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  • Interprétation
  • conforme
  • à la Constitution

07 avril 2014

HG ZH, 7 avril 2014, HG110271 (d)

Usage privé, droit international privé, transfert de droits d’auteur, principe du traitement national, principe du créateur, compétence exclusive, droits non soumis à un enregistrement, violation des droits de propriété intellectuelle, recueil, revue, articles scientifiques, service de livraison de documents, appareil pour la confection de copies, envoi électronique, copie numérique, copie papier, bibliothèque, tiers chargé d'effectuer une reproduction, action en interdiction, qualité pour agir des sociétés de gestion, tarifs des sociétés de gestion, interprétation conforme à la constitution, méthodes d’interprétation, interprétation conforme au droit international, triple test, exemplaire d’œuvre disponible sur le marché ; art. 5 ch. 1 CB, art. 9 ch. 2 CB, art. 2 ch. 1 CL, art. 22 ch. 4 CL, art. 4 LDA, art. 6 LDA, art. 19 al. 2 LDA, art. 19 al. 3 lit. a LDA, art. 19 al. 3bis LDA, art. 20 LDA, art. 46 LDA, art. 59 al. 3 LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 70 LDA, art. 5 al. 1 lit. a CPC, art. 109 al. 2 LDIP, art. 110 LDIP ; cf. N 787 (TF, 28 novembre 2014, 4A_295/2014 [ATF 140 III 616] ; sic! 3/2015, p. 155-164, « Bibliothekslieferdienst »).

