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22 juillet 2014

TAF, 22 juillet 2014, B-5484/2013 (d)

sic! 1/2015, p. 21-23, « Companions » ; motifs absolus d’exclusion, signe appartenant au domaine public, signe descriptif, signe laudatif, besoin de libre disposition, concurrents, dénomination courante, preuve, cercle des destinataires pertinent, services médicaux, services de formation, services d’information, spécialistes du domaine de la santé, médecin, produits pharmaceutiques, neurologie, site Internet, compagnon, manuel, vocabulaire de base anglais, anglais, companion diagnostic, égalité de traitement, décision étrangère ; art. 8 Cst., art. 12 PA, art. 2 lit. a LPM.

La protection est revendiquée pour des prestations fournies dans le domaine de la neurologie (classes 41 et 44) (c. 3.1), dont des services de formation et d’information. Le public pertinent se compose d’une part des spécialistes du domaine de la santé, y compris en cours de formation, et d’autre part d’une grande partie de la population qui, sans avoir appris une profession médicale, est touchée, sous une forme ou sous une autre, par des maladies neurologiques, ou y est intéressée à un autre titre (c. 3.2–3.4). Pour les services désignés, les concurrents de la recourante sont les personnes physiques et morales qui fournissent ou pourraient potentiellement fournir des services de formation ou d’information dans le domaine de la neurologie (c. 3.5). Pour motiver son appréciation du caractère courant d’une dénomination pour les destinataires pertinents, l’instance précédente choisit librement les preuves qu’elle entend utiliser. Elle peut effectuer des recherches sur Internet, mais ne peut retenir que des sources pertinentes, sérieuses et fondées. Il faut partir du principe que les utilisateurs suisses consultent des sites en allemand, en français, en italien et en anglais, de provenance tant suisse qu’étrangère (c. 4). Le signe « COMPANIONS » constitue le pluriel du mot anglais « companion » (c. 5.2). Ce terme, qui fait partie du vocabulaire anglais de base, peut notamment se traduire par « compagnon ». Le signe « COMPANIONS » est compréhensible dans cette acception par tous les destinataires pertinents. Le terme « companion » peut aussi signifier « manuel » . Ce sens est connu à tout le moins par les destinataires qui sont amenés à utiliser des textes rédigés en anglais pour apprendre ou exercer leur profession. Tel est en particulier le cas des médecins neurologues, mais aussi des médecins généralistes et de toutes les catégories professionnelles nécessitant une formation dans une haute école. Hors du domaine de la médecine, le sens de « manuel » est connu par toutes les personnes qui entrent régulièrement en contact avec la littérature anglophone (c. 5.3). Pour une médecine personnalisée, l’expression « companion diagnostic » (diagnostique compagnon) est peut-être connue, ou pourrait le devenir à l’avenir. Avec cette méthode de diagnostic, il est possible de prédire la manière dont un patient réagira à une substance spécifique ou comment devrait être composé le médicament approprié pour lui. Actuellement, les diagnostiques compagnons se pratiquent avant tout en oncologie, mais de nombreuses techniques, dans d’autres domaines, sont en cours de développement (c. 5.5). Le signe « COMPANIONS », en relation avec les prestations pour lesquelles la protection est revendiquée en classe 41, éveille chez les destinataires l’attente, sans qu’ils aient à faire usage de leur imagination, d’un accompagnement dans leur formation. Il est tout-à-fait concevable que le public pertinent interprète « companions » dans le sens d’une communauté. Dès lors, pour les services listés en classe 41, le signe est descriptif et laudatif, et n’est donc pas distinctif (c. 5.6). Tous les cercles de destinataires pertinents lisent les informations médicales ou en prennent connaissance d’autres façons. Dans un domaine complexe comme la neurologie, un accès rapide à l’information est essentiel, et les manuels jouent à cet égard un rôle important. Dès lors, le terme « companion », dans son sens de « manuel », compréhensible pour une partie importante du public pertinent, est descriptif en relation avec des services d’information dans le domaine de la neurologie, et n’est donc pas distinctif (c. 5.7). En outre, les concurrents de la recourante ne doivent pas être limités dans l’utilisation du concept « companion diagnostics ». Le signe « COMPANIONS » doit rester disponible, et appartient donc aussi sous cet angle au domaine public (c. 5.8). La recourante invoque sans succès l’inégalité de traitement en citant d’autres marques enregistrées comportant le terme « companion », la protection ayant été revendiquée pour des services différents (c. 6). Elle mentionne aussi sans succès l’enregistrement d’une marque « Companions » dans l’Union européenne (c. 7). C’est à raison que l’instance précédente a refusé l’enregistrement de la marque « COMPANIONS » pour les services listés en classes 41 et 44. Le recours est rejeté (c. 8). [SR]

09 janvier 2015

KG LU, 9 janvier 2015, DOK 000 006 302 (d)

sic! 6/2015, p. 392-395, « Aquaterra Travel (fig.) » ; motifs relatifs d’exclusion, cercle des destinataires pertinent, risque de confusion admis, similarité des produits ou services, similarité des signes, marque combinée, action en interdiction, risque de récidive, moteur de recherche, Google AdWords, Internet, site Internet, réplique, novae, Afrique, agence de voyages, élément verbal, élément figuratif ; art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 55 al. 1 lit. a LPM, art. 229 CPC.

L’art. 229 CPC régit les conditions auxquelles les faits et moyens de preuve nouveaux sont admis aux débats principaux. Selon l’ATF 140 III 312, c. 6.3.2.3, la phase de l’allégation est close après un double échange d’écritures ou, comme en l’espèce, quand une partie a renoncé à son droit de réplique. Le fait que la plaignante ait renoncé à plaider une deuxième fois ne fait pas perdre aux défendeurs leur droit à s’exprimer une deuxième fois sans restriction et à apporter des novae (c. 3.1). La plaignante a déposé une marque combinée consistant en une image des contours du continent africain avec les mots « Aquaterra Travel ». La marque est employée en relation avec un site Internet dédié à l’organisation de voyages en Afrique (c. 6.1). Dans une campagne « Google AdWords », les défendeurs ont utilisé l’expression « Aquaterra Travel ». De ce fait, leur annonce apparaissait dans les premiers résultats suite à une recherche portant sur cette expression, et renvoyait à leur propre site. L’expression « Aquaterra Travel » apparaissait également dans leur annonce (c. 6.2). Le signe utilisé par les défendeurs est identique à la partie verbale de la marque combinée. L’élément verbal constitue l’élément essentiel de la marque, car une image représentant les contours de l’Afrique n’a pas en elle même une forte valeur de reconnaissance. Les deux signes sont donc similaires (c. 8.2.1). Les deux parties sont actives dans la même branche et dans le même segment de marché. Bien que les défendeurs limitent leurs prestations à Madagascar et que la demanderesse offre ses services dans toute l’Afrique, les deux parties offrent des services similaires (c. 8.2.2). Les arrangements offerts constituent des voyages spéciaux, qui impliquent en principe une planification et une prise de contact avec l’agence concernée et ne sont pas réservés sans réflexion. Cela dit, les cercles de destinataires sont très hétérogènes, et comprennent aussi des personnes inexpérimentées et inattentives. Une recherche peut aisément éveiller l’impression que le site des défendeurs est en relation avec l’offre de la plaignante, d’autant plus que l’annonce des défendeurs commence par l’expression « Aquaterra Travel », en caractères gras. Même si la personne consultant l’annonce remarque ses autres termes, il n’est pas exclu qu’elle puisse conclure à un lien avec la plaignante. Le risque de confusion doit donc être admis (c. 8.2.3). Les défendeurs ont ainsi violé le droit à la marque de la plaignante (c. 8.3). Bien qu’ils aient depuis supprimé leur campagne « Google Adwords » (c. 9.1), il existe un risque de récidive, puisqu’ils ont contesté à plusieurs reprises l’illicéité de leur comportement (c. 9.3). Comme le requiert la plaignante, il leur est dès lors fait interdiction d’utiliser à l’avenir le signe « Aquaterra Travel », sous n’importe quelle forme (c. 12). [SR]

Aquaterra Travel (fig.)
Aquaterra Travel (fig.)

21 mars 2014

HG ZH, 21 mars 2014, HG120273 (d)

sic! 4/2015, p. 243-247, « MetropoleGestion (fig.) / Metropol Partners (fig.) » ; usage de la marque, motifs relatifs d’exclusion, usage sérieux, usage à titre de marque, preuve de l’usage d’une marque, forme ne divergeant pas essentiellement de la marque, moyens de preuve, prospectus, information aux investisseurs, accords commerciaux, site Internet, publication électronique, organisation de séminaires, sponsoring, taille du marché, cercle des destinataires pertinent, spécialistes de la branche financière, similarité des produits ou services, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le pan sémantique, similarité des signes, risque de confusion admis, produits financiers, fonds de placements ; art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 120 LPCC.

