Disposition

     CC (RS 210)

          Art. 28

19 septembre 2008

CJ GE, 19 septembre 2008, C/1900/2008 -- ACJC/1115/2008 (f)

sic! 1/2010, p. 29-34, « Ocean Beauty / Océane Institut Genève Sàrl » (Cherpillod Ivan, Remarque) ; raison de commerce, raison sociale, Océane Institut Genève Sàrl, enseigne, droit au nom, nom commercial, Ocean Beauty, concurrence déloyale, usage, publicité, signe descriptif, force distinctive ; art. 28 CC, art. 29 CC, art. 956 CO, art. 2 LCD, art. 3 lit. d LCD.

Les enseignes qui ne font pas partie de la raison sociale et désignent le local affecté à l'entreprise (et non le titulaire de celle-ci) ne jouissent pas de la protection de l'art. 956 CO, mais peuvent bénéficier de celle des noms commerciaux (art. 28 et 29 CC) et de celle des art. 2 et 3 lit. d LCD (c. 3). Sous l'angle de la LCD, la priorité s'établit par l'utilisation (c. 4.1). Les noms commerciaux protégés par les art. 28 et 29 CC couvrent en particulier les enseignes, adresses téléphoniques ou autres appellations abrégées habituelles (ou noms usuels) sous lesquels un commerçant déploie son activité. Le droit au nom commercial naît avec l'usage et une utilisation dans la publicité suffit, mais la sphère de protection obtenue est limitée à la sphère commerciale du titulaire (c. 4.2). La notion de risque de confusion est la même pour l'ensemble du droit des signes distinctifs. L'utilisation, comme élément d'une raison de commerce, d'une désignation générique identique à (ou proche de) celle figurant dans une raison plus ancienne n'est admissible que si elle intervient en relation avec d'autres éléments qui la rendent distinctive. Les exigences posées quant à la force distinctive de ces éléments additionnels ne doivent pas être exagérées, mais l'ajout d'éléments descriptifs se rapportant à la forme juridique ou au domaine d'activité de l'entreprise n'est pas suffisant. Les désignations génériques et les signes descriptifs qui appartiennent au domaine public ne peuvent être monopolisés par un commerçant au détriment de ses concurrents (c. 4.3).

29 octobre 2012

TF, 29 octobre 2012, 5A_286/2012 (d)

sic! 3/2013, p. 158-161, « Coop-Naturaplan- Bio-Huhn » ; medialex, 1/2013, p. 48 (rés.) ; propos mensongers, propos attentatoires, risque de récidive, droit de la personnalité, atteinte à la personnalité, action en constatation de l’illicéité de l’atteinte, caractère mensonger ; art. 28 CC, art. 28a al. 1 ch. 3 CC.

L'action en constatation de l'illicéité d'une atteinte est recevable dès que le demandeur établit l'existence d'un trouble persistant. Il en va de même lorsque l'atteinte à la personnalité survient de manière isolée entre deux parties ou dans un cercle restreint de personnes. L'intérêt à la constatation de l'atteinte sera jugé selon les mêmes principes que ceux posés par la jurisprudence du TF lorsque le trouble est causé par des publications dans les médias de masse (c. 2.2-2.3). Le TF considère que c'est le comportement de l'auteur qui permet de prévoir si le trouble est susceptible de se répéter de manière identique ou similaire. Le fait que les parties soient dans un rapport de concurrence et participent à des débats politiques de manière régulière et durable laisse envisager la survenance de propos semblables à l'avenir (c. 2.4.3). Selon l'art. 28a al. 1 ch. 3 CC, celui qui subit une atteinte à sa personnalité peut requérir du juge qu'il constate le caractère illicite de l'attente si le trouble qu'elle a créé subsiste. L'action en constatation porte sur l'illicéité de l'allégation et non pas sur son caractère mensonger. Cependant, lorsqu'il n'est pas possible de faire cesser l'atteinte autrement que par la constatation de la véracité ou du caractère mensonger de propos offensants, l'action peut exceptionnellement avoir un tel objet. [LG]

14 janvier 2013

TF, 14 janvier 2013, 5A_792/2011 (f)

sic! 5/2013, p. 293-295, « Blogs » ; medialex 2/2013, p. 78-80 (Fanti Sébastien,Remarques) ; droit de la personnalité, blog, action défensive, action en dommages-intérêts, remise du gain, qualité pour défendre, responsabilité de l’hébergeur, hébergeur ; art. 28 CC, art. 28a CC.