La compétence exclusive prévue par l’art. 22 ch. 4 CL n’est pas applicable aux litiges concernant des droits non soumis à un enregistrement. Par conséquent, la compétence générale de l’art. 2 ch. 1 CL s’applique. D’après l’art. 109 al. 2 LDIP, les tribunaux suisses du domicile du défendeur sont compétents pour connaître des actions portant sur la violation des droits de propriété intellectuelle (c. 1.1). D’après l’art. 5 al. 1 lit. a CPC, c’est le droit cantonal qui détermine le tribunal qui fonctionne comme instance cantonale unique pour les affaires de propriété intellectuelle (c. 1.2). Le transfert aux demanderesses des droits sur différents articles scientifiques, ou l’octroi à celles-ci d’une licence exclusive, a été prouvé par les contrats produits (c. 1.3). En revanche, la question de savoir si ces demanderesses disposent des droits sur les revues contenant lesdits articles est incertaine et il faut préalablement déterminer quelle est la loi applicable à cette question (c. 1.4). D’après l’art. 110 al. 1 LDIP, les droits de propriété intellectuelle sont régis par la loi de l’État pour lequel la protection est demandée (lex loci protectionis). L’art. 5 al. 1 CB prévoit en outre le principe du traitement national, selon lequel les ayants droit étrangers bénéficient des mêmes droits que les nationaux. En l’espèce, la question de l’existence des droits d’auteur se juge d’après la loi du pays de protection. Comme les demanderesses invoquent la protection du droit d’auteur suisse, c’est le droit suisse qui est applicable (c. 2.1.1). La loi du pays de protection est aussi applicable aux prétendues violations des droits de propriété intellectuelle, de même qu’aux effets de ces droits (contenu, limite et protection). D’après l’art. 110 al. 2 LDIP en revanche, s’agissant des conséquences juridiques d’une violation, les parties peuvent toujours convenir, après l'événement dommageable, de l'application du droit du for aux prétentions résultant de l’acte illicite. Mais en l’espèce, les demanderesses invoquent aussi la loi du pays de protection pour les actions en interdiction qu’elles font valoir. L’art. 110 al. 2 LDIP n’est donc pas applicable (c. 2.1.2). En résumé, le droit suisse gouverne l’ensemble du litige (c. 2.1.3). Seule une personne physique peut acquérir originairement des droits d’auteur. D’après l’art. 6 LDA, l’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre. Une cession des droits d’auteur à l’employeur doit être alléguée et prouvée. Le droit suisse ne connaît aucun transfert automatique des droits d’auteur à l’employeur. Il est possible que les revues contenant les divers articles scientifiques soient des recueils au sens de l’art. 4 LDA. Toutefois, les demanderesses n’ont pas suffisamment allégué détenir les droits sur ces revues (c. 2.2.1). Par conséquent, il faut seulement examiner en l’espèce si les droits sur les différents articles ont été violés (c. 2.2.2). Une action en interdiction nécessite un intérêt à la protection actuel et suffisant. Les conclusions doivent viser des actes concrets et doivent être formulées de manière suffisamment précise pour que les autorités d’exécution puissent reconnaître les actes interdits au défendeur (c. 2.4.1). Les droits à rémunération pour l’usage privé ne peuvent être exercés que par les sociétés de gestion agréées. La qualité pour agir de ces dernières découle de la loi (art. 20 al. 2 LDA) et ne nécessite aucun fondement contractuel avec les ayants droit. Les sociétés de gestion doivent établir des tarifs (art. 46 LDA). Une fois approuvés par la CAF, ceux-ci lient le juge d’après l’art. 59 al. 3 LDA. Le juge civil doit cependant vérifier que les tarifs ne prévoient pas de droits à rémunération contraires à la loi (c. 2.5). Le TF s’est prononcé en faveur d’un pluralisme pragmatique des méthodes d’interprétation et refuse de les hiérarchiser selon un ordre de priorité. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut donner la préférence à celle qui correspond le mieux à la Constitution. Une interprétation conforme à la Constitution ne peut toutefois pas contredire le texte clair d’une disposition légale. Pour l’interprétation d’une limite au droit d’auteur, il faut tenir compte des droits constitutionnels en cause, en particulier de la garantie de la propriété et des libertés de communication, de même que des traités internationaux, en particulier du test des trois étapes (c. 2.6.2.1). Une œuvre offerte à la vente par Internet est disponible sur le marché au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA (c. 2.6.2.2). Le point de vue du Message de 1989, selon lequel les différents articles d’une revue ne seraient pas des exemplaires d’œuvres au sens de cette dernière disposition, ne paraît plus soutenable vu l’évolution technologique. Il faut opter pour