La demanderesse est une société de placements financiers française. Selon l’art. 120 de la Loi fédérale sur les placements collectifs de capitaux (Loi sur les placements collectifs, LPCC, RS 951.31), la distribution à des investisseurs non qualifiés de placements collectifs étrangers, en Suisse ou à partir de la Suisse, requiert l’approbation préalable de la FINMA. Cinq produits de la demanderesse bénéficient d’une autorisation de la FINMA en ce sens. Cependant, selon la LPCC, ces produits doivent être distribués aux investisseurs non qualifiés en Suisse par un représentant, titulaire d’une autorisation d’exploitation idoine de la FINMA. Selon la LPCC, constitue déjà une distribution, le fait d’offrir des parts de fonds de placement. Il faut donc considérer que cela peut également constituer un usage à titre de marque au sens de la LPM (c. 3.5.1-3.5.2.4). La demanderesse produit, à titre de moyen de preuve, en relation avec ses cinq fonds de placement autorisés, les prospectus et les informations clés destinées aux investisseurs. Cependant, ces documents ne sont pas distribués par la demanderesse directement, mais par son représentant. Le signe est employé ici en rapport direct avec des produits financiers, il faut donc admettre un usage à titre de marque. Le fait que la marque de la demanderesse soit suivie d’éléments tels que « SELECTION » ou « Gestion » ne constitue pas une forme divergeant essentiellement de la marque enregistrée. Il s’agit d’éléments « typiquement spécifiques », descriptifs des produits en question (c. 3.5.3.7). La demanderesse produit aussi différents accords qu’elle a conclus avec des sociétés et institutions financières à Zurich. Elle produit également une capture d’écran d’un site web suisse spécialisé, sur lequel sont manifestement disponibles des documents liés aux caractéristiques et aux performances des fonds de placements proposés par elle (c. 3.5.3.11). De même, différents sites web présentent les produits d’investissement de la demanderesse (c. 3.5.3.14). La présentation des différents fonds de placements de la demanderesse et de leurs performances lors de séminaires auxquels assistent des professionnels de la branche constitue un usage à titre de marque (c. 3.5.3.17). Lorsqu’on appelle le site web de la demanderesse, celui-ci propose un choix de pays, parmi lesquels figure la Suisse. Dès lors, les fonds de placements distribués en Suisse avec l’accord de la FINMA sont proposés. Tous ces produits financiers possèdent un nom qui comprend les marques de la demanderesse. La demanderesse édite également deux publications électroniques qui sont envoyées à ses clients et qui contiennent des informations détaillées sur les différents produits distribués. Cela constitue un usage sérieux à titre de marque (c. 3.5.3.19). En revanche, le fait que la raison sociale de la société soit référencée sur différents sites web comme une société de placement, mais sans donner davantage d’informations sur les produits financiers proposés en Suisse, ne permet pas d’établir un usage sérieux de la marque (c. 3.5.3.13 et 3.5.3.15). L’organisation de séminaires professionnels, portant sur les problèmes généraux rencontrés dans le domaine financier et de l’investissement ne constitue pas un usage à titre de marque, faute de relation directe avec les produits distribués par la demanderesse, quand bien même le séminaire est destiné à des professionnels de son secteur d’activité (c. 3.5.3.16). Des activités de sponsoring sans rapport avec les activités de la demanderesse ne constituent pas un usage à titre de marque (c. 3.5.3.18). Le nombre total des destinataires pertinent n’est pas déterminant pour juger de l’usage sérieux à titre de marque.Dès lors que les produits sont offerts à une multitude de destinataires et que ceux-ci représentent une part importante de tous les destinataires, un usage suffisant doit être admis. Le nombre total de destinataires n’est donc pas pertinent – à lui seul – concernant l’usage sérieux à titre de marque (c. 3.5.3.19). L’usage sérieux à titre de marque doit être admis. Même si l’essentiel des activités de la demanderesse se limite à la Suisse romande, en raison de son origine française. Le site web, les publications électroniques et les fonds de placements sont bien proposés sur tout le marché suisse. Le nombre de cinq fonds de placements distribués, même s’il peut paraître modeste, est suffisant (c. 3.5.3.20). Les termes «Metropol » et «Metropole » ne sont pas descriptifs pour des services financiers et n’appartiennent donc pas au domaine public. Ces signes ont une force distinctive pour les services revendiqués (c. 3.5.4.5-3.5.4.6). Pour des produits financiers, le cercle des destinataires pertinent est composé de spécialistes, dont le degré d’attention est élevé (c. 3.5.5.2). En l’espèce, la similarité des signes est très importante. Ils ne se distinguent que par le « e » muet à la fin de la marque de la demanderesse. Les signes sont identiques sur les plans sonore et sémantique. Les adjonctions « Gestion » et « Partners » appartiennent au domaine public et ne compensent pas la forte similarité des signes (c. 3.5.5.4). Les « produits financiers » de la demanderesse et les « services financiers » de la défenderesse font tous les deux parties du domaine de l’investissement, respectivement de la finance. Les deux parties travaillent avec des investisseurs privés. Le fait que la demanderesse ne puisse agir que par le biais de son représentant autorisé en Suisse n’y change rien. Ainsi, les cercles des destinataires pertinents des parties se recoupent. Le risque de confusion est donc très important (c. 3.5.5.5). La défenderesse doit modifier sa raison de commerce de sorte à ne plus violer la marque de la demanderesse (c. 3.6.2). Il est également interdit à la défenderesse de proposer des services financiers sous différentes appellations, qui reprennent pour l’essentiel l’élément « Metropol » (c. 3.7.2). [AC]

Metropole Gestion (fig.) (opp.)
Metropole Gestion (fig.) (opp.)
Metropol Partners (fig.) (att.)
Metropol Partners (fig.) (att.)

01 avril 2014

TAF, 1er avril 2014, B-3547/2013 (d)

sic! 7-8/2014, p. 470 (rés.), « Koala / Koala (3 D) » ; usage de la marque, usage sérieux, enregistrement international, procédure d’opposition, vraisemblance, preuve de l’usage d’une marque, produits importés, Internet, site Internet, capture d’écran, produits alimentaires, boissons, produits de consommation courante, produits épuisés, emballage, Japon ; art. 5 Conv. CH-D (1892), art. 11 al. 1 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 32 LPM.

La recourante, une société japonaise, a effectué un enregistrement international, avec protection en Suisse, de la marque « KOALA » pour divers produits alimentaires et boissons de consommation courante (classes 29 et 30). Après avoir vu son opposition rejetée par l'autorité précédente pour n'avoir pas fourni de document établissant l'usage sérieux de sa marque, elle produit dans son recours une capture d'écran du site web « jimport.ch », qui vend des produits directement importés du Japon. Sur ce site, des produits pourvus de sa marque sont vendus dans leur emballage original japonais. Sur quatre types de produits, seuls deux sont disponibles en stock, et les deux autres sont épuisés, ce qui constitue un indice qu'ils sont fournis en très petites quantités. Il s'agit pourtant de produits de consommation courante, pour lesquels un tel usage ne peut être considéré comme sérieux. En outre, la capture date du 20 juin 2013, alors que le non-usage a été invoqué le 6 juin 2012. La capture d'écran n'est donc pas propre à rendre vraisemblable l'usage sérieux de la marque en Suisse (c. 5.2). Le fait que des acheteurs puissent commander depuis la Suisse des produits sur un site Internet japonais ne suffit pas non plus à rendre vraisemblable un usage en Suisse, d'autant plus que les captures fournies ont elles aussi été réalisées le 20 juin 2013 (c. 5.3). Le recours est rejeté (c. 5.6). [SR]

25 août 2015

TF, 25 août 2015, 4A_123/2015 (d)

sic! 1/2016, p. 16-19, « Mipa Lacke + Farben AG / MIPA Baumatec AG » ; droits conférés par la marque, droit absolu, raison de commerce, risque de confusion admis, risque de confusion indirect, recours, force distinctive, identité des produits ou services, similarité des signes, signe fantaisiste, signe descriptif, acronyme, marque internationale, marque verbale, élément verbal, cercle des destinataires pertinent, but social, site Internet, lettres, peinture, couleur, construction, machines, outil ; art. 951 al. 2 CO, art. 956 al. 2 CO, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 13 al. 2 lit. e LPM.

La recourante et défenderesse, « MIPA Baumatec AG », assure le commerce et la fourniture de services, en lien avec des matériaux de construction, machines et outils de toutes sortes. L’intimée et plaignante,« Mipa Lacke + Farben AG », a pour but la fabrication et le commerce de couleurs et de vernis. Elle est preneuse de licence pour la partie suisse de la marque « mipa », ayant fait l’objet d’un enregistrement international en classe 2 pour des « couleurs, vernis, peintures, produits de conservation du bois et produits antirouilles ». Comme les sociétés anonymes peuvent fondamentalement choisir librement leur raison de commerce, la jurisprudence pose en général des exigences élevées quant à leur capacité à se distinguer des autres raisons de commerce enregistrées. De jurisprudence constante, le Tribunal fédéral protège aussi les raisons de commerce contre les entreprises qui sont actives dans une autre branche. Les exigences sont cependant plus élevées quand deux entreprises, en vertu de leurs dispositions statutaires, peuvent entrer en concurrence ou s’adressent à la même clientèle à un autre titre, ou encore lorsqu’elles sont géographiquement proches (c. 4.2). Les deux raisons de commerce en cause commencent respectivement par les éléments « MIPA » et « Mipa ». C’est à raison que l’instance précédente a considéré que, dans la raison de commerce de la plaignante, l’élément « Mipa » reste en mémoire, d’autant plus que les éléments suivants « Lacke + FarbenAG » constituent des indications purement génériques. Du fait que l’élément « Mipa » est écrit en lettres majuscules et minuscules et qu’il peut être prononcé comme un terme fantaisiste, le public ne peut déterminer de manière évidente s’il est en présence d’un acronyme ou d’une désignation purement fantaisiste. Pour le profane, le terme « Mipa » n’a pas de sens reconnaissable. Le simple fait qu’il se retrouve dans des raisons de commerce de tiers ne veut pas dire qu’il doit rester à libre disposition. Contrairement à ce que soutient la recourante, il ne s’agit pas d’un élément faible sans force distinctive. Comme l’a considéré à raison l’instance précédente, cet élément imprègne fortement la raison sociale de la plaignante et possède une force distinctive correspondante. « Baumatec » ne constitue pas un terme d’usage courant qui figurerait dans un dictionnaire. C’est à raison que l’instance précédente a considéré que l’élément « tec » est fréquemment utilisé en Suisse et aisément associé à la technique, et qu’il est concevable que l’élément « Bau » soit associé à des activités de construction. Elle a en outre considéré, de manière compréhensible, que l’élément verbal « Bauma- » peut éveiller une association avec les termes « Baumaterial » ou « Baumaschinen ». Au vu de ces considérations, elle a exposé de manière convaincante que l’élément « Baumatec » suscite des associations avec les activités de la recourante. Bien qu’il puisse être vrai que l’élément « Baumatec » ne représente pas une indication purement générique pour le public pertinent, l’instance précédente n’a pas violé le droit fédéral en considérant qu’il ne s’agit pas d’un élément prépondérant dans la raison sociale de la défenderesse. En prenant en compte le fait que, selon les constatations de l’instance précédente, les cercles de destinataires pertinents se recoupent partiellement et que les buts sociaux sont partiellement les mêmes, indépendamment de la distance géographique, il existe un risque de confusion accru. Il faut donc admettre comme elle que la raison de commerce de la recourante ne se distingue pas suffisamment de la raison antérieure de l’intimée. Les destinataires pertinents sont, à tout le moins, amenés à admettre à tort qu’il existe un lien juridique ou économique avec cette dernière (c. 4.3.1). L’usage du signe litigieux sur le site Internet de la recourante constitue un usage dans les affaires au sens de l’art. 13 al. 2 lit. e LPM. Aucun sens descriptif de « mipa » n’est manifeste pour les biens revendiqués en classe 2. Le terme apparaît bien plus, pour ces biens, comme une désignation fantaisiste, qui possède une force distinctive. Les couleurs qu’offre la recourante sur son site Internet font partie des produits pour lesquels la marque de la plaignante est enregistrée. Pour l’appréciation de l’existence d’un risque de confusion, il faut donc tenir compte du fait qu’on est en présence d’une identité de produits, et appliquer des critères particulièrement stricts. En l’espèce, c’est à raison que l’instance précédente a admis l’existence d’un risque de confusion (c. 5.2.2). Le recours est rejeté (c. 6). [SR]

26 novembre 2013

HG ZH, 26 novembre 2013, HE130273 (d)

ZR 113/2014, p. 121-125 ; concurrence déloyale, risque de confusion admis, nom de domaine, domaine de premier niveau, domaine de deuxième niveau, transfert de nom de domaine, registre du commerce, raison de commerce, procédure sommaire, force distinctive, impression générale, cercle des destinataires pertinent, élément verbal, immocoach, immocoa.ch, immobilier, Internet, site Internet, siège ; art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 9 al. 1 lit. a LCD, art. 9 al. 1 lit. b LCD, art. 248 lit. b CPC, art. 257 CPC.

La plaignante est inscrite au registre du commerce sous la raison de commerce « Immocoach AG ». Le terme « Immocoach » se compose de manière évidente des éléments « Immo » (diminutif d’« Immobilie ») et « coach » (communément employé comme synonyme d’entraîneur ou conseiller). Ce terme possède une certaine force distinctive, bien qu’elle ne soit pas forte. Il ne s’agit pas d’une dénomination spécifique. Le domaine « www.immocoa.ch » de la défenderesse ne se différencie d’« Immocoach » que par le point qui figure avant le domaine de premier niveau (TLD). Bien que le domaine de deuxième niveau ne s’énonce que comme « immocoa », le public va garder en mémoire le lien avec son TLD et ne va pas percevoir le point comme un élément différenciateur. L’impression d’ensemble que produit le nom de domaine de la défenderesse concorde avec celle qu’éveille le terme « Immocoach » de la demanderesse, et crée un risque d’association entre le site Internet de la défenderesse et l’activité commerciale de la demanderesse, ou laisse en tout cas supposer au public qu’il existe un rapport entre eux. Le risque de confusion est encore favorisé par le recoupement des cercles de destinataires pertinents, surtout du fait que les deux sociétés sont actives dans le domaine de l’immobilier et que la défenderesse exploite une agence à Zurich, au siège de la plaignante. L’activité commerciale de la demanderesse bénéficiant de l’antériorité, la création du risque de confusion, par l’utilisation du domaine « www.immocoa.ch », est déloyale au sens de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD (c. 4.4). Le tribunal interdit par conséquent à la défenderesse d’utiliser ce nom de domaine ou d’activer son site web, et lui ordonne de faire procéder au transfert inconditionnel du domaine « www.immocoa.ch » à la plaignante (c. 4.5). [SR]

06 février 2014

HG ZH, 6 février 2014, HG130037 (d)

Droit de la personnalité, droit au nom, concurrence déloyale, usurpation, risque de confusion admis, nom de domaine, Internet, site Internet, sigle, signe descriptif, force distinctive faible, cercle des destinataires pertinent, action en constatation, action en cessation, demande reconventionnelle, banque, canton, lettre ; art. 29 al. 2 CC, art. 292 CP.

