Disposition

     LDA (RS 231.1)

          Art. 6

16 juin 2011

TF, 16 juin 2011, 4D_24/2011 (d)

Auteur, présomption de la qualité d’auteur, oeuvre photographique, contrefaçon, preuve, arbitraire dans la constatation des faits, recours, recours constitutionnel subsidiaire, conclusion nouvelle, valeur litigieuse ; art. 9 Cst., art. 74 al. 2 lit. b LTF, art. 97 LTF, art. 99 al. 2 LTF, art. 105 LTF, art. 113 LTF, art. 6 LDA, art. 8 al. 1 LDA.

Le mémoire du recourant (qui peut être compris comme un recours en matière civile) étant admissible (indépendamment de la valeur litigieuse [art. 74 al. 2 lit. b LTF]), le recours constitutionnel subsidiaire est exclu (art. 113 LTF) (c. 1). En vertu de l'art. 99 al. 2 LTF, toute conclusion nouvelle est irrecevable (c. 2). Le recourant — à qui, dans l'arrêt attaqué, l'Obergericht BE n'a pas reconnu la qualité d'auteur (art. 6 LDA) de la photographie de chien utilisée par l'intimé — ne parvient pas à établir que l'Obergericht BE a appliqué des normes cantonales de procédure de manière contraire à la Constitution en considérant que les agrandissements photographiques avaient été déposés tardivement (c. 3.3.1). Ne peuvent pas être prises en considération les critiques purement appellatoires (art. 97 LTF, art. 105 LTF; c. 3.2 in fine) du recourant au sujet de l'appréciation des preuves faite par l'Obergericht BE (c. 3.3.2-3.3.3). Bien qu'il n'ait, probablement à tort, pas retenu le fait que deux témoins avaient reconnu le chien Q. sur la photographie litigieuse, l'Obergericht BE n'a pas établi les faits de façon manifestement inexacte (art. 9 Cst.), car il peut s'appuyer sur d'autres éléments du dossier, notamment sur les affirmations de deux autres témoins qui ont, eux, reconnu le chien R. sur la photographie litigieuse (c. 4.1). Le recourant ne parvient pas à démontrer que l'Obergericht BE a fait preuve d'arbitraire (art. 9 Cst.) en considérant que la photographie utilisée par l'intimé n'était pas une contrefaçon de la photographie du recourant (c. 4.2). L'Obergericht BE n'a pas violé le droit fédéral en estimant que le recourant n'avait pas apporté la preuve qu'il était l'auteur de la photographie litigieuse et en considérant, en application de l'art. 8 al. 1 LDA, que l'intimé en était l'auteur (c. 4.3).

29 janvier 2009

OG ZH, 29 janvier 2009, LK040003/U (d) b

sic! 4/2011, p. 227-230, « Bob Marley II » ; droits d’auteur, contrat, contrat de travail, transfert de droits d’auteur, interprétation du contrat, théorie de la finalité, œuvre, œuvre photographique, Bob Marley, agence photographique, qualité pour défendre ; art. 2 LDA, art. 6 LDA ; cf. N 25 (arrêt du TF dans cette affaire).

Vu l'art. 6 LDA, un employeur ne peut acquérir que de manière dérivée — contractuellement (Vorausverfügung) — des droits sur l'œuvre créée par son travailleur (c. 3.1). Afin de déterminer l'étendue de la cession des droits, il s'agit, à défaut de clause explicite, d'interpréter le contrat de travail au moyen, notamment, de la théorie de la finalité, selon laquelle l'étendue de la cession est présumée limitée par ce qu'exige le but du contrat (c. 3.1). À défaut de disposition contractuelle à ce sujet, un employeur n'a aucun droit sur l'œuvre créée par son travailleur en dehors de l'exercice de son activité au service de l'employeur (c. 3.1). La cession, par le demandeur, des droits d'exploitation sur ses photographies à une agence photographique correspond au but du contrat (de travail [c. 3.6-3.7]) qui liait ces parties (c. 3.7). Peut rester ouverte la question de savoir si le demandeur a fait la photographie litigieuse (une œuvre au sens de l'art. 2 LDA [c. 3.3]) dans ou en dehors de l'exercice de son activité au service de son employeur, car en la remettant aux archives de son employeur, le demandeur lui a cédé l'ensemble de ses droits d'exploitation (c. 3.7-3.8). La défenderesse n'a pas qualité pour défendre en ce qui concerne une éventuelle rémunération due au demandeur par l'ex-employeur du demandeur (c. 3.8).