La question de la qualité pour défendre se détermine selon le droit au fond. La Suisse n’a pas adopté de législation particulière concernant la responsabilité civile ou pénale des hébergeurs de blogs, quand bien même la question est étudiée dans le cadre du postulat 11.3912 « Donnons un cadre juridique aux médias sociaux », adopté par le Conseil national le 23 décembre 2011. Actuellement, les art. 28 ss CC sont donc applicables (c. 6.1). D’après l’art. 28 al. 1 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe. En matière d’actions défensives, cette formulation vise non seulement l’auteur originaire de l’atteinte, mais aussi toute personne dont la collaboration cause, permet ou favorise cette atteinte, sans qu’une faute soit nécessaire. En d’autres termes, peut être concerné celui qui, sans être l’auteur des propos litigieux ou en connaître le contenu ou l’auteur, contribue à leur transmission (c. 6.2). En l’espèce, l’atteinte à la personnalité résulte de la publication sur Internet d’un billet rédigé par un tiers, auquel la recourante a fourni un espace ayant permis la diffusion de ce billet. Si la recourante n’est donc pas l’auteur de l’atteinte, elle y a participé au sens de l’art. 28 al. 1 CC et a donc la légitimation passive. Le fait qu’elle n’ait pas la maîtrise des propos rapportés, ou qu’elle ne puisse pas contrôler tous les blogs qu’elle héberge, n’est pas pertinent. Ces éléments ressortissent en effet à la question de la faute, laquelle n’est pas nécessaire dans le cadre d’une action défensive. Reconnaître la légitimation passive de l’hébergeur pour une telle action n’implique pas automatiquement que les fournisseurs d’accès se verront désormais actionnés en dommages-intérêts ou en réparation du tort moral. En effet, si le lésé peut aussi choisir contre qui il veut intenter une action réparatrice, son choix est limité par le fait qu’il ne peut s’adresser qu’à ceux dont il parvient à prouver la faute. Enfin, il n’appartient pas à la justice mais au législateur de réparer les prétendues « graves conséquences » pour Internet et les hébergeurs que pourrait avoir l’application du droit actuel (c. 6.3). [VS]

20 mai 2014

TF, 20 mai 2014, 4A_41/2014 (f)

ATF 140 III 251 ; sic! 9/2014, p. 532-538, « Croix rouge II » ; JdT 2015 II 203 ; marque combinée, motifs absolus d’exclusion, signe contraire au droit en vigueur, services médicaux, service de permanence médico-chirurgicale, permanence médico-chirurgicale SA, Croix-Rouge, noms et emblèmes internationaux, revendication de couleur, action en constatation de la nullité d’une marque, intérêt pour agir, risque de confusion direct, risque de confusion indirect, valeur litigieuse, force distinctive forte ; art. 28 CC, art. 29 CC, art. 2 lit. d LPM, art. 52 LPM, art. 7 al. 2 LPENCR, art. 91 CPC.

