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  • Abus de droit

02 mai 2011

TF, 2 mai 2011, 4A_78/2011 (d)

sic! 9/2011, p. 504-509, « Le-Corbusier-Möbel III » ; œuvre, œuvre des arts appliqués, meuble, individualité, Le Corbusier, imitation, contrat de vente, action en interdiction, action en cessation, abus de droit, conclusion, concurrence déloyale ; art. 2 al. 1 LDA, art. 2 al. 2 lit. f LDA, art. 62 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 1 lit. b LDA, art. 3 lit. d LCD, art. 3 lit. e LCD, art. 100 al. 1 LDIP, art. 118 LDIP.

À l'exception du remplacement de la condition de l'originalité par celle de l'individualité (c. 2.1), la définition de l'œuvre (art. 2 al. 1 LDA) n'a pas été modifiée par la LDA de 1992 (c. 2.4). Il n'y a pas de raison de revenir sur la décision du TF (ATF 113 II 190) selon laquelle le siège LC 1 ne présente pas un degré d'individualité suffisant (il est similaire à deux sièges créés antérieurement par des tiers) pour être qualifié d'œuvre (des arts appliqués [art. 2 al. 2 lit. f LDA]) et être protégé par la LDA (c. 2.4). Dans le cadre d'une action en interdiction (art. 62 al. 1 lit. a LDA) ou en cessation (art. 62 al. 1 lit. b LDA), le demandeur doit indiquer précisément ce qui doit être interdit au défendeur. Le juge est lié par les conclusions du demandeur (c. 3.2). En l'espèce, la vente, par les intimés (italiens), d'imitation de divers meubles « Le Corbusier » à des clients suisses est régie par le droit italien (art. 100 al. 1 LDIP, art. 118 LDIP) en vertu duquel l'acheteur devient propriétaire à la conclusion du contrat déjà. Il ne peut donc pas être considéré que les intimés — qui ne se chargent pas eux-mêmes du transport des meubles de l'Italie vers la Suisse, mais proposent les services d'un transporteur — vendent des meubles en Suisse (et y violent des droits d'auteur). Il n'y a pas d'abus de droit, car le droit d'auteur italien n'offre pas de protection à ces meubles et n'interdit donc ni leur fabrication ni leur mise en circulation (c. 3.4). Doit dès lors être rejetée la conclusion de la recourante tendant à interdire aux intimés de vendre en Suisse (« in der Schweiz zu verkaufen ») ces imitations de meubles (c. 3.4-3.7). Est en revanche admise la conclusion de la recourante tendant à interdire aux intimés de proposer au public, en particulier à la vente via Internet, ces meubles en Suisse (c. 3.3). La LCD ne prohibe en principe pas l'imitation. Si elle interdit l'utilisation de prestations dans des circonstances particulières relevant de la concurrence, elle ne protège pas pour autant ces prestations en tant que telles (c. 4.1). Du fait que, dans leur publicité pour l'imitation du siège LC 1, ils ne se réfèrent pas à « Le Corbusier », ni n'utilisent son nom, ni ne font allusion à la série de meubles « LC », ni ne font usage des expressions « Original-Qualität » ou « klassische Ausführung », les intimés ne violent pas l'art. 3 lit. d et e LCD (c. 4.2).

02 décembre 2011

OG ZH, 2 décembre 2011, LK110002-0/U (d)

sic! 6/2012, p. 378-386, « Le-Corbusier-Möbel IV » ; œuvre, œuvre des arts appliqués, individualité, Le Corbusier, auteur, coauteur, imitation, contrat de vente, abus de droit, usage privé, droit de mise en circulation, publicité, dommage, remise du gain, concurrence déloyale ; art. 42 al. 2 CO, art. 10 al. 2 lit. b LDA, art. 3 lit. d LCD, art. 100 LDIP, art. 118 LDIP

Vu l'ATF 113 II 190, les modèles de meubles LC2, LC3 et LC4 sont protégés par la LDA ; tel n'est en revanche pas le cas du modèle LC1 (c. V.1.2-V.1.3). Par ailleurs, selon l'Obergericht ZH, les modèles LC6 (Fig. 2a) et LC7 (Fig. 2b) sont protégés par la LDA, car leurs éléments ne sont pas purement fonctionnels (c. V.1.4-V.1.5). Heidi Weber n'a ni la qualité d'auteur d'une œuvre indépendante ou dérivée (c. 2.1) ni la qualité de coauteur des meubles en cause, car elle n'a procédé (avec l'accord de « Le Corbusier ») sur ces meubles qu'à des modifications mineures (simplifications pour la production en série, modifications d'ordre pratique, choix de nouveaux matériaux) qui n'ont pratiquement pas d'incidence sur leur design (c. V.2.2-V.2.3). La vente, par les défendeurs (italiens), d'imitation de meubles « Le Corbusier » à des acheteurs suisses est régie par le droit italien (art. 100 LDIP, art. 118 LDIP) en vertu duquel l'acheteur devient propriétaire à la conclusion du contrat, avec la fabrication de la chose ou avec son acquisition par le vendeur. Il ne peut donc pas être considéré que les défendeurs — qui ne se chargent pas eux-mêmes du transport des meubles de l'Italie vers la Suisse, mais proposent les services d'un transporteur — vendent (art. 10 al. 2 lit. b LDA) des meubles en Suisse (et y violent des droits d'auteur). Il n'y a pas d'abus de droit, car le droit d'auteur italien n'offre pas de protection à ces meubles et n'interdit donc ni leur fabrication ni leur mise en circulation (c. V.3.2.1-V.3.2.2). Peut rester ouverte la question de savoir si un acquéreur de ces meubles (qui, selon la LDA, violent les droits de la demanderesse) peut, en Suisse, se prévaloir de l'exception d'usage privé (c. V.3.2.2 in fine). Bien que la vente elle-même ne constitue pas une violation de la LDA (c. V.3.3.3), les défendeurs violent l'art. 10 al. 2 lit. b LDA en proposant à la vente en Suisse (grâce, notamment, à l'envoi de prospectus avec des prix en francs suisses à des adresses en Suisse, ainsi qu'à l'utilisation d'un site Internet en allemand consultable en Suisse) ces imitations de meubles (LC2, LC3, LC4, LC6 et LC7) (c. V.3.3.2). Du fait qu'ils ne font pas de publicité avec le nom « Le Corbusier » (et parfois même sans l'abréviation LC), qu'ils ne laissent pas entendre que leurs produits sont ceux de la demanderesse et qu'ils ont les mêmes coûts de production et de publicité que la demanderesse, les défendeurs ne violent pas la LCD (c. VI.1), en particulier l'art. 3 lit. d LCD, en lien avec le modèle LC1 (c. VI.2). Le fait que le défendeur 1 ait détruit des pièces nécessaires au calcul du dommage doit être apprécié en sa défaveur au sens de l'art. 42 al. 2 CO (c. VII.2.1-VII.2.2). Dans la fixation du dommage (art. 42 al. 2 CO), il convient de prendre en compte un bénéfice net de 10 % du prix de vente final des meubles, ce qui prend en considération le fait que les défendeurs ont les mêmes coûts que la demanderesse et le fait que l'absence de frais de licence pour les défendeurs est compensée par les prix plus bas pratiqués par les défendeurs (c. VII.2.4.2). Vu que ce ne sont que les actes de publicité qui sont illicites et qu'ils touchent avant tout les acheteurs individuels (et non les revendeurs), il convient d'estimer à 62 % du bénéfice net le gain à restituer à la demanderesse et de réduire encore légèrement ce montant afin de tenir compte du fait que d'éventuelles ventes du modèle LC1 ne violent ni la LDA ni la LCD (c. VII.2.4.3).

Fig. 2a – Table LC6
Fig. 2a – Table LC6
Fig. 2b – Chaise LC7
Fig. 2b – Chaise LC7

29 août 2007

TF, 29 août 2007, 4A_55/2007 (f)

sic! 3/2008, p. 209-213, « M6 II » ; action, M6, contrat de licence, qualité pour agir du preneur de licence, concurrence déloyale, abus de droit ; art. 62 LDA, art. 65 LDA, art. 2 LCD, art. 9 al. 1 LCD.

