sic!
4/2022, p. 163-166, « Flüssigkeitsstrahl » ;
concurrence déloyale, mise en demeure, dénigrement, brevet, juge de
formation technique, étendue de la protection, revendication,
interprétation de la revendication, interprétation d’un brevet,
homme de métier, état de la technique liquide, connaissances
techniques, doctrine des équivalents, imitation, droit d’être
entendu, arbitraire, courrier, courrier électronique, recours
rejeté ; art. 9 Cst., art. 29 Cst., art. 69 al. 1 CBE 2000,
art. 51 al. 2 LBI, art. 51 al. 3 LBI, art. 66 lit. a LBI, art. 3 al.
1 lit. a LCD, art. 9 al. 2 LCD.
La
demanderesse, titulaire d’un brevet concernant un procédé de
production d’un jet de liquide en vue de l’usinage d’une pièce,
reproche à l’intimée une violation de son brevet. En février
2018, elle a adressé deux courriers de mise en demeure à des
partenaires commerciaux de la défenderesse, les menaçant de
poursuites civiles et pénales pour leur participation, en se fondant
uniquement sur une demande de brevet de la défenderesse, sans savoir
quels produits cette dernière produisait et vendait en réalité. En
mai 2020, durant la procédure en contrefaçon de brevet qu’elle
avait ouverte contre l’intimée, la demanderesse a adressé un
courriel d’avertissement à une autre de ses partenaires
commerciales, alors même que le juge spécialisé avait rendu, en
mai 2020, un avis concluant à la non-violation. L’étendue de la
protection conférée par un brevet est déterminée par les
revendications (art. 51 al. 2 LBI et art. 69 al. 1 CBE 2000). Les
instructions techniques décrites dans les revendications doivent
être interprétées de la manière dont l’homme du métier les
comprend. Le point de départ de toute interprétation est leur
texte. La description et les dessins doivent aussi être pris en
compte (art. 51 al. 3 LBI et art. 69 al. 1 2ème phrase CBE 2000).
Les connaissances techniques générales constituent également un
moyen d’interprétation en tant qu’état de la technique liquide.
La description et les dessins ne servent qu'à interpréter la
revendication dans la mesure où le texte n'est pas clair, mais et
non à la compléter. Le titulaire du brevet doit donc décrire
précisément l'objet de l'invention dans la revendication, et
supporte le risque d'une définition incorrecte, incomplète ou
contradictoire (c. 2.1). Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2
Cst.) exige que l'autorité entende effectivement les arguments des
parties, les examine et en tienne compte dans sa décision. Il en
découle l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision. Elle
n'est pas tenue de se déterminer en détails sur chacun des points
soulevés par les parties, ni de réfuter expressément chaque
argument. Elle peut au contraire se limiter aux points essentiels
pour la décision. La motivation doit toutefois être rédigée de
manière à ce que les personnes concernées puissent se rendre
compte de la portée de la décision et la porter en toute
connaissance de cause devant l'instance supérieure. Dans ce sens, il
faut au moins mentionner brièvement les considérations qui ont
conduit l’autorité à prendre sa décision. Le droit d'être
entendu comprend aussi le droit de la partie concernée de s’exprimer
dans une procédure susceptible de modifier sa situation juridique,
ainsi que de fournir, en temps utile et dans la forme prescrite, des
preuves pertinentes (c. 3.1.1). Selon la jurisprudence, l’arbitraire
(art. 9 Cst.) ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution
pourrait entrer en considération, ou même qu’elle serait
préférable, mais seulement du fait que la décision attaquée est
manifestement insoutenable, clairement en contradiction avec la
situation effective, qu'elle viole de manière flagrante une norme ou
un principe juridique incontesté ou qu'elle contrevient de manière
choquante à l'idée de justice. En outre, le Tribunal fédéral
n'annule une décision que si elle est arbitraire non seulement dans
sa motivation, mais aussi dans son résultat (c. 3.1.2). L'instance
précédente a fondé son appréciation de l'utilisation de
l’invention brevetée (par imitation au sens de l’art. 66 lit. a
LBI) sur la doctrine des équivalents, développée par la
jurisprudence du Tribunal fédéral, qui recourt aux éléments de
l’équivalence de la fonction, de l’évidence et de
l’équivalence. Elle est arrivée à la conclusion qu’il n’y a
pas en l’espèce d’imitation de l’invention brevetée (c. 3.2).