L’article 7 al. 2 de la loi fédérale du 25 mars 1954 concernant la protection de l’emblème et du nom de la Croix-Rouge (LPENCR) stipule que les marques et les designs « contraires à la présente loi » sont exclus du dépôt. Le projet « Swissness » adopté par le Parlement le 21 juin 2013 prévoit de remplacer cette disposition par le texte suivant qui ne conduira à aucun changement d’ordre matériel : « Les signes dont l’emploi est interdit en vertu de la présente loi et les signes susceptibles d’être confondus avec eux, ne peuvent être enregistrés comme marques, designs, raisons de commerce, noms d’association ou de fondation, ni comme éléments de ceux-ci » (c. 3.1). L’action en constatation de droit de l’art. 52 LPM peut être intentée par toute personne qui établit qu’elle a un intérêt juridique à une telle constatation. Un tel intérêt existe lorsqu’une incertitude plane sur les relations juridiques des parties, qu’une constatation judiciaire touchant l’existence et l’objet du rapport de droit pourrait l’éliminer et que la persistance de celle-ci entrave le demandeur dans sa liberté de décision au point d’en devenir insupportable pour lui (c. 5.1). La Croix-Rouge suisse, en tant qu’association au sens de l’art. 60 CC, dispose d’un intérêt digne de protection évident à intenter une action en nullité de la marque de la recourante, même si la LPENCR ne lui permet pas de disposer librement de son emblème (c. 5.2). Il est de jurisprudence constante que toute utilisation non autorisée de l’emblème de la Croix Rouge ou de tout autre signe pouvant prêter à confusion est exclue, quels que soient les circonstances et le but de l’utilisation. La LPENCR interdit ainsi en particulier l’utilisation de l’emblème de la Croix Rouge comme élément d’une marque, sans égard à sa signification en lien avec les autres éléments de la marque pour les produits et/ou services auxquels la marque est destinée. Peu importe en particulier que l’utilisation concrète de la marque conduise ou non à un risque de confusion, par exemple que les produits et/ou services marqués puissent être pris pour des produits et/ou services protégés par les conventions de Genève ou qu’ils puissent être mis en relation avec le Mouvement de la Croix Rouge. Il s’agit uniquement d’examiner si l’emblème protégé – de manière absolue – par la LPENCR (ou tout autre signe susceptible d’être confondu avec lui) est perçu comme un élément du signe déposé. L’élément en question doit ainsi être considéré pour lui-même, sans égard aux autres éléments - par exemple figuratifs ou verbaux – du signe déposé, de sorte que l’impression d’ensemble qui se dégage de ce signe n’entre pas en ligne de compte. Le but dans lequel le signe déposé est utilisé est sans importance, tout comme les produits et/ou services pour lesquels la protection est revendiquée. Il n’importe également que le signe soit utilisé comme « signe de protection » ou comme « signe indicatif » (c. 5.3.1). L’inscription de la marque au registre des marques tenu par l’IPI n’exclut pas l’existence d’un risque de confusion entre cette marque et l’emblème de la Croix Rouge. La décision de l’IPI ne lie en effet pas le Juge civil (c. 5.3.2). En l’espèce, le léger écart entre la branche droite de l’élément figuratif litigieux et le reste de cet élément (parties gauche et centrale) est la seule