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14 décembre 2007

CJ GE, 14 décembre 2007, ACJC/1565/2007 (f)

sic! 2/2009, p. 82-86, « SFG » ; raison de commerce, droit des marques, concurrence déloyale, risque de confusion, signe descriptif, force distinctive, sigle, acronyme, SFG, priorité, similarité des produits ou services ; art. 956 al. 2 CO, art. 13 LPM, art. 14 al. 1 LPM, art. 3 lit. d LCD.

Les dispositions du CO relatives aux raisons de commerce, celles de la LPM et celles de la LCD peuvent s’appliquer cumulativement (c. 2.1). Le titulaire d’une raison de commerce est protégé contre l’usage d’une raison de commerce identique ou semblable s’il y a un risque de confusion. Si les entreprises ont leur siège dans la même localité et qu’elles exercent leurs activités dans la même branche, les exigences requises pour la distinction des raisons sociales sont plus élevées (c. 2.2 et 2.4). La notion de risque de confusion est identique dans l’ensemble du droit des biens immatériels. Celui qui emploie dans sa raison sociale des désignations génériques qui figurent dans une raison sociale plus ancienne a le devoir de compléter sa raison sociale avec des éléments propres à l’individualiser. Un ajout dont la force distinctive est faible peut être suffisant, car le public lui accorde plus d’attention qu’aux désignations génériques (c. 2.3). Dans les raisons sociales « SFG Société Fiduciaire et de Gérance S.A. » et « SFG Services Financiers de Genève S.A. », seul l’acronyme « SFG » est susceptible d’avoir une force distinctive. Le fait qu’il soit présent dans les deux raisons sociales est propre à donner l’impression que les deux sociétés sont liées. Le risque de confusion doit ainsi être admis. Le fait que l’acronyme « SFG » soit présent dans la raison sociale d’autres sociétés n’y change rien (c. 2.5). Lorsque le titulaire d’une marque, déposée postérieurement à l’usage de cette marque par un tiers, utilisait déjà sa marque avant le tiers, il bénéficie d’un droit prioritaire s’il avait pu interdire au tiers à l’époque, sur la base de la LCD, l’utilisation de la marque. Dans un tel cas, le tiers ne peut donc pas se prévaloir d’un usage antérieur (c. 3.1 et 3.2). Crée un risque de confusion l’utilisation de l’acronyme « SFG» en lien avec des services similaires à ceux pour lesquels il a été enregistré comme marque (c. 3.3).

09 juin 2011

TF, 9 juin 2011, 4A_92/2011 (f)

sic! 12/2011, p. 727-730, « Jetfly » ; raison de commerce, société, organe, nom de domaine, jetfly.com, risque de confusion, droit au nom, nom commercial, Jetfly, usage, usurpation, Suisse, Benelux, territorialité, priorité, contrat de licence, droit des marques, action en cessation, arbitraire, renvoi de l’affaire ; art. 29 al. 2 CC.

La recourante no 2, active en Suisse, étant sa filiale, la recourante no 1 — société mère — peut invoquer la protection de son nom en Suisse (c. 5.2). Le nom de domaine « jetfly.com » exploité par l'intimée, active dans le même secteur commercial que les recourantes, reprend textuellement la partie principale du nom des recourantes. Le critère de la protection géographique est réalisé à l'échelle européenne, étant donné la spécificité du domaine d'activité des sociétés en cause. Il y a donc un risque de confusion entre le nom de domaine « jetfly.com » et le nom commercial des recourantes de sorte qu'elles sont lésées par cette usurpation (c. 6.2). En raison du principe de la territorialité, l'intimée ne peut pas se prévaloir en Suisse d'un droit de priorité résultant d'un contrat de licence limité au Benelux (c. 7.2). Ayant utilisé le nom « Jetfly » dans la vie commerciale en Suisse dès 2004 alors que la marque « Jetfly » n'a été enregistrée par B. SA qu'en 2006, les recourantes bénéficient d'un droit de priorité. C'est ainsi à tort que l'autorité inférieure a nié aux recourantes la possibilité de se prévaloir en Suisse de ce droit au nom commercial acquis par l'usage et donc indépendant de la marque. L'action en cessation de trouble (art. 29 al. 2 CC) est donc bien fondée (c. 8). En niant à tort que les recourantes ont allégué que l'intimée a exercé une activité en Suisse, l'autorité inférieure a versé dans l'arbitraire. La cause lui est donc renvoyée afin qu'elle détermine si les actes de l'intimée en tant qu'organe fondent une activité de l'intimé en Suisse (c. 9.2).