17 juin 2015

HG BE, 17 juin 2015, HG 15 39 (d) (mes. prov.)

Œuvre, droit d’auteur, individualité de l’œuvre, unicité statistique, œuvre photographique, transfert de droits d’auteur, recueil, contrat de licence, concurrence déloyale, exploitation d’une prestation d’autrui, mesures provisionnelles, vraisemblance, examen théorique des conducteurs de véhicules automobiles, programme d’ordinateur, CD-ROM, Excel ; art. 2 al. 1 LDA, art. 4 LDA, art. 6 LDA, art. 9 LDA, art.16 al. 1 LDA, art. 65 LDA, art. 5 lit. c LCD.

Pour l’examen théorique des conducteurs de véhicules automobiles, la demanderesse — l’association des services des automobiles — a conçu 276 questions avec pour chacune trois réponses possibles et des images (et photographies) associées. Ce matériel est mis sur le marché par le biais de contrats de licence. Sans bénéficier d’une telle licence, la défenderesse a repris un CD sur lequel étaient enregistrées les questions et les réponses sous forme de tableau Excel, les images et des instructions sur la façon d’assembler les questions et les images. En droit d’auteur, l’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre. Lorsqu’une œuvre est créée par un employé, l’employeur ne peut acquérir les droits d’auteur sur cette œuvre, et faire valoir les droits exclusifs qui y sont liés, qu’en se les faisant céder (art. 16 al. 1 LDA) (c. 17.1). Si le matériel d’examen constitue une œuvre, les membres du groupe de travail qui les ont conçues en sont les auteurs. La demanderesse n’étant pas parvenue à rendre vraisemblable une cession expresse ou tacite des droits, la requête de mesures provisionnelles doit déjà être rejetée pour défaut de légitimation active (c. 17.4-17.5). La requête doit aussi être rejetée au motif que la demanderesse n’est pas parvenue à rendre vraisemblable l’existence d’une œuvre protégée (c. 18). Selon le critère de l’unicité statistique, l’œuvre doit se distinguer de ce qui est usuel au point qu’il paraisse exclu qu’un tiers, confronté à la même tâche, puisse créer une œuvre pratiquement identique (c. 18.1). En l’espèce, tant les images que les questions et réponses ne sont pas suffisamment individuelles pour être protégées. Les images ne constituent que de banales représentations de diverses situations, qui pourraient être réalisées de manière similaire par d’autres personnes ayant reçu la consigne de réaliser des images correspondant aux questions. Il en va de même pour les questions, qui ne constituent qu’une banale compilation de questions possibles d’examen découlant de la législation et dictées par la logique (c. 18.5). On ne peut non plus conclure à l’existence d’un recueil, le choix et l’ordonnancement des éléments n’étant pas individuels. Les questions sont listées de manière banale dans une liste Excel, sans avoir été, apparemment, disposées volontairement dans un ordre particulier, et les images sont stockées séparément (c. 18.7). Sous l’angle de l’art. 5 lit. c LCD, la demanderesse ne rend pas vraisemblable que sa compilation de questions constitue un produit prêt à être mis sur le marché. Le matériel enregistré sur le CD ne constitue pas un logiciel d’apprentissage fini, mais la matière de base permettant aux acquéreurs de développer leurs propres logiciels d’apprentissage. En outre, la demanderesse ne parvient pas à rendre vraisemblable que la défenderesse n’a pas effectué de sacrifice correspondant. La défenderesse n’a pas simplement copié le matériel de la demanderesse, mais elle l’a intégré dans son propre produit, modifiant notamment l’ordre des réponses et les images (c. 21.3). La demande de mesures provisionnelles doit donc aussi être rejetée sous l’angle de l’art. 5 lit. c LCD (c. 21.4). [SR]

07 avril 2014

HG ZH, 7 avril 2014, HG110271 (d)