différence existant entre ce signe et la Croix-Rouge. En raison de la proximité de l’élément en forme de carré rouge (branche droite) avec l’autre élément, ce léger écart ne suffit pas à reléguer au second plan l’image d’une croix rouge sur fond blanc. Le signe, bien que stylisé, apparaît toujours comme une croix rouge. En outre, si l’emblème de la Croix Rouge est protégé indépendamment du contexte dans lequel il est utilisé, le fait qu’en l’espèce la marque enregistrée soit destinée à des soins médicaux et services de permanence médico-chirurgicale, ne fait que renforcer le risque que son élément litigieux soit perçu comme l’emblème de la Croix Rouge. L’existence d’un risque de confusion doit être retenue et le moyen tiré de la violation de l’art. 2 lit. d LPM admis (c. 5.3.3). Si la question de savoir si un signe distinctif figuratif (et non verbal) est protégé par l’art. 28 CC ou l’art. 29 CC est controversée, il n’est par contre pas contesté que la protection conférée par les art. 28 et 29 CC couvre aussi les armoiries et les emblèmes ou tout autre signe visant à désigner une personne. Ces dispositions protègent aussi bien les personnes physiques que les personnes morales (c. 6.2). La Croix Rouge suisse a un intérêt juridique manifeste à pouvoir intenter une action visant à écarter tout risque de confusion ou d’association entre le signe qui permet de l’individualiser (et sur lequel elle a de par la loi un droit exclusif ) et le signe utilisé par un tiers et à éviter la perte de force distinctive de son emblème, afin de préserver le prestige qui s’y attache. La Croix Rouge suisse est ainsi, en tant qu’association, légitimée à invoquer la protection découlant des art. 28 et 29 CC (c. 6.3). L’usage du nom d’autrui (ou de son signe d’identification) est illicite lorsque l’appropriation du nom (ou du signe) entraîne un danger de confusion ou de tromperie ou que cette appropriation est de nature à susciter dans l’esprit du public, par une association d’idées, un rapprochement qui n’existe pas en réalité entre le titulaire du nom (ou du signe) et le tiers qui l’usurpe sans droit. On se trouve également en présence d’une usurpation inadmissible de nom(ou de signe) quand celui qui l’usurpe crée l’apparence que le nom (ou le signe) repris a quelque chose à voir avec son propre nom (ou signe) ou sa propre entreprise ou encore que des relations étroites, sur un plan personnel, idéologique, intellectuel ou commercial, sont nouées entre les parties alors qu’il n’en est rien. Il n’est pas nécessaire que des confusions se soient effectivement produites (sous l’angle de l’art. 29 al. 2 CC) (c. 6.4). La manière dont la marque de la recourante est utilisée donne à penser que la Croix Rouge soutient ses activités et suscite un risque de confusion indirect dans l’esprit du public (c. 6.5). L’élément figuratif litigieux (la croix rouge) est au cœur du litige et c’est l’utilisation de cet élément, intégré dans la marque de la recourante, que la Croix Rouge entend faire cesser. Il est indéniable que la croix rouge, au vu de sa renommée, ne peut être comparée à une simple marque secondaire et on ne peut reprocher à la Cour cantonale d’avoir retenu la valeur litigieuse fixée par la demanderesse (CHF 300 000.-), soit la valeur conférée en principe à une marque d’entreprise bien établie (c. 7). [NT]