Selon la jurisprudence, le preneur de licence exclusif a qualité pour intenter en son propre nom les actions prévues aux art. 62 et 65 LDA lorsqu'il y a été autorisé, explicitement ou implicitement, par le titulaire des droits d'auteur. L'art. 62 al. 3 LDA et l'art. 65 al. 5 LDA, qui ne sont pas encore entrés en vigueur, prévoient que le titulaire d'une licence exclusive peut lui-même intenter l'action pour autant que le contrat de licence ne l'exclue pas explicitement. La nouvelle LDA clarifie donc la pratique jurisprudentielle du TF. La qualité pour agir en matière de concurrence déloyale est également reconnue au titulaire de la licence, lorsqu'un tiers viole les droits immatériels objets de la licence. Le fait d'actionner en concurrence déloyale un tiers plutôt que le donneur de licence, normalement censé faire respecter par les tiers les droits qu'il a conférés au preneur de licence, n'est pas abusif.

30 mai 2008

TF, 30 mai 2008, 4C.82/2007 (d)

sic! 10/2008, p. 732-735, « Gmail » ; JdT 2008 I 396 ; marque défensive, avantage financier, bonne foi, abus de droit, preuve, offre, contrat de vente, concurrence déloyale, usage sérieux ; art. 2 lit. d LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 2 LCD.

Les marques défensives — déposées non pas pour être utilisées, mais pour empêcher des tiers d’utiliser un signe identique ou similaire ou pour élargir le champ de protection d’une autre marque — sont nulles. Un enregistrement effectué pour obtenir de celui qui utilisait la marque jusque là un avantage financier ou d’un autre ordre intervient de manière contraire au principe de la bonne foi et au but de la protection offerte par le droit des marques. Il est déloyal au sens de l’art. 2 LCD. Celui qui se prévaut de la nullité d’une marque défensive doit établir que celui qui l’a enregistrée n’avait pas la volonté sérieuse de l’utiliser, ce qui peut être rapporté par des indices comme l’absence d’activité commerciale, le non-usage ou un usage simulé de la marque. La nullité des marques défensives ne découle pas seulement de leur non-utilisation au sens de l’art. 12 al. 1 LPM, mais constitue un cas particulier de perte du droit. Ainsi, lorsqu’un enregistrement est intervenu de manière abusive, son titulaire ne peut pas se prévaloir du délai de carence de l'art. 12 al. 1 LPM. Une simple offre de vente d'une marque ne permet pas de déduire le caractère abusif de son enregistrement. Par contre, si le dépôt d'une marque intervient pour négocier un prix de vente ou pour renforcer une position de négociation (et pas en vue d'une utilisation effective et sérieuse), l'enregistrement est abusif et la marque enregistrée nulle.

26 mai 2010

TAF, 26 mai 2010, B-7123/2009 (d)

Irrecevabilité, procédure d’opposition, recours, fax, délai, abus de droit, preuve ; art. 21 al. 1 PA, art. 21a PA, art. 52 al. 1 et 2 PA, art. 6 al. 2 OPM.

Est irrecevable le recours (contre une décision par laquelle l'IPI admet une opposition) transmis par fax au TAF le dernier jour du délai de recours (art. 21 al. 1 PA), même si la recourante fait finalement parvenir au TAF l'original du recours. Alors qu'elle est justifiée (bien que contraire à la jurisprudence plus stricte du TF) dans une procédure basée exclusivement sur un rapport entre le recourant et l'État, la pratique du TAF selon laquelle un court délai supplémentaire est accordé au recourant pour faire parvenir au TAF l'original du recours transmis par fax dans le délai de recours (art. 52 al. 2 PA) n'est pas appropriée dans une procédure impliquant une autre partie, dont il convient également de prendre les intérêts en compte et de protéger la confiance. Le comportement de la recourante est en outre constitutif d'un abus de droit et ne mérite pas d'être protégé puisque l'original du recours n'a été transmis au TAF que tardivement — après une décision du TAF constatant que le recours ne lui était parvenu ni avec une signature originale, ni avec l'expédition de la décision attaquée, ni avec les pièces invoquées comme moyens de preuve (art. 52 al. 1 PA) et fixant à la recourante un délai pour lui permettre de prouver le respect du délai de recours (ce qu'elle n'a pas pu faire) — alors que le recours avait été faxé au TAF avec la mention expresse « VORAB PER FAX » et avec l'indication que le recours serait par ailleurs envoyé au TAF par voie postale. La recourante ne peut pas se prévaloir de l'art. 21a PA, notamment en raison du fait que les écrits ne peuvent pas encore être communiqués au TAF par voie électronique au sens de cette disposition. Enfin, l'art. 6 al. 2 OPM est applicable uniquement aux procédures devant l'IPI.

OPM (RS 232.111)

- Art. 6

-- al. 2

PA (RS 172.021)

- Art. 21a

- Art. 21

-- al. 1

- Art. 52

-- al. 2

-- al. 1

13 septembre 2010

TAF, 13 septembre 2010, B-3064/2008 (d)

ATAF 2010/48 ; sic! 2/2011, p. 113-120, « Etanercept » ; certificat complémentaire de protection, méthodes d’interprétation, droit européen, décision étrangère, abus de droit ; art. 140c al. 1 et 3 LBI, art. 140f al. 1 lit. b LBI.

Il y a une certaine contradiction entre l'art. 140c al. 3 LBI, qui exclut des demandes ultérieures si un certificat complémentaire de protection (CCP) a déjà été délivré, et l'art. 140f al. 1 lit. b LBI, qui autorise des demandes dans un délai de six mois à compter de la délivrance du brevet, si elle a lieu après l'octroi de la première autorisation pour la mise sur le marché du produit en tant que médicament en Suisse (c. 2.2). L'interprétation — en particulier téléologique et au moyen du droit européen (dont le législateur suisse n'a pas entendu s'écarter) — d'un texte légal clair n'est pas exclue (c. 3 et 5.3 in fine). Selon le texte clair de l'art. 140c al. 3 LBI, il est exclu qu'un autre CCP soit délivré si un premier CCP a déjà été délivré (c. 4.1). L'art. 140f al. 1 lit. b LBI n'est pas seulement une disposition de procédure, mais également une disposition matérielle résultant d'une pesée des intérêts en jeu (c. 5.3). Selon l'art. 140c al. 1 LBI, le droit au CCP appartient au titulaire du brevet et non pas à la (première) personne qui a obtenu une — souvent coûteuse — autorisation officielle de mise sur le marché en tant que médicament en Suisse (c. 5.4). Sur le plan grammatical, l'art. 140c al. 3 LBI — dont certains éléments ne sont toutefois pas d'une parfaite clarté — prévoit que ce n'est que si aucun CCP n'a encore été délivré que les demandes pendantes de titulaires de brevets différents portant sur le même produit peuvent aboutir à la délivrance d'un CCP (c. 7.1). Cette interprétation n'est pas contredite par l'analyse sur le plan systématique de l'art. 140c al. 3 LBI, dont les incohérences sont issues du fait que les trois alinéas de l'art. 140c LBI proviennent de dispositions éparses du droit européen (Règlement [CE] no 1610/96 du 23 juillet 1996 concernant la création d'un certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques [JO no L 198 du 08.08.1996, p. 30-35]) (c. 7.2). Sur le plan historique, tant pour le législateur suisse que pour le législateur européen, l'art. 140c al. 3 LBI suppose plusieurs demandes de CCP simultanément pendantes (c. 7.3). En 2009, la CJUE (CJUE, 3 septembre 2009, C-482/07) a considéré qu'il n'était pas nécessaire que les demandes de CCP soient simultanément pendantes et qu'il était dès lors possible d'obtenir un CCP même si d'autres titulaires de brevets avaient déjà obtenu un CCP (c. 7.4). Avec une interprétation grammaticale de l'art. 140c al. 3 LBI, la Suisse ne suit pas cette jurisprudence de la CJUE alors que, en adoptant une législation sur les CCP, elle entendait justement calquer son niveau de protection sur celui de l'UE (c. 7.4). Cette interprétation grammaticale diverge également de l'interprétation téléologique de l'art. 140c al. 3 LBI, de laquelle il ressort que les CCP doivent, par la prolongation de la protection conférée par le brevet, permettre l'amortissement des investissements dans la recherche (c. 7.5.1-7.5.5). Vu le résultat de son interprétation, l'art. 140c al. 3 LBI doit n'interdire de délivrer un CCP qu'au titulaire de brevets portant sur le produit qui a déjà obtenu un CCP pour ce produit ; les titulaires d'autres brevets portant sur le même produit peuvent obtenir un CCP (c. 7.5.5-8.1). L'abus de droit (dont il n'y a aucun indice en l'espèce) est réservé (c. 8.2).