Usage privé, droit international privé, transfert de droits d’auteur, principe du traitement national, principe du créateur, compétence exclusive, droits non soumis à un enregistrement, violation des droits de propriété intellectuelle, recueil, revue, articles scientifiques, service de livraison de documents, appareil pour la confection de copies, envoi électronique, copie numérique, copie papier, bibliothèque, tiers chargé d'effectuer une reproduction, action en interdiction, qualité pour agir des sociétés de gestion, tarifs des sociétés de gestion, interprétation conforme à la constitution, méthodes d’interprétation, interprétation conforme au droit international, triple test, exemplaire d’œuvre disponible sur le marché ; art. 5 ch. 1 CB, art. 9 ch. 2 CB, art. 2 ch. 1 CL, art. 22 ch. 4 CL, art. 4 LDA, art. 6 LDA, art. 19 al. 2 LDA, art. 19 al. 3 lit. a LDA, art. 19 al. 3bis LDA, art. 20 LDA, art. 46 LDA, art. 59 al. 3 LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 70 LDA, art. 5 al. 1 lit. a CPC, art. 109 al. 2 LDIP, art. 110 LDIP ; cf. N 787 (TF, 28 novembre 2014, 4A_295/2014 [ATF 140 III 616] ; sic! 3/2015, p. 155-164, « Bibliothekslieferdienst »).