05 décembre 2014

HG ZH, 5 décembre 2014, HG060392 (d)

sic! 5/2015 p. 316-323, « Oscar » ; motifs relatifs d’exclusion, risque de confusion admis, force distinctive, force distinctive faible, reprise d’une marque antérieure, similarité des signes, similarité des produits ou services, signe descriptif, signe libre, dilution de la force distinctive, usage de la marque, usage sérieux, territoire suisse, marque étrangère, péremption, bonne foi, abus de droit, priorité, action échelonnée, action en interdiction, action en fourniture de renseignements, jugement partiel, Oscar, télévision, mode, vin, divertissement, allemand, italien, Tessin, Italie, États-Unis ; art. 2 al. 2 CC, art. 2 lit. a LPM, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 1 LPM, art. 11 al. 3 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 14 al. 1 LPM, art. 55 al. 1 LPM.

La plaignante, une société américaine, est titulaire de la marque « OSCAR » et organise chaque année la cérémonie des Oscars du cinéma « Academy Awards ». La défenderesse exploite les chaînes de télévision RAI. La plaignante lui reproche d’avoir permis la diffusion sur le territoire suisse des émissions de divertissement « Oscar del Vino », « La Kore Oscar della Moda » et « Oscar TV », dans lesquelles des prix sont remis dans les domaines du vin, de la mode et de la télévision. La défenderesse allègue la péremption des prétentions de la demanderesse. La péremption d’une action, qui découle du principe de la bonne foi de l’art. 2 CC, n’est admise qu’à des conditions restrictives. À lui seul, l’écoulement du temps ne peut fonder l’abus de droit. Il faut en plus, en principe, que le titulaire des droits ait connaissance de la violation de ses droits, qu’il n’entreprenne rien pour les faire respecter et que le contrevenant ne puisse attribuer cette passivité à une ignorance. Lorsque le titulaire des droits, en usant de l’attention commandée par les circonstances, aurait pu se rendre compte de la violation de ses droits et agir plus tôt, on peut parfois admettre que le contrevenant ait pu conclure de bonne foi à l’existence d’une tolérance. La durée nécessaire pour admettre une péremption dépend des circonstances du cas d’espèce. La jurisprudence oscille entre des durées de quatre à huit ans (c. 3.3.3). En l’espèce, même si on devait admettre, comme le prétend la défenderesse, que la plaignante a pris connaissance en 2003 de la diffusion des émissions litigieuses en Suisse, le dépôt de la plainte, survenu dans les trois ans, constitue une réaction suffisamment rapide, d’autant plus que les émissions en cause ne sont diffusées qu’une fois par an. Par ailleurs, on ne peut conclure à une méconnaissance négligente de la plaignante, car on ne peut attendre d’une société américaine qu’elle surveille de façon permanente et continue toutes les émissions diffusées en Europe. Ce d’autant plus qu’il s’agit en l’espèce d’émissions diffusées en Suisse, une fois par année, par une société italienne (c. 3.3.4). Les prétentions de la demanderesse ne sont donc pas périmées (c. 3.3.5). Il est de notoriété publique que la plaignante est l’organisatrice de la cérémonie annuelle de remise des Oscars, diffusée en Suisse avec son accord par des chaînes de langue allemande, et faisant l’objet de reportages dans les médias suisses. Pour le consommateur suisse moyen, la marque « Oscar » est immédiatement reconnaissable comme un signe distinctif de la plaignante. La marque est donc utilisée. En relation avec les services protégés de divertissement, y compris de distribution de prix, l’usage, par la diffusion télévisuelle en Suisse, effectuée par un tiers avec le consentement de la plaignante, doit être qualifié de sérieux. Le fait que la cérémonie soit organisée à l’étranger n’y change rien (c. 3.5.4). La défenderesse allègue une dégénérescence de la marque. Puisque la cérémonie est diffusée sur tout le territoire suisse, une dégénérescence ne peut être admise que si elle s’opère sur tout le territoire. Tel n’est pas le cas en suisse allemande, où il est notoire que le terme « Oscar » ne représente pas un synonyme de « remise de prix », de « prix » ou de « distinction ». En lien avec des remises de prix, le terme « Oscar » est directement associé par le citoyen moyen ou par le téléspectateur moyen à la cérémonie annuelle des Oscars et aux statuettes qui y sont remises. Le fait que ce terme soit parfois utilisé en relation avec des remises de prix d’autres organisateurs n’y change rien (c. 3.6.3.2). Le signe « Oscar » possède une force distinctive en Suisse pour les services protégés en classe 41 de divertissement, y compris la distribution de prix pour des performances méritoires. Les téléspectateurs suisses rattachent directement les « Oscars » aux prix offerts par la plaignante. On ne saurait admettre qu’il s’agit d’une marque faible. Les exemples italiens fournis par la défenderesse pour invoquer une dilution sont dénués de pertinence en droit suisse, d’autant plus qu’il ne faut pas prendre en compte que l’utilisation du terme « Oscar » en langue italienne, mais aussi l’utilisation Suisse alémanique qui en est faite (c. 3.6.4.2). Les signes en cause sont similaires. Les ajouts « del Vino », « La Kore [...] della Moda » et «TV» sont descriptifs des domaines du vin, de la mode et de la télévision et ne permettent pas de distinguer suffisamment ces signes de la marque de la plaignante. Les services sont eux aussi similaires, et le risque de confusion doit être admis (c. 3.6.4.3). Un droit de continuer l’usage présuppose un lien direct avec la Suisse, impliquant une couverture du marché suisse. La présence sur le marché n’est pas suffisante lorsque les prestations sont rendues accessibles au consommateur final plus par hasard que d’une manière contrôlée. Le fait que les émissions aient pu être captées dans certaines parties du Tessin ne constitue pas un usage du signe en Suisse (c. 3.7.4). Par l’usage du signe « Oscar » dans les trois émissions en cause, la défenderesse a donc violé les droits à la marque de la plaignante (c. 3.8). Le tribunal fait droit aux conclusions en cessation (c. 4.1.4) et, dans le cadre d’une action échelonnée, en fourniture de renseignements (c. 4.3.7). [SR]