une interprétation conforme aux réalités d’aujourd’hui lorsque les différents articles scientifiques peuvent être acquis individuellement par les consommateurs par voie électronique. L’avis du Message, selon lequel seule la copie intégrale [de la revue] ferait concurrence à la distribution de l’œuvre, n’est plus actuel: le consommateur moyen s’intéresse aujourd’hui beaucoup plus aux différents articles qu’à la revue entière. Ces articles sont donc des exemplaires d’œuvres au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA (c. 2.6.2.3.3). Cette disposition ne protège pas seulement la première exploitation de l’œuvre. Il y a reproduction de la totalité ou de l’essentiel des exemplaires d’œuvres, au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA, lorsque l’acquisition d’un exemplaire complet devient inintéressante pour le consommateur moyen. Le fait que le layout ou la numérotation des pages soient changés n’est pas déterminant (c. 2.6.2.4). Vu les travaux préparatoires de 1989, il se justifie de retenir comme seul critère déterminant pour l’application de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA celui de la mise en concurrence directe des prestations de l’éditeur: les copies qui font concurrence directement à ces prestations ne doivent pas être admises. Le service de livraison de documents exploité par la défenderesse représente bien une telle concurrence (c. 2.6.4). En revanche, en application de ce critère, les copies réalisées par les consommateurs dans les locaux d’une bibliothèque, au moyen des appareils mis à disposition par cette bibliothèque, doivent rester admissibles. Sinon, les libertés constitutionnelles de communication seraient compromises, de même que l’équilibre des intérêts entre les exploitants et la collectivité. Le but de l’art. 19 al. 2 LDA est de permettre à celui qui ne dispose pas d’un appareil de reproduction de réaliser les copies grâce à l’aide d’un tiers. Exiger que ce dernier fasse partie du cercle privé de la personne concernée ne paraît ni praticable ni suffisant. Dans ce cadre, la personne qui réalise une copie numérique, par exemple au moyen d’un scanner installé par une bibliothèque, peut certainement aussi se faire envoyer cette copie à son adresse électronique, bien que l’art. 19 al. 2 LDA ne concerne que l’acte de reproduction. Mais l’exploitation d’un service de livraison de documents, comprenant l’envoi des copies moyennant paiement d’un émolument, ne fait pas partie des activités habituelles d’une bibliothèque. Cela représente une concurrence directe pour les services en ligne des éditeurs et porte atteinte à l’exploitation normale des œuvres au sens du test des trois étapes (c. 2.6.5). La situation ne serait différente que si les copies étaient réalisées par les personnes visées par l’art. 19 al. 1 LDA elles-mêmes, grâce à un appareil mis à disposition par la bibliothèque. En effet, avec un service de livraison de documents, la bibliothèque fait concurrence aux éditeurs en réclamant une rémunération et en offrant aux consommateurs la possibilité de gagner du temps, comme s’ils recouraient aux services en ligne des éditeurs. Il est conforme à l’équilibre des intérêts voulu par le législateur d’exiger des consommateurs qu’il se rendent physiquement dans les locaux d’une bibliothèque pour pouvoir librement réaliser les copies (c. 2.6.6). L’art. 19 al. 3bis LDA n’a pas pour effet de rendre illicites les services en ligne payants des éditeurs et ces derniers ne se rendent pas coupables de l’infraction prévue à l’art. 70 LDA. Au demeurant, par son service de livraison de documents, la défenderesse copie sur demande les articles litigieux et les envoie en PDF par voie électronique à la personne qui les a commandés. Cette prestation n’est pas couverte par l’art. 19 al. 3bis LDA car elle n’est pas identique à celle d’un service comme iTunes. Au surplus, il n’y a pas de consultation au sens de cette disposition, et les œuvres n’ont pas été mises à disposition licitement (c. 2.7.2). La vente d’articles scientifiques isolés par Internet fait partie de l’exploitation normale de l’œuvre au sens du test des trois étapes. Pour savoir s’il est porté atteinte à celle-ci, le nombre de copies réalisées par la défenderesse n’est pas déterminant et peut d’ailleurs considérablement varier selon l’intérêt des consommateurs (c. 2.9.3). Il est possible que les intérêts des auteurs et des éditeurs divergent parfois. Mais l’intérêt légitime des premiers à ce que leurs œuvres scientifiques soient largement diffusées est suffisamment sauvegardé par le fait que les consommateurs ont la possibilité de réaliser des copies dans les locaux des bibliothèques, même si les éditeurs commercialisent les articles en ligne, et par le fait qu’ils peuvent utiliser ces offres en ligne (c. 2.9.4). [VS]