La compétence exclusive prévue par l’art. 22 ch. 4 CL n’est pas applicable aux litiges concernant des droits non soumis à un enregistrement. Par conséquent, la compétence générale de l’art. 2 ch. 1 CL s’applique. D’après l’art. 109 al. 2 LDIP, les tribunaux suisses du domicile du défendeur sont compétents pour connaître des actions portant sur la violation des droits de propriété intellectuelle (c. 1.1). D’après l’art. 5 al. 1 lit. a CPC, c’est le droit cantonal qui détermine le tribunal qui fonctionne comme instance cantonale unique pour les affaires de propriété intellectuelle (c. 1.2). Le transfert aux demanderesses des droits sur différents articles scientifiques, ou l’octroi à celles-ci d’une licence exclusive, a été prouvé par les contrats produits (c. 1.3). En revanche, la question de savoir si ces demanderesses disposent des droits sur les revues contenant lesdits articles est incertaine et il faut préalablement déterminer quelle est la loi applicable à cette question (c. 1.4). D’après l’art. 110 al. 1 LDIP, les droits de propriété intellectuelle sont régis par la loi de l’État pour lequel la protection est demandée (lex loci protectionis). L’art. 5 al. 1 CB prévoit en outre le principe du traitement national, selon lequel les ayants droit étrangers bénéficient des mêmes droits que les nationaux. En l’espèce, la question de l’existence des droits d’auteur se juge d’après la loi du pays de protection. Comme les demanderesses invoquent la protection du droit d’auteur suisse, c’est le droit suisse qui est applicable (c. 2.1.1). La loi du pays de protection est aussi applicable aux prétendues violations des droits de propriété intellectuelle, de même qu’aux effets de ces droits (contenu, limite et protection). D’après l’art. 110 al. 2 LDIP en revanche, s’agissant des conséquences juridiques d’une violation, les parties peuvent toujours convenir, après l'événement dommageable, de l'application du droit du for aux prétentions résultant de l’acte illicite. Mais en l’espèce, les demanderesses invoquent aussi la loi du pays de protection pour les actions en interdiction qu’elles font valoir. L’art. 110 al. 2 LDIP n’est donc pas applicable (c. 2.1.2). En résumé, le droit suisse gouverne l’ensemble du litige (c. 2.1.3). Seule une personne physique peut acquérir originairement des droits d’auteur. D’après l’art. 6 LDA, l’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre. Une cession des droits d’auteur à l’employeur doit être alléguée et prouvée. Le droit suisse ne connaît aucun transfert automatique des droits d’auteur à l’employeur. Il est possible que les revues contenant les divers articles scientifiques soient des recueils au sens de l’art. 4 LDA. Toutefois, les demanderesses n’ont pas suffisamment allégué détenir les droits sur ces revues (c. 2.2.1). Par conséquent, il faut seulement examiner en l’espèce si les droits sur les différents articles ont été violés (c. 2.2.2). Une action en interdiction nécessite un intérêt à la protection actuel et suffisant. Les conclusions doivent viser des actes concrets et doivent être formulées de manière suffisamment précise pour que les autorités d’exécution puissent reconnaître les actes interdits au défendeur (c. 2.4.1). Les droits à rémunération pour l’usage privé ne peuvent être exercés que par les sociétés de gestion agréées. La qualité pour agir de ces dernières découle de la loi (art. 20 al. 2 LDA) et ne nécessite aucun fondement contractuel avec les ayants droit. Les sociétés de gestion doivent établir des tarifs (art. 46 LDA). Une fois approuvés par la CAF, ceux-ci lient le juge d’après l’art. 59 al. 3 LDA. Le juge civil doit cependant vérifier que les tarifs ne prévoient pas de droits à rémunération contraires à la loi (c. 2.5). Le TF s’est prononcé en faveur d’un pluralisme pragmatique des méthodes d’interprétation et refuse de les hiérarchiser selon un ordre de priorité. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut donner la préférence à celle qui correspond le mieux à la Constitution. Une interprétation conforme à la Constitution ne peut toutefois pas contredire le texte clair d’une disposition légale. Pour l’interprétation d’une limite au droit d’auteur, il faut tenir compte des droits constitutionnels en cause, en particulier de la garantie de la propriété et des libertés de communication, de même que des traités internationaux, en particulier du test des trois étapes (c. 2.6.2.1). Une œuvre offerte à la vente par Internet est disponible sur le marché au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA (c. 2.6.2.2). Le point de vue du Message de 1989, selon lequel les différents articles d’une revue ne seraient pas des exemplaires d’œuvres au sens de cette dernière disposition, ne paraît plus soutenable vu l’évolution technologique. Il faut opter pour