La recourante ne peut être suivie lorsqu’elle affirme que
l’instance précédente n’a pas tenu compte de ses allégations
et des moyens de preuve présentés. Il n’y a pas en l’espèce de
violation du droit d’être entendu (c. 3.3). Le reproche
d’arbitraire est lui aussi infondé, et la conclusion de l’instance
précédente selon laquelle il n’y a pas d’utilisation de
l’invention brevetée par des moyens équivalents est maintenue (c.
3.4). Même si des mises en demeures peuvent être fréquentes dans
certains secteurs, il n’en reste pas moins qu’une accusation
injustifiée de violation d’un droit de propriété intellectuelle
peut constituer un dénigrement au sens de l’art. 3 al. 1 lit. a
LCD (c. 6.2). L’avertissement injustifié doit être distingué de
la défense justifiée contre les violations des droits de propriété
intellectuelle. L’enregistrement d’un brevet autorise son
titulaire à le défendre contre les violations commises par des
tiers, et l’application de la LCD ne doit pas limiter les
possibilités d’action de celui qui, de bonne foi, veut faire
valoir ses droits réels ou supposés. A cet égard, il ne faut pas
considérer comme une violation du principe de la bonne foi le fait
qu'au moment de l'avertissement, l'incertitude régnait encore quant
à l'existence ou à la violation du brevet invoqué, puis que la
nullité ou la non-violation a été constatée lors du procès qui a
suivi. Le titulaire du brevet agit toutefois de manière déloyale
lorsqu'il sait qu'il n'y a pas de contrefaçon ou qu'il doit au moins
avoir des doutes sérieux quant à la véracité de l’accusation de
contrefaçon. Il convient de noter que l’admissibilité des
avertissements adressés à des tiers doit être soumise à des
exigences plus strictes que celle des avertissements adressés aux
auteurs directs de violations (c. 6.3). C’est à juste titre que
l’instance précédente s’est fondée sur le fait que la
recourante a donné l’impression, dans ses lettres de février
2018, de connaître la technologie prétendument contrefaisante de
manière suffisamment précise pour qu’une appréciation en droit
des brevets soit possible, alors qu’elle ne se fondait en réalité
que sur la demande de brevet de la défenderesse. Compte tenu des
circonstances de fait, c’est à juste titre que l’instance
précédente a considéré que la demanderesse devait avoir des
doutes sérieux quand à l’exactitude de son accusation de
violation de son brevet. Les courriers adressés en 2018 à des
partenaires commerciaux de la défenderesse, qui présentaient
clairement un caractère de mise en demeure en raison de leur
référence aux sanctions civiles et pénales encourues en raison
d’éventuels actes de participation, ne constituaient pas, selon
les règles de la bonne foi, une mesure de défense justifiée pour
la protection du brevet. C’est d’autre part à juste titre que
l’instance précédente a considéré que la demanderesse devait
avoir des doutes sérieux quant à son allégation de violation de
son brevet au moment de l’envoi de son courriel, en mai 2020, dans
lequel elle menaçait un autre partenaire commercial de la
défenderesse sans mentionner l’avis du juge expert (c. 6.4).
L’instance précédente a considéré que les lettres et le
courriel violaient l’art. 3 lit. a LCD, et que les intimées
étaient en droit, en vertu de l’art. 9 al. 2 LCD, d’exiger une
clarification vis-à-vis de tous les destinataires (c. 7.1),
impliquant l’obligation de les informer de l’issue de la
procédure, et d’en obtenir copie. Cette sanction n’est pas
disproportionnée (c. 7.3). Le recours est rejeté (c. 8). [SR]