Nullité
d’un brevet, limitation des revendications, procédure devant le
TFB, fardeau de l’allégation, novae, moyens de preuve nouveaux,
jugement partiel, jugement intermédiaire, pouvoir
d’appréciation du juge instructeur ;art.
125 lit. a CPC, art. 222 al. 3 CPC, art. 229 al. 1 CPC, art. 236 CPC,
art. 237 CPC.
Selon
la jurisprudence désormais constante, les parties bénéficient,
tant en procédure ordinaire que simplifiée [mais pas en procédure
sommaire] de la possibilité de s’exprimer par deux fois de manière
non limitée sur la cause et notamment d’introduire de nouveaux
faits dans la procédure. Elles n’ont plus ensuite la possibilité
de présenter de nouveaux faits et de nouveaux moyens de preuve
qu’aux conditions restrictives de l’art. 229 al. 1 CPC. Etant
donné l’importance fondamentale du droit des novae
en procédure civile, il est indispensable qu’il existe des règles
générales claires et non équivoques permettant aux parties de
déterminer de manière sûre jusqu’à quel point de la procédure
elles sont admises à s’exprimer de manière non limitée sur la
cause. Il n’est par conséquent pas possible que la clôture des
échanges soit laissée à l’appréciation du Tribunal. La
limitation de l’admissibilité de nouveaux faits et moyens de
preuve ne peut en particulier pas être contournée par le fait que
des débats d’instruction sont organisés dans le cadre desquels
des novae
additionnels pourraient être présentés sans limite. Le Juge
instructeur a par contre la latitude de tenir une audience
d’instruction à la seule fin de tenter une conciliation pour
autant que celle-ci ne constitue pas une deuxième opportunité
offerte aux parties d’alléguer sans limitation des nouveaux faits
et moyens de preuve, et ceci sans que la clôture des échanges suive
immédiatement (c. 2.3.1). Selon l’art. 125 lit. a CPC, le Tribunal
peut, afin de simplifier la procédure, en particulier la limiter à
certaines questions ou à certains points de droit. Suite à une
telle limitation de la procédure, est rendu un jugement partiel
(art. 236 CPC) respectivement un jugement intermédiaire au sens de
l’art. 237 CPC. Une telle limitation peut être ordonnée par le
Tribunal en particulier avec la fixation d’un délai pour le dépôt
de la réponse (art. 222 al. 3 CPC). Demeure ouverte la question de
savoir si une limitation de la procédure peut encore intervenir au
moment de la fixation du délai pour le dépôt de la réplique. Dans
le cas d’espèce en effet, le Juge instructeur n’a pas ordonné
une limitation de la procédure en vue d’un jugement partiel ou
intermédiaire sur la nullité du brevet à l’origine de la
demande. Il a bien plutôt unilatéralement octroyé à la partie
demanderesse la possibilité de prendre position avant l’audience
d’instruction sur une partie des arguments de la réponse et d’y
répliquer dans ce cadre en introduisant ainsi des novae
non limités dans la procédure (c. 2.3.2). Si l’admissibilité
d’une scission thématique de la réplique est discutée, outre le
fait qu’il paraisse douteux qu’une telle manière de faire soit
judicieuse, il est au moins nécessaire que la question débattue
soit clairement délimitée du reste de la procédure, ce que
l’intimée conteste de manière convaincante en ce qui concerne la
question de la nullité du brevet en lien avec celle de sa violation.
Une telle partition thématique de la cause ne doit en aucun cas
amener à ce que la demanderesse puisse s’exprimer plus de deux
fois de manière illimitée (c. 2.4). Dans le cas d’espèce,
l’intimée a eu l’occasion de s’exprimer une première fois sur
la cause de manière illimitée dans sa demande. Elle a eu la
possibilité de le faire une deuxième fois dans une réplique
limitée, selon ordonnance expresse de l’autorité précédente, à
la question de la validité du brevet concerné. Enfin, l’intimée
s’est exprimée une troisième fois, sans limitation à une
thématique particulière, dans sa réplique complémentaire.