Croix-Rouge (fig.)
Croix-Rouge (fig.)

16 août 2017

HG BE, 16 août 2017, HG 15 100 (d)

« Blocage de sites internet illicites » ; action en cessation, blocage de sites internet, fournisseur d’accès, intérêt digne de protection, novae, droit d’auteur, précision des conclusions, qualité pour agir, qualité pour défendre, usage privé, piraterie ; art. 28 CC, art. 50 CO, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 59 al. 2 lit. a CPC, art. 229 CPC.

La demanderesse conclut à ce qu’il soit ordonné à la défenderesse, un fournisseur d’accès à Internet, de prendre  des mesures techniques appropriées empêchant ses clients d’accéder à divers sites, lesquels fournissent des liens vers d’autres sites qui mettent à disposition des films de manière illicite (c. 1 à 13). Elle a un intérêt digne de protection à la demande, au sens de l’art. 59 al. 2 lit. a CPC, même si les mesures de blocage pourraient être contournées et même si les films litigieux resteraient disponibles sur d’autres sites (c. 17.3). Il est douteux que les conclusions soient suffisamment précises, car la demanderesse mentionne trois mesures de blocage sans expliquer laquelle lui donnerait satisfaction. De plus, si les conclusions étaient reprises telles quelles dans le dispositif, la défenderesse ne saurait pas comment s’exécuter (c. 18.5). Des novas – aussi bien proprement dits qu’improprement dits – ne sont plus admissibles après la clôture des débats principaux, lorsque le jugement est en délibération (c. 22.3.4). Le droit suisse est applicable en l’espèce, puisque la demanderesse et la défenderesse ont leurs sièges et leurs activités en Suisse, cela même si les sites internet litigieux sont étrangers (c. 23). La demanderesse dispose de la légitimation active, car il y a suffisamment d’éléments pour admettre qu’elle est licenciée exclusive au sens de l’art 62 al. 3 LDA (c. 25.7.7). Lorsque l’auteur principal d’une violation du droit d’auteur agit grâce aux services d’un tiers, il se pose la question de la participation de ce dernier à l’acte illicite et de sa légitimation passive (c. 26.2). Cette question se résout d’après l’art. 50 al. 1 CO, et non d’après l’art. 28 CC. En effet, les droits d’utilisation selon la LDA ont essentiellement une nature patrimoniale, tandis que le droit de la personnalité a une signification psychologique et spirituelle. Les deux domaines ne sont donc pas comparables. De surcroît, une application de l’art. 50 al. 1 CO n’empêche pas une approche unitaire de la légitimation passive dans tous les domaines de la propriété intellectuelle (c. 26.3.4). Pour qu’il y ait une participation au sens de l’art. 50 al. 1 CO, il doit y avoir une violation du droit d’auteur par un tiers et une contribution juridiquement pertinente de la part du participant. De plus, la doctrine exige parfois la réalisation de certains éléments subjectifs concernant la conscience de participer à un acte illicite avec un tiers (c. 28). D’après le Conseil fédéral, les « déclarations communes » concernant le WCT excluent seulement que la fourniture d'installations techniques constitue un acte principal de communication au public au sens de l’art. 8 WCT ; elles n’empêchent pas la responsabilité en tant que participant secondaire (c. 29.1 et c. 29.2). Les conclusions de la demanderesse sont orientées vers le comportement des clients de la défenderesse, à savoir des internautes. Elles ne visent pas directement les personnes qui mettent les films à disposition sur Internet (c. 32.1.1). Or, les actes des internautes sont couverts par l’exception d’usage privé au sens de l’art. 19 al. 1 lit. a LDA et ne sont pas illicites. La première condition à laquelle la défenderesse pourrait se voir reprocher une participation au sens de l’art. 50 al. 1 CO n’est donc pas réalisée (c. 32.1.2 et c. 32.1.3). Au surplus, la défenderesse fournit un accès (automatique) à Internet. Elle intervient « en fin de chaîne » dans le processus de communication des œuvres et n’est pas très proche des actes illicites d’origine (c. 32.2.2). Sa prestation n’est pas apte à favoriser les infractions d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie. Elle n’est donc pas dans un rapport de causalité adéquate avec les actes illicites et n’apporte aucune contribution juridiquement pertinente à ceux-ci (c. 32.2.3). La défenderesse n’est ainsi pas légitimée passivement, si bien que la question de savoir si des éléments subjectifs sont nécessaires peut être laissée ouverte (c. 32.4). Même si la défenderesse disposait de la légitimation passive, les mesures de blocage demandées devraient satisfaire au principe de la proportionnalité, ce qui signifie qu’elles devraient être appropriées pour atteindre le but visé, qu’elles ne devraient pas aller au-delà de ce qui est nécessaire et qu’elles devraient être raisonnables compte tenu du rapport entre la fin et les moyens (c. 34). La première condition serait remplie, même si une partie des utilisateurs pouvaient contourner les mesures de blocage et même si les films continuaient à être disponibles sur d’autres sites internet (c. 34.1.3). En revanche, il serait douteux que la deuxième condition soit réalisée, car la demanderesse a investi de grands moyens pour agir contre la défenderesse, alors qu’elle s’est contentée de mesures limitées à l’encontre des auteurs principaux des violations (c. 34.2.3). La réalisation de la troisième condition serait également discutable car les blocages concerneraient aussi des films non visés par la demande, car l’accès à du contenu licite pourrait être bloqué collatéralement (« overblocking ») et car ces blocages pourraient avoir des effets techniques indésirables (c. 34.3.1). Le caractère raisonnable des mesures demandées serait douteux, car il faudrait au moins veiller à réduire au minimum le risque d’atteindre des tiers non concernés par le litige (c. 34.3.5). Enfin, le projet de révision de la LDA du 22 novembre 2017 prévoit divers nouveaux moyens de lutte contre le piratage, mais il a renoncé à instaurer des mesures de blocage à charge des fournisseurs d’accès (c. 36). La demande doit donc être rejetée. [VS]