La demanderesse est détentrice des noms de domaine « ...-blog.ch », « ...- online.ch » et « ...24.ch », débutant par un sigle identique au sigle de la défenderesse, sur lesquels elle publie principalement des articles financiers. Elle demande qu’il soit constaté qu’elle est titulaire de ces noms de domaine, et qu’elle n’a violé aucun des droits de la défenderesse, une banque cantonale. Cette dernière demande reconventionnellement qu’il soit interdit à la demanderesse d’utiliser son sigle comme élément principal dans le cadre commercial en Suisse, et qu’il lui soit ordonné de lui transférer ces noms de domaine. Selon l’art. 29 al. 2 CC, celui qui est lésé par une usurpation de son nom peut intenter action pour la faire cesser. Un sigle peut bénéficier de la protection du droit au nom lorsque le public le perçoit comme un nom. L’existence d’un risque de confusion est décisive pour l’application de l’art. 29 al. 2 CC, également lorsqu’un nom est utilisé comme nom de domaine. Un tel risque existe notamment lorsqu’il y a un danger que des utilisateurs souhaitant visiter la page d’accueil du titulaire du droit au nom aboutissent de manière involontaire sur une autre page (c. 4.1.1). La défenderesse a établi de manière convaincante qu’elle utilise son sigle aux niveaux régional et suprarégional, est qu’elle est connue sous cette désignation. Les banques cantonales, à tout le moins dans la partie germanophone de la Suisse, abrègent leur nom comme la défenderesse le fait depuis plus de dix ans : les deux dernières lettres « KB » signifient « Kantonalbank », et la première ou les deux premières lettres désignent le canton concerné. Le sigle utilisé par la défenderesse est propre à la distinguer des autres sujets de droit. En raison de cette fonction d’individualisation, il jouit de la protection du droit au nom. La banque cantonale bénéficie d’une priorité, puisqu’elle a lancé en 2001 son site web, sur lequel elle utilise son sigle, alors que la demanderesse n’a enregistré les noms de domaines litigieux qu’en octobre 2012 (c. 4.1.3). Ces noms de domaine se composent de deux éléments, soit d’abord le sigle protégé par le droit au nom, puis une désignation d’activité (« blog », « online ») ou un numéro (« 24 »). Dans les trois noms de domaine, le deuxième élément est descriptif, et n’a donc qu’une très faible force distinctive. Ainsi, pour chacun d’entre eux, le sigle est l’élément déterminant pour l’impression d’ensemble qu’ils produisent. Les deux parties s’adressent au même cercle de destinataires. Le risque que la banque cantonale soit associée à la demanderesse est évident. Les éléments descriptifs présents dans les trois adresses litigieuses renforcent encore l’impression d’une relation avec la banque cantonale. L’adjonction « blog » évoque un portail de nouvelles en ligne, tel que l’offre la banque sur son site. L’adjonction « online » évoque une présence sur Internet, comme l’exerce la banque depuis 2001. L’adjonction « 24 » suggère une accessibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui est une caractéristique qu’on attend d’une banque cantonale, à tout le moins en ce qui concerne l’accès en ligne. Le fait qu’on puisse relativement facilement reconnaître, après avoir accédé aux sites de la défenderesse, qu’on ne se trouve pas sur le site de la banque, n’est pas décisif. Par l’utilisation des noms de domaines litigieux, la demanderesse lèse de manière illicite les intérêts juridiquement protégés de la défenderesse, en créant un risque de confusion. La demande reconventionnelle est admise. La question de savoir si les actes de la demanderesse constituent aussi des actes de concurrence déloyale peut être laissée ouverte (c. 4.1.5). [SR]

25 mars 2019

TF, 25 mars 2019, 4A_590/2018 (d)

sic! 7-8/2019, p. 436-439, « Riverlake / RiverLake » ; raison de commerce, raison sociale, signe fantaisiste, néologisme, force distinctive moyenne, reprise d’une raison de commerce, terme générique, terme descriptif, droit de la personnalité, risque de confusion indirect, risque de confusion admis, impression générale, registre du commerce, droit au nom, usurpation, nom de domaine, transfert de nom de domaine, site Internet, anglais, Riverlake, RiverLake Capital AG, riverlake.com, transport maritime, finance, services financiers ; art. 29 al. 2 CC, art. 951 CO, art. 956 al. 2 CO.

Un prestataire logistique genevois, actif notamment dans le transport maritime de marchandises et ayant fait inscrire entre 1985 et 2011 quatre raisons de commerce contenant principalement le terme « Riverlake », a attaqué une entreprise zougoise, « RiverLake Capital AG », fournissant des services dans le domaine de la finance, suite à l’inscription en 2017 de sa raison de commerce dans le registre du commerce du canton de Zoug. Dans son jugement, l’instance précédente a interdit à la société zougoise d’utiliser l’élément « RiverLake » dans sa raison sociale, ainsi que dans les affaires en Suisse, notamment sur son site Internet, pour la désigner ou pour désigner ses services. Selon l’instance précédente, le terme « Riverlake », bien que composé de deux désignations génériques, constitue un néologisme. Elle considère qu’il s’agit d’un signe fantaisiste doté d’une force distinctive au moins moyenne, et que ni l’élément descriptif « Capital AG », ni l’utilisation d’un « L » majuscule dans la raison de commerce de la recourante ne lui permettent de se distinguer suffisamment nettement de la raison de commerce antérieure de la défenderesse, d’une manière qui permettrait d’exclure tout risque de confusion indirect (c. 2.2). Dans l’examen de l’existence d’un risque de confusion entre les raisons de commerce litigieuses, c’est à raison que l’instance cantonale s’est fondée sur l’impression d’ensemble produite sur le public, doté de connaissances moyennes de l’anglais. Elle n’a pas violé le droit fédéral en considérant que l’expression « Riverlake », considérée dans son ensemble, ne constitue pas une désignation descriptive, mais bien plutôt une désignation fantaisiste, certes dénuée d’originalité particulière. Contrairement à ce que soutient la recourante, et à l’inverse de ce qui prévaut en droit des marques, les raisons de commerce sont aussi protégées contre leur emploi par des entreprises actives dans d’autres branches. Par ses considérations, l’instance précédente n’a commis aucune violation de l’art. 951 CO, en lien avec l’art. 956 al. 2 CO (c. 2.3). Selon l’art. 29 al. 2 CC, celui qui est lésé par une usurpation de son nom peut intenter action pour la faire cesser. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’usage du nom d’autrui porte atteinte à ses intérêts lorsque l’appropriation du nom entraîne un risque de confusion ou de tromperie ou que cette appropriation est de nature à susciter dans l’esprit du public, par une association d’idées, un rapprochement qui n’existe en réalité pas entre le titulaire du nom et le tiers qui l’usurpe sans droit. Le degré d’atteinte requis par la loi est réalisé lorsqu’une association d’idées implique le titulaire du nom dans des relations qu’il récuse et qu’il peut raisonnablement récuser. L’usurpation du nom d’autrui ne vise pas seulement l’utilisation de ce nom dans son entier, mais aussi la reprise de sa partie principale si cette reprise crée un risque de confusion (c. 3.1). Dans son mémoire de recours, la demanderesse ne démontre pas que l’instance inférieure ait commis une violation de l’art. 29 al. 2 CC (c. 3.2). La recourante, qui s’est vu ordonner par l’instance précédente de transférer à la défenderesse le nom de domaine www.riverlake.com dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement, ne traite pas dans son mémoire des considérations de la décision attaquée. Elle affirme seulement que le domaine de premier niveau « .com » ne s’adresse pas seulement à la population suisse, et doit pouvoir continuer à être utilisé dans le monde entier. Comme l’explique à raison la défenderesse, les noms de domaine en « .com » peuvent être consultés depuis la Suisse, et atteignent donc aussi le public Suisse. L’atteinte produit des effets en Suisse. Le blocage d’un nom de domaine ne peut être limité ni territorialement, ni sur le fond. La recourante n’explique pas en quoi la décision de l’instance précédente serait disproportionnée, et ne met pas en cause le fondement de la prétention au transfert du nom de domaine (c. 4). Le recours est rejeté (c. 5). [SR]

01 décembre 2020

TF, 1er décembre 2020, 4A_235/2020 (d)

sic! 2021, p. 252-261, « Viagogo » ; concurrence déloyale, indication publicitaire fallacieuse, indication publicitaire inexacte, méthode de vente particulièrement agressive, légitimation active, intérêt public, territorialité, cercle des destinataires pertinent, consommateur moyen, degré d’attention accru, indication de prix, nom de domaine, site Internet, adresse électronique, vente de billets, Google AdWords, Viagogo, recours rejeté ; art. 2 LCD, art. 3 al. 1 lit. b LCD, art. 3 al. 1 lit. h LCD, art. 9 al. 1 LCD, art. 9 al. 2 LCD, art. 10 al. 3 LCD.