L’intimée a ainsi bénéficié, par trois fois, de la possibilité
d’alléguer de nouveaux faits et de proposer de nouveaux moyens de
preuve, deux fois de manière thématiquement illimitée et une fois
supplémentaire sur la question exclusive de la validité du brevet.
Cela n’est pas conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral
selon laquelle les parties ne bénéficient, en procédure ordinaire,
que deux fois de la possibilité de s’exprimer sur la cause et
d’introduire de nouveaux faits dans la procédure (c. 2.4.1).
L’avis de l’autorité précédente selon laquelle, de par
l’organisation thématique qui lui a été imposée, l’intimée
ne se serait exprimée que deux fois sur chacun des deux thèmes (de
la violation du brevet et de sa nullité) ne convainc pas. Il est en
effet pleinement possible à la demanderesse d’annihiler, déjà au
stade de la demande, les effets d’une éventuelle objection de
nullité du brevet. Il n’est pas relevant qu’elle n’ait pas eu
d’indication que la défenderesse soulèverait ce moyen de défense.
Car la possibilité de s’exprimer librement dans la procédure et
d’alléguer tous les faits et moyens de preuve quels qu’ils
soient, se caractérise aussi justement par le fait qu’elle est
donnée indépendamment de ce que la partie adverse ait suscité une
prise de position ou une réaction particulière. Cela fait partie de
l’essence même de la procédure (civile) que la demanderesse, au
moment du dépôt de la demande – soit du point de vue du droit des
novae au
moment de la première possibilité qui lui est donnée de s’exprimer
sans limitation – ne connaisse pas encore de manière sûre l’axe
de défense de la partie défenderesse. Le fait que, comme l’indique
l’autorité précédente, la problématique soit particulièrement
aigue dans le cadre d’un procès pour violation de brevets du fait
du grand nombre de brevets existants, n’y change rien. Comme déjà
indiqué, l’existence de règles claires fondamentalement respectée
par tous les tribunaux dans le cadre de l’application du CPC est
d’une importance centrale du point de vue de la sécurité du
droit. Une différenciation en fonction de la prévisibilité des
exceptions, respectivement des objections de la partie adverse,
nuirait grandement à la sécurité du droit, de sorte qu’une
exception à la règle générale de la possibilité de ne s’exprimer
que deux fois librement ne se justifie pas dans le domaine du droit
des brevets. Que l’exception de nullité du brevet invoquée dans
la demande pose de nouvelles questions en lien avec l’objet du
litige n’est d’ailleurs pas fondamentalement différent de ce qui
se passe lorsque l’exception de prescription est soulevée à
l’encontre d’une prétention ou lorsqu’une autre prétention
est invoquée en compensation. Lorsque des allégations nouvelles de
ce type sont présentées dans la réponse, cela ne conduit pas à ce
que la partie demanderesse puisse s’exprimer trois fois librement
les concernant. En dépit de l’avis de l’autorité précédente,
les particularités des litiges en matière de brevet ne justifient
en conséquence pas son procédé (c. 2.4.2). L’autorité
précédente a ainsi violé le droit fédéral en permettant à
l’intimée, en tout cas pour ce qui est de la question de la
validité du brevet, de proposer à trois reprises de manière
illimitée des faits et moyens de preuve nouveaux et sur cette base
de reformuler les revendications de son brevet, sans examiner si ces
novae
étaient exceptionnellement admissibles selon les conditions de
l’art. 229 al. 1 CPC. Comme le Juge instructeur avait expressément
attiré l’attention dans le cadre de l’audience d’instruction
sur le fait que l’intimée avait déjà usé de son droit de
s’exprimer librement pour la deuxième fois concernant la nullité
du brevet dans sa réplique limitée, la question de la protection de
la confiance ne se pose pas (c. 2.4.3). Le recours est admis et la
cause renvoyée au TFB pour nouveau jugement au sens des
considérants. [NT]