08 février 2019

TF, 8 février 2019, 4A_433/2018 (d)

« Blocage de sites internet illicites » ; action en cessation, blocage de sites internet, fournisseur d’accès, responsabilité du fournisseur d’accès, solidarité, acte illicite, acte de participation, causalité adéquate, intérêt digne de protection, droit d’auteur, précision des conclusions, usage privé, piraterie ; art. 8 WCT, art. 42 al. 2 LTF, art. 76 al. 1 lit. b LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 4 CC, art. 28 CC, art. 50 CO, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 24a LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 110 LDIP.

La recourante a un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision. Son recours en matière civile est donc recevable, sous réserve qu’il soit suffisamment motivé (c. 1.1). Le droit d’auteur ne connait pas de disposition comme l’art. 66 lit. d LBI ou l’art. 9 al. 1 LDes qui traiterait des actes de participation. L’art. 50 CO ne règle pas seulement la responsabilité solidaire pour la réparation d’un dommage, mais il constitue la base légale de la responsabilité civile des participants. Cette disposition peut être invoquée non seulement en cas d’action réparatoire, mais aussi en cas d’action en cessation. Les normes particulières du droit de la personnalité – art. 28 al. 1 CC – ou des droits réels ne sont pas applicables en droit d’auteur. Comme l’action en dommages-intérêts, l’action en cessation suppose une violation du droit d’auteur et un rapport de causalité adéquate entre la contribution du participant attaqué et cette violation (c. 2.2.1). Les clients de l’intimée, auxquels celle-ci confère l’accès à Internet, n’accomplissent aucune violation du droit d’auteur en consommant des films : l’exception d’usage privé est applicable, même si ces films ont été mis à disposition illicitement. Il ne peut donc pas y avoir de responsabilité de l’intimée pour un acte de participation (c.2.2.2). La protection de la LDA s’étend aussi aux actes commis à l’étranger mais produisant leurs effets en Suisse (c. 2.2.3). La question est de savoir si l’intimée, qui fournit l’accès à Internet, répond selon l’art. 50 al. 1 CO pour une participation à la mise à disposition illicite des films. Le rapport de causalité adéquate doit être apprécié dans chaque cas particulier selon les règles du droit et de l’équité au sens de l’art. 4 CC. Il implique donc un jugement de valeur. Pour qu’une participation soit adéquate, il faut un rapport suffisamment étroit avec l’acte illicite (c. 2.3.1). La prestation de l’intimée se limite à fournir un accès automatisé à Internet. Elle n’offre pas à ses clients des contenus déterminés. Les copies temporaires qu’implique son activité sont licites d’après l’art. 24a LDA. La déclaration commune concernant l’art. 8 WCT exclut que la fourniture d'installations techniques constitue un acte principal de communication au public ; elle n’empêche toutefois pas une responsabilité pour participation secondaire. En l’espèce, les auteurs principaux des violations ne sont pas clients de l’intimée et n’ont aucune relation avec elle. L’acte de mise à disposition est accompli déjà lorsque les films sont placés sur Internet de sorte à pouvoir être appelés aussi depuis la Suisse. L’intimée ne contribue pas concrètement à cet acte. Admettre le contraire sur la base de l’art. 50 al. 1 CO conduirait à retenir une responsabilité de tous les fournisseurs d’accès en Suisse, pour toutes les violations du droit d’auteur commises sur le réseau mondial. Une telle responsabilité « systémique », impliquant des devoirs de contrôle et d’abstention sous la forme de mesures techniques de blocage d’accès, serait incompatible avec les principes de la responsabilité pour acte de participation. Il n’y a donc aucun rapport de causalité adéquat avec les violations, justifiant une action en cessation. Une implication des fournisseurs d’accès dans la lutte contre le piratage nécessiterait une intervention du législateur (c. 2.3.2). [VS]

19 avril 2016

TF, 19 avril 2016, 4A_675/2015 (f)

Recours en matière civile, droit à l’intégrité de l’œuvre, droit de la personnalité, engagement excessif, pesée d’intérêts, œuvre, individualité, œuvre d’architecture ; art. 75 al. 2 LTF, art. 2 al. 2 CC, art. 27 al. 2 CC, art. 28 al. 2 CC, art. 11 al. 2 LDA, art. 12 al. 3 LDA.