La société Viagogo, défenderesse, exploite une plateforme de revente de billets en ligne, sur laquelle elle n’agit pas en tant que vendeuse, mais permet des transactions entre utilisateurs moyennant une rémunération. Elle est titulaire du domaine www.viagogo.com, ainsi que de nombreuses sous-pages spécifiques à différents pays. Les prix des billets sont fixés par les vendeurs, et servent de base pour le calcul des frais perçus par la société. Lorsqu’un utilisateur effectue une recherche de billets et consulte une offre, il lui est indiqué que d’autres personnes regardent la même offre et que les billets sont très demandés. Après que l’utilisateur ait confirmé sa volonté d’acheter un billet, un compte à rebours apparaît. La Confédération suisse, recourante (représentée par le Secrétariat d’Etat à l’économie), considère que le comportement de la défenderesse tombe sous le coup de la LCD et de l’ordonnance sur l’indication des prix (OIP). Elle reproche à l’instance précédente d’avoir violé l’art. 10 al. 3 LCD, en posant des exigences trop élevées quant à la preuve de la légitimation active (c. 4). L’art. 10 al. 3 LCD prévoit que la Confédération peut intenter les actions prévues à l’art. 9 al. 1 et 2 LCD si elle le juge nécessaire à la protection de l’intérêt public (c. 4.1). L’introduction du droit de la Confédération d’intenter une action visait à prévenir les pratiques déloyales commises à partir de la Suisse, et non à introduire de manière générale l’applicabilité extraterritoriale de la LCD. La Confédération a pour mission de protéger la réputation de la Suisse à l’étranger, et non d’appliquer le droit suisse de la concurrence déloyale dans le monde entier, sans conditions préalables, en ce qui concerne les offres en ligne qui sont exploitées par des entreprises établies en Suisse. On ne saurait reprocher à l’instance inférieure une violation du droit fédéral lorsqu’elle a considéré que l’offre Internet mondiale de la défenderesse ne suffisait pas en elle-même à fonder la capacité d’ester en justice de la recourante. L’instance précédente a nié cette capacité concernant l’absence d’adresse électronique dans l’impressum, l’utilisation de l’expression « pas de file d’attente » dans les publicités Google et l’absence de fourniture des coordonnées des fournisseurs commerciaux, en considérant qu’il n’existait pas d’intérêt public, concernant ces problématiques, à agir sur le fondement de l’art. 10 al. 3 LCD. C’est à tort que la recourante soutient que le simple fait que la plateforme soit accessible à un grand nombre de personnes sur Internet suffit à fonder sa légitimation active (c. 4.2-4.5). Selon le jugement attaqué, les destinataires sont des consommateurs du monde entier qui achètent des billets pour des évènements sur Internet à des fins privées. Le consommateur moyen n’est pas averti, mais dispose d’un niveau de connaissances normal. Etant donné que l’achat d’un billet se fait de manière consciente, l’instance précédente considère qu’on peut admettre un degré d’attention assez élevé (c. 5.1). La recourante ne parvient pas à démontrer que l’instance précédente aurait violé le droit fédéral par ces considérations. Notamment, le fait que l’achat d’un billet pour un évènement ne représente pas un « investissement particulièrement important » ne conduit pas à un faible niveau d’attention du consommateur moyen (c. 5.2). Contrairement à ce que considère le jugement attaqué, la recourante soutient que la défenderesse a adopté un comportement trompeur tombant sous le coup des art. 2 et 3 al. 1 lit. b LCD (c. 7). La juridiction inférieure a constaté que, lors de recherches en ligne sur Google, la défenderesse apparaissait souvent avant même les canaux de distribution officiels, que ce soit de manière naturelle ou au moyen d’annonces Google. Sur le site www.viagogo.ch, la société indique notamment que les prix sont fixés par les vendeurs et peuvent être supérieurs ou inférieurs au prix d’origine, ainsi que le fait que les billets peuvent avoir été achetés à l’origine par un tiers. La recourante critique notamment les déclarations qui figurent dans les annonces Google, la position de la défenderesse dans les résultats de recherche, ainsi que le fait qu’elle ne rendrait pas les utilisateurs suffisamment attentifs à son caractère de simple plateforme de revente, et non de canal de vente officiel. Le jugement attaqué ne considère pas ces comportements comme déloyaux (c. 7.1.1). Il faut partir du principe que les destinataires moyens ne sont vraisemblablement pas familiers avec le détail du fonctionnement des recherches sur Internet, et qu’il est douteux qu’ils connaissent l’influence des AdWords sur les résultats de recherche. En revanche, la recourante ne parvient pas à invalider l'hypothèse de l'instance précédente selon laquelle il est reconnaissable pour les destinataires moyens que les annonces sont des annonces payantes, qui apparaissent généralement avant les résultats de recherche, et selon laquelle ils sont en mesure de distinguer les annonces marquées en conséquence des autres résultats de recherche. Contrairement à ce que soutient la recourante, on ne voit donc pas pourquoi de telles annonces seraient propres à faire croire au destinataire moyen qu’il a affaire au vendeur officiel de billets. Il ne peut être reproché à l’instance précédente de violer l’art. 3 al. 1 lit. b LCD ou l’art. 2 LCD (c. 7.1.2). Le jugement attaqué nie l’existence d’un devoir d’information sur les faits que les billets peuvent être personnalisés ou libellés à un autre nom et qu’ils ne donnent pas toujours accès à l’évènement. Selon lui, le destinataire moyen perçoit le site de l’intimée comme une plateforme de revente, et est bien conscient, lorsqu’il y achète des billets, que l’accès à un évènement peut poser des problèmes. Il ne s’attend pas à recevoir d’indications sur d’éventuels problèmes, car ces indications ne sont pas habituelles. Par conséquent, l’absence d’information ne constitue pas, selon l’instance précédente, un comportement déloyal (c. 7.2.1). La recourante ne peut être suivie lorsqu’elle affirme que le destinataire moyen ne reconnaît pas qu’il a affaire à une plateforme de revente, ce qui entraînerait une obligation d’information (c. 7.2.2). Pour ce motif, on ne peut non plus admettre qu’il existe une obligation d’informer sur les prix des autres vendeurs (c. 7.3), et la recourante ne parvient pas non plus à prouver la déloyauté de l’allégation « prix bas » dans les annonces Google de la défenderesse (c. 8.2). L’instance précédente a constaté que le prix réel à payer n’était pas indiqué dès le départ. Au début du processus de commande, un prix pour les billets était affiché, qui n'incluait pas encore les frais de livraison, la TVA et les frais de réservation, ajoutés par la suite. Le fait que ces éléments étaient exclus du prix initial était expressément indiqué. Selon son texte même, l’art. 3 al. 1 lit. b LCD vise aussi les indications de prix. Le jugement attaqué considère que le consommateur moyen s’intéresse, en matière de prix, au prix réel à payer. Par conséquent, ce prix doit être connu avant la conclusion du contrat. Selon l’instance précédente, il n’existe pas de pratique commerciale exigeant que le prix réel à payer soit indiqué au début du processus de vente en ligne, et l’ajout ultérieur de suppléments constitue une pratique répandue. Le consommateur moyen connaissant, au moment de la décision finale d’achat, le prix qu’il devra effectivement payer, il n’y a selon elle aucun risque de tromperie ou d’induction en erreur en raison de l’indication d’un prix initial inférieur. Le consommateur moyen comprend que, dans ce type de vente (contrairement, par exemple, à une vente dans un magasin physique) le prix initialement affiché ne correspond pas au prix définitif (c. 9.1). La recourante ne parvient pas à démontrer en quoi ces considérations seraient contraires au droit fédéral (c. 9.2). Elle reproche enfin au jugement attaqué d’avoir nié l’existence de méthodes de vente particulièrement agressives au sens de l’art. 3 al. 1 lit. h LCD (c. 10). L’instance précédente a constaté que la défenderesse utilisait sur son site les mentions « les billets sont très demandés », « il ne reste que quelques billets », « les billets sont presque tous vendus » et, sur certaines pages, un compte à rebours. La société indiquait en outre le nombre de billets disponibles, sans préciser s’ils étaient épuisés sur les autres sites de vente, mais en indiquant, lorsqu’on cliquait sur la rubrique appropriée, que l’information ne concernait que la plateforme. Selon l’instance précédente, l’utilisation d’un compte à rebours, indiquant la durée pendant laquelle les billets sélectionnés sont réservés à l’utilisateur, est habituelle pour ce type de vente, et la restriction de la durée de réservation de billets est nécessaire lorsque les billets font l’objet d’une demande particulièrement élevée, afin de garantir le bon déroulement du processus de vente. Ces éléments ne doivent par conséquent pas être qualifiés, selon elle, de méthodes de vente particulièrement agressives. Il est vrai qu’ils peuvent inciter le consommateur moyen à ne pas traîner au moment d’effectuer un achat, et qu’ils peuvent ainsi à tout le moins être désagréables pour lui, mais le consommateur est habitué à ce type de pratiques, usuelles dans le secteur, et ne se sent donc pas mis sous pression. Selon l’instance précédente, le consommateur moyen n’est pas influencé en ce qui concerne le choix de l’évènement et la décision d’achat elle-même. Il ne conclut pas le contrat en raison de la méthode de vente, mais en définitive toujours en raison de l’objet de l’achat. Il ne se trouve pas dans une situation de contrainte qui entrave sensiblement sa liberté de choix, et il sait également que des billets sont encore disponibles sur le marché secondaire auprès d'autres fournisseurs. Lorsqu'il recherche un produit, il visite ces plateformes en ligne de son propre chef. Il n'est pas pris par surprise ou mis sous pression, comme c'est le cas notamment pour le démarchage à domicile ou pour la vente par téléphone. Par conséquent, le comportement de la défenderesse ne tombe selon le jugement attaqué pas sous le coup de l’art. 3 al. 1 lit. h LCD. Il ne constitue pas non plus une tromperie au sens de l’art. 3 al. 1 lit. b LCD ou une violation de l’art. 2 LCD, les informations fournies n’ayant pas créé une impression fausse ou ambigüe quant à la disponibilité des billets (c. 10.1). La recourante ne parvient là encore pas à démontrer que les considérations du jugement attaqué son erronées (c. 10.2). Le recours est rejeté (c. 11). [SR]

28 décembre 2020

TF, 28 décembre 2020, 4A_265/2020 (d)

Motifs relatifs d’exclusion, similarité des produits ou services, similarité des signes, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sémantique, risque de confusion, cercle des destinataires pertinents, consommateur moyen, degré d’attention moyen, force distinctive faible, force distinctive accrue par l’usage, usage de la marque, usage à titre de marque, interruption de l’usage de la marque, délai de grâce, action en interdiction, action en constatation de la nullité d’une marque, intérêt digne de protection, nullité d’une marque, marque défensive, marque combinée, marque verbale, logo, territorialité, territoire suisse, lien géographique suffisant, apposition de signe, dilution de la marque, péremption, abus de droit, site Internet, blocage de sites Internet, nom de domaine, contournement, lumière, lampe, luminaire, Coop, recours rejeté ; art. 2 al. 2 CC, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 1 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 13 al. 2 lit. e LPM, art. 52 LPM, art. 55 LPM, art. 55 al. 1 lit. a LPM.