09 décembre 2011

TF, 9 décembre 2011, 4A_692/2011 (d)

Action, action en fourniture de renseignements, violation d’un brevet, cause à caractère pécuniaire, droit international privé, droit étranger, arbitraire, décision étrangère, contrat, prescription, délai, abus de droit ; art. 96 lit. b LTF, art. 2 al. 2 CC, art. 18 LDIP, art. 117 al. 2 et 3 LDIP, art. 148 LDIP, § 199 al. 1 dBGB.

En vertu des art. 117 al. 2 et 3 et 148 LDIP, le droit allemand est applicable à la demande de renseignements litigieuse (c. 2). D'après l'art. 96 lit. b LTF, dans une affaire pécuniaire, un recours ne peut être formé que pour application arbitraire (c. 2.2) du droit étranger désigné par le droit international privé suisse (c. 2.1). Les recourantes ont été condamnées en Allemagne, dans le cadre d'un jugement constatant la violation d'un brevet, à fournir à B. des renseignements portant sur la commercialisation de cartouches d'encre (c. A). Ne constitue pas une application arbitraire du § 199 al. 1 dBGB le fait de considérer que le délai de prescription (de 3 ans) — auquel est soumis le droit à des renseignements (au sujet d'informations auxquelles les recourantes n'avaient pas accès dans le cadre de leurs rapports contractuels avec l'intimée) litigieux (c. 3) — a commencé à courir le 31 décembre 2003, c'est-à-dire à la fin de l'année durant laquelle le jugement allemand a été rendu et durant laquelle les recourantes ont donc eu connaissance du fondement de leur droit à des renseignements à l'encontre de l'intimée. N'y change rien le fait que B. n'ait (par écrit), que le 25 février 2008, invité les recourantes à faire valoir leur droit à des renseignements à l'encontre de l'intimée (c. 3.1-3.2). En application de l'art. 18 LDIP et vu que la cause présente un lien suffisant avec la Suisse, c'est conformément au droit suisse (art. 2 al. 2 CC) que doit être jugée la question de savoir si l'exception de prescription est soulevée de manière abusive par l'intimée (c. 4.1). En l'occurrence, le comportement de l'intimée n'est pas constitutif d'un abus de droit (c. 4.2).

10 juin 2008

TF, 10 juin 2008, 4A_48/2008 (d)

sic! 11/2008, p. 820-823, « Radiatoren » ; péremption, violation d’un brevet, radiateur, abus de droit, bonne foi, arbitraire, délai ; art. 2 al. 2 CC, art. 72 LBI.

Le principe de la bonne foi dans les affaires implique que le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle le fasse valoir dès qu'il a connaissance du fait qu'une atteinte lui est portée et qu'il n'attende pas jusqu'au moment où il est devenu inadmissible d'exiger de l'auteur de la violation qu'il en supporte les conséquences. Toutefois, comme seul l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé, une péremption du droit d'agir ne doit pas être admise à la légère (c. 3). L'exigence, connue en droit des marques et selon laquelle l'auteur de la violation du droit de propriété intellectuelle doit avoir acquis une situation digne de protection, n'est pas transposable sans autre à la violation des autres droits de propriété intellectuelle. En matière de brevet d'invention, il convient, pour que les conséquences soient totalement insupportables pour l'auteur de la violation, qu'il ait pris, de bonne foi, des mesures qui ne soient pas facilement réversibles, comme c'est généralement le cas des dispositions prises pour produire ou pour vendre des biens; il faut au surplus que l'atteinte ait été tolérée pendant longtemps (près de dix ans en l'espèce [c. 4.4]) (c. 3.1). Le titulaire du brevet avait de bonnes raisons de penser que les radiateurs du défendeur violaient son brevet puisqu'ils faisaient eux-mêmes l'objet d'un brevet suisse dont il aurait pu demander la traduction à son agent de brevet (c. 4.2) et que deux spécimens s'étaient trouvés en sa possession (c. 4.4). Dans ces conditions, il n'est pas arbitraire de considérer que le titulaire du brevet pouvait prendre des mesures pour vérifier s'il y avait violation de son brevet (c. 4.3). Il n'est pas arbitraire non plus d'admettre la bonne foi du défendeur qui pouvait penser que la forme d'exécution de ses produits ne tombait pas dans le champ d'application du brevet (c. 4.5).

21 octobre 2013

TAF, 21 octobre 2013, B-40/2013 (d)

sic! 2/2014, p. 87, « Egatrol / Egatrol » ; usage de la marque, motifs relatifs d’exclusion, abus de droit, procédure d’opposition, vraisemblance, preuve, usage par représentation, usage sérieux, demande de transfert de marque ; art. 3 al. 1 lit. a LPM, art. 11 LPM, art. 12 LPM, art. 32 LPM.

Dans le cadre d'un recours au TAF en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque, l'abus de droit ne peut être invoqué qu'en lien avec les motifs relatifs d'exclusion et le non-usage de la marque opposante. À l'inverse, il n'y a pas à examiner la question de l'abus de droit sous l'angle du droit de la concurrence déloyale, des droits de la personnalité, du droit au nom, d'un accord de coexistence ou d'autres contrats (c. 1.2). La production à titre de preuve de la photographie d'un produit fabriqué par l'opposante et vendu en Angleterre, de quelques moyens publicitaires, de factures, de commandes, de confirmations de commandes et d'un mode d'emploi, qui sont non datés ou datés d'avant la période à considérer, ne permettent pas d'établir la vraisemblance de l'usage de la marque (c. 3.2). La simple énonciation d'une marque dans les documents relatifs à un dépôt de brevet européen ne constitue pas un usage sérieux et suffisant du signe en Suisse (c. 3.3). L'apparition de la marque, dans les informations de contact, à la fin d'un catalogue, ainsi qu'un communiqué de presse faisant état du caractère international des activités de l'entreprise et une offre de formation en Suisse, ne constituent pas des indices d'un usage sérieux et suffisant du signe en Suisse (c. 3.4). La demande de transfert de la marque par la défenderesse atteste de son absence de volonté d'exploiter la marque pour autrui. Dès lors, l'opposante ne saurait prétendre que la défenderesse a valablement utilisé la marque en Suisse en son nom. La défenderesse ne peut pas non plus déduire de la lettre de consentement et de l'accord de coexistence, qui n'abordent pas les questions de la titularité et de l'usage de la marque, un quelconque contrat de licence de marque tacite. Considérant ce qui précède, l'usage de la marque par un tiers n'apparaît pas vraisemblable (c. 3.5). Le recours est rejeté (c. 5). [AC]

05 décembre 2014

HG ZH, 5 décembre 2014, HG060392 (d)

sic! 5/2015 p. 316-323, « Oscar » ; motifs relatifs d’exclusion, risque de confusion admis, force distinctive, force distinctive faible, reprise d’une marque antérieure, similarité des signes, similarité des produits ou services, signe descriptif, signe libre, dilution de la force distinctive, usage de la marque, usage sérieux, territoire suisse, marque étrangère, péremption, bonne foi, abus de droit, priorité, action échelonnée, action en interdiction, action en fourniture de renseignements, jugement partiel, Oscar, télévision, mode, vin, divertissement, allemand, italien, Tessin, Italie, États-Unis ; art. 2 al. 2 CC, art. 2 lit. a LPM, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 1 LPM, art. 11 al. 3 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 14 al. 1 LPM, art. 55 al. 1 LPM.