28 décembre 2020

TF, 28 décembre 2020, 4A_267/2020 (d)

Concurrence déloyale, risque de confusion, risque de confusion indirect, force distinctive, force distinctive originaire, force distinctive acquise par l’usage, force distinctive faible, imposition dans le commerce, imposition par l’usage, dilution de la force distinctive, similarité des produits ou services, similarité des signes, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan sémantique, priorité, logo, signe verbal, signe descriptif, consommateur moyen, territorialité, territoire suisse, lien géographique suffisant, action défensive, péremption, abus de droit, surveillance du marché, site Internet, blocage de sites Internet, nom de domaine, contournement, lumière, lampe, luminaire, Coop, recours rejeté ; art. 105 al. 2 LTF, art. 2 al. 2 CC, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 9 LCD.

 La défenderesse, qui appartient au groupe Coop, est principalement active dans le commerce de détail. Elle exploite, sous le signe « Lumimart », des magasins spécialisés dans l’éclairage, dans lesquels elle vend des luminaires et des sources lumineuses. Ces produits sont également proposés dans une boutique en ligne, accessible sur le site Internet www.lumimart.ch. La défenderesse utilise le signe « Lumimart » depuis 1998, avec le logo (fig. 1). Depuis 2018, elle utilise le logo (fig. 2) dans ses magasins spécialisés et dans sa boutique en ligne. La recourante, Luminarte GmbH, est une société allemande qui exploite les sites Internet www.luminarte.ch et www.luminarte.de. Elle utilise le logo (fig. 3) sur ses sites et dans son matériel publicitaire. En 2020, le tribunal de commerce du canton d’Argovie lui a interdit de faire de faire la promotion, d’offrir ou de livrer en Suisse des lampes ou des luminaires sous sa raison de sociale, sous ses noms de domaine ou en utilisant son logo. Il a conclu que l’utilisation des signes litigieux tombe sous le coup de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD (c. 4.3). La recourante considère que la restriction territoriale imposée par l’instance précédente est impossible à mettre en œuvre en pratique, notamment parce que le site www.luminarte.de est accessible depuis la Suisse. Même si elle a introduit des mesures de géoblocage, les utilisateurs suisses peuvent le contourner à l’aide de moyens techniques tels qu’un VPN, même sans connaissances techniques particulières (c. 5.1.1). Les droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale sont limités territorialement. Par conséquent, un lien géographique suffisant avec la Suisse est nécessaire pour admettre l’existence d’atteintes à ces droits, et les actions qui en découlent. La demande de l’intimée d’interdire certaines pratiques en Suisse ne constitue donc pas une « interprétation extensive de la territorialité du droit suisse », comme le prétend la recourante. Par ailleurs, contrairement à ce qu’elle soutient, la simple possibilité technique de consulter un signe sur Internet ne constitue pas un usage pertinent sous l’angle du droit des signes distinctifs. Pour tomber sous le coup des interdictions du droit de la concurrence déloyale, un lien qualifié avec la Suisse, comme par exemple une livraison en Suisse ou une indication des prix en francs suisses, est nécessaire. Il ne saurait être question d’interdire à la recourante d’être présente sur Internet dans le monde entier, d’autant plus qu’il est techniquement possible de bloquer l’accès à un site web aux utilisateurs d’un pays spécifique. La question de savoir si ces mesures de géoblocage peuvent être contournées par des moyens techniques sophistiqués, comme le prétend la recourante, n’est pas pertinente (c. 5.1.2). La création d’un risque de confusion n’est relevante en droit de la concurrence déloyale que si le signe imité présente une force distinctive, à titre originaire (en raison de son originalité) ou dérivé (parce qu’elle s’est imposée) (c. 7.1). L’instance précédente a considéré que le signe verbal « Lumimart » et le nom de domaine « lumimart.ch » sont descriptifs, car ils peuvent aisément être compris par le consommateur moyen francophone et italophone comme se rapportant au marché de l’éclairage ou de la lumière, et n’ont donc pas de force distinctive originaire. Par contre, les