La défenderesse, le groupe Coop, est titulaire de la marque combinée « Lumimart » (fig. 1), déposée en 1996 en classe 11 pour des appareils et équipements d’éclairage. Elle détient une filiale qui distribue des luminaires et des sources lumineuses sous ce nom. Sur son site Internet www.lumimart.ch, elle utilise depuis 2018 un nouveau logo (fig. 2). La recourante, Luminarte GmbH, est une société allemande qui distribue le même types de produits en Suisse, sous le nom de « Luminarte ». Elle est titulaire de la marque verbale « Luminarte », déposée en 2013. En 2020, le tribunal de commerce du canton d’Argovie a constaté la nullité de la marque suisse « Luminarte » (sauf pour certains produits spécifiques), et a interdit à la demanderesse de commercialiser des luminaires et des sources lumineuses en Suisse sous ce signe. Selon le principe de territorialité, les droits de propriété intellectuelle et les prétentions découlant de la loi contre la concurrence déloyale sont limités au territoire de l’Etat qui accorde la protection. Par conséquent, l’action de l’art. 55 LPM ne permet d’interdire que les actes qui ont lien géographique suffisant avec la Suisse. La demande de l’intimée d’interdire certaines pratiques en Suisse ne constitue donc pas une « interprétation extensive de la territorialité du droit Suisse », comme le prétend la recourante, mais plutôt une conséquence du principe de territorialité (c. 5.2). En outre, contrairement à ce que soutient la recourante, le simple fait d’offrir la possibilité technique de consulter un signe sur Internet ne constitue pas un usage tombant sous le coup du droit suisse des marques. L’usage suppose un lien qualifié avec la Suisse, comme par exemple une livraison en Suisse ou une indication des prix en francs suisses. Il ne saurait être question d’interdire à la recourante d’être présente sur Internet dans le monde entier, d’autant plus qu’il est techniquement possible de bloquer l’accès à un site web aux utilisateurs d’un pays spécifique. La question de savoir si les mesures de géoblocage peuvent être contournées par des moyens techniques sophistiqués, comme le prétend la recourante, n’est pas pertinente (c. 5.3). Le prononcé d’une interdiction sur le fondement de l’art. 55 al. 1 lit. a LPM suppose l’existence d’un intérêt juridiquement protégé à obtenir l’interdiction, qui n’existe que lorsqu’une atteinte menace, c’est-à-dire lorsque le comportement visé fait sérieusement craindre un acte illicite dans le futur (c. 6.1). La recourante considère que la défenderesse n’a pas utilisé le logo déposé comme marque combinée depuis septembre 2018, et qu’elle n’aurait par conséquent d’intérêt juridiquement protégé ni à obtenir l’interdiction de l’usage litigieux, ni à faire constater la nullité de sa marque. La question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de l’existence d’un intérêt juridiquement protégé, mais plutôt de savoir dans quelle mesure le titulaire d’une marque qu’il n’utilise pas peut se prévaloir de son droit à la marque (c. 6.3.1). Selon l’art. 11 al. 1 LPM, la protection n’est accordée que pour autant que la marque soit utilisée en relation avec les produits ou les services enregistrés. L’art. 12 al. 1 LPM prévoit qu’à l’expiration d’un délai de grâce de cinq ans, le titulaire qui n’a pas utilisé la marque en relation avec les produits ou les services enregistrés ne peut plus faire valoir son droit à la marque. La doctrine admet que le délai de grâce ne s’applique pas seulement pendant la période comprise entre l’enregistrement et la première utilisation, mais aussi en cas d’interruption de l’utilisation après que celle-ci a déjà commencé. Cela est également indiqué par l’art. 12 al. 2 LPM, qui mentionne la « reprise » de l’utilisation (c. 6.3.2). La juridiction inférieure a considéré que la marque de la défenderesse n’ayant pas été utilisée depuis septembre 2018, elle bénéficiait encore du délai de grâce de l’art. 12 al. 1 LPM, et que la défenderesse pouvait donc encore faire valoir son droit à la marque à l’encontre de la recourante. Cette dernière soutient qu’en l’espèce, l’usage de la marque a été définitivement abandonné, ce qui entraînerait l’inapplicabilité du délai de grâce (c. 6.3.3). Si l’usage de la marque peut cesser pendant la période de grâce de cinq ans sans atteinte au droit à la marque, il est toutefois exact que la règle de l’art. 12 LPM ne protège pas les marques enregistrées de manière abusive. Les marques qui ne sont pas déposées dans le but d'être utilisées, mais qui sont destinées à empêcher l'enregistrement de signes correspondants par des tiers ou à accroître l'étendue de la protection des marques effectivement utilisées, ne peuvent prétendre à la protection. En particulier, le titulaire d'une telle marque défensive ne peut pas invoquer le délai de grâce de cinq ans pour l'usage en vertu de l'article 12 al. 1 LPM. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la doctrine, principalement francophones, qui considère que l’abandon de la marque entraîne également une perte (définitive) des droits avant la fin du délai de grâce de cinq ans. Il s’agit de cas d’abus dans lesquels la marque est défendue sans qu’il n’y ait d’intention de l’utiliser à nouveau. De telles circonstances n'ont pas été établies en l'espèce. La défenderesse a utilisé le signe de manière continue pendant 20 ans en relation avec les produits pour lesquels la marque est revendiquée, et il n’apparaît pas qu’elle soit utilisée de manière défensive. Le simple fait que la défenderesse ne paraisse pas utiliser la marque actuellement ne permet pas de conclure à un abus. C'est par conséquent à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que la marque est encore protégée et que la défenderesse peut faire valoir son droit à la marque (c. 6.3.4). En lien avec l’action en interdiction, la recourante fait valoir que l’instance précédente a conclu à tort à l’existence d’un motif relatif d’exclusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 7). Pour déterminer s’il existe une similarité de produits au sens de cette disposition, les produits pour lesquels la marque de la défenderesse est enregistrée doivent être comparés aux produits ou services pour lesquels il existe la menace d’un usage (c. 7.2). La défenderesse revendique la protection pour des appareils et équipements d’éclairage (classe 11). C’est à raison que l’instance précédente a conclu que ces produits sont similaires à ceux de la recourante. Même les armatures et équipements d’éclairage sont étroitement liés aux produits d’éclairage. En particulier, l'un ne peut être utilisé utilement sans l'autre. Ces produits sont perçus dans leur ensemble par le public. Ils ont la même finalité et sont destinés à des groupes de clients similaires (c. 7.3). La recourante estime que sa présence sur le marché suisse est limitée à la vente en ligne (dans les catégories des luminaires et des équipements d'éclairage). Les produits qu'elle vend proviendraient exclusivement de tiers et seraient identifiés comme tels. Le signe « Luminarte » qu'elle utilise ne serait donc pas associé par le consommateur suisse moyen aux luminaires, mais serait compris comme une indication se rapportant à ses services commerciaux. En particulier, ses activités ne relèveraient pas des classes de produits 9 et 11. Elle n'utiliserait pas les signes en cause à titre de marques, mais en ferait uniquement usage à d’autres fins, dont la désignation d’une boutique un ligne et d’un site web, et sur des documents commerciaux. La recourante se réfère à une ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle l’utilisation d’un signe pour nommer un magasin et sur des sacs cabas ne tombe pas sous le coup du droit des marques. Étant donné qu’elle n'a pas apposé les signes sur les produits eux-mêmes, la défenderesse ne pourrait selon elle pas faire interdire l'utilisation des signes litigieux (c. 7.4.1). Sous l'empire de l'ancienne loi sur les marques, abrogée le 1er avril 1993, la pratique du Tribunal fédéral était en effet que le droit à la marque d'un tiers ne pouvait être violé que par l'utilisation d'un signe sur le produit lui-même ou sur son emballage. Le législateur a estimé que cette situation juridique n'était pas satisfaisante, et s’est explicitement écarté de la pratique précitée du Tribunal fédéral en adoptant l’art. 13 al. 2 lit. e LPM dans la nouvelle loi sur la protection des marques de 1992. Ainsi, le titulaire de la marque peut interdire à des tiers l’usage de signes dont la protection est exclue en vertu de l’art. 3 al. 1 LPM sur des papiers d’affaires, à des fins publicitaires ou de quelque autre manière dans la vie des affaires. Cette notion doit être comprise dans un sens large ; elle couvre également l'usage d'un signe qui n'est pas directement lié aux produits ou aux services concernés (c. 7.4.2). La situation juridique créée par l'article 13 al. 2 lit. e LPM prive les arguments de la demanderesse de tout fondement. Il est incontestable qu'elle utilise le signe « Luminarte » (y compris le logo et le nom de domaine) à titre de marque. Le fait que les produits qu'elle vend ne portent pas ce signe est sans importance. La demanderesse