La plaignante, une société américaine, est titulaire de la marque « OSCAR » et organise chaque année la cérémonie des Oscars du cinéma « Academy Awards ». La défenderesse exploite les chaînes de télévision RAI. La plaignante lui reproche d’avoir permis la diffusion sur le territoire suisse des émissions de divertissement « Oscar del Vino », « La Kore Oscar della Moda » et « Oscar TV », dans lesquelles des prix sont remis dans les domaines du vin, de la mode et de la télévision. La défenderesse allègue la péremption des prétentions de la demanderesse. La péremption d’une action, qui découle du principe de la bonne foi de l’art. 2 CC, n’est admise qu’à des conditions restrictives. À lui seul, l’écoulement du temps ne peut fonder l’abus de droit. Il faut en plus, en principe, que le titulaire des droits ait connaissance de la violation de ses droits, qu’il n’entreprenne rien pour les faire respecter et que le contrevenant ne puisse attribuer cette passivité à une ignorance. Lorsque le titulaire des droits, en usant de l’attention commandée par les circonstances, aurait pu se rendre compte de la violation de ses droits et agir plus tôt, on peut parfois admettre que le contrevenant ait pu conclure de bonne foi à l’existence d’une tolérance. La durée nécessaire pour admettre une péremption dépend des circonstances du cas d’espèce. La jurisprudence oscille entre des durées de quatre à huit ans (c. 3.3.3). En l’espèce, même si on devait admettre, comme le prétend la défenderesse, que la plaignante a pris connaissance en 2003 de la diffusion des émissions litigieuses en Suisse, le dépôt de la plainte, survenu dans les trois ans, constitue une réaction suffisamment rapide, d’autant plus que les émissions en cause ne sont diffusées qu’une fois par an. Par ailleurs, on ne peut conclure à une méconnaissance négligente de la plaignante, car on ne peut attendre d’une société américaine qu’elle surveille de façon permanente et continue toutes les émissions diffusées en Europe. Ce d’autant plus qu’il s’agit en l’espèce d’émissions diffusées en Suisse, une fois par année, par une société italienne (c. 3.3.4). Les prétentions de la demanderesse ne sont donc pas périmées (c. 3.3.5). Il est de notoriété publique que la plaignante est l’organisatrice de la cérémonie annuelle de remise des Oscars, diffusée en Suisse avec son accord par des chaînes de langue allemande, et faisant l’objet de reportages dans les médias suisses. Pour le consommateur suisse moyen, la marque « Oscar » est immédiatement reconnaissable comme un signe distinctif de la plaignante. La marque est donc utilisée. En relation avec les services protégés de divertissement, y compris de distribution de prix, l’usage, par la diffusion télévisuelle en Suisse, effectuée par un tiers avec le consentement de la plaignante, doit être qualifié de sérieux. Le fait que la cérémonie soit organisée à l’étranger n’y change rien (c. 3.5.4). La défenderesse allègue une dégénérescence de la marque. Puisque la cérémonie est diffusée sur tout le territoire suisse, une dégénérescence ne peut être admise que si elle s’opère sur tout le territoire. Tel n’est pas le cas en suisse allemande, où il est notoire que le terme « Oscar » ne représente pas un synonyme de « remise de prix », de « prix » ou de « distinction ». En lien avec des remises de prix, le terme « Oscar » est directement associé par le citoyen moyen ou par le téléspectateur moyen à la cérémonie annuelle des Oscars et aux statuettes qui y sont remises. Le fait que ce terme soit parfois utilisé en relation avec des remises de prix d’autres organisateurs n’y change rien (c. 3.6.3.2). Le signe « Oscar » possède une force distinctive en Suisse pour les services protégés en classe 41 de divertissement, y compris la distribution de prix pour des performances méritoires. Les téléspectateurs suisses rattachent directement les « Oscars » aux prix offerts par la plaignante. On ne saurait admettre qu’il s’agit d’une marque faible. Les exemples italiens fournis par la défenderesse pour invoquer une dilution sont dénués de pertinence en droit suisse, d’autant plus qu’il ne faut pas prendre en compte que l’utilisation du terme « Oscar » en langue italienne, mais aussi l’utilisation Suisse alémanique qui en est faite (c. 3.6.4.2). Les signes en cause sont similaires. Les ajouts « del Vino », « La Kore [...] della Moda » et «TV» sont descriptifs des domaines du vin, de la mode et de la télévision et ne permettent pas de distinguer suffisamment ces signes de la marque de la plaignante. Les services sont eux aussi similaires, et le risque de confusion doit être admis (c. 3.6.4.3). Un droit de continuer l’usage présuppose un lien direct avec la Suisse, impliquant une couverture du marché suisse. La présence sur le marché n’est pas suffisante lorsque les prestations sont rendues accessibles au consommateur final plus par hasard que d’une manière contrôlée. Le fait que les émissions aient pu être captées dans certaines parties du Tessin ne constitue pas un usage du signe en Suisse (c. 3.7.4). Par l’usage du signe « Oscar » dans les trois émissions en cause, la défenderesse a donc violé les droits à la marque de la plaignante (c. 3.8). Le tribunal fait droit aux conclusions en cessation (c. 4.1.4) et, dans le cadre d’une action échelonnée, en fourniture de renseignements (c. 4.3.7). [SR]

14 janvier 2014

HG ZH, 14 janvier 2014, HE130197 (d) (mes. prov.)

ZR 113/2014, p. 109-113 ; usage de la marque, similarité des produits et services, catégorie générale de produits ou services, terme générique, vraisemblance, preuve de l’usage d’une marque, usage à titre de marque, usage sérieux, transfert de la marque, moyens de preuves, date de dépôt, abus de droit, meuble, lits, literie ; art. 12 LPM.

Les lits peuvent être subsumés sous le terme générique de meubles. En effet, pour le grand public, les lits font partie du mobilier et les grands distributeurs de meubles proposent des lits dans leur assortiment de meubles. De même, il faut admettre la similarité entre les lits, d'une part, et les articles de literie, d'autre part. Là aussi, les établissements qui font commerce de lits proposent également tout l’équipement nécessaire en matière de literie. Il peut même être considéré que certains articles sont déjà compris dans le terme générique lits, comme les matelas, les parures de lit ou les couvre-lits. Cet assortiment de produits constitue une prestation formant un tout cohérent (c. 8). Lorsque le non-usage d’une marque est invoqué, c’est le principe negativa non sunt probanda qui s’applique et par conséquent, les exigences quant à la vraisemblance du non-usage ne sont pas très élevées. Ainsi, le fait que la marque en question n’ait été prolongée que durant le délai de grâce, puis rapidement transférée à la demanderesse est un indice sérieux que la marque n’a pas fait l’objet d’un réel usage par son précédent titulaire. De même, la défenderesse aurait dû contester de manière substantielle l’allégation de la demanderesse, lorsque celle-ci argue qu’en tant que spécialiste de la branche, elle n’a jamais entendu parler de cette marque. En effet, la défenderesse aurait pu facilement obtenir des informations concernant l’usage de la marque auprès du tiers qui lui a cédé la marque. Le non-usage de la marque est donc rendu vraisemblable, alors que l’usage de la marque n’est pas prouvé (c. 9.1). Il est établi que la défenderesse a repris l’utilisation de la marque en question (sur des cartes de visite, des quittances, des rubans pour les cadeaux et des sachets plastiques) avant que la demanderesse n’invoque le non-usage de cette marque. La défenderesse a ainsi obtenu la restitution du droit à la marque avec effet à la date de la priorité d'origine, qui est antérieure à la date de priorité de l’enregistrement de la demanderesse (c. 9.3). En acquérant cette marque antérieure, puis en en reprenant l’usage rapidement, la défenderesse n’a commis aucun abus de droit. Ce d’autant plus qu’elle utilisait déjà cette marque en Allemagne et qu’elle a fait une offre raisonnable à la demanderesse (c. 9.4). La défenderesse possède un droit préférable à celui de la demanderesse (c. 10). La demande de mesures provisoires est rejetée (c. 11). [AC]

15 septembre 2016

TF, 15 septembre 2016, 4A_317/2016 (d)

Livre, journal, presse, imprimé(s), produit(s) d’imprimerie, édition, service(s) de publication, inscription d’une licence, licence, usufruit, effet(s) relatif(s) des contrats, faillite, interprétation du contrat, principe de la confiance, abus de droit ; art. 18 CO, art. 18 LPM, art. 19 LPM.