deux logos de la défenderesse présentent une certaine originalité, faible mais suffisante, en raison de la combinaison d’éléments qu’ils contiennent. Ces considérations ne sont pas contestées par la recourante (c. 7.2). Un signe s’est imposé dans le commerce s’il est compris par une partie substantielle des destinataires des produits ou services qu’il désigne comme une référence à une entreprise déterminée (c. 7.3.1). L’imposition d’un signe est en tant que telle est une question de droit, mais savoir si les conditions sont remplies dans un cas concret constitue une question de fait, que le Tribunal fédéral n’examine que dans la mesure de l’art. 105 al. 2 LTF. En revanche, savoir si les exigences en matière de preuve ont été dépassées par les autorités est une question de droit (c. 7.3.2). L’instance précédente a estimé que le signe « Lumimart » et le nom de domaine « lumimart.ch » ont une force distinctive dérivée, et que le périmètre de protection des deux logos, qui possédaient déjà une force distinctive originaire faible, s’est étendu. Elle s’est notamment fondée sur la position importante de la défenderesse sur le marché, sur ses importants efforts publicitaires et sur une enquête démoscopique (c. 7.3.3). La recourante ne parvient pas à démontrer que cette appréciation serait erronée (c. 7.3.4.1). La recourante reproche ensuite au tribunal de commerce d’avoir admis un caractère distinctif dérivé pour l’ensemble de la Suisse, alors même que la défenderesse n’a ni affirmé, ni prouvé que ses signes se sont imposés en Suisse italienne et en suisse romanche, régions dans lesquelles il n’y a pas de succursale « Lumimart ». En droit de la concurrence déloyale, il est concevable qu’un signe ne s’impose que sur un territoire limité, et que la protection soit dès lors limitée à ce territoire. Toutefois, lors de l’examen du caractère distinctif dérivé, on ne peut exiger que soit apportée la preuve distincte que le signe s’est imposé dans chaque canton. S’il est établi que le signe est compris par une partie considérable des destinataires en Suisse comme une référence à une certaine entreprise en raison d’efforts publicitaires considérables, la protection concerne également l’ensemble de la Suisse (c. 7.3.4.3). La recourante allègue ensuite à tort que le logo (fig. 2) ne peut s’être imposé sur le marché parce qu’il n’est utilisé que depuis septembre 2018. D’une part, la doctrine admet qu’un signe peut s’imposer très rapidement, et même immédiatement, sur le marché. D’autre part, le logo (fig. 2) était déjà distinctif à l’origine. En outre, il est fortement influencé par le mot « Lumimart », qui s’est à son tour imposé sur le marché. La recourante considère également que le logo (fig. 1) n’ayant été utilisé que jusqu’en septembre 2018, on ne pouvait plus considérer qu’il s’était imposé sur le marché au moment du jugement de l’instance précédente, en mars 2020. Cela ne peut être admis de manière générale. Même dans le cas de l'imitation de signes qui n'ont pas été utilisés depuis peu de temps, il peut y avoir un risque de fausse attribution. Le facteur décisif doit être de savoir si le public cible continue d'associer le signe imité, c'est-à-dire s'il le comprend toujours comme une indication de l'origine d'une entreprise malgré le fait qu'il ne soit plus utilisé. La recourante ne prétend pas que tel n'est plus le cas (c. 7.3.5). Enfin, la recourante allègue que les signes de l’intimée ont perdu leur force distinctive en raison d’une dilution. La notion de dilution du caractère distinctif vise les signes qui sont à l’origine particulièrement distinctifs (notamment les signes de fantaisie), mais qui sont utilisés si fréquemment que leur caractère individuel se perd. Tel n’est pas le cas en l’espèce (c. 7.3.6). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a conclu que les signes de l’intimée sont distinctifs (c. 7.4). L’art. 3 lit. d LCD suppose la création d’un risque de confusion (c. 9), qui peut être direct ou indirect (c. 9.1). L’instance précédente a admis l’existence d’un risque de confusion indirect. Compte tenu du fait que les deux parties se présentent comme des fournisseurs spécialisés de luminaires, il faut en tous les cas considérer que les signes en cause donnent l’impression de provenir d’entreprises économiquement proches. Il semble probable que les consommateurs sont amenés à supposer, au moins temporairement, qu'il existe un lien économique ou organisationnel entre les entreprises (c. 9.2). L’instance précédente a rappelé à juste titre que plus les produits pour lesquels les signes en cause sont utilisés sont proches, plus le risque de confusion est grand. Elle a par ailleurs mis en évidence le fait que les canaux de vente sont en partie superposés : la recourante n’est présente sur le marché suisse que par le biais de ses sites Internet, sans y exploiter de succursale. La défenderesse vend également ses produits par le biais d’un site Internet, mais elle est aussi présente physiquement dans plus de trente sites avec des magasins de détail. Tous les signes des parties sont caractérisés par les éléments verbaux « Lumimart » et « Luminarte », dont la comparaison révèle leur similarité sur les plans visuel et sonore, notamment en raison de leurs préfixes identiques et de leurs séquences quasiment identiques de voyelles et consonnes. Sur le plan sémantique, la juridiction inférieure a considéré, en se référant au sens lexical des différents éléments verbaux, que le public concerné comprend sans effort de réflexion significatif que les signes se réfèrent pour l’un au marché des luminaires, et pour l’autre à l’art de l’éclairage, et reconnaît ainsi leurs significations différentes. Le risque de confusion doit être évalué principalement sur la base du caractère distinctif acquis par l’imposition des signes sur le marché. Dans ce contexte, c’est à raison que le tribunal de commerce a conclu que les signes utilisés par la recourante étaient trop similaires à ceux de la défenderesse. Compte tenu du critère strict d'appréciation à appliquer en ce qui concerne la similitude des produits, combiné à l'étendue de la protection du signe « Lumimart » (et des logos qui le contiennent) obtenue en vertu de l’imposition des signes sur le marché, l’utilisation des signes par la recourante, qui sont presque identiques dans l'écriture et le langage et sont en tout cas comparables dans leur signification, apparaît comme illicite. C’est à juste titre que l’instance précédente a considéré que la similarité des signes entraîne un risque de confusion indirect (c. 9.3.2). Seule la partie qui utilise le signe depuis le plus longtemps dans le commerce, de manière démontrable, peut invoquer la protection de l’art. 3 lit. d LCD (« priorité d’usage »). La simple intention d’utiliser le signe n’est pas suffisante (c. 10.1). L’instance précédente a constaté que la recourante est apparue sur le marché suisse avec le signe « Luminarte » à partir d’octobre 2013. On peut aisément conclure des considérations du tribunal du commerce que les signes de la défenderesse s’étaient déjà imposés sur le marché à cette époque (c. 10.3). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a constaté que la recourante a agi de manière déloyale au sens de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD en utilisant les signes litigieux, et que l’intimée dispose par conséquent des voies de droit correspondantes (c. 10.5). La recourante considère que les actions de la défenderesse sont périmées car elle a trop tardé à réagir aux atteintes (c. 11). La péremption est un cas d'exercice inadmissible des droits en raison d'un comportement contradictoire, et donc abusif (art. 2 al. 2 CC). La doctrine et la jurisprudence admettent que les actions défensives du droit de la concurrence déloyale peuvent également être périmées si elles sont invoquées trop tardivement. Il convient toutefois de faire preuve de retenue, car le droit de la concurrence déloyale, et en particulier l'art. 3 al. 1 lit. d LCD, protège non seulement les intérêts particuliers, mais aussi les intérêts généraux. Il garantit une concurrence loyale et non faussée dans l'intérêt de tous les participants (art. 1 LCD) et, en particulier, la protection du public contre l'usage trompeur de signes, comme c’est le cas en l'espèce. Une péremption, fondée uniquement sur le comportement d'un concurrent, doit donc être examinée avec une prudence particulière. Au surplus, selon l'art. 2 al. 2 CC, un droit ne peut plus être protégé que si son abus est manifeste. En tous les cas, la péremption suppose que le plaignant