Le recours en matière civile au TF est ouvert sur la base de l'art. 75 al. 2 let. a LTF, même si le tribunal supérieur cantonal n'a pas statué sur recours (c. 1.1). Le TF ne peut s'écarter des faits retenus par l'autorité cantonale que s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui équivaut à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst (c. 1.2). Il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée ; il n'est pas lié par l'argumentation des parties mais s'en tient aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours, sous réserve d'erreurs manifestes (c. 1.3). En l'espèce, la modification projetée ne toucherait pas uniquement la terrasse couverte, mais « l'aspect général de la maison ». Il s'agit donc de savoir si la villa (dans son ensemble) est protégée par le droit d'auteur (c. 3). Le critère décisif réside dans l'individualité, qui doit s'exprimer dans l'œuvre elle-même. L'individualité se distingue de la banalité ou du travail de routine ; elle résulte de la diversité des décisions prises par l'auteur, de combinaisons surprenantes et inhabituelles, de sorte qu'il paraît exclu qu'un tiers confronté à la même tâche ait pu créer une œuvre identique. Le caractère individuel exigé dépend de la liberté de création dont l'auteur jouit. Lorsque cette liberté est restreinte, une activité indépendante réduite suffira à fonder la protection; il en va notamment ainsi pour les œuvres d'architecture en raison de leur usage pratique et des contraintes techniques qu'elles doivent respecter. Relève du fait la question de savoir comment une œuvre se présente et si l'architecte a créé quelque chose de nouveau, ou s'il s'est limité à juxtaposer des lignes ou des formes connues. C'est en revanche une question de droit que de juger si, au vu des faits retenus, la notion juridique de l'œuvre a été correctement appliquée (c. 3.1). Il résulte de l'état de fait dressé par la cour précédente que la villa litigieuse est le fruit d'un travail intellectuel et qu'elle possède un cachet propre (c. 3.2). L'architecte, qui conçoit une œuvre destinée à satisfaire les besoins du maître de l'ouvrage, dispose d'un droit à l’intégrité plus restreint que les autres auteurs, vu l'art. 12 al. 3 LDA. Cet alinéa est mal placé à l'art. 12 LDA. Pour les œuvres d'architecture, l'auteur (l'architecte) perd, au profit du propriétaire, les prérogatives découlant de l'art. 11 al. 1 LDA. En d'autres termes, le propriétaire a fondamentalement le droit de modifier l'œuvre architecturale (c. 4.2). Ce droit du propriétaire reste toutefois soumis à une double limite : premièrement, il ne peut réaliser la modification projetée si elle porte atteinte au noyau dur du droit à l'intégrité (art. 11 al. 2 LDA) ; la deuxième limite découle de l'art. 2 al. 2 CC, selon lequel l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (c. 4.2.1). Si l'architecte entend s'assurer le maintien en l'état de son œuvre, il peut prévoir contractuellement, avec le propriétaire, qu'il conserve le droit d'interdire des transformations, ou qu'il se réserve le droit de les exécuter lui-même (c. 4.2.3). Il résulte de l'art. 11 al. 2 LDA et de la jurisprudence qu'il faut seulement se demander si une modification est attentatoire à la personnalité de l'architecte. Contrairement à ce qui se fait en Allemagne, il n'y a pas lieu d'entreprendre une pesée des intérêts de celui-ci et du propriétaire de l'œuvre; on ne peut pas non plus s'abstenir d'examiner l'atteinte à la personnalité de l'auteur pour la seule raison que celui-ci y aurait préalablement consenti (c. 4.3). Malgré un courant de doctrine allant en sens contraire, cet avis du TF doit être confirmé. L'interprétation repose en effet sur l'énoncé clair de l'art. 11 al. 2 LDA : d'une part, cette disposition ne contient aucun renvoi à l'art. 28 CC ; d'autre part, elle