En vertu de l’art. 19 LPM, la marque peut faire l’objet d’un usufruit qui n’est opposable aux tiers de bonne foi qu’après son enregistrement au registre des marques. Pour répondre à la question de savoir si un usufruit sur une marque est institué en faveur d’une des parties à un contrat, il convient d’interpréter ce dernier selon le principe de la confiance lorsque la réelle et commune intention des parties ne peut pas être établie. La volonté probable des parties doit ainsi être déterminée de la manière dont leurs déclarations de volonté auraient pu et dû être comprises par leurs destinataires respectifs en fonction de l’ensemble des circonstances selon le principe de la bonne foi. Lorsque le contrat mentionne l’octroi d’une licence exclusive et gratuite, et ne fait à aucun moment usage du terme « usufruit », il n’y a pas lieu de retenir qu’il instituerait un usufruit plutôt qu’une licence ; ceci même si une interprétation selon le principe de la confiance permet parfois, au vu des circonstances, de donner une signification différente à un terme juridique utilisé par les parties (c. 2.4). Selon l’art. 18 LPM, le titulaire de la marque peut autoriser des tiers à l’utiliser sur l’ensemble ou sur une partie du territoire suisse pour tout ou partie des produits ou des services enregistrés (al. 1). À la demande d’une partie, la licence est inscrite au registre. Elle devient ainsi opposable à tout droit à la marque acquis postérieurement (al. 2). Dans le cas d’espèce, la licence n’avait pas été inscrite au registre, mais son bénéficiaire (le recourant) prétendait pouvoir l’opposer à un tiers qui avait acquis la marque dans le cadre de la faillite du donneur de licence, parce que ce tiers connaissait l’existence de la licence au moment de l’acquisition de la marque. La licence crée un droit relatif de nature contractuelle imposant au titulaire de la marque d’en tolérer l’usage par un tiers, le droit à la marque continuant d’appartenir à son titulaire. Pour la doctrine majoritaire, le contrat de licence ne crée pas un droit à la marque elle-même, mais seulement une prétention de nature contractuelle à l’égard du titulaire de la marque, à ce qu’il en tolère l’usage par le bénéficiaire du droit relatif correspondant. Il n’est pas contesté qu’un contrat de licence non inscrit au registre ne déploie un effet relatif que vis-à-vis du donneur de licence. Seuls les contrats de licence qui sont inscrits au registre des marques bénéficient d’un effet absolu et réel et ne se terminent pas automatiquement au moment de la faillite du donneur de licence. L’inscription au registre a un effet constitutif en ce qu’elle rend le contrat de licence opposable également au titulaire ultérieur du droit à la marque. Comme un contrat de licence non inscrit n’a qu’un effet relatif vis-à-vis du donneur de licence, seul ce dernier est obligé par le contrat. Par conséquent, une licence non inscrite ne saurait être opposée à un acquéreur ultérieur de la marque, indépendamment de sa connaissance de l’existence du contrat de licence (c. 2.5). Le recours est rejeté. [NT]

12 juillet 2017

TAF, 12 juillet 2017, B-5129/2016 (f)

sic! 11/2017, p. 654 (rés.), « Chrom-Optics | Chrom-Optics » ; usage de la marque, usage à titre de marque, défaut d’usage, invocation du défaut d’usage, juste motif pour le non-usage d’une marque, usage par représentation, procédure d’opposition, délai de grâce, abus de droit, groupe de sociétés, filiale, peinture, renvoi de l’affaire, motifs relatifs d’exclusion, recours admis ; art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 12 LPM, art. 31 LPM, art. 32 LPM.

Marque(s) attaqué(s)
Marque(s) opposante(s)

CHROM-OPTICS

CHROM-OPTICS

Classe 2 : Inhibiteurs de rouille comme revêtements ; agents de revêtement ayant des propriétés hydrofuges ; peintures, vernis, laques.

Classe 7 : Installations et machines pour le revêtement de surfaces.


Classe 40 : Traitement des matériaux ; revêtement de surfaces métalliques ou plastiques ; revêtement de surfaces à haute brillance ; traitement de pièces métalliques pour la protection contre la corrosion.

Classe 2 : Peintures, vernis, laques ; revêtements, revêtements brillants, poudres pour revêtements (…)

Classe 7 : Installations de peinture ; installations pour l'application de revêtements, installations pour l'application de revêtements brillants.


Classe 40 : Traitement des matériaux ; revêtement de surfaces, revêtement haute brillance de surfaces ; revêtement et revêtement haute brillance de substrats métalliques et non métalliques.

Contenu de la décision

Produits faisant l’objet de l’opposition

--

Cercle des destinataires pertinent et degré d’attention des consommateurs

--

Identité/similarité des produits et services

--

Similarité des signes

--

Force distinctive des signes opposés

Force distinctive de la marque attaquée

--



Force distinctive de la marque opposante et champ de protection

--

Risques de confusion admis ou rejetés / motifs

--

Divers

Selon la doctrine, les justes motifs permettant d’excuser le non-usage d’une marque au-delà de la période de grâce peuvent exclusivement consister en des faits qui se situent en dehors de la sphère d’influence du titulaire. Il s’agit par exemple des cas de restrictions commerciales et de défaut d’autorisation officielle. Il est contesté que des difficultés opérationnelles de production ou des problèmes techniques inattendus puissent également constituer de justes motifs (c. 4.1). L’acquisition d’une marque ne refait pas courir un nouveau délai de grâce de cinq ans. Le fait qu’au moment de l’acquisition de la marque, quatre années de la période de grâce s’étaient déjà écoulées ne constitue pas un juste motif, pas plus que le fait que le titulaire précédent rencontrait des difficultés de production en raison d’un défaut de fabrication d’un cocontractant, puis que ce titulaire précédent ait été déclaré en liquidation. Le titulaire de la marque opposante ne peut faire valoir aucun usage de la marque au cours de la dernière année du délai de grâce. Dans ce contexte, il semble logique que l’IPI ait nié l’existence de justes motifs pour le non-usage de la marque opposante (c. 4.2). La question peut toutefois rester ouverte, étant donné qu'aucune protection juridique ne doit être accordée à l'invocation de l’exception du non-usage de la marque opposante par le titulaire de la marque attaquée comme exposé ci-dessous (c. 4.3). L’interdiction de l’abus de droit peut également être invoquée dans les procédures d’opposition à l’enregistrement d’une marque et dans les recours au TAF en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque. Toutefois, compte tenu de l’objet limité de ces procédures, cet argument ne peut être invoqué qu’en lien avec un moyen disponible dans ces procédures, par exemple l’exception du non-usage de la marque (art. 12, 31 et 32 LPM). Les arguments fondés sur le droit à l'équité, les droits de la personnalité ou les droits au nom, les accords de coexistence en vertu du droit civil et d'autres contrats ne peuvent pas être entendus et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une révision pour abus de droit ; l'application de ces droits appartient aux tribunaux compétents respectifs (c. 5.1). Le précédent titulaire de la marque opposante était une filiale du titulaire de la marque attaquée. Quiconque transfère une marque, puis l'enregistre à nouveau à l’identique et se défend par la suite dans une procédure d'opposition en invoquant le défaut d'usage à l’encontre de la marque antérieure transférée, agit de manière abusive. Le fait que le titulaire précédent était une filiale et que le titulaire de la marque attaquée soit la société mère n’y change rien. La possibilité d’organiser plusieurs sociétés au sein d’un groupe n'a pas pour fonction de légitimer un comportement juridiquement problématique. Par ailleurs, au sein d’un groupe, l’usage d’une marque appartenant à une société peut être validé par l’usage qu’en fait une autre société affiliée (usage par représentation). Dès lors, le comportement abusif d’une société doit également pouvoir être opposé à une autre société affiliée (c. 5.3).

Conclusion : le signe attaqué est enregistré / refusé

Le recours doit donc être admis au principal et l’affaire doit être renvoyée à l’IPI pour examiner le risque de confusion (c. 5.3). [AC]


18 octobre 2017

TAF, 18 octobre 2017, B-3328/2015 (d)

sic! 4/2018, p. 201 (rés.), « Stingray │ Roamer Stingray » ; motifs relatifs d’exclusion, cercle des destinataires pertinent, grand public, consommateur final, degré d’attention moyen, similarité des produits ou services, reprise d’une marque antérieure, similarité des signes, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan sémantique, force distinctive moyenne, besoin de libre disposition, usage de la marque, marque de série, risque de confusion admis, moyens de preuve nouveaux, novae, violation du droit d’être entendu, triplique, maxime d’office, effet de guérison du recours, abus de droit, abus du pouvoir d’appréciation, reformatio in peius vel melius, montres, mouvements, cadran, stingray, roamer, galuchat, recours rejeté ; art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 6 LPM, art. 31 al. 1 LPM.


Marque(s) attaqué(s)
Marque(s) opposante(s)

ROAMER STINGRAY

STINGRAY

Classe 14 : Tous produits horlogers, montres, mouvements de montres, boîte de montres, cadrans de montres et parties de montres.

Contenu de la décision

Produits faisant l’objet de l’opposition

Classe 14: Tous produits horlogers, montres, mouvements de montres, boîte de montres, cadrans de montres et parties de montres.