ait eu connaissance de l’acte de concurrence déloyale, ou qu’il ait dû en avoir eu connaissance s’il avait preuve de la diligence requise, qu’il l’ait toléré sans s’y opposer durant une longue période et que l’auteur de l’atteinte ait acquis de bonne foi une position digne de protection. Plus le concurrent lésé par le comportement concurrentiel déloyal attend pour faire valoir ses droits, plus l’auteur de l’atteinte peut s'attendre de bonne foi à ce qu’il continue à tolérer l'atteinte à la concurrence et ne s'attende pas à ce qu'il cède la position acquise (c. 11.1). L’exercice tardif des droits peut également être abusif s’il est dû à l’ignorance négligente de l’atteinte, le concurrent atteint ayant insuffisamment surveillé le marché (c. 11.3.2). Il est alors déterminant de savoir si le demandeur avait ou aurait dû avoir connaissance de l'acte déloyal, du point de vue de l’auteur de l’atteinte. La péremption n'est pas une fin en soi : le contrevenant doit avoir une confiance légitime dans le fait que sa responsabilité ne sera pas engagée à l'avenir. Par conséquent, il doit également penser que le concurrent agit passivement en ayant connaissance de l'infraction, et non par simple ignorance. Bien entendu, cette connaissance doit se référer à une atteinte à la concurrence en Suisse (c. 11.3.3). L’instance précédente a considéré que la défenderesse n'avait pas une obligation générale de surveillance des domaines nationaux, d'autant plus que les visiteurs du site Internet suisse de la recourante étaient redirigés vers le domaine allemand www.luminarte.de. Ce site Internet, à son tour, ne visait pas clairement le marché suisse. Ces considérations ne sont pas critiquables. Il faut en particulier souligner que le commerçant qui commet un acte de concurrence déloyale ne peut pas partir du principe que ses concurrents surveillent en permanence tous les mouvements sur le marché. Le droit suisse ne connaît pas d’obligation générale de surveillance du marché. La recourante, qui fait référence aux « possibilités et moyens considérables » dont dispose le Groupe Coop pour surveiller le marché, ne démontre pas suffisamment dans quelle mesure elle était en droit de supposer, déjà avant octobre 2013, que la défenderesse connaissait ou aurait dû connaître l’utilisation déloyale du signe litigieux (c. 11.3.4). La recourante fait encore valoir qu'au vu de « l'usage encore plus intensif » du signe « Luminarte » à partir de 2013, une période de trois ans et demi est suffisante pour admettre une péremption (c. 11.5.1). La période de tolérance après laquelle la péremption doit être admise dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La jurisprudence en matière de droit des signes distinctifs fluctue entre quatre et huit ans. Dans deux cas particuliers, une péremption a été admise après des périodes d'un an et demi et de deux ans. Toutefois, le temps écoulé n'est pas le seul facteur décisif. La question déterminante est de savoir si l’auteur de l’infraction pouvait, d’un point de vue raisonnable et objectif, supposer que le concurrent tolérait son comportement. En l’espèce, il ne peut être déduit des constatations de fait de l'arrêt attaqué que de telles circonstances particulières étaient présentes déjà après une période de trois ans et demi. En particulier, il est important que la partie lésée dispose d'un délai raisonnable pour clarifier la situation juridique, l'importance de l'atteinte à la concurrence ainsi que les inconvénients résultant d'un éventuel risque de confusion et, sur cette base, puisse décider avec soin de l'engagement de démarches juridiques. Dans ce contexte, il n'y a pas d'abus manifeste du droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC (c. 11.5.2). La conclusion de l'instance précédente selon laquelle les prétentions du demandeur n'étaient pas périmées résiste donc à l’examen du Tribunal fédéral (c. 11.6). En résumé, c’est à juste titre que l’instance précédente a conclu que la requérante a agi de manière déloyale en utilisant les signes « Luminarte », « luminarte.de », « luminarte.ch » et « Luminarte GmbH » sur le marché et en créant ainsi un risque de confusion avec la présence sur le marché de l’intimée. Les actions des art. 9ss LCD sont donc ouvertes (c. 12). Le recours est rejeté (c. 13). [SR]