une interprétation conforme aux réalités d’aujourd’hui lorsque les différents articles scientifiques peuvent être acquis individuellement par les consommateurs par voie électronique. L’avis du Message, selon lequel seule la copie intégrale [de la revue] ferait concurrence à la distribution de l’œuvre, n’est plus actuel: le consommateur moyen s’intéresse aujourd’hui beaucoup plus aux différents articles qu’à la revue entière. Ces articles sont donc des exemplaires d’œuvres au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA (c. 2.6.2.3.3). Cette disposition ne protège pas seulement la première exploitation de l’œuvre. Il y a reproduction de la totalité ou de l’essentiel des exemplaires d’œuvres, au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA, lorsque l’acquisition d’un exemplaire complet devient inintéressante pour le consommateur moyen. Le fait que le layout ou la numérotation des pages soient changés n’est pas déterminant (c. 2.6.2.4). Vu les travaux préparatoires de 1989, il se justifie de retenir comme seul critère déterminant pour l’application de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA celui de la mise en concurrence directe des prestations de l’éditeur: les copies qui font concurrence directement à ces prestations ne doivent pas être admises. Le service de livraison de documents exploité par la défenderesse représente bien une telle concurrence (c. 2.6.4). En revanche, en application de ce critère, les copies réalisées par les consommateurs dans les locaux d’une bibliothèque, au moyen des appareils mis à disposition par cette bibliothèque, doivent rester admissibles. Sinon, les libertés constitutionnelles de communication seraient compromises, de même que l’équilibre des intérêts entre les exploitants et la collectivité. Le but de l’art. 19 al. 2 LDA est de permettre à celui qui ne dispose pas d’un appareil de reproduction de réaliser les copies grâce à l’aide d’un tiers. Exiger que ce dernier fasse partie du cercle privé de la personne concernée ne paraît ni praticable ni suffisant. Dans ce cadre, la personne qui réalise une copie numérique, par exemple au moyen d’un scanner installé par une bibliothèque, peut certainement aussi se faire envoyer cette copie à son adresse électronique, bien que l’art. 19 al. 2 LDA ne concerne que l’acte de reproduction. Mais l’exploitation d’un service de livraison de documents, comprenant l’envoi des copies moyennant paiement d’un émolument, ne fait pas partie des activités habituelles d’une bibliothèque. Cela représente une concurrence directe pour les services en ligne des éditeurs et porte atteinte à l’exploitation normale des œuvres au sens du test des trois étapes (c. 2.6.5). La situation ne serait différente que si les copies étaient réalisées par les personnes visées par l’art. 19 al. 1 LDA elles-mêmes, grâce à un appareil mis à disposition par la bibliothèque. En effet, avec un service de livraison de documents, la bibliothèque fait concurrence aux éditeurs en réclamant une rémunération et en offrant aux consommateurs la possibilité de gagner du temps, comme s’ils recouraient aux services en ligne des éditeurs. Il est conforme à l’équilibre des intérêts voulu par le législateur d’exiger des consommateurs qu’il se rendent physiquement dans les locaux d’une bibliothèque pour pouvoir librement réaliser les copies (c. 2.6.6). L’art. 19 al. 3bis LDA n’a pas pour effet de rendre illicites les services en ligne payants des éditeurs et ces derniers ne se rendent pas coupables de l’infraction prévue à l’art. 70 LDA. Au demeurant, par son service de livraison de documents, la défenderesse copie sur demande les articles litigieux et les envoie en PDF par voie électronique à la personne qui les a commandés. Cette prestation n’est pas couverte par l’art. 19 al. 3bis LDA car elle n’est pas identique à celle d’un service comme iTunes. Au surplus, il n’y a pas de consultation au sens de cette disposition, et les œuvres n’ont pas été mises à disposition licitement (c. 2.7.2). La vente d’articles scientifiques isolés par Internet fait partie de l’exploitation normale de l’œuvre au sens du test des trois étapes. Pour savoir s’il est porté atteinte à celle-ci, le nombre de copies réalisées par la défenderesse n’est pas déterminant et peut d’ailleurs considérablement varier selon l’intérêt des consommateurs (c. 2.9.3). Il est possible que les intérêts des auteurs et des éditeurs divergent parfois. Mais l’intérêt légitime des premiers à ce que leurs œuvres scientifiques soient largement diffusées est suffisamment sauvegardé par le fait que les consommateurs ont la possibilité de réaliser des copies dans les locaux des bibliothèques, même si les éditeurs commercialisent les articles en ligne, et par le fait qu’ils peuvent utiliser ces offres en ligne (c. 2.9.4). [VS]

