Motifs
absolus d’exclusion, signe trompeur, indication de provenance,
indication géographique, restriction à certains produits ou
services, étendue de la protection, usage de la marque, pratique de
l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle, Swissness,
réel site administratif, Swiss Re, services immobiliers, services
financiers, services d’assurances, recours rejeté ; art. 2
lit. c LPM, art. 11 al. 1 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 47 al. 1 LPM,
art. 47 al. 3 LPM, art. 49 al. 1 LPM, art. 49 al. 2 LPM, art. 52o
OPM.
En
avril 2017, la défenderesse, Swiss Re Ltd, a déposé la marque
« SWISS-RE – WE MAKE THE WORLD MORE RESILIENT » pour
des services financiers, immobiliers et d’assurances (classe 36).
L’IPI a refusé l’enregistrement du signe, notamment au motif
qu’il était trompeur, en raison des attentes qu’il éveillait
quand à la provenance des services fournis. Selon l’IPI,
l’enregistrement n’était possible qu’avec une limitation de la
liste de services aux services de provenance suisse. Le Tribunal
administratif fédéral a admis le recours de Swiss Re et a ordonné
l’enregistrement sans restriction des services mentionnés à la
provenance suisse. Selon l’art. 2 lit. c LPM, les signes propres à
induire en erreur sont exclus de la protection des marques (c. 2). Un
signe est propre à induire en erreur notamment s'il contient ou est
constitué d’une indication géographique qui fait croire à tort
aux destinataires que les produits ou services qu’il désigne
proviennent du pays ou du lieu auquel l’indication se réfère (c.
2.1). Une indication de provenance est une référence directe ou
indirecte à la provenance géographique des produits ou des
services, y compris la référence à des propriétés ou à la
qualité, en rapport avec la provenance (art. 47 al. 1 LPM). L'art.
47 al. 3 LPM interdit notamment l'utilisation d'indications de
provenance inexactes (lit. a) et de marques en relation avec des
produits ou services d'une autre provenance, s'il en résulte un
risque de tromperie (lit. c). Selon la jurisprudence, de telles
indications sont susceptibles de créer un risque de tromperie au
sens de l’art. 2 lit. c LPM (c. 2.2). Compte tenu des intérêts
publics en jeu, la règle selon laquelle l’IPI doit en principe
enregistrer une marque en cas de doute et laisser la décision finale
au juge civil ne s’applique pas dans l’évaluation du risque de
tromperie au sens de l’art. 2 lit. c LPM. Par ailleurs,
l’exactitude des indications de provenance est examinée de manière
plus stricte que les autres faits trompeurs au sens de cette
disposition. Même lorsqu’une indication de provenance peut être
utilisée de manière correcte, le motif absolu d’exclusion de
l’art. 2 lit. c LPM s’applique dès qu’il existe une
possibilité qu’elle soit utilisée pour des produits provenant
d’un autre lieu (c. 2.3). Il convient de noter que même si les
développements futurs prévisibles peuvent être pris en compte dans
la procédure d’enregistrement, une simple probabilité minime
qu’une indication de provenance suisse puisse s’avérer trompeuse
à l’avenir, par exemple en raison d’un changement de
circonstances, ne suffit pas à établir un motif absolu d’exclusion
au sens de l’art. 2 lit. c LPM (c. 2.4). Si l’on admet comme
l’instance précédente que le signe « SWISS RE – WE MAKE
THE WORLD MORE RESILIENT » constitue une indication de la
provenance suisse des services de la défenderesse, il convient
d’examiner si elle est exacte (c. 4). Selon l’art. 49 al. 1 LPM,
l’indication de la provenance d’un service est exacte si elle
correspond au siège de la personne qui fournit le service (lit. a)
et si un réel site administratif de cette personne est sis dans le
même pays (lit. b). Si une société mère remplit les conditions de
la lettre a et si elle-même ou une filiale réellement contrôlée
par elle et domiciliée dans le même pays remplit l’exigence visée
à la lettre b, l’indication de provenance est également exacte
pour les services de même nature fournis par les filiales et
succursales étrangères de la société mère (art. 49 al. 2 LPM)
(c. 4.1). En matière de produits, la pratique établie de longue
date de l’IPI, admise par le Tribunal fédéral, est de
n’enregistrer les marques contenant une indication géographique
qu’avec l’ajout d’une mention dans la liste des produits
revendiqués selon laquelle ces derniers doivent provenir du pays
auquel se réfère l’indication de provenance. L’IPI ne disposant
pas, dans le cadre de la procédure d’enregistrement,
d’informations concrètes sur l’usage (actuel ou futur) du signe
déposé, on peut admettre l’existence d’un risque de tromperie
si une indication de provenance est enregistrée comme marque sans
limiter la liste des produits. Cette restriction de la liste de
produits a un effet préventif en minimisant de facto le risque de
tromperie, et affecte directement l’étendue de la protection de la
marque, qui dépend des produits revendiqués (art. 11 al. 1 LPM).
L’usage du signe avec des produits d’une autre provenance ne
constitue pas un usage de la marque et peut entraîner la perte du
droit à la marque conformément à l’art. 12 al. 1 LPM (c. 5.1).