Cercle des destinataires pertinent et degré d’attention des consommateurs

Les produits revendiqués en classe 14 « montres sans bracelet » s’adressent au grand public, donc aux consommateurs finaux, qui font preuve d’un degré d’attention moyen (c. 6.2).

Identité/similarité des produits et services

Les « montres sans bracelet » revendiquées par la marque opposante en classe 14 constituent un terme générique englobant les « mouvements de montres, cadrans de montres » revendiqués par la marque attaquée. Les produits sont similaires (c. 7).

Similarité des signes

La marque opposante « Stingray » est entièrement reprise dans la marque attaquée « Roamer Stingray » (c. 8.1). L’élément « Stingray » demeure clairement reconnaissable, tant sur le plan visuel que sur le plan sonore (c. 8.2). Les mots anglais « stingray » et « roamer » ne font pas partie du vocabulaire anglais de base (c. 8.3.1-8.3.2). Si les destinataires ne comprennent pas la signification des mots anglais présents dans les marques examinées, celles-ci ne peuvent pas se distinguer pas une signification différente l’une de l’autre (c. 8.3.2).

Force distinctive des signes opposés

Force distinctive de la marque attaquée :


-

-



Force distinctive de la marque opposante et champ de protection



Puisque les consommateurs ne comprennent pas le sens du mot anglais « stingray », ils ne peuvent pas considérer la marque opposante comme une description de la matière dans laquelle les produits revendiqués pourraient être réalisés. La marque opposante « Stingray » n’appartient donc pas au domaine public, et jouit même d’une force distinctive normale (c. 9.1.2). Même si les destinataires comprenaient la signification du mot anglais « stingray », il leur faudrait un tel effort d’imagination et de réflexion pour arriver à la conclusion que des montres ou des parties de montres peuvent être composées de cette matière que ce terme ne serait toujours pas descriptif (c. 9.1.3). Compte tenu de ce qui précède, le mot anglais « stingray » n’est pas frappé d’un besoin de libre disposition, ce d’autant plus que le terme spécifique en français « galuchat » peut également être utilisé (c. 9.2).


Risques de confusion admis ou rejetés / motifs

Il existe un risque de confusion entre les marques examinées (c. 10).


Divers

La défenderesse demande à ce que les nouveaux arguments et moyens de preuve présentés par la demanderesse dans son dernier échange d’écriture ne soient pas pris en considération, car il s’agirait de novae (c. 2.1-2.1.1). Le TAF considère qu’il ne s’agit pas de novae, car les passages incriminés répètent une position déjà défendue dans un précédent échange d’écritures, et les moyens de preuves concernent des marques potentiellement similaires déjà enregistrées. De plus, quand bien même il devrait s’agir de novae, celles-ci devraient être admises aussi longtemps qu’elles concernent l’objet du litige et sont pertinentes pour la décision à prendre (c. 2.1.2). La défenderesse se plaint également d’une violation de son droit d’être entendue, en raison du fait que l’autorité précédente n’aurait pas pris en considération sa triplique. S’il y a bien en l’espèce une violation de son droit à être entendue, elle se révèle peu déterminante, car la triplique se bornait à citer de nombreux passages ou à répéter expressis verbis les arguments développés dans la duplique (c. 4.2). Compte tenu de la maxime d’office qui prévaut pour la procédure d’opposition à l’enregistrement d’une marque, l’autorité précédente est bien habilitée à mener des recherches supplémentaires et à utiliser les éléments qui en résultaient pour motiver sa décision, et ce quand bien même les parties ont produit des argumentations et des moyens de preuve sur cette question. Par ailleurs, elle n’a pas à discuter de ces éléments supplémentaires avec les parties avant de les utiliser pour fonder sa décision. Au surplus, son argumentation n’est pas surprenante. Il n’y a donc pas de violation du droit d’être entendu sous cet angle (c 4.3). Étant donné que les violations du droit d’être entendu qui ont été constatées et celles qui sont évoquées, mais qui n’ont pas été tranchées de manière définitive, s’avèrent toutes légères et sans grande influence sur la décision attaquée, que les parties ont été entendues à ce sujet et que le TAF dispose d’un plein pouvoir de cognition sur ces questions, le recours déploie un effet de guérison sur la violation du droit d’être entendu (c. 4.4). La demanderesse soutient que l’instance précédente est tombée dans l'arbitraire ou a abusé de son pouvoir d’appréciation, car elle a refusé la protection de la marque pour les « mouvements de montres, cadrans de montres » tout en accordant simultanément la protection de la marque à tous les « produits horlogers, montres, parties de montres ». Or, « les mouvements de montres, cadrans de montres » peuvent être facilement subsumés sous les « produits horlogers, montres, parties de montres » qui ont été autorisés. À cet égard, il convient de reconnaître que l’instance précédente n’a pas rendu un verdict cohérent. Elle aurait dû utiliser des disclaimers pour les libellés officiels, afin d’exclure les produits qui peuvent être subsumés sous ces termes. Cette incohérence peut être considérée comme contraire au droit fédéral (c. 4.5). En résumé, on peut dire que le tribunal inférieur a effectivement violé le droit fédéral dans sa décision, bien qu’il ne s’agisse pas de violations graves. Dans la mesure où la procédure d'opposition en matière de marques sert principalement à faire respecter les intérêts privés des titulaires de marques et moins l'intérêt public, la décision de l’instance précédente ne viole pas le droit fédéral au point que l'application d'une reformatio in peius vel melius – demandée par la défenderesse – serait justifiée. Ainsi, l'intérêt de la demanderesse à maintenir la partie de la décision rendue qu'elle ne conteste pas prévaut (c. 4.6). La demanderesse prétend que l’élément « Roamer » de sa marque fait l’objet d’un usage intensif, de sorte qu’il jouit d’une force distinctive forte et qu’il ne peut donc pas y avoir de risque de confusion (c. 9.3). Étant donné que, dans les procédures d’opposition à l’enregistrement d’une marque, c’est la date de priorité de dépôt qui prévaut et non la date de priorité de l’usage, les moyens de preuves présentés ne sont pas pertinents (c. 9.3.1). La demanderesse tente de tirer profit pour sa marque attaquée de la règle jurisprudentielle d’une force distinctive accrue pour la marque opposante du fait de l’existence d’une marque de série. Cette jurisprudence relative à la marque opposante ne peut pas être appliquée par analogie à la marque attaquée. Cette logique ne peut pas être suivie pour la marque attaquée, car elle reviendrait à vider de sa substance le principe de la priorité du dépôt, puisque le titulaire d’une marque antérieure ne pourrait plus s’opposer avec succès à l’enregistrement d’une marque identique ou similaire postérieure du fait que celle-ci relèverait de la catégorie des marques de série (c. 9.3.2).

Conclusion : le signe attaqué est enregistré / refusé

Il existe un risque de confusion entre les marques examinées. La marque attaquée doit être refusée à l’enregistrement. Le recours est rejeté (c. 10). [AC]


28 décembre 2020

TF, 28 décembre 2020, 4A_265/2020 (d)

Motifs relatifs d’exclusion, similarité des produits ou services, similarité des signes, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sémantique, risque de confusion, cercle des destinataires pertinents, consommateur moyen, degré d’attention moyen, force distinctive faible, force distinctive accrue par l’usage, usage de la marque, usage à titre de marque, interruption de l’usage de la marque, délai de grâce, action en interdiction, action en constatation de la nullité d’une marque, intérêt digne de protection, nullité d’une marque, marque défensive, marque combinée, marque verbale, logo, territorialité, territoire suisse, lien géographique suffisant, apposition de signe, dilution de la marque, péremption, abus de droit, site Internet, blocage de sites Internet, nom de domaine, contournement, lumière, lampe, luminaire, Coop, recours rejeté ; art. 2 al. 2 CC, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 1 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 13 al. 2 lit. e LPM, art. 52 LPM, art. 55 LPM, art. 55 al. 1 lit. a LPM.