05 janvier 2015

HG AG, 5 janvier 2015, HSU.2014.68/DP/mv (d) (mes. prov.)

sic! 7-8/2015, p. 449-455, « Totenkopf-Tatoo » ; mesures provisionnelles, droit international privé, vraisemblance, œuvre de service, montre, présomption de la qualité d’auteur, principe du créateur, risque de récidive, précision des conclusions, œuvre, double création, préjudice irréparable, urgence, péremption du droit d’agir, principe de la proportionnalité ; art. 2 ch. 1 CL, art. 60 ch. 1 CL, art. 332 al. 1 CO, art. 2 al. 1 LDA, art. 6 LDA, art. 8 LDA, art. 62 al. 1 lit. a LDA, art. 261 al. 1 CPC, art. 343 al. 1CPC, art. 10LDIP, art. 109 al. 2LDIP, art. 110 al. 1LDIP, art. 129 LDIP, art. 292 CP.

La CL prévoit une compétence internationale des tribunaux suisses pour prononcer des mesures provisionnelles. Au niveau national, la compétence locale se détermine d’après l’art. 10 LDIP, qui l’attribue soit aux tribunaux compétents au fond, soit aux tribunaux du lieu d’exécution de la mesure (c. 2.2). Comme l’intimée a son siège à Genève, il existe une compétence internationale des tribunaux suisses pour se prononcer sur le fond, d’après les art. 2 ch. 1 et 60 ch. 1 CL (c. 2.3). Au niveau national, les art. 109 al. 2 et 129 LDIP prévoient la compétence des tribunaux du lieu de l’acte ou du résultat. Comme le requérant a rendu vraisemblable que les montres litigieuses pouvaient être commandées à Wettingen et étaient livrées depuis là, la compétence des tribunaux argoviens est donnée (c. 2.4). Pour obtenir une interdiction par voie de mesures provisionnelles, le requérant doit rendre vraisemblable que les conditions de l’art. 261 al. 1 CPC sont remplies (c. 4). Une allégation est vraisemblable lorsque le juge n’est pas totalement convaincu de sa véracité, mais qu’il la considère comme globalement vraie, quand bien même tous les doutes ne peuvent être écartés. Certains éléments doivent parler pour les faits prétendus, même si le tribunal compte encore avec l’éventualité qu’ils puissent ne pas être réalisés (c. 5). D’après l’art. 110 al. 1 LDIP, les droits de la propriété intellectuelle sont régis par le droit de l'État pour lequel la protection de la propriété intellectuelle est revendiquée (c. 6.2.1). Le principe connu en droit anglais du « work for hire », selon lequel le droit d’auteur appartient originairement à l’employeur ou au mandant du créateur, n’est donc pas applicable en l’espèce (c. 6.2.2). L’art. 8 LDA prévoit une présomption légale de la qualité d’auteur et un renversement du fardeau de la preuve: celui qui est indiqué comme auteur sur l’exemplaire de l’œuvre ou au moment de sa publication bénéficie de la protection de la LDA, jusqu’à preuve du contraire. D’après le principe du créateur de l’art. 6 LDA, l’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre et l’art. 332 al. 1 CO n’est pas applicable (c. 6.3.1). Le requérant a ainsi la légitimation active (c. 6.3.3). Ses conclusions sont suffisamment précises et il faut retenir un risque de récidive, car il est rendu vraisemblable que l’intimée fabrique et commercialise les montres visées par l’interdiction (c. 6.4.2). Pour déterminer si la tête de mort dessinée par le requérant est protégée, il est décisif de savoir s’il s’agit d’une création de l’esprit humain ayant un caractère individuel. C’est l’individualité de l’œuvre qui est déterminante, pas celle de l’auteur (c. 6.5.2). L’intimée n’est pas parvenue à rendre vraisemblable qu’il existait d’autres créations semblables à celle du requérant, avant que celui-ci ne réalise la sienne. Cette dernière à la qualité d’œuvre au sens de l’art. 2 LDA (c. 6.5.3). Quant à lui, le requérant a rendu vraisemblable que sa tête de mort, sur les montres litigieuses, était reconnaissable dans son caractère individuel. L’allégation de l’intimée, selon laquelle elle se serait inspirée de crânes en sucre mexicains, sans connaître l’œuvre du requérant, n’est pas suffisamment motivée pour pouvoir juger d’une éventuelle double création (c. 6.6.3). Il est notoire que les actions en dommages-intérêts, dans le domaine de la propriété intellectuelle, sont souvent très coûteuses et difficiles à mener. De plus, il paraît vraisemblable qu’une menace de dilution du droit d’auteur pèse sur le requérant, en raison des actes illicites, ce qui pourrait aussi nuire à sa réputation. La condition du préjudice difficile à réparer est donc réalisée (c. 7.3 et 7.4). L’urgence existe lorsqu’un procès ordinaire durerait clairement plus longtemps qu’une procédure de mesures provisionnelles. Une éventuelle péremption du droit d’agir se juge d’après la durée du procès au fond (c. 8.2). En l’espèce, le requérant a attendu environ un an avant de demander des mesures provisionnelles. Cela est clairement inférieur au temps nécessaire pour obtenir un jugement au fond, si bien que la condition de l’urgence est réalisée (c. 8.3 et 8.4). L’interdiction provisionnelle doit toutefois satisfaire au principe de la proportionnalité: elle se limitera à ce qui est nécessaire (c. 9 et 9.1). L’interdiction de mettre en circulation les montres litigieuses et de les promouvoir est proportionnée, mais pas celle de les garder en stock (c. 9.3.2). Comme mesures d’exécution, la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP et l’amende d’ordre selon l’art. 343 al. 1 lit. b CPC sont appropriées (c. 10). [VS]

CL (RS 0.275.12)

- Art. 60

-- ch. 1

- Art. 2

-- ch. 1

CO (RS 220)

- Art. 332

-- al. 1

CP (RS 311.0)

- Art. 292

CPC (RS 272)

- Art. 343

-- al. 1

- Art. 261

-- al. 1

LDA (RS 231.1)

- Art. 8

- Art. 6

- Art. 62

-- al. 1 lit. a

- Art. 2

-- al. 1

LDIP (RS 291)

- Art. 10

- Art. 109

-- al. 2

- Art. 129

- Art. 110

-- al. 1

« Revue de presse interne » ; principe du créateur, présomption de la qualité d’auteur, transfert de droits d’auteur, théorie de la finalité, work for hire, qualité pour agir ; art. 321b al. 2 CO, art. 332 CO ; art. 6 LDA, art. 8 LDA, art. 16 LDA, art. 17 LDA, art. 62 LDA.

