Usage de la marque, usage de la marque à des fins d’information, force distinctive, territorialité, territoire suisse, lien territorial, incidence commerciale, Internet, site Internet, géoblocage, géociblage, médias sociaux, adresse électronique, fonction technique, clause limitative de responsabilité, produits pharmaceutiques, recours partiellement admis ; art. 956 al.2 CO, art. 13 al. 2 LPM.
Relativement à
l’utilisation d’un signe protégé sur Internet, le Tribunal
fédéral n’a pas encore eu à se prononcer sur les conditions de
droit matériel qui doivent être remplies sur le plan territorial
pour qu’on puisse admettre l’existence d’une violation des
droits sur ce signe en Suisse. En raison du principe de
territorialité, une violation des droits de propriété
intellectuelle en Suisse suppose l’existence d’un « lien
territorial » avec la Suisse. La simple accessibilité d’une
page Internet ne constitue pas en elle-même un usage juridiquement
pertinent d’une marque dans un pays donné. Pour admettre un tel
usage, il faut qu’il existe un rapport qualifié entre
l’utilisation du signe et le pays concerné, et qu’elle soit
couverte par le champ d’application d’un droit de propriété
territorialement limité (c. 3.3.1). La question des conditions
auxquelles on peut admettre l’existence d’un « lien
territorial suffisant » se pose pour chaque juridiction, en
raison de la nature globale d’Internet. C’est pourquoi l’OMPI
et l’Union de Paris pour la protection de la propriété
industrielle ont adopté en 2001 une « recommandation commune
concernant la protection des marques, et autres droits de propriété
industrielle relatifs à des signes, sur l’Internet »
(ci-après recommandation commune). Bien qu’elle ne soit pas
formellement juridiquement contraignante, cette recommandation doit
être prise en compte comme aide à l’interprétation, en raison de
la nature transfrontalière de la problématique et de la nécessité,
pour la résoudre, d’une approche coordonnée au niveau
international. Selon l’art. 2 de la recommandation commune,
l’utilisation d’un signe sur Internet est assimilée à
l’utilisation de ce signe dans un Etat membre si elle a des
« incidences commerciales » dans cet Etat. L’art. 3 al.
1 dresse une liste non exhaustive d’éléments pouvant être pris
en considération pour déterminer si tel est le cas, l’al. 2
précisant que ces facteurs ne constituent que des indications et que
la conclusion dépendra des circonstances du cas d’espèce. Dans un
cas concret, les effets de l’utilisation de la marque sur les
intérêts économiques nationaux du titulaire du droit doivent être
pris en compte. Pour apprécier si l’utilisation d’un signe sur
Internet a un lien économique suffisant avec la Suisse, il faut
avant tout mettre en balance les intérêts de l’utilisateur du
signe et ceux du titulaire du droit de propriété national (c.
3.3.2). Comme le soulignent à juste titre les plaignantes, la
recommandation commune trouve son origine dans une époque où toute
utilisation de signes sur Internet était nécessairement mondiale et
ne pouvait être fractionnée territorialement. Par conséquent, la
recommandation ne tient pas compte de la possibilité, apparue
depuis, de limitations géographiques de territoires sur Internet au
moyen de mesures techniques. Aujourd’hui répandues, les mesures
dites de géoblocage et de géociblage permettent de définir les
zones géographiques dans lesquelles différents contenus sont mis à
disposition sur Internet. Dans l’évaluation des « incidences
commerciales » de l’utilisation d’un signe sur Internet,
ces possibilités de restrictions d’accès doivent être prises en
compte dans la nécessaire mise en balance des intérêts en jeu (c.
3.3.3). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a
considéré que la simple accessibilité en Suisse d’un contenu mis
en ligne sur Internet est insuffisante pour admettre un usage en
Suisse, mais elle s’est référée à la recommandation commune
pour déterminer s’il y a en l’espèce eu un tel usage sans tenir
compte de l’évolution technique qui s’est produite depuis, et de
la nécessité qui en découle d’interpréter de manière large les
critères de la recommandation commune (c. 3.3.4). Comme le font
valoir à juste titre les recourantes, l’instance précédente a
mal apprécié divers éléments, et on doit en l’espèce admettre,
compte tenu des circonstances concrètes, que le domaine Internet
« merck.com » présente un lien territorial suffisant
avec la Suisse pour pouvoir admettre un usage du signe « Merck »
en Suisse. Notamment, les défenderesses appartiennent à un
important groupe pharmaceutique, actif au niveau mondial, et
également présent en Suisse par certaines d’entre elles. Elles
exercent incontestablement une activité opérationnelle en Suisse,
dans le cadre du développement et de la distribution de produits
pharmaceutiques et de produits connexes. Contrairement à ce qu’a
considéré l’instance précédente, le fait que les produits
soient commercialisés en Suisse sous un autre signe n’est pas
déterminant, car ce qui importe est l’effet économique de
l’utilisation du signe sur Internet. Le fait qu’aucun produit ne
puisse être commandé en Suisse via le site « merck.com »
n’est pas non plus déterminant. Par ailleurs, c’est à tort que
l’instance précédente considère comme nécessaire pour qu’on
puisse admettre un lien suffisant avec la Suisse que le site Internet
en cause ait un lien plus intense avec la Suisse qu’avec d’autres
pays. En outre, le fait que les défenderesses exploitent les sites
« msd.com » et « msd.ch » ne s’oppose pas à
l’admission d’un lien suffisant avec la Suisse de « merck.com »
(c. 4.2). Il existe donc bien en l’espèce, par l’utilisation du
site Internet « merck.com », une « incidence
commerciale » suffisante sur la Suisse et, donc, un usage du
signe en Suisse (c. 4.3). C’est également à tort que l’instance
précédente a nié que les autres pages Internet comportant
l’élément « merck » ont un lien suffisant avec la
Suisse, en se référent notamment à ses considérations erronées
concernant l’utilisation de « merck.com » sur le
territoire suisse (c. 5.1). De même, ses considérations relatives à
l’utilisation sur les médias sociaux reposent en grande partie sur
les mêmes éléments erronés (c. 5.2). L’usage de la marque d’un
tiers à des fins d’information n’est possible que lorsqu’il
est effectué pour désigner l’offre de ce dernier. En l’espèce,
l’utilisation par les défenderesses des signes « Merck »
ou « Merck Manual » sur des présentoirs accrochés dans
une salle de réception pour se désigner ou pour désigner leur
groupe et leurs produits constitue, même dans l’hypothèse ou il
avait pour but d’informer sur l’histoire du groupe, un usage
tombant sous le coup des art. 13 al. 2 LPM et 956 al. 2 CO (c.
6.4.2.1). Il est courant pour les entreprises, comme pour d’autres
organisations privées et publiques, d’utiliser des adresses
électroniques qui contiennent leur propre signe. Par conséquent,
l’utilisation par certaines des défenderesses de l’élément
« @merck » dans leurs adresses électroniques ne revêt
pas qu’une fonction purement technique, mais aussi une fonction
distinctive. L’utilisateur moyen, confronté à une adresse du type
« prénom.nom@merck.com », reconnaît que la personne qui
l’utilise appartient au groupe « Merck » (c. 6.5.1). En
droit des marques et en droit des sociétés, contrairement à ce qui
prévaut en droit de la concurrence déloyale et dans le domaine du
droit au nom, les clauses limitatives de responsabilité visant à
clarifier l’origine commerciale ne peuvent créer une force
distinctive suffisante (c. 7.2). Le recours est partiellement admis
(c. 8). [SR]