La défenderesse, le groupe Coop, est titulaire de la marque combinée « Lumimart » (fig. 1), déposée en 1996 en classe 11 pour des appareils et équipements d’éclairage. Elle détient une filiale qui distribue des luminaires et des sources lumineuses sous ce nom. Sur son site Internet www.lumimart.ch, elle utilise depuis 2018 un nouveau logo (fig. 2). La recourante, Luminarte GmbH, est une société allemande qui distribue le même types de produits en Suisse, sous le nom de « Luminarte ». Elle est titulaire de la marque verbale « Luminarte », déposée en 2013. En 2020, le tribunal de commerce du canton d’Argovie a constaté la nullité de la marque suisse « Luminarte » (sauf pour certains produits spécifiques), et a interdit à la demanderesse de commercialiser des luminaires et des sources lumineuses en Suisse sous ce signe. Selon le principe de territorialité, les droits de propriété intellectuelle et les prétentions découlant de la loi contre la concurrence déloyale sont limités au territoire de l’Etat qui accorde la protection. Par conséquent, l’action de l’art. 55 LPM ne permet d’interdire que les actes qui ont lien géographique suffisant avec la Suisse. La demande de l’intimée d’interdire certaines pratiques en Suisse ne constitue donc pas une « interprétation extensive de la territorialité du droit Suisse », comme le prétend la recourante, mais plutôt une conséquence du principe de territorialité (c. 5.2). En outre, contrairement à ce que soutient la recourante, le simple fait d’offrir la possibilité technique de consulter un signe sur Internet ne constitue pas un usage tombant sous le coup du droit suisse des marques. L’usage suppose un lien qualifié avec la Suisse, comme par exemple une livraison en Suisse ou une indication des prix en francs suisses. Il ne saurait être question d’interdire à la recourante d’être présente sur Internet dans le monde entier, d’autant plus qu’il est techniquement possible de bloquer l’accès à un site web aux utilisateurs d’un pays spécifique. La question de savoir si les mesures de géoblocage peuvent être contournées par des moyens techniques sophistiqués, comme le prétend la recourante, n’est pas pertinente (c. 5.3). Le prononcé d’une interdiction sur le fondement de l’art. 55 al. 1 lit. a LPM suppose l’existence d’un intérêt juridiquement protégé à obtenir l’interdiction, qui n’existe que lorsqu’une atteinte menace, c’est-à-dire lorsque le comportement visé fait sérieusement craindre un acte illicite dans le futur (c. 6.1). La recourante considère que la défenderesse n’a pas utilisé le logo déposé comme marque combinée depuis septembre 2018, et qu’elle n’aurait par conséquent d’intérêt juridiquement protégé ni à obtenir l’interdiction de l’usage litigieux, ni à faire constater la nullité de sa marque. La question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de l’existence d’un intérêt juridiquement protégé, mais plutôt de savoir dans quelle mesure le titulaire d’une marque qu’il n’utilise pas peut se prévaloir de son droit à la marque (c. 6.3.1). Selon l’art. 11 al. 1 LPM, la protection n’est accordée que pour autant que la marque soit utilisée en relation avec les produits ou les services enregistrés. L’art. 12 al. 1 LPM prévoit qu’à l’expiration d’un délai de grâce de cinq ans, le titulaire qui n’a pas utilisé la marque en relation avec les produits ou les services enregistrés ne peut plus faire valoir son droit à la marque. La doctrine admet que le délai de grâce ne s’applique pas seulement pendant la période comprise entre l’enregistrement et la première utilisation, mais aussi en cas d’interruption de l’utilisation après que celle-ci a déjà commencé. Cela est également indiqué par l’art. 12 al. 2 LPM, qui mentionne la « reprise » de l’utilisation (c. 6.3.2). La juridiction inférieure a considéré que la marque de la défenderesse n’ayant pas été utilisée depuis septembre 2018, elle bénéficiait encore du délai de grâce de l’art. 12 al. 1 LPM, et que la défenderesse pouvait donc encore faire valoir son droit à la marque à l’encontre de la recourante. Cette dernière soutient qu’en l’espèce, l’usage de la marque a été définitivement abandonné, ce qui entraînerait l’inapplicabilité du délai de grâce (c. 6.3.3). Si l’usage de la marque peut cesser pendant la période de grâce de cinq ans sans atteinte au droit à la marque, il est toutefois exact que la règle de l’art. 12 LPM ne protège pas les marques enregistrées de manière abusive. Les marques qui ne sont pas déposées dans le but d'être utilisées, mais qui sont destinées à empêcher l'enregistrement de signes correspondants par des tiers ou à accroître l'étendue de la protection des marques effectivement utilisées, ne peuvent prétendre à la protection. En particulier, le titulaire d'une telle marque défensive ne peut pas invoquer le délai de grâce de cinq ans pour l'usage en vertu de l'article 12 al. 1 LPM. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la doctrine, principalement francophones, qui considère que l’abandon de la marque entraîne également une perte (définitive) des droits avant la fin du délai de grâce de cinq ans. Il s’agit de cas d’abus dans lesquels la marque est défendue sans qu’il n’y ait d’intention de l’utiliser à nouveau. De telles circonstances n'ont pas été établies en l'espèce. La défenderesse a utilisé le signe de manière continue pendant 20 ans en relation avec les produits pour lesquels la marque est revendiquée, et il n’apparaît pas qu’elle soit utilisée de manière défensive. Le simple fait que la défenderesse ne paraisse pas utiliser la marque actuellement ne permet pas de conclure à un abus. C'est par conséquent à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que la marque est encore protégée et que la défenderesse peut faire valoir son droit à la marque (c. 6.3.4). En lien avec l’action en interdiction, la recourante fait valoir que l’instance précédente a conclu à tort à l’existence d’un motif relatif d’exclusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 7). Pour déterminer s’il existe une similarité de produits au sens de cette disposition, les produits pour lesquels la marque de la défenderesse est enregistrée doivent être comparés aux produits ou services pour lesquels il existe la menace d’un usage (c. 7.2). La défenderesse revendique la protection pour des appareils et équipements d’éclairage (classe 11). C’est à raison que l’instance précédente a conclu que ces produits sont similaires à ceux de la recourante. Même les armatures et équipements d’éclairage sont étroitement liés aux produits d’éclairage. En particulier, l'un ne peut être utilisé utilement sans l'autre. Ces produits sont perçus dans leur ensemble par le public. Ils ont la même finalité et sont destinés à des groupes de clients similaires (c. 7.3). La recourante estime que sa présence sur le marché suisse est limitée à la vente en ligne (dans les catégories des luminaires et des équipements d'éclairage). Les produits qu'elle vend proviendraient exclusivement de tiers et seraient identifiés comme tels. Le signe « Luminarte » qu'elle utilise ne serait donc pas associé par le consommateur suisse moyen aux luminaires, mais serait compris comme une indication se rapportant à ses services commerciaux. En particulier, ses activités ne relèveraient pas des classes de produits 9 et 11. Elle n'utiliserait pas les signes en cause à titre de marques, mais en ferait uniquement usage à d’autres fins, dont la désignation d’une boutique un ligne et d’un site web, et sur des documents commerciaux. La recourante se réfère à une ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle l’utilisation d’un signe pour nommer un magasin et sur des sacs cabas ne tombe pas sous le coup du droit des marques. Étant donné qu’elle n'a pas apposé les signes sur les produits eux-mêmes, la défenderesse ne pourrait selon elle pas faire interdire l'utilisation des signes litigieux (c. 7.4.1). Sous l'empire de l'ancienne loi sur les marques, abrogée le 1er avril 1993, la pratique du Tribunal fédéral était en effet que le droit à la marque d'un tiers ne pouvait être violé que par l'utilisation d'un signe sur le produit lui-même ou sur son emballage. Le législateur a estimé que cette situation juridique n'était pas satisfaisante, et s’est explicitement écarté de la pratique précitée du Tribunal fédéral en adoptant l’art. 13 al. 2 lit. e LPM dans la nouvelle loi sur la protection des marques de 1992. Ainsi, le titulaire de la marque peut interdire à des tiers l’usage de signes dont la protection est exclue en vertu de l’art. 3 al. 1 LPM sur des papiers d’affaires, à des fins publicitaires ou de quelque autre manière dans la vie des affaires. Cette notion doit être comprise dans un sens large ; elle couvre également l'usage d'un signe qui n'est pas directement lié aux produits ou aux services concernés (c. 7.4.2). La situation juridique créée par l'article 13 al. 2 lit. e LPM prive les arguments de la demanderesse de tout fondement. Il est incontestable qu'elle utilise le signe « Luminarte » (y compris le logo et le nom de domaine) à titre de marque. Le fait que les produits qu'elle vend ne portent pas ce signe est sans importance. La demanderesse