Le droit suisse connaît le principe du créateur, selon lequel seule une personne physique, à savoir celle qui a créé l’œuvre, peut être auteur. Une personne morale ne peut pas l’être. La règle de l’art. 8 al. 1 LDA, qui concerne le fardeau de la preuve, ne se rapporte qu’au créateur de l’œuvre selon l’art. 6 LDA, donc à une personne physique. Mais les personnes morales peuvent devenir titulaires de droits d’auteur à titre dérivé, à la suite d’un acte juridique. Le transfert de droits d’auteur - « cession » - a un effet absolu – quasi-réel – et a pour conséquence que la position juridique du cédant passe au cessionnaire. Ce dernier peut alors, en particulier, faire valoir en justice les droits d’auteur transférés. La règle de l’art. 8 al. 2 LDA doit être distinguée de ce qui précède. Elle prévoit que la personne qui a fait paraître l’œuvre, subsidiairement celle qui l’a divulguée, peut exercer le droit d’auteur lorsque l’auteur n’est pas désigné (ou est inconnu). Il peut s’agir d’une personne morale. La disposition a par ailleurs pour but de permettre à l’auteur de faire valoir ses droits tout en conservant l’anonymat. La personne qui a fait paraître l’œuvre ou celle qui l’a divulguée n’acquière pas de droit d’auteur propre, mais seulement le pouvoir d’exercer en son nom les droits de l’auteur. Si ce dernier est nommé par la suite, ledit pouvoir tombe (c. 4.1). Les règles précitées valent aussi en cas de création d’une œuvre dans le cadre de rapports de travail ou de mandat, sous réserve de l’art. 17 LDA pour les logiciels. Le travailleur qui crée une œuvre est donc originairement auteur. Le droit suisse ne connaît pas le principe anglo-saxon du « work for hire », selon lequel le droit d’auteur peut naître directement en la personne de l’employeur ou du mandant. Il en va différemment des droits sur les inventions et les designs, d’après les art. 332 et 321b al. 2 CO. L’employeur peut toutefois se faire céder les droits contractuellement, librement, également à l’avance et de manière globale. L’interprétation du contrat de travail conduira alors normalement à admettre rapidement une cession des droits d’auteur par acte concluant, ou au moins une licence, dont l’employeur a besoin pour atteindre son but. Mais cela doit être établi sur la base des rapports contractuels concrets et des circonstances du cas particulier. Dans la mesure où l’auteur n’est pas désigné sur l’exemplaire de l’œuvre et où l’employeur est la personne qui a fait paraître l’œuvre ou l’a divulguée, il pourra exercer les droits de son employé sur la base de l’art. 8 al. 2 LDA (c. 4.2). Vu ce qui précède, le jugement attaqué est conforme au droit fédéral : la recourante n’a pas établi qui avait écrit quelles contributions journalistiques ; elle n’a pas allégué non plus que les auteurs seraient non désignés au sens de l’art. 8 al. 2 LDA. Au contraire, elle donne le nom de certains auteurs. Sur la base de ses allégations de fait, on ne peut pas conclure qu’elle est légitimée à exercer les actions de l’art. 62 LDA : rien ne montre qu’elle aurait acquis des droits par cession ou qu’elle serait devenue licenciée exclusive au sens de l’art. 62 al. 3 LDA ; rien non plus ne dit qu’elle pourrait se prévaloir du pouvoir d’exercice prévu par l’art. 8 al. 2 LDA. L’argument selon lequel elle aurait qualité pour agir car toutes les contributions litigieuses émanent de ses employés est trop absolu et, sans examen des contrats de travail concrets, il n’est pas pertinent d’après la conception légale suisse (c. 4.3). [VS]