23 mai 2019

TF, 23 mai 2019, 4A_22/2019 (d)  

« Otto’s » ; droit des marques, risque de confusion, priorité, usage de la marque en Allemagne, motifs d’exclusion relatifs, vente par correspondance, vente de produits sur Internet, action en radiation d’une marque, territorialité, péremption, concurrence déloyale ; art. 5 du Traité entre la Suisse et l’Allemagne sur l’usage de la marque, art. 3 al. 1 LPM, art. 6 LPM, art. 11 LPM, art. 13 LPM.

Le
droit à la marque confère, selon l’art. 13 LPM, au titulaire le
droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les
produits ou les services enregistrés et d’en disposer. Le
titulaire peut interdire à des tiers l’usage des signes qui sont
similaires à une marque antérieure et destinés à des produits ou
services identiques ou similaires, lorsqu’il en résulte un risque
de confusion (art. 13 al. 2 LPM en lien avec l’art. 3 al. 1 lit. c
LPM). Un tel risque existe lorsque le signe le plus récent porte
atteinte à la force distinctive de la marque antérieure. Tel est le
cas lorsqu’il doit être craint que les cercles des destinataires
pertinents soient induits par la similitude des signes et attribuent
les produits qui portent l’un ou l’autre de ceux-ci au mauvais
titulaire de la marque ; ou lorsque le public fait bien la
différence entre les signes, mais déduit de leur similitude de faux
liens entre leurs titulaires (c. 2.1). L’autorité précédente a
constaté que l’intimée No 1 a enregistré ses marques
« OTTO-Versand » pour la Suisse en 1979 et « OTTO »
en 1994, alors que la recourante a déposé elle ses marques
« OTTO’S » et « OTTO’S » (fig.) en 1998
et 1999 (c. 2.2). L’intimée peut ainsi prétendre à un droit de
priorité pour les produits et services enregistrés par les deux
parties, au sens de l’art. 6 LPM (c. 2.2.1). Ne peut par contre pas
être suivi le point de vue de l’autorité précédente selon
lequel la prestation de service « vente par correspondance »
pour laquelle l’intimée 1 bénéficie d’un droit de priorité
par rapport à la recourante, concernerait la vente de produits sur
Internet. La simple vente ou distribution de produits n’entre pas
dans la notion de prestations de service de commerce de détail,
indépendamment du type de canaux de vente par lesquels elle
intervient. La vente de marchandise sur catalogue ou par Internet ne
constitue pas un service au sens du droit des marques ; au
contraire, les produits vendus sont distingués par la marque, quel
que soit leur mode de distribution (c. 2.2.2). L’art. 11 al. 1 LPM
prévoit qu’après l’échéance du délai de carence de l’art.
12 LPM, la marque est protégée pour autant qu’elle soit utilisée
en relation avec les produits ou les services enregistrés. Cette
obligation d’usage correspond à la fonction commerciale de la
marque et tend simultanément à empêcher que des marques soient
enregistrées quasiment à titre de réserve. En cas de non usage,
une action en radiation peut être intentée (c. 2.3). En vertu du
principe de la territorialité, le droit à la marque n’est donné
que par le dépôt et l’usage en Suisse. L’intimée No 1 n’a,
de manière incontestée, pas utilisé ses marques en Suisse. La
recourante aurait ainsi en principe pu agir en radiation de ces
marques. L’intimée No 1, dont le siège est en Allemagne, peut