Une partie de la doctrine a formulé quelques critiques à l’encontre
de la jurisprudence du Tribunal fédéral (c. 5.2). L’IPI invite le
Tribunal fédéral à confirmer que cette jurisprudence, qui n’est
pas contestée par les parties, s’applique également aux services
(c. 5.3). Lors des délibérations parlementaires relatives au projet
de loi « Swissness », entré en vigueur le 1er
janvier 2017, la conseillère fédérale Sommaruga a explicitement
évoqué dans deux interventions la crainte que d’importants
prestataires de services tels que Swiss Re puissent apparaître comme
des sociétés suisses. Dans le cadre de cette révision, le Conseil
fédéral a concrétisé la notion de « réel site
administratif » à l’art. 52o OPM, pertinente pour déterminer
la provenance d’un service selon l’art. 49 al. 1 lit. b LPM.
L’IPI a annoncé qu’elle adoptera en matière de services la même
pratique qu’elle adoptait jusqu’alors en matière de produits (c.
6). Comme l’a reconnu à juste titre le Tribunal administratif
fédéral, cette adaptation va trop loin. La limitation de la liste
des produits aux produits de provenance suisse vise à éliminer le
risque, même abstrait, de tromperie sur la provenance géographique.
Toutefois, s'il n'y a pas de risque de tromperie dès le départ, il
n'y a aucune raison de restreindre la liste des produits ou des
services. Tel est le cas en l'espèce : comme le Tribunal
administratif fédéral l'a constaté de manière contraignante, sans
réelle contestation de l’IPI, les conditions de l'art. 49 al. 1
LPM sont remplies, puisque le siège de la défenderesse est
incontestablement en Suisse, de même que son réel site
administratif. Les services qu'elle propose proviennent donc de
Suisse au sens du droit des marques. L'indication de provenance est
exacte au sens de l’art. 49 al. 1 LPM. Le signe « SWISS RE -
WE MAKE THE WORLD MORE RESILIENT » est donc, même s'il devait
être compris comme une indication de provenance, admissible au sens
des art. 2 lit. c et 47 al. 3 LPM, et doit être inscrit au registre
des marques (c. 7.1). Le traitement différent des marques selon
qu'elles revendiquent une protection pour des produits ou des
services est une conséquence des définitions conceptuellement
différentes de la provenance pour les produits (art. 48 et suivants
LPM) et pour les services (art. 49 LPM). En matière de produits, le
caractère trompeur d’un signe dépend des produits pour lesquels
il est utilisé, dont l’IPI n’a naturellement pas connaissance au
moment de l’enregistrement. L’origine des services, en revanche,
dépend du lieu dans lequel le prestataire de services a son siège
social et est actif (art. 49 al. 1 LPM). En principe, tous les
services fournis par le déposant ont la même provenance
géographique, et le risque de tromperie peut être évalué
concrètement au moment de l'enregistrement. Le fait que la marque
puisse être transférée ou faire l'objet d'une licence à une date
ultérieure (à une personne qui pourrait ne pas remplir les
conditions de l'art. 49 LPM), comme l'objecte l'IPI, ne change rien
pour le Tribunal administratif fédéral, d'autant plus que l'IPI n'a
de toute façon aucune possibilité d'influencer l'usage d'une marque
une fois celle-ci enregistrée. Il va de soi que l'enregistrement
d'une indication de provenance en tant que marque ne change rien au
fait qu'elle ne peut pas, par la suite, être utilisée de manière
incorrecte. En particulier, l'utilisation d'une marque en relation
avec des produits ou des services de provenance étrangère n'est pas
autorisée si elle entraîne un risque de tromperie (art. 47 al. 3
lit. a et c LPM). (c. 7.2.1). Contrairement à l’IPI, le Tribunal
administratif fédéral considère que la charge de travail requise
pour l’examen au regard des critères spécifiés dans la réforme
« Swissness » n’apparait pas fondamentalement plus
importante que sous l’ancien droit. S’il existe un doute sur la
question de savoir si les critères de l’art. 49 al. 1 LPM sont
remplis, une restriction de la liste des services doit selon lui être
faite. En cas de litige, la question de savoir s’il existe une
activité administrative effective suffisante en Suisse dans un cas
d’espèce relève de la compétence du juge. Le Tribunal
administratif fédéral a ainsi montré une voie praticable. La
position de l’IPI de faire dépendre l’enregistrement de toutes
les marques de service avec indication de provenance d’une
restriction géographique de la liste des services à titre de mesure
de précaution et sans examen, même si l'indication de provenance
est correcte et qu'il n'y a pas de risque pertinent de tromperie, est
trop peu différenciée. Elle ne peut pas non plus être justifiée
par le souci d'éviter un effort d'examen excessif. En outre,
contrairement à ce que soutient l’IPI, on ne voit pas en quoi la
limitation géographique des services seulement dans certains cas
devrait affecter l’égalité et la sécurité juridiques (c.
7.2.2). La conclusion de l'instance précédente selon laquelle le
signe « SWISS RE - WE MAKE THE WORLD MORE RESILIENT »
n'est pas trompeur en ce qui concerne les services revendiqués et
que, pour cette raison, il doit bénéficier d'une protection
illimitée de la marque n'est ainsi pas critiquable. C'est à juste
titre qu’elle a ordonné l’enregistrement du signe au registre
des marques sans aucune limitation géographique de la liste des
services (c. 7.4). Le recours est rejeté (c. 8). [SR]