Motifs
relatifs d’exclusion, signe national verbal, marque verbale, marque
combinée, raison de commerce, force distinctive faible, risque de
confusion nié, risque de confusion direct, risque de confusion
indirect, similarité des services, similarité des signes sur le
plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, similarité
des signes sur le plan sémantique, cercle des destinataires
pertinent, spécialiste de la branche financière, grand public,
degré d’attention moyen, degré d’attention accru, vocabulaire
de base anglais, tell, company, Guillaume Tell, droit au nom,
concurrence déloyale, filiale, services financiers, services
immobiliers, services d’assurances, services de gestion et conseil
patrimonial, recours rejeté ; art. 951 CO, art. 3 al. 1 lit. c LPM,
art. 7 LPAP, art. 11 LPAP.
La
demanderesse, Tellco Holding SA, a été inscrite au registre du
commerce en 2002. Depuis 2011, elle a successivement opéré sous les
raisons de commerce « Tellco SA » et « Tellco
Holding SA ». Elle a pour but l’acquisition, la vente, la
détention et la gestion de participations en Suisse et à
l’étranger. Elle possède une filiale avec la raison de commerce
« Tellco SA », qui gère plusieurs fondations utilisant
toutes l’élément « Tellco » dans leurs noms. La
demanderesse est notamment titulaires des marques « TELLCO »,
« TELLCO PENSINVEST » ainsi que « fig. 1 ».
Elle revendique la protection de plusieurs services financiers,
immobiliers et d’assurances en classes 35 et 36. La première
défenderesse, Tell SA, opère sous cette raison de commerce depuis
2016. Elle est titulaire de la marque « TELL », déposée
en 2016, essentiellement pour des services financiers en classe 36.
La seconde défenderesse, Tell Advisors SA, opère sous cette raison
de commerce depuis 2018. La demanderesse recourt contre le jugement
du tribunal de commerce du canton de Zurich, qui a rejeté ses
requêtes. Se fondant notamment sur la LPM et sur les art. 944ss CO
(droit des sociétés), elle souhaite faire interdire l’utilisation
du signe « TELL » dans la marque de la première
défenderesse et dans les raisons de commerce et les relations
d’affaires des deux défenderesses (c. 4). Le signe « TELL »
est un signe national verbal suisse au sens de l’art. 7 de la loi
sur la protection des armoiries (LPAP, RS 232.21). Il peut être
utilisé pour autant que son emploi ne soit ni trompeur, ni contraire
à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou au droit (art. 11 LPAP).
Les dispositions des lois de propriété intellectuelle et de la LCD
sont donc réservées. Aux conditions des art. 2 et 3 LPM, un signe
verbal national peut être déposé en tant que marque ou en tant que
partie d’une marque (sous réserve qu’il n’y ait pas de
tromperie sur la provenance des produits), comme en témoignent les
nombreuses inscriptions du signe « Tell » au registre des
marques. Toutefois, en raison de l’intérêt public considérable à
ce que les signes nationaux verbaux ne soient pas indûment
monopolisés, celui qui fait d’un tel signe une partie de sa
marque, de sa raison de commerce, ou qui l’utilise dans ses
relations d’affaires doit être conscient de la proximité de ce
signe avec le domaine public et, donc, de sa faible capacité
d'individualisation (c. 5). La demanderesse demande qu’il soit
interdit aux défenderesses d’utiliser le signe « Tell »
(et en particulier les représentations « TELL GROUP »,
« fig. 2 » et « fig. 3 » dans la vie des
affaires (c. 6.1.1). Elle fait valoir que cette utilisation est
susceptible de créer un risque de confusion avec ses propres signes
au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 6.2). Dans l’examen de
la similarité des services en cause, les services pour lesquels les
marques de la demanderesse sont enregistrées doivent être comparés
aux services pour lesquels le signe « TELL » des
défenderesses est utilisé ou menace d’être utilisé (dans les
procédures en contrefaçon) ou aux services pour lesquels la marque
de la première défenderesse revendique la protection selon
l’inscription au registre des marques (dans les procédures en
nullité). L’instance précédente a estimé que les services
étaient au moins partiellement les mêmes, dans la mesure où les
marques en cause étaient enregistrées ou utilisées pour des
services financiers. Elle a en outre considéré que les services se
chevauchaient sur le plan thématique, la gestion des fonds de
pension (demanderesse) étant étroitement liée aux services de
gestion des investissements et de conseil en matière financière
(défenderesses). Les services concernés étaient donc au moins
similaires. Ces considérations ne sont pas suffisamment remises en
causes par les parties (c. 6.4). Dans les procédures en contrefaçon,
dans l’examen de la similarité des signes et du risque de
confusion qui en résulte au sens de l’art. 3 al. 1 LPM, la marque