toutefois de prévaloir de la convention entre la Suisse et
l’Allemagne du 13 avril 1892 (RS O.232.149.136) dont l’art. 5.1
prévoit qu’un usage de la marque en Allemagne vaut usage de la
marque en Suisse, le droit suisse déterminant ce qui est retenu
comme constitutif d’usage. Sur la base de ses marques antérieures
« OTTO » et « OTTO-Versand », l’intimée No
1 pourrait interdire à la recourante l’utilisation de sa marque
postérieure « OTTO’S » en vertu de l’art. 3 al. 1
LPM dans la mesure où il en résulte un risque de confusion. La
recourante s’est cependant prévalue de la péremption. Une
péremption du droit d’agir ne doit pas être admise à la légère
puisque seul l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé.
L’exercice tardif d’un droit peut ainsi être abusif lorsqu’il
repose sur une méconnaissance fautive de la violation de ce droit et
que l’auteur de la violation peut avoir considéré de bonne foi
que l’absence de réaction constituait une tolérance de cette
violation. La jurisprudence exige en plus que l’auteur de la
violation se soit constitué dans l’intervalle une situation digne
de protection. Si l’autorité précédente s’est bien basée sur
ces principes pour examiner la question de la péremption du droit
d’agir, elle aurait dû considérer que les conditions d’une
péremption du droit d’agir étaient remplies en l’espèce, en
particulier étant donné l’étendue de la position digne de
protection que s’est constituée la recourante et le fait que
l’intimée a non seulement toléré l’utilisation du signe
postérieur, mais a expressément renoncé à se prévaloir de son
droit de priorité. L’intimée No 1 ne peut ainsi pas se prévaloir
de son droit à la marque prioritaire pour interdire à la recourante
l’usage du signe « OTTO’S » (c. 2.3.2). L’autorité
précédente peut être suivie sur le point que la péremption du
droit d’agir de l’intimée No 1 vis-à-vis de la recourante ne
débouche pas sur une perte du droit à la marque prioritaire qui, au
contraire, en tant que droit absolu demeure vis-à-vis de tous les
autres participants au marché. Il n’existe aucune raison pour que
la recourante puisse de son côté, sur la base de l’art. 3 al. 1
LPM, exclure l’intimée No 1, en tant que titulaire d’un droit
prioritaire, de la protection du droit des marques (c. 2.3.3). Il en
résulte que chacune des parties peut utiliser ses marques pour
distinguer les produits et les services qui ont été revendiqués,
sans que l’autre partie puisse lelui interdire sur la base du droit
des marques (c. 2.3.4). Les dispositions de la loi contre la
concurrence déloyale disposent d’un domaine d’application propre
indépendant de celui du droit des marques (c. 3). L’autorité
précédente a omis à tort de vérifier si l’extension envisagée
de l’activité commerciale de l’intimée était susceptible de
créer un risque de confusion au sens de l’art. 3 lit. d LCD.
L’autorité précédente a ainsi violé l’art. 3 al. 1 lit. d LCD
en limitant à un seul canal de vente l’accès au marché sur
lequel l’intimée souhaitait développer son activité sous ses
marques et en niant par-là, de manière erronée, la priorité
temporelle de la recourante sur ce segment de marché (c. 3.6). Le
recours est partiellement admis. [NT]