se fonde essentiellement sur l'allégation selon laquelle elle fournit un service, alors que la marque de l'intimé n'est protégée que pour des produits. Or, selon les constatations de la juridiction inférieure, le « service » de la recourante consiste essentiellement en la vente de luminaires et d'appareils d'éclairage, c'est-à-dire les produits pour lesquels la marque de la défenderesse revendique la protection. Il existe donc un lien si étroit que l'offre de la recourante est facilement perçue comme liée à celle de la défenderesse. En outre, il n’est pas exact que les biens sont en soi dissemblables des services. Selon la jurisprudence, la similitude entre les services, d'une part, et les marchandises, d'autre part, doit être présumée, par exemple s'il existe un lien habituel sur le marché en ce sens que les deux produits sont typiquement proposés par la même entreprise sous la forme d'un ensemble de services uniforme. En l'espèce, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a affirmé la similarité au sens de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM, et il ne fait aucun doute que la défenderesse peut faire valoir l’art. 13 al. 2 lit. e LPM à l’encontre de la recourante. La question de savoir si la vente de produits sur Internet constitue un service au sens du droit des marques ou si la marque est utilisée pour identifier les produits vendus en eux-mêmes peut rester ouverte (c. 7.4.3). L’art. 3 al. 1 lit. c LPM suppose l’existence d’un risque de confusion (c. 8), que l’instance précédente a admis à raison (c. 8.3). Comme elle l’a expliqué à juste titre, les appareils et équipements d’éclairage sont vendus dans des magasins spécialisés et dans des magasins de meubles, ainsi que dans des grandes surfaces destinées au grand public. Les destinataires achètent ces produits avec un degré d’attention moyen, plus élevé que pour les biens de grande consommation d’usage courant (c. 8.3.1). Le tribunal de commerce a considéré que la marque de la recourante, bien que composée d’éléments descriptifs, bénéficie d’une certaine force distinctive, qui doit être considérée comme faible. Toutefois, il a constaté que cette force distinctive s’est accrue avec l’usage, en se fondant notamment sur l’utilisation de longue date du signe depuis 1998, sur la large diffusion des magasins spécialisés portant le signe ainsi que sur les efforts publicitaires intensifs consentis. Le Tribunal fédéral est lié par ces constatations (c. 8.3.2.1). Il faut donc admettre, comme l’a fait l’instance précédente, que la marque de la défenderesse possède une force distinctive accrue, et un large champ de protection (c. 8.3.2.4). La comparaison des signes « Lumimart » et « Luminarte » révèle leur similarité sur les plans visuel et sonore, notamment parce que leurs préfixes sont identiques et parce que la séquence des voyelles et des consonnes est quasiment identique. La différence dans le nombre de syllabes n'est pas d'une importance décisive au regard de la longueur totale des signes. Sur le plan sémantique, la juridiction inférieure a considéré, en se référant au sens lexical des différents éléments verbaux, que le public concerné comprend sans effort de réflexion significatif que les signes se réfèrent au marché des luminaires pour l’un, et à l’art de l’éclairage pour l’autre, et a ainsi reconnu leurs significations différentes. Les éléments figuratifs des signes respectifs sont eux aussi différents. C’est à raison que le tribunal de commerce a conclu que les signes utilisés par la recourante sont similaires à la marque de la défenderesse, en tenant compte que du fait que le caractère distinctif de la marque de la défenderesse a été substantiellement renforcé par de nombreuses années d’efforts publicitaires. C’est aussi à raison qu’il a adopté un standard particulièrement strict en tentant compte de la similitude des produits pour lesquels les signes sont utilisés. Même l'ajout par la recourante de l'indication « die Lichtmacher » en minuscules dans une police de caractères conventionnelle n'est pas de nature à éliminer le risque de confusion du point de vue de la clientèle concernée. La conclusion de l’instance précédente selon laquelle, sur la base d'une appréciation globale, il est clair que les signes de la recourante créent un risque de confusion, résiste à l'examen du Tribunal fédéral (c. 8.3.3). Le fait que les désignations du domaine public ne puissent être monopolisées n’implique pas que les termes « lumi », « mart » et « arte », qui appartiennent au domaine public, peuvent être exclus de l’évaluation de l’existence d’un risque de confusion. Même les éléments qui appartiennent au domaine public peuvent influencer l’impression générale produite par les marques (c. 8.3.4). La question d’une éventuelle dilution de la marque de la défenderesse ne se pose pas en l’espèce, car le caractère distinctif de la marque ne résulte pas principalement de son originalité, mais de la réputation qu’elle a acquise auprès du public. Le fait qu’il existe de nombreux enregistrements de marques avec les éléments « lumi » et « mart » est une expression du fait que ces éléments ne sont pas originaux. L’instance précédente en a tenu compte dans l’évaluation du risque de confusion (c. 8.3.5). L’instance précédente n’a commis aucune violation du droit fédéral en admettant l’existence d’un risque de confusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM, et en reconnaissant à la défenderesse le bénéfice des droits de l’art. 13 al. 2 LPM (c. 8.4). La recourante allègue en outre que les prétentions découlant du droit des marques sont périmées, car la défenderesse aurait trop tardé à réagir (c. 9). L’art. 2 al. 2 CC prévoit que l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi. La péremption présuppose que l’ayant droit avait connaissance de l’atteinte à ses droits par l’usage d’un signe identique ou similaire, ou qu’il aurait dû en avoir connaissance s’il avait fait preuve de la diligence requise, qu’il a toléré cet usage pendant une longue période sans s’y opposer et que l’auteur de la violation a acquis entre-temps, de bonne foi, une position digne de protection (c. 9.1). Il faut que l’auteur de l’atteinte ait acquis une confiance légitime dans le fait que sa responsabilité ne sera pas engagée à l’avenir. Il doit penser que l’ayant droit agit passivement en ayant connaissance de l’atteinte, et non par simple ignorance. Il va de soi que cette connaissance doit se rapporter à une atteinte à la marque en Suisse (c. 9.3.3). L’instance précédente a relevé que le domaine www.luminarte.ch était accessible depuis 2008. Elle considère toutefois que la défenderesse n’avait pas d’obligation générale de surveiller les domaines nationaux, d’autant plus que les visiteurs de ce site web étaient redirigés vers le domaine allemand www.luminarte.de. Ce site web, quant à lui, n’était pas clairement destiné à la Suisse. Ces considérations ne sont pas critiquables. L’auteur de l’infraction ne peut pas s’attendre à ce que l’ayant droit surveille en permanence tous les mouvements effectués sur le marché (c. 9.3.4). Si le titulaire tolère une atteinte à son droit, la période de tolérance après laquelle la péremption doit être admise dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La jurisprudence en matière de droit des signes distinctifs fluctue entre quatre et huit ans. Dans deux cas particuliers, une péremption a été admise après des périodes d'un an et demi et de deux ans. Toutefois, le temps écoulé n'est pas le seul facteur décisif. La question déterminante est de savoir si l’auteur de l’infraction pouvait, d’un point de vue raisonnable et objectif, supposer que l’ayant droit tolérait son comportement. En l’espèce, il ne peut être déduit des constatations de fait de l'arrêt attaqué que de telles circonstances particulières étaient présentes déjà après une période de trois ans. Comme l’a considéré avec raison le tribunal de commerce, la défenderesse n’a pas commis d’abus de droit manifeste au sens de l’art. 2 al. 2 CC (c. 9.4.2). Enfin, la recourante reproche à l’instance précédente d’avoir, partiellement, admis l’action en nullité (c. 10). Dans le cadre de l’action en nullité se fondant sur l’art. 52 LPM, les marques en cause doivent être comparées telles qu’inscrites au registre. La similarité des produits doit s’apprécier en prenant en compte les produits pour lesquels les marques revendiquent la protection, selon leur inscription au registre (c. 10.3). On ne saurait reprocher à l’instance précédente une violation du droit fédéral lorsqu’elle a constaté que la marque suisse de la recourante était nulle pour la plupart des produits revendiqués (c. 10.5). En résumé, c’est à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que les signes de la plaignante sont (dans une large mesure) exclus de la protection des marques en vertu de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM. L’action en cessation fondée sur l’art. 55 al. 1 LPM, en lien avec l’art. 13 al. 2 LPM, doit donc être admise. C’est également à juste titre que le tribunal de commerce a admis l’action en constatation fondée sur l’art. 52 LPM (c. 11). Le recours est rejeté (c. 12). [SR]