20 janvier 2012

TF, 20 janvier 2012, 2C_559/2011 (d)

sic! 6/2012, p. 399-404, « Heidi-Alpen Bergkäse » ; montagne, alpage, Heidi, fromage, denrées alimentaires, région de montagne, Bergkäse, région d’estivage, Alpkäse, Alpes, Suisse, indication de provenance, égalité de traitement, signe trompeur, liberté économique, interprétation conforme à la Constitution, recours, effet suspensif, dispositions transitoires, intérêt pour agir ; art. 27 Cst., art. 18 LDAl, art. 21 al. 1 LDAl, art. 14 LAgr, art. 1 al. 2 ODMA (2006), art. 1 ODMA (2011), art. 3 ODMA (2011), art. 4 ODMA (2011), art. 8 ODMA (2011), art. 16 al. 5 ODMA (2011) ; cf. N 581 (arrêt du TAF dans cette affaire).

Vu l’issue de la cause, il n’y a pas lieu d’examiner les griefs liés à l’établissement des faits (c. 1.2). Vu que, du fait de l’effet suspensif accordé au recours (en matière de droit public), la recourante a pu continuer à utiliser la dénomination litigieuse «Heidi-Alpen Bergkäse », seule doit être examinée la situation à partir du 1er janvier 2012, c’est-à-dire à partir de la date de l’entrée en vigueur du nouveau droit (ODMA [2011] ; c. 2.2). Si le nouveau droit autorise l’utilisation de la dénomination litigieuse, la recourante n’a pas d’intérêt à recourir en ce qui concerne la période qui s’est achevée le 31 décembre 2011. Si le nouveau droit n’autorise pas l’utilisation de la dénomination litigieuse, la recourante a malgré tout un intérêt à recourir en ce qui concerne la période qui s’est achevée le 31 décembre 2011, car les dispositions transitoires du nouveau droit (art. 16 al. 5 ODMA [2011]) permettent de continuer d’utiliser jusqu’au 31 décembre 2013 les dénominations autorisées par l’ancien droit (ODMA [2006] ; c. 2.1) (c. 1.4- 1.5). Vu que le fromage de la recourante provient d’une région de montagne, il peut être désigné par la dénomination « Bergkäse » (art. 4 al. 1 ODMA [2011]). En revanche, du fait qu’il ne provient pas d’une région d’estivage, il ne peut pas être désigné par la dénomination « Alpkäse » (art. 4 al. 2 ODMA [2011]) (c. 1.3, 2.3 et 5.1). Bien que l’ODMA ne s’applique à l’utilisation des dénominations «montagne » et « alpage » qu’en lien avec des produits agricoles produits en Suisse (art. 1 al. 2ODMA [2006], art. 1ODMA [2011] ; c. 4.4), les produits suisses ne sont pas défavorisés par rapport aux produits étrangers, car – du fait que, en application de l’art. 21 al. 1 LDAl, le pays de production doit être mentionné sur l’emballage de denrées alimentaires préemballées et que, selon l’art. 18 LDAl, les indications sur la provenance ne doivent pas être trompeuses – les produits étrangers peuvent certes être désignés comme « Berg- oder Alpprodukt »,mais pas comme « ‹ SchweizerBerg- oder Alpprodukt » (c. 4.5). Combinée avec la LDAl, l’ODMA atteint le but fixé par l’art. 14 LAgr (c. 4.3-4.4) et ne viole ni l’égalité de traitement entre concurrents ni la liberté économique (art. 27 Cst. ; c. 4.2) (c. 4.5). Le but de l’ODMA étant de permettre au consommateur de faire la différence entre les produits provenant d’une région d’estivage et ceux provenant d’une région de montagne, il convient d’interpréter l’ODMA selon la compréhension du consommateur et non pas selon celle du producteur (c. 5.2.1). À la différence de l’élément « Alp- » et – clairement – de la notion d’« alpage » (art. 8 ODMA), qui se rapportent à la région d’estivage, l’élément « Alpen- » se rapporte aux Alpes en tant que massif géographique au sens de l’art. 3 al. 1 ODMA (2011) (c. 5.2 et 5.2.2). L’art. 3 al. 2 ODMA (2011) n’empêche pas qu’un fromage qui ne provient pas d’une région d’estivage puisse être désigné par l’expression « Alpenkäse » (c. 5.2.3). Sous réserve de la violation de l’art. 18 LDAl (c. 6-6.6), l’art. 3 ODMA (2011) (interprété conformément à la Constitution) permet de désigner par l’élément « Alpen » – en l’espèce par l’expression « Heidi-Alpen Bergkäse » – un fromage qui – sans provenir d’une région d’estivage – provient d’une région de montagne (art. 8 al. 1 ODMA [2011]) pour autant que, comme en l’espèce, la dénomination ne donne pas l’impression – trompeuse – que le fromage provient d’une région d’estivage (c. 5.2.4). L’expression « Heidi-Alpen Bergkäse » n’est pas trompeuse au sens de l’art. 18 LDAl (c. 6.1-6.2), car le consommateur ne s’attend pas à ce qu’un fromage désigné par cette expression provienne d’une région d’estivage (c. 5.2.2 et 6.4) ; l’élément « Heidi » – qui n’est pas une référence à la seule région Sargans/Maienfeld – n’est pas non plus trompeur (c. 6.5-6.6).