se fonde essentiellement sur l'allégation selon laquelle elle fournit un service, alors que la marque de l'intimé n'est protégée que pour des produits. Or, selon les constatations de la juridiction inférieure, le « service » de la recourante consiste essentiellement en la vente de luminaires et d'appareils d'éclairage, c'est-à-dire les produits pour lesquels la marque de la défenderesse revendique la protection. Il existe donc un lien si étroit que l'offre de la recourante est facilement perçue comme liée à celle de la défenderesse. En outre, il n’est pas exact que les biens sont en soi dissemblables des services. Selon la jurisprudence, la similitude entre les services, d'une part, et les marchandises, d'autre part, doit être présumée, par exemple s'il existe un lien habituel sur le marché en ce sens que les deux produits sont typiquement proposés par la même entreprise sous la forme d'un ensemble de services uniforme. En l'espèce, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a affirmé la similarité au sens de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM, et il ne fait aucun doute que la défenderesse peut faire valoir l’art. 13 al. 2 lit. e LPM à l’encontre de la recourante. La question de savoir si la vente de produits sur Internet constitue un service au sens du droit des marques ou si la marque est utilisée pour identifier les produits vendus en eux-mêmes peut rester ouverte (c. 7.4.3). L’art. 3 al. 1 lit. c LPM suppose l’existence d’un risque de confusion (c. 8), que l’instance précédente a admis à raison (c. 8.3). Comme elle l’a expliqué à juste titre, les appareils et équipements d’éclairage sont vendus dans des magasins spécialisés et dans des magasins de meubles, ainsi que dans des grandes surfaces destinées au grand public. Les destinataires achètent ces produits avec un degré d’attention moyen, plus élevé que pour les biens de grande consommation d’usage courant (c. 8.3.1). Le tribunal de commerce a considéré que la marque de la recourante, bien que composée d’éléments descriptifs, bénéficie d’une certaine force distinctive, qui doit être considérée comme faible. Toutefois, il a constaté que cette force distinctive s’est accrue avec l’usage, en se fondant notamment sur l’utilisation de longue date du signe depuis 1998, sur la large diffusion des magasins spécialisés portant le signe ainsi que sur les efforts publicitaires intensifs consentis. Le Tribunal fédéral est lié par ces constatations (c. 8.3.2.1). Il faut donc admettre, comme l’a fait l’instance précédente, que la marque de la défenderesse possède une force distinctive accrue, et un large champ de protection (c. 8.3.2.4). La comparaison des signes « Lumimart » et « Luminarte » révèle leur similarité sur les plans visuel et sonore, notamment parce que leurs préfixes sont identiques et parce que la séquence des voyelles et des consonnes est quasiment identique. La différence dans le nombre de syllabes n'est pas d'une importance décisive au regard de la longueur totale des signes. Sur le plan sémantique, la juridiction inférieure a considéré, en se référant au sens lexical des différents éléments verbaux, que le public concerné comprend sans effort de réflexion significatif que les signes se réfèrent au marché des luminaires pour l’un, et à l’art de l’éclairage pour l’autre, et a ainsi reconnu leurs significations différentes. Les éléments figuratifs des signes respectifs sont eux aussi différents. C’est à raison que le tribunal de commerce a conclu que les signes utilisés par la recourante sont similaires à la marque de la défenderesse, en tenant compte que du fait que le caractère distinctif de la marque de la défenderesse a été substantiellement renforcé par de nombreuses années d’efforts publicitaires. C’est aussi à raison qu’il a adopté un standard particulièrement strict en tentant compte de la similitude des produits pour lesquels les signes sont utilisés. Même l'ajout par la recourante de l'indication « die Lichtmacher » en minuscules dans une police de caractères conventionnelle n'est pas de nature à éliminer le risque de confusion du point de vue de la clientèle concernée. La conclusion de l’instance précédente selon laquelle, sur la base d'une appréciation globale, il est clair que les signes de la recourante créent un risque de confusion, résiste à l'examen du Tribunal fédéral (c. 8.3.3). Le fait que les désignations du domaine public ne puissent être monopolisées n’implique pas que les termes « lumi », « mart » et « arte », qui appartiennent au domaine public, peuvent être exclus de l’évaluation de l’existence d’un risque de confusion. Même les éléments qui appartiennent au domaine public peuvent influencer l’impression générale produite par les marques (c. 8.3.4). La question d’une éventuelle dilution de la marque de la défenderesse ne se pose pas en l’espèce, car le caractère distinctif de la marque ne résulte pas principalement de son originalité, mais de la réputation qu’elle a acquise auprès du public. Le fait qu’il existe de nombreux enregistrements de marques avec les éléments « lumi » et « mart » est une expression du fait que ces éléments ne sont pas originaux. L’instance précédente en a tenu compte dans l’évaluation du risque de confusion (c. 8.3.5). L’instance précédente n’a commis aucune violation du droit fédéral en admettant l’existence d’un risque de confusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM, et en reconnaissant à la défenderesse le bénéfice des droits de l’art. 13 al. 2 LPM (c. 8.4). La recourante allègue en outre que les prétentions découlant du droit des marques sont périmées, car la défenderesse aurait trop tardé à réagir (c. 9). L’art. 2 al. 2 CC prévoit que l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi. La péremption présuppose que l’ayant droit avait connaissance de l’atteinte à ses droits par l’usage d’un signe identique ou similaire, ou qu’il aurait dû en avoir connaissance s’il avait fait preuve de la diligence requise, qu’il a toléré cet usage pendant une longue période sans s’y opposer et que l’auteur de la violation a acquis entre-temps, de bonne foi, une position digne de protection (c. 9.1). Il faut que l’auteur de l’atteinte ait acquis une confiance légitime dans le fait que sa responsabilité ne sera pas engagée à l’avenir. Il doit penser que l’ayant droit agit passivement en ayant connaissance de l’atteinte, et non par simple ignorance. Il va de soi que cette connaissance doit se rapporter à une atteinte à la marque en Suisse (c. 9.3.3). L’instance précédente a relevé que le domaine www.luminarte.ch était accessible depuis 2008. Elle considère toutefois que la défenderesse n’avait pas d’obligation générale de surveiller les domaines nationaux, d’autant plus que les visiteurs de ce site web étaient redirigés vers le domaine allemand www.luminarte.de. Ce site web, quant à lui, n’était pas clairement destiné à la Suisse. Ces considérations ne sont pas critiquables. L’auteur de l’infraction ne peut pas s’attendre à ce que l’ayant droit surveille en permanence tous les mouvements effectués sur le marché (c. 9.3.4). Si le titulaire tolère une atteinte à son droit, la période de tolérance après laquelle la péremption doit être admise dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La jurisprudence en matière de droit des signes distinctifs fluctue entre quatre et huit ans. Dans deux cas particuliers, une péremption a été admise après des périodes d'un an et demi et de deux ans. Toutefois, le temps écoulé n'est pas le seul facteur décisif. La question déterminante est de savoir si l’auteur de l’infraction pouvait, d’un point de vue raisonnable et objectif, supposer que l’ayant droit tolérait son comportement. En l’espèce, il ne peut être déduit des constatations de fait de l'arrêt attaqué que de telles circonstances particulières étaient présentes déjà après une période de trois ans. Comme l’a considéré avec raison le tribunal de commerce, la défenderesse n’a pas commis d’abus de droit manifeste au sens de l’art. 2 al. 2 CC (c. 9.4.2). Enfin, la recourante reproche à l’instance précédente d’avoir, partiellement, admis l’action en nullité (c. 10). Dans le cadre de l’action en nullité se fondant sur l’art. 52 LPM, les marques en cause doivent être comparées telles qu’inscrites au registre. La similarité des produits doit s’apprécier en prenant en compte les produits pour lesquels les marques revendiquent la protection, selon leur inscription au registre (c. 10.3). On ne saurait reprocher à l’instance précédente une violation du droit fédéral lorsqu’elle a constaté que la marque suisse de la recourante était nulle pour la plupart des produits revendiqués (c. 10.5). En résumé, c’est à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que les signes de la plaignante sont (dans une large mesure) exclus de la protection des marques en vertu de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM. L’action en cessation fondée sur l’art. 55 al. 1 LPM, en lien avec l’art. 13 al. 2 LPM, doit donc être admise. C’est également à juste titre que le tribunal de commerce a admis l’action en constatation fondée sur l’art. 52 LPM (c. 11). Le recours est rejeté (c. 12). [SR]

