplissent aucune violation du droit d’auteur en consommant des films : l’exception d’usage privé est applicable, même si ces films ont été mis à disposition illicitement. Il ne peut donc pas y avoir de responsabilité de l’intimée pour un acte de participation (c.2.2.2). La protection de la LDA s’étend aussi aux actes commis à l’étranger mais produisant leurs effets en Suisse (c. 2.2.3). La question est de savoir si l’intimée, qui fournit l’accès à Internet, répond selon l’art. 50 al. 1 CO pour une participation à la mise à disposition illicite des films. Le rapport de causalité adéquate doit être apprécié dans chaque cas particulier selon les règles du droit et de l’équité au sens de l’art. 4 CC. Il implique donc un jugement de valeur. Pour qu’une participation soit adéquate, il faut un rapport suffisamment étroit avec l’acte illicite (c. 2.3.1). La prestation de l’intimée se limite à fournir un accès automatisé à Internet. Elle n’offre pas à ses clients des contenus déterminés. Les copies temporaires qu’implique son activité sont licites d’après l’art. 24a LDA. La déclaration commune concernant l’art. 8 WCT exclut que la fourniture d'installations techniques constitue un acte principal de communication au public ; elle n’empêche toutefois pas une responsabilité pour participation secondaire. En l’espèce, les auteurs principaux des violations ne sont pas clients de l’intimée et n’ont aucune relation avec elle. L’acte de mise à disposition est accompli déjà lorsque les films sont placés sur Internet de sorte à pouvoir être appelés aussi depuis la Suisse. L’intimée ne contribue pas concrètement à cet acte. Admettre le contraire sur la base de l’art. 50 al. 1 CO conduirait à retenir une responsabilité de tous les fournisseurs d’accès en Suisse, pour toutes les violations du droit d’auteur commises sur le réseau mondial. Une telle responsabilité « systémique », impliquant des devoirs de contrôle et d’abstention sous la forme de mesures techniques de blocage d’accès, serait incompatible avec les principes de la responsabilité pour acte de participation. Il n’y a donc aucun rapport de causalité adéquat avec les violations, justifiant une action en cessation. Une implication des fournisseurs d’accès dans la lutte contre le piratage nécessiterait une intervention du législateur (c. 2.3.2). [VS]

21 janvier 2020

HG AG, 21 janvier 2020, HOR.2019.9/ts/ts (d)

« Responsabilité de l’organe d’une association » ; responsabilité, violation des droits de propriété intellectuelle, dommage, preuve du dommage, faute, fixation du dommage, tarifs des sociétés de gestion, tarif contraignant pour les tribunaux, obligation d’informer les sociétés de gestion, estimation de la redevance ; art. 55 al. 3 CC, art. 41 CO, art. 10 LDA, art. 35 LDA, art. 51 al. 1 LDA, art. 59 al. 3 LDA, art. 62 al. 2 LDA.

 Les organes d’une personne morale sont personnellement responsables de leurs fautes d’après l’art. 55 al. 3 CC. Tel est le cas lorsque le comportement de l’organe remplit les conditions d’une norme de droit matériel concernant la responsabilité. La jurisprudence rendue sous l’aLDA a retenu que la responsabilité personnelle de l’organe était engagée vis-à-vis des tiers en cas d’exécution illicite de musique lors d’une manifestation associative (c. 4.2.2). Lorsqu’un droit de l’auteur selon l’art. 10 al. 1 LDA est violé, des dommages-intérêts peuvent être demandés selon l’art. 62 al. 2 LDA, en relation avec l’art. 41 CO. Comme l’établissement du dommage est fréquemment impossible, la jurisprudence du TF admet un calcul hypothétique du gain manqué selon la méthode de l’analogie avec la licence. Le dommage correspond alors à la redevance hypothétique qui aurait été convenue par des parties raisonnables à un contrat de licence. On peut se référer aux tarifs des sociétés de gestion. La méthode de l’analogie n’est toutefois admissible, selon le TF, que s’il s’avère qu’un contrat de licence aurait pu être conclu. D’après l’art. 35 LDA, les artistes interprètes ont une prétention en paiement lorsque des phonogrammes disponibles sur la marché sont utilisés, notamment à des fins de représentation. Il s’agit cependant d’un droit à rémunération légal, qui n’est pas soumis aux conditions de l’art. 41 CO (c. 5.2.1). D’après l’art. 51 al. 1 LDA et le tarif commun Hb, les organisateurs de manifestations récréatives avec de la musique doivent renseigner les sociétés de gestion. Les informations nécessaires sont à fournir dans les 30 jours, sinon les données peuvent être estimées par SUISA. En outre, le tarif commun Hb prévoit que la redevance peut être doublée lorsque la musique est utilisée sans autorisation ou lorsque l’utilisateur fournit des données fausses ou lacunaires afin de se procurer un avantage indû. Si l’utilisateur ne communique toujours pas les informations nécessaires, par écrit, dans les 30 jours suivant l’estimation, celle-ci est alors considérée comme reconnue (c. 5.2.2). Les tarifs des sociétés de gestion sont contraignants pour les tribunaux civils, sauf s’ils sont contraires à des dispositions légales impératives (c. 5.2.3). En l’espèce, des exécutions publiques de musique ont eu lieu sans que l’organisateur n’ait requis d’autorisation. Il y a donc une violation de l’art. 10 LDA et ainsi une illicéité par rapport au dommage causé. Le rapport de causalité entre les exécutions musicales et le dommage existe également. En ce qui concerne la faute, une personne raisonnable idéale qui organise chaque année une manifestation réunissant environ 1'000 personnes doit se préoccuper des exigences réglementaires. Une prolongation de l’heure normale de fermeture peut ainsi être nécessaire, de même qu’une patente ou un dispositif de sécurité. En effectuant de telles recherches, le défendeur aurait constaté l’obligation d’annoncer la manifestation à la demanderesse et de requérir une licence. Sa faute doit donc être reconnue (c. 5.3.1.2). Le défendeur a agi comme organe au sens de l’art. 55 al. 3 CC et a violé l’art. 10 LDA. Le dommage subi par la demanderesse est ainsi intervenu illicitement et l’exigence du rapport de causalité est remplie. En outre, le défendeur est en faute car il ne s’est pas suffisamment préoccupé des aspects réglementaires et n’a pas satisfait aux exigences de la demanderesse. Il répond ainsi personnellement et solidairement de la violation du droit d’auteur (c. 5.3.1.3). En revanche, l’art. 35 LDA prévoit une licence légale et n’est pas une norme qui justifierait une responsabilité solidaire et personnelle du défendeur en tant qu’organe. Seule l’association organisatrice est responsable du paiement de la redevance découlant du droit à rémunération (c. 5.3.2). Le dommage doit être calculé selon la méthode de l’analogie avec la licence. Il n’apparaît pas que le tarif commun Hb soit contraire à la loi. En particulier, le doublement de la redevance qu’il prévoit en l’absence d’autorisation a été admis par le TF, comme peine conventionnelle de droit privé. Puisque le défendeur, en tant qu’organe, a violé son devoir d’information vis-à-vis de la demanderesse, celle-ci était en droit de procéder à une estimation. Le tarif prescrit en outre un supplément de CHF 40.- lorsqu’aucune liste des morceaux exécutés n’est remise à la demanderesse. Mais seule la moitié de ce montant peut être ajoutée à la créance en réparation du dommage pour violation du droit d’auteur, l’autre moitié concernant la créance basée sur l’art. 35 LDA pour les droits voisins (c. 5.3.3). [VS]