protégée selon l’inscription au registre des marques doit être
comparée à l'usage effectif ou à la menace d'usage du signe
postérieur. Dans les procédures en nullité, les marques
litigieuses doivent être comparées selon leurs inscriptions
respectives au registre des marques. Contrairement à ce qui prévaut
en droit de la concurrence déloyale, les signes en cause doivent
être comparés en tant que tels, sans tenir compte des circonstances
extérieures (c. 6.5). C’est à raison que l’instance précédente
a rejeté tout risque de confusion (c. 6.6). Pour déterminer le
cercle des destinataires pertinent, elle s’est fondée à juste
titre sur les services revendiqués par la marque de la demanderesse
et non, par exemple, sur le positionnement des produits sur le
marché. C’est à raison qu’elle a indiqué que les services
revendiqués en classe 35 (gestion dans le domaine des fonds de
pension) s’adressent à des spécialistes qui sont particulièrement
actifs, voire professionnels, dans l’économie, et que les services
revendiqués en classe 36 (services financiers, immobiliers et
d’assurances) couvrent en partie des besoins quotidiens qui
intéressent le grand public. On peut supposer, comme elle l’a
fait, un degré d’attention accru chez les destinataires, les
prestations proposées nécessitant une relation de confiance entre
prestataires et clients, et les destinataires sélectionnant avec
soin leurs cocontractants, notamment en raison du caractère coûteux
des prestations (c. 6.6.1). L’instance précédente a d’abord
comparé la marque ou l’élément de marque « TELLCO »
avec le signe attaqué « TELL », sans tenir compte des
ajouts ou des formes particulières de représentation (c. 6.6.2).
S’il est exact que la désignation litigieuse « TELL »
reprend sans modification les quatre premières lettres du signe de
la recourante « TELLCO », la syllabe finale « CO »
transforme l'acronyme monosyllabique « TELL » en un signe
à deux syllabes et conduit à une impression différente tant sur le
plan sonore que sur le plan visuel, avec un effet visuel très
différent. Le tribunal de commerce a souligné à juste titre que,
dans une comparaison avec un mot court, même une légère
modification peut créer une différenciation importante. Le risque
que le public concerné ne perçoive pas les différences entre les
signes litigieux apparaît comme très faible. Sur le plan
sémantique, la juridiction inférieure considère que le signe
« TELL », lorsqu'il est utilisé seul, évoque
principalement des associations avec le héros national suisse
Guillaume Tell. Le signe « TELLCO » de la demanderesse
n’a selon elle pas de signification directement compréhensible. La
syllabe finale « CO » est d’après elle très
probablement perçue comme une référence à une relation
d'entreprise (« company »), ce qui crée une relation
avec la langue anglaise. Par conséquent, le premier élément du
signe « TELL » serait également compris comme un emprunt
au verbe anglais « to tell » (traduit par « dire »,
« raconter », « rapporter »). Le sens du mot
« TELL » est ambivalent. Il ne paraît nullement exclu
que le public perçoive le signe « TELLCO » comme un tout
au niveau de sa signification, et l’associe à des termes du
secteur des télécommunications. Au moins dans le cas du signe de la
demanderesse « TELLCO », on ne peut pas supposer qu'il
existe un sens distinctif qui s'impose immédiatement à la
conscience (c. 6.6.2.1). S'agissant du caractère distinctif,
l'instance précédente a relevé que de nombreuses autres marques
contenant l'élément « TELL » sont enregistrées au
registre suisse des marques. Le signe a été associé à des
expressions du langage courant et a donc été fréquemment utilisé
pour désigner des biens et des services de toutes sortes. Il est
faiblement distinctif. Le terme « TELL » est un terme
d'usage courant, compris comme un verbe anglais (largement répandu)
ou comme le nom de famille de la figure héroïque. Par conséquent,
il ne peut se voir accorder qu'un périmètre de protection
restreint. C’est ainsi à juste titre que le tribunal de commerce a
estimé que des écarts mêmes modestes suffisent pour parvenir à
une différenciation suffisante. Cela ne change rien au fait que,
compte tenu de la similitude ou de la similarité des services en
cause, un standard assez strict doit être appliqué. Au vu des
signes en question, qui diffèrent considérablement dans leur
typographie, il n'y a aucune raison de craindre que l'utilisation du
terme « TELL » dans les signes litigieux des
défenderesses puisse conduire à des attributions erronées. Le
consommateur moyen de services financiers, qui est raisonnablement
prudent et attentif, ne sera pas induit en erreur par la simple
coïncidence de l'élément « TELL », qui n'est pas
particulièrement distinctif, en supposant une relation entre les
services des défenderesses et ceux de la demanderesse (c. 6.6.2.2).