28 décembre 2020

TF, 28 décembre 2020, 4A_267/2020 (d)

Concurrence déloyale, risque de confusion, risque de confusion indirect, force distinctive, force distinctive originaire, force distinctive acquise par l’usage, force distinctive faible, imposition dans le commerce, imposition par l’usage, dilution de la force distinctive, similarité des produits ou services, similarité des signes, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan sémantique, priorité, logo, signe verbal, signe descriptif, consommateur moyen, territorialité, territoire suisse, lien géographique suffisant, action défensive, péremption, abus de droit, surveillance du marché, site Internet, blocage de sites Internet, nom de domaine, contournement, lumière, lampe, luminaire, Coop, recours rejeté ; art. 105 al. 2 LTF, art. 2 al. 2 CC, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 9 LCD.

 La défenderesse, qui appartient au groupe Coop, est principalement active dans le commerce de détail. Elle exploite, sous le signe « Lumimart », des magasins spécialisés dans l’éclairage, dans lesquels elle vend des luminaires et des sources lumineuses. Ces produits sont également proposés dans une boutique en ligne, accessible sur le site Internet www.lumimart.ch. La défenderesse utilise le signe « Lumimart » depuis 1998, avec le logo (fig. 1). Depuis 2018, elle utilise le logo (fig. 2) dans ses magasins spécialisés et dans sa boutique en ligne. La recourante, Luminarte GmbH, est une société allemande qui exploite les sites Internet www.luminarte.ch et www.luminarte.de. Elle utilise le logo (fig. 3) sur ses sites et dans son matériel publicitaire. En 2020, le tribunal de commerce du canton d’Argovie lui a interdit de faire de faire la promotion, d’offrir ou de livrer en Suisse des lampes ou des luminaires sous sa raison de sociale, sous ses noms de domaine ou en utilisant son logo. Il a conclu que l’utilisation des signes litigieux tombe sous le coup de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD (c. 4.3). La recourante considère que la restriction territoriale imposée par l’instance précédente est impossible à mettre en œuvre en pratique, notamment parce que le site www.luminarte.de est accessible depuis la Suisse. Même si elle a introduit des mesures de géoblocage, les utilisateurs suisses peuvent le contourner à l’aide de moyens techniques tels qu’un VPN, même sans connaissances techniques particulières (c. 5.1.1). Les droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale sont limités territorialement. Par conséquent, un lien géographique suffisant avec la Suisse est nécessaire pour admettre l’existence d’atteintes à ces droits, et les actions qui en découlent. La demande de l’intimée d’interdire certaines pratiques en Suisse ne constitue donc pas une « interprétation extensive de la territorialité du droit suisse », comme le prétend la recourante. Par ailleurs, contrairement à ce qu’elle soutient, la simple possibilité technique de consulter un signe sur Internet ne constitue pas un usage pertinent sous l’angle du droit des signes distinctifs. Pour tomber sous le coup des interdictions du droit de la concurrence déloyale, un lien qualifié avec la Suisse, comme par exemple une livraison en Suisse ou une indication des prix en francs suisses, est nécessaire. Il ne saurait être question d’interdire à la recourante d’être présente sur Internet dans le monde entier, d’autant plus qu’il est techniquement possible de bloquer l’accès à un site web aux utilisateurs d’un pays spécifique. La question de savoir si ces mesures de géoblocage peuvent être contournées par des moyens techniques sophistiqués, comme le prétend la recourante, n’est pas pertinente (c. 5.1.2). La création d’un risque de confusion n’est relevante en droit de la concurrence déloyale que si le signe imité présente une force distinctive, à titre originaire (en raison de son originalité) ou dérivé (parce qu’elle s’est imposée) (c. 7.1). L’instance précédente a considéré que le signe verbal « Lumimart » et le nom de domaine « lumimart.ch » sont descriptifs, car ils peuvent aisément être compris par le consommateur moyen francophone et italophone comme se rapportant au marché de l’éclairage ou de la lumière, et n’ont donc pas de force distinctive originaire. Par contre, les deux logos de la défenderesse présentent une certaine originalité, faible mais suffisante, en raison de la combinaison d’éléments qu’ils contiennent. Ces considérations ne sont pas contestées par la recourante (c. 7.2). Un signe s’est imposé dans le commerce s’il est compris par une partie substantielle des destinataires des produits ou services qu’il désigne comme une référence à une entreprise déterminée (c. 7.3.1). L’imposition d’un signe est en tant que telle est une question de droit, mais savoir si les conditions sont remplies dans un cas concret constitue une question de fait, que le Tribunal fédéral n’examine que dans la mesure de l’art. 105 al. 2 LTF. En revanche, savoir si les exigences en matière de preuve ont été dépassées par les autorités est une question de droit (c. 7.3.2). L’instance précédente a estimé que le signe « Lumimart » et le nom de domaine « lumimart.ch » ont une force distinctive dérivée, et que le périmètre de protection des deux logos, qui possédaient déjà une force distinctive originaire faible, s’est étendu. Elle s’est notamment fondée sur la position importante de la défenderesse sur le marché, sur ses importants efforts publicitaires et sur une enquête démoscopique (c. 7.3.3). La recourante ne parvient pas à démontrer que cette appréciation serait erronée (c. 7.3.4.1). La recourante reproche ensuite au tribunal de commerce d’avoir admis un caractère distinctif dérivé pour l’ensemble de la Suisse, alors même que la défenderesse n’a ni affirmé, ni prouvé que ses signes se sont imposés en Suisse italienne et en suisse romanche, régions dans lesquelles il n’y a pas de succursale « Lumimart ». En droit de la concurrence déloyale, il est concevable qu’un signe ne s’impose que sur un territoire limité, et que la protection soit dès lors limitée à ce territoire. Toutefois, lors de l’examen du caractère distinctif dérivé, on ne peut exiger que soit apportée la preuve distincte que le signe s’est imposé dans chaque canton. S’il est établi que le signe est compris par une partie considérable des destinataires en Suisse comme une référence à une certaine entreprise en raison d’efforts publicitaires considérables, la protection concerne également l’ensemble de la Suisse (c. 7.3.4.3). La recourante allègue ensuite à tort que le logo (fig. 2) ne peut s’être imposé sur le marché parce qu’il n’est utilisé que depuis septembre 2018. D’une part, la doctrine admet qu’un signe peut s’imposer très rapidement, et même immédiatement, sur le marché. D’autre part, le logo (fig. 2) était déjà distinctif à l’origine. En outre, il est fortement influencé par le mot « Lumimart », qui s’est à son tour imposé sur le marché. La recourante considère également que le logo (fig. 1) n’ayant été utilisé que jusqu’en septembre 2018, on ne pouvait plus considérer qu’il s’était imposé sur le marché au moment du jugement de l’instance précédente, en mars 2020. Cela ne peut être admis de manière générale. Même dans le cas de l'imitation de signes qui n'ont pas été utilisés depuis peu de temps, il peut y avoir un risque de fausse attribution. Le facteur décisif doit être de savoir si le public cible continue d'associer le signe imité, c'est-à-dire s'il le comprend toujours comme une indication de l'origine d'une entreprise malgré le fait qu'il ne soit plus utilisé. La recourante ne prétend pas que tel n'est plus le cas (c. 7.3.5). Enfin, la recourante allègue que les signes de l’intimée ont perdu leur force distinctive en raison d’une dilution. La notion de dilution du caractère distinctif vise les signes qui sont à l’origine particulièrement distinctifs (notamment les signes de fantaisie), mais qui sont utilisés si fréquemment que leur caractère individuel se perd. Tel n’est pas le cas en l’espèce (c. 7.3.6). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a conclu que les signes de l’intimée sont distinctifs (c. 7.4). L’art. 3 lit. d LCD suppose la création d’un risque de confusion (c. 9), qui peut être direct ou indirect (c. 9.1). L’instance précédente a admis l’existence d’un risque de confusion indirect. Compte tenu du fait que les deux parties se présentent comme des fournisseurs spécialisés de luminaires, il faut en tous les cas considérer que les signes en cause donnent l’impression de provenir d’entreprises économiquement proches. Il semble probable que les consommateurs sont amenés à supposer, au moins temporairement, qu'il existe un lien économique ou organisationnel entre les entreprises (c. 9.2). L’instance précédente a rappelé à juste titre que plus les produits pour lesquels les signes en cause sont utilisés sont proches, plus le risque de confusion est grand. Elle a par ailleurs mis en évidence le fait que les canaux de vente sont en partie superposés : la recourante n’est présente sur le marché suisse que par le biais de ses sites Internet, sans y exploiter de succursale. La défenderesse vend également ses produits par le biais d’un site Internet, mais elle est aussi présente physiquement dans plus de trente sites avec des magasins de détail. Tous les signes des parties sont caractérisés par les éléments verbaux « Lumimart » et « Luminarte », dont la comparaison révèle leur similarité sur les plans visuel et sonore, notamment en raison de leurs préfixes identiques et de leurs séquences quasiment identiques de voyelles et consonnes. Sur le plan sémantique, la juridiction inférieure a considéré, en se référant au sens lexical des différents éléments verbaux, que le public concerné comprend sans effort de réflexion significatif que les signes se réfèrent pour l’un au marché des luminaires, et pour l’autre à l’art de l’éclairage, et reconnaît ainsi leurs significations différentes. Le risque de confusion doit être évalué principalement sur la base du caractère distinctif acquis par l’imposition des signes sur le marché. Dans ce contexte, c’est à raison que le tribunal de commerce a conclu que les signes utilisés par la recourante étaient trop similaires à ceux de la défenderesse. Compte tenu du critère strict d'appréciation à appliquer en ce qui concerne la similitude des produits, combiné à l'étendue de la protection du signe « Lumimart » (et des logos qui le contiennent) obtenue en vertu de l’imposition des signes sur le marché, l’utilisation des signes par la recourante, qui sont presque identiques dans l'écriture et le langage et sont en tout cas comparables dans leur signification, apparaît comme illicite. C’est à juste titre que l’instance précédente a considéré que la similarité des signes entraîne un risque de confusion indirect (c. 9.3.2). Seule la partie qui utilise le signe depuis le plus longtemps dans le commerce, de manière démontrable, peut invoquer la protection de l’art. 3 lit. d LCD (« priorité d’usage »). La simple intention d’utiliser le signe n’est pas suffisante (c. 10.1). L’instance précédente a constaté que la recourante est apparue sur le marché suisse avec le signe « Luminarte » à partir d’octobre 2013. On peut aisément conclure des considérations du tribunal du commerce que les signes de la défenderesse s’étaient déjà imposés sur le marché à cette époque (c. 10.3). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a constaté que la recourante a agi de manière déloyale au sens de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD en utilisant les signes litigieux, et que l’intimée dispose par conséquent des voies de droit correspondantes (c. 10.5). La recourante considère que les actions de la défenderesse sont périmées car elle a trop tardé à réagir aux atteintes (c. 11). La péremption est un cas d'exercice inadmissible des droits en raison d'un comportement contradictoire, et donc abusif (art. 2 al. 2 CC). La doctrine et la jurisprudence admettent que les actions défensives du droit de la concurrence déloyale peuvent également être périmées si elles sont invoquées trop tardivement. Il convient toutefois de faire preuve de retenue, car le droit de la concurrence déloyale, et en particulier l'art. 3 al. 1 lit. d LCD, protège non seulement les intérêts particuliers, mais aussi les intérêts généraux. Il garantit une concurrence loyale et non faussée dans l'intérêt de tous les participants (art. 1 LCD) et, en particulier, la protection du public contre l'usage trompeur de signes, comme c’est le cas en l'espèce. Une péremption, fondée uniquement sur le comportement d'un concurrent, doit donc être examinée avec une prudence particulière. Au surplus, selon l'art. 2 al. 2 CC, un droit ne peut plus être protégé que si son abus est manifeste. En tous les cas, la péremption suppose que le plaignant ait eu connaissance de l’acte de concurrence déloyale, ou qu’il ait dû en avoir eu connaissance s’il avait preuve de la diligence requise, qu’il l’ait toléré sans s’y opposer durant une longue période et que l’auteur de l’atteinte ait acquis de bonne foi une position digne de protection. Plus le concurrent lésé par le comportement concurrentiel déloyal attend pour faire valoir ses droits, plus l’auteur de l’atteinte peut s'attendre de bonne foi à ce qu’il continue à tolérer l'atteinte à la concurrence et ne s'attende pas à ce qu'il cède la position acquise (c. 11.1). L’exercice tardif des droits peut également être abusif s’il est dû à l’ignorance négligente de l’atteinte, le concurrent atteint ayant insuffisamment surveillé le marché (c. 11.3.2). Il est alors déterminant de savoir si le demandeur avait ou aurait dû avoir connaissance de l'acte déloyal, du point de vue de l’auteur de l’atteinte. La péremption n'est pas une fin en soi : le contrevenant doit avoir une confiance légitime dans le fait que sa responsabilité ne sera pas engagée à l'avenir. Par conséquent, il doit également penser que le concurrent agit passivement en ayant connaissance de l'infraction, et non par simple ignorance. Bien entendu, cette connaissance doit se référer à une atteinte à la concurrence en Suisse (c. 11.3.3). L’instance précédente a considéré que la défenderesse n'avait pas une obligation générale de surveillance des domaines nationaux, d'autant plus que les visiteurs du site Internet suisse de la recourante étaient redirigés vers le domaine allemand www.luminarte.de. Ce site Internet, à son tour, ne visait pas clairement le marché suisse. Ces considérations ne sont pas critiquables. Il faut en particulier souligner que le commerçant qui commet un acte de concurrence déloyale ne peut pas partir du principe que ses concurrents surveillent en permanence tous les mouvements sur le marché. Le droit suisse ne connaît pas d’obligation générale de surveillance du marché. La recourante, qui fait référence aux « possibilités et moyens considérables » dont dispose le Groupe Coop pour surveiller le marché, ne démontre pas suffisamment dans quelle mesure elle était en droit de supposer, déjà avant octobre 2013, que la défenderesse connaissait ou aurait dû connaître l’utilisation déloyale du signe litigieux (c. 11.3.4). La recourante fait encore valoir qu'au vu de « l'usage encore plus intensif » du signe « Luminarte » à partir de 2013, une période de trois ans et demi est suffisante pour admettre une péremption (c. 11.5.1). La période de tolérance après laquelle la péremption doit être admise dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La jurisprudence en matière de droit des signes distinctifs fluctue entre quatre et huit ans. Dans deux cas particuliers, une péremption a été admise après des périodes d'un an et demi et de deux ans. Toutefois, le temps écoulé n'est pas le seul facteur décisif. La question déterminante est de savoir si l’auteur de l’infraction pouvait, d’un point de vue raisonnable et objectif, supposer que le concurrent tolérait son comportement. En l’espèce, il ne peut être déduit des constatations de fait de l'arrêt attaqué que de telles circonstances particulières étaient présentes déjà après une période de trois ans et demi. En particulier, il est important que la partie lésée dispose d'un délai raisonnable pour clarifier la situation juridique, l'importance de l'atteinte à la concurrence ainsi que les inconvénients résultant d'un éventuel risque de confusion et, sur cette base, puisse décider avec soin de l'engagement de démarches juridiques. Dans ce contexte, il n'y a pas d'abus manifeste du droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC (c. 11.5.2). La conclusion de l'instance précédente selon laquelle les prétentions du demandeur n'étaient pas périmées résiste donc à l’examen du Tribunal fédéral (c. 11.6). En résumé, c’est à juste titre que l’instance précédente a conclu que la requérante a agi de manière déloyale en utilisant les signes « Luminarte », « luminarte.de », « luminarte.ch » et « Luminarte GmbH » sur le marché et en créant ainsi un risque de confusion avec la présence sur le marché de l’intimée. Les actions des art. 9ss LCD sont donc ouvertes (c. 12). Le recours est rejeté (c. 13). [SR]

29 avril 2020

TF, 29 avril 2020, 4A_335/2019 (d)

Usage de la marque, usage de la marque à des fins d’information, force distinctive, territorialité, territoire suisse, lien territorial, incidence commerciale, Internet, site Internet, géoblocage, géociblage, médias sociaux, adresse électronique, fonction technique, clause limitative de responsabilité, produits pharmaceutiques, recours partiellement admis ; art. 956 al.2 CO, art. 13 al. 2 LPM.

Relativement à l’utilisation d’un signe protégé sur Internet, le Tribunal fédéral n’a pas encore eu à se prononcer sur les conditions de droit matériel qui doivent être remplies sur le plan territorial pour qu’on puisse admettre l’existence d’une violation des droits sur ce signe en Suisse. En raison du principe de territorialité, une violation des droits de propriété intellectuelle en Suisse suppose l’existence d’un « lien territorial » avec la Suisse. La simple accessibilité d’une page Internet ne constitue pas en elle-même un usage juridiquement pertinent d’une marque dans un pays donné. Pour admettre un tel usage, il faut qu’il existe un rapport qualifié entre l’utilisation du signe et le pays concerné, et qu’elle soit couverte par le champ d’application d’un droit de propriété territorialement limité (c. 3.3.1). La question des conditions auxquelles on peut admettre l’existence d’un « lien territorial suffisant » se pose pour chaque juridiction, en raison de la nature globale d’Internet. C’est pourquoi l’OMPI et l’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle ont adopté en 2001 une « recommandation commune concernant la protection des marques, et autres droits de propriété industrielle relatifs à des signes, sur l’Internet » (ci-après recommandation commune). Bien qu’elle ne soit pas formellement juridiquement contraignante, cette recommandation doit être prise en compte comme aide à l’interprétation, en raison de la nature transfrontalière de la problématique et de la nécessité, pour la résoudre, d’une approche coordonnée au niveau international. Selon l’art. 2 de la recommandation commune, l’utilisation d’un signe sur Internet est assimilée à l’utilisation de ce signe dans un Etat membre si elle a des « incidences commerciales » dans cet Etat. L’art. 3 al. 1 dresse une liste non exhaustive d’éléments pouvant être pris en considération pour déterminer si tel est le cas, l’al. 2 précisant que ces facteurs ne constituent que des indications et que la conclusion dépendra des circonstances du cas d’espèce. Dans un cas concret, les effets de l’utilisation de la marque sur les intérêts économiques nationaux du titulaire du droit doivent être pris en compte. Pour apprécier si l’utilisation d’un signe sur Internet a un lien économique suffisant avec la Suisse, il faut avant tout mettre en balance les intérêts de l’utilisateur du signe et ceux du titulaire du droit de propriété national (c. 3.3.2). Comme le soulignent à juste titre les plaignantes, la recommandation commune trouve son origine dans une époque où toute utilisation de signes sur Internet était nécessairement mondiale et ne pouvait être fractionnée territorialement. Par conséquent, la recommandation ne tient pas compte de la possibilité, apparue depuis, de limitations géographiques de territoires sur Internet au moyen de mesures techniques. Aujourd’hui répandues, les mesures dites de géoblocage et de géociblage permettent de définir les zones géographiques dans lesquelles différents contenus sont mis à disposition sur Internet. Dans l’évaluation des « incidences commerciales » de l’utilisation d’un signe sur Internet, ces possibilités de restrictions d’accès doivent être prises en compte dans la nécessaire mise en balance des intérêts en jeu (c. 3.3.3). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a considéré que la simple accessibilité en Suisse d’un contenu mis en ligne sur Internet est insuffisante pour admettre un usage en Suisse, mais elle s’est référée à la recommandation commune pour déterminer s’il y a en l’espèce eu un tel usage sans tenir compte de l’évolution technique qui s’est produite depuis, et de la nécessité qui en découle d’interpréter de manière large les critères de la recommandation commune (c. 3.3.4). Comme le font valoir à juste titre les recourantes, l’instance précédente a mal apprécié divers éléments, et on doit en l’espèce admettre, compte tenu des circonstances concrètes, que le domaine Internet « merck.com » présente un lien territorial suffisant avec la Suisse pour pouvoir admettre un usage du signe « Merck » en Suisse. Notamment, les défenderesses appartiennent à un important groupe pharmaceutique, actif au niveau mondial, et également présent en Suisse par certaines d’entre elles. Elles exercent incontestablement une activité opérationnelle en Suisse, dans le cadre du développement et de la distribution de produits pharmaceutiques et de produits connexes. Contrairement à ce qu’a considéré l’instance précédente, le fait que les produits soient commercialisés en Suisse sous un autre signe n’est pas déterminant, car ce qui importe est l’effet économique de l’utilisation du signe sur Internet. Le fait qu’aucun produit ne puisse être commandé en Suisse via le site « merck.com » n’est pas non plus déterminant. Par ailleurs, c’est à tort que l’instance précédente considère comme nécessaire pour qu’on puisse admettre un lien suffisant avec la Suisse que le site Internet en cause ait un lien plus intense avec la Suisse qu’avec d’autres pays. En outre, le fait que les défenderesses exploitent les sites « msd.com » et « msd.ch » ne s’oppose pas à l’admission d’un lien suffisant avec la Suisse de « merck.com » (c. 4.2). Il existe donc bien en l’espèce, par l’utilisation du site Internet « merck.com », une « incidence commerciale » suffisante sur la Suisse et, donc, un usage du signe en Suisse (c. 4.3). C’est également à tort que l’instance précédente a nié que les autres pages Internet comportant l’élément « merck » ont un lien suffisant avec la Suisse, en se référent notamment à ses considérations erronées concernant l’utilisation de « merck.com » sur le territoire suisse (c. 5.1). De même, ses considérations relatives à l’utilisation sur les médias sociaux reposent en grande partie sur les mêmes éléments erronés (c. 5.2). L’usage de la marque d’un tiers à des fins d’information n’est possible que lorsqu’il est effectué pour désigner l’offre de ce dernier. En l’espèce, l’utilisation par les défenderesses des signes « Merck » ou « Merck Manual » sur des présentoirs accrochés dans une salle de réception pour se désigner ou pour désigner leur groupe et leurs produits constitue, même dans l’hypothèse ou il avait pour but d’informer sur l’histoire du groupe, un usage tombant sous le coup des art. 13 al. 2 LPM et 956 al. 2 CO (c. 6.4.2.1). Il est courant pour les entreprises, comme pour d’autres organisations privées et publiques, d’utiliser des adresses électroniques qui contiennent leur propre signe. Par conséquent, l’utilisation par certaines des défenderesses de l’élément « @merck » dans leurs adresses électroniques ne revêt pas qu’une fonction purement technique, mais aussi une fonction distinctive. L’utilisateur moyen, confronté à une adresse du type « prénom.nom@merck.com », reconnaît que la personne qui l’utilise appartient au groupe « Merck » (c. 6.5.1). En droit des marques et en droit des sociétés, contrairement à ce qui prévaut en droit de la concurrence déloyale et dans le domaine du droit au nom, les clauses limitatives de responsabilité visant à clarifier l’origine commerciale ne peuvent créer une force distinctive suffisante (c. 7.2). Le recours est partiellement admis (c. 8). [SR]

27 mai 2020

TAF, 27 mai 2020, B-6921/2018 (d)

sic! 11/2020, p. 639 (rés.) « Facebook (fig.)/Facegirl (fig.) »; motifs d’exclusion relatifs, opposition, procédure d’opposition, marque verbale, marque figurative, marque combinée, cercle des destinataires pertinent, grand public, entreprise, degré d’attention faible, internet, site internet, degré d’attention moyen, similarité des produits et services, vocabulaire anglais de base, face, book, girl, similarité des signes sur le plan sémantique, similarité des signes sur le plan phonétique, similarité des signes sur le plan visuel, force distinctive accrue, notoriété, marque notoire ?, risque de confusion admis, risque de confusion indirect, recours rejeté, opposition admise ; art. 3 al. 1 lit. c LPM.

Marque(s) attaqué(s)
Marque(s) opposante(s)
facegirl.jpg
facebook.jpg

Classe 10 : Poupées érotiques (poupées sexuelles).



Classe 16 : Annuaires téléphoniques.



Classe 40 : Services de retouches photographiques.



Classe 41 : Services de photographie ; services de photographes.



Classe 44 : Services de soins de beauté et de santé fournis par des saunas, salons de beauté, sanatoriums, salons de coiffure et salons de massage ; services de salons de beauté ; mise à disposition de services de saunas, salons de beauté, salons de coiffure et salons de massage ; services de massages ; massage ; services d'information en matière de massages.


Classe 45 : Services de rencontres par voie informatique ; services de rencontres amoureuses sur Internet ; services de rencontres amoureuses, recherche de partenaires amoureux et socialisation à des fins personnelles sur Internet ; services de clubs de rencontres sur Internet ; services d'agences de rencontres ; mise à disposition d'informations par le biais de sites Web interactifs en ligne dans le domaine des rencontres et dont le but est de favoriser les rencontres entre individus et de nouer des contacts et relations d'amitié ; services d'escorte.

Classe 45 : Services de mise en relation sociale, services de réseaux et de rencontres ; fourniture de services sociaux à savoir services de réseaux sociaux dans le domaine du développement personnel, à savoir l'autoamélioration, l'épanouissement personnel, activités caritatives, philanthropiques, bénévoles, activités de service public et communautaire, et activités humanitaires ; information à propos des services de réseaux sociaux dans le domaine du développement personnel, à savoir l'autoamélioration, l'épanouissement personnel, activités caritatives, philanthropiques, bénévoles, activités de service public et communautaire, et activités humanitaires.

Contenu de la décision

Produits faisant l’objet de l’opposition

Classe 10 : Poupées érotiques (poupées sexuelles).



Classe 16 : Annuaires téléphoniques.



Classe 40 : Services de retouches photographiques.



Classe 41 : Services de photographie ; services de photographes.



Classe 44 : Services de soins de beauté et de santé fournis par des saunas, salons de beauté, sanatoriums, salons de coiffure et salons de massage ; services de salons de beauté ; mise à disposition de services de saunas, salons de beauté, salons de coiffure et salons de massage ; services de massages ; massage ; services d'information en matière de massages.



Classe 45 : Services de rencontres par voie informatique ; services de rencontres amoureuses sur Internet ; services de rencontres amoureuses, recherche de partenaires amoureux et socialisation à des fins personnelles sur Internet ; services de clubs de rencontres sur Internet ; services d'agences de rencontres ; mise à disposition d'informations par le biais de sites Web interactifs en ligne dans le domaine des rencontres et dont le but est de favoriser les rencontres entre individus et de nouer des contacts et relations d'amitié ; services d'escorte

L’instance précédente a admis l’opposition pour l’ensemble des produits et services revendiqués en classe 16, 40, 41 et 45. La recourante conteste uniquement l’opposition concernant les « services d’escorte » en classe 45 (état de fait C. a). En cours d’instance, elle propose de limiter l’enregistrement aux « services d’escorte ; tous les services précités dans le domaine de la prostitution » (état de fait C. d).

Cercle des destinataires pertinent et degré d’attention des consommateurs

Les services de « mise en relation sociale et de rencontre » en classe 45 s’adressent en premier lieu à un public intéressé par le monde numérique et en particulier qui utilise les plateformes de réseaux sociaux. Les services revendiqués s’adressent ainsi au grand public, auquel il est possible d’adjoindre un usage commercial par certaines entreprises à des fins publicitaires ou de communication (c. 5.2). Si l’activité de surfer sur internet est exercée avec un degré d’attention moindre, l’activité ici consiste plus en l’interaction avec d’autres participants au moyen du service proposé. Ainsi, les utilisateurs s’enregistrent et divulguent leurs données personnelles à un fournisseur de service qu’ils reconnaissent. Ils font ainsi preuve d’un degré d’attention moyen (c. 5.3).

Identité/similarité des produits et services

Certes, le secteur des services d’escorte dans le domaine de la prostitution et fermé dans la mesure où, pour des raisons de réputation, les entreprises ne proposent pas des services de prostitution parmi d’autres services (c. 7.2). La marque opposante est cependant enregistrée pour des « services de rencontre » et « services de mise en relation sociale », termes larges, mais suffisamment délimités, qui, comme pour les services d’escorte, ont pour but de mettre en contact ou en relation des personnes. Les limites entre ces différents termes sont difficiles à établir dans la mesure où elles présentent un lien entre elles (c. 7.5.1-7.5.3). Bien que la marque opposante ne soit pas enregistrée pour des services de prostitution, le lien fonctionnel entre ces différents services persiste. La formulation des termes génériques pour lesquels la marque opposante est enregistrée est suffisamment vaste pour inclure des services de prostitution. Enfin, les services revendiqués ne s’adressent pas à des publics clairement distincts (c. 7.5.3). En conclusion, les services revendiqués sont similaires (c. 7.5.4).

Similarité des signes

Les deux signes sont combinés, et contiennent les mots « face », « book », respectivement « girl » qui appartiennent au vocabulaire anglais de base (c. 8.2). Les éléments graphiques (un cadre rectangulaire foncé contenant les éléments verbaux en caractères d’imprimerie gras) sont similaires. Seul le cœur rose présent dans le coin gauche de la marque opposante diffère. Les signes coïncident également sur l’élément verbal « face ». Les éléments verbaux « book » et « girl » comportent le même nombre de lettres, mais ne présentent pas de similarités. Dans leurs ensembles, les signes partagent la même cadence d’expression et la même construction. Ils sont donc similaires (c. 8.3). Sur le plan sémantique, aucun des signes n’a de signification propre. L’élément « face » est repris à l’identique dans la marque attaquée, induisant dans l’esprit du consommateur une proximité visuelle et acoustique entre les signes revendiqués qu’une éventuelle différence sur le plan sémantique ne parvient pas à effacer (c. 8.4).

Force distinctive des signes opposés

Force distinctive de la marque attaquée



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Force distinctive de la marque opposante et champ de protection



Le TAF a déjà eu l’occasion (B-681/2016, N 1146) de constater la notoriété accrue de la marque opposante (c. 9.2). L’élément « face » ne fait pas l’objet d’un besoin de libre disposition (c. 9.2).

Risques de confusion admis ou rejetés / motifs

Les marques comparées se distinguent suffisamment dans leurs éléments verbaux et graphiques, au point d’écarter un risque de confusion direct pour un public faisant preuve d’un degré d’attention moyen (c. 9.4). La reprise à l’identique de l’élément verbal « face » en première position, ainsi qu’une conception graphique très semblable induit cependant inévitablement une association des deux marques, ainsi qu’au fait que les services proposés proviennent de la même entreprise ou d’entreprises liées, et donc à un risque de confusion indirect (c. 9.5-9.6).

Divers

La recourante considère que les définitions des termes génériques « services de mise en relation sociale » et « services de rencontres » en classe 45 sont trop vagues pour permettre un enregistrement (c. 6.2).

Conclusion : le signe attaqué est enregistré / refusé

Le recours est rejeté et l’opposition admise pour les services « escorte ; tous les services précités dans le domaine de la prostitution » (c. 9.7). [YB]