Ce qui précède s'applique déjà lorsque les signes « TELL »
et « TELLCO » sont utilisés seuls. La comparaison de la
marque « TELLCO » avec les représentations « TELL
GROUP », « fig.2 » et « fig.3 » conduit
d’autant moins à un risque de confusion que ces signes sont
accompagnés d’ajouts ou présentés sous une forme graphique qui
les distinguent encore davantage de la marque de la demanderesse.
Même lorsque le risque de confusion est évalué en relation avec
les marques « TELLCO PENSINVEST » et « fig.1 »,
la conclusion de l’instance précédente reste valable. La marque
mentionnée en premier lieu comporte un ajout qui crée une distance
supplémentaire par rapport aux signes mis en cause. La marque
figurative représente le buste de Guillaume Tell et établit ainsi
un lien plus étroit avec la figure héroïque qu'avec le verbe
anglais (c. 6.6.3). L’instance précédente n’a donc commis
aucune violation du droit fédéral en niant l'existence d'un risque
de confusion au sens de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 6.6.4). La
raison de commerce d’une société commerciale ou d’une société
coopérative doit se distinguer nettement de toute autre raison de
commerce d’une société commerciale ou d’une société
coopérative déjà inscrite en Suisse (art. 951 CO), faute de quoi
le titulaire de la raison de commerce la plus ancienne peut intenter
une action en cessation de l'utilisation de la plus récente s’il
en résulte un risque de confusion. La question de savoir si deux
raisons de commerce se distinguent suffisamment doit être examinée
sur la base de l'impression d’ensemble qu'elles laissent au public,
tant à l’occasion d’une comparaison attentive qu’au niveau du
souvenir qu’elles leur laissent. Il existe un risque de confusion
si la raison de commerce d'une société peut être confondue avec
celle d'une autre (risque de confusion direct) ou si l’impression
erronée d’un lien économique ou juridique entre les sociétés
est éveillée (risque de confusion indirect). Le libellé des
raisons sociales tel qu'inscrit au registre du commerce est
déterminant (c. 7.1). La demanderesse considère que les raisons
sociales des défenderesses (« Tell SA » et « Tell
Advisors SA ») ne se distinguent pas suffisamment de sa raison
de commerce, antérieure (« Tellco Holding SA ») (c.
7.2). L’instance précédente a nié à juste titre l’existence
d’un risque de confusion entre ces raisons de commerce (c. 7.3).
Elle a d'abord précisé, conformément à la jurisprudence du
Tribunal fédéral, que le caractère distinctif en droit des raisons
de commerce ne doit pas être examiné du seul point de vue des
destinataires de produits ou services, contrairement à ce qui
prévaut en droit des marques. Le droit des raisons de commerce vise
généralement à éviter que le public, qui comprend non seulement
les clients mais aussi d'autres cercles tels que les demandeurs
d'emploi, les autorités et les services publics, ne soit trompé (c.
7.3.1). C’est à raison que l’instance précédente a considéré
que l'indication de la forme juridique « SA », commune
aux trois raisons sociales, constitue un élément faiblement
distinctif (c. 7.3.2). Concernant les aspects sonores, visuels et
sémantiques, on peut fondamentalement se référer aux
considérations émises en droit des marques. Le grand public, qui
appréhende les raisons de commerce avec une attention ordinaire,
remarquera les différences entre les signes. L’élément « Tell »
de la raison de commerce de la demanderesse ne présentant pas de
caractère distinctif particulier, son champ de protection est
limité. Par conséquent, même une modification relativement mineure
peut suffire à créer une différenciation suffisante d’avec la
raison de commerce antérieure. Tel est le cas en l’espèce. En
outre, selon les constatations de l'instance inférieure, qui lient
le Tribunal fédéral, les sociétés ne sont pas en concurrence, et
leurs sièges sociaux sont éloignés géographiquement. Par
conséquent, il n’existe pas en l’espèce de risque de confusion
entre les raisons de commerce en cause (c. 7.3.3). C’est ainsi à
juste titre que l’instance précédente a conclu que les raisons
sociales des défenderesses sont suffisamment distinctes de celle de
la demanderesse, et qu’elle a rejeté ses actions (c. 7.3.4). La
recourante fait valoir que sa filiale et les fondations qu’elle
administre lui ont cédé des droits d’action relatifs au signe
« Tellco » « aux fins de la présente procédure »
(c. 9.1). C’est à raison que l’instance précédente n’a pas
admis l’action dans la mesure où la demanderesse fait valoir des
présentions de sa filiale et des fondations qu’elle gère, la
procédure civile suisse ne permettant pas de conduire le procès en
son propre nom comme partie à la place du titulaire du droit
matériel (gewillkürte Prozessstandschaft) (c. 9.3). Le recours est
rejeté (c. 10). [SR]