règle explicitement la question du consentement en indiquant que, même si celui-ci a été donné contractuellement par l'auteur, cela ne justifie en principe pas - contrairement à ce que prévoit l'art. 28 al. 2 CC - l'atteinte à son droit. Lorsque le législateur entendait effectivement renvoyer, dans la LDA, aux dispositions du Code civil, il l’a fait de manière expresse (cf. art. 33a LDA). D'un point de vue systématique et téléologique, on relèvera aussi que la protection accordée à l'auteur par l’art. 11 al. 2 LDA coïncide dans une large mesure avec la protection de l'art. 27 al. 2 CC, selon lequel nul ne peut aliéner sa liberté, ni s'en interdire l'usage, dans une mesure contraire aux lois ou aux mœurs. Or, l'existence d'un engagement excessif (au sens de l'art. 27 al. 2 CC) doit être établie exclusivement en fonction de son effet sur celui qui s'est obligé, sans appréciation globale tenant compte également de l'intérêt de tiers (c. 4.4). S'agissant de l'atteinte à la personnalité au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, ce n'est pas l'intégrité de l'œuvre qui est protégée, mais la réputation professionnelle et l’honneur de l’architecte en tant que personne. A cet égard, le législateur a préconisé une interprétation restrictive de l'art. 11 al. 2 LDA (c. 4.5). Si l’œuvre a un degré d’individualité élevé, le juge sera plus enclin à admettre que l'altération constitue une atteinte à la réputation (c. 4.6). Pour juger de l'atteinte à la personnalité de l'auteur, il faut se fonder sur des considérations objectives et non la mesurer à l'aune de la sensibilité plus ou moins exacerbée de cet auteur. L'architecte d'une école ou d'un centre commercial sera en principe conscient de la vocation utilitaire de son œuvre, et donc du fait que le propriétaire de l'immeuble dispose d'une plus grande latitude. Au contraire, pour une église, on sera plus vite enclin, en cas de transformation, à admettre une lésion de la réputation de l'architecte qui en a entrepris la réalisation. Il importe aussi de savoir si le bâtiment a bénéficié ou non, avant la transformation projetée, d'une longue et importante exposition tant par sa fréquentation par le public que par sa présence dans les recueils de référence architecturales. Si l'œuvre a fait l'objet d'une importante exposition, le risque que, une fois la modification réalisée, le public se fasse une mauvaise image de l'auteur de l'œuvre initiale est réduit. L'importance et la nature des modifications doivent également être prises en compte, notamment leur impact temporaire ou définitif sur l'œuvre. De même, il s'agit d'examiner la finalité des modifications et des adaptations projetées. Si elles sont dictées par des désirs purement esthétiques, le juge sera plus vite enclin à les déclarer contraires à l’art. 11 al. 2 LDA (c. 4.6.1). En l’espèce, il semble que, pour une maison familiale, la destination utilitaire soit au premier plan. Il ressort également de l'expertise que si la villa litigieuse présente des éléments qui la distinguent des villas communément érigées, il est vraisemblable qu'il existe des précédents pour chacun de ses éléments dans d'autres constructions ou dans l'histoire de l'architecture. D’autre part, la création de l'architecte a fait l'objet de plusieurs publications entre 2002 et 2008, et donc d'une exposition relativement importante. Les observateurs intéressés ont ainsi pu se faire une image de la réalisation de l'architecte. Sa modification est de nature fonctionnelle, en ce sens qu'elle répond à un besoin des propriétaires et de leurs enfants. L'adaptation projetée (réversible) ne modifie pas l'œuvre initiale de manière définitive. En résumé, ces divers indices ne vont pas dans le sens d'une grande intensité de la relation entre la personnalité de l'auteur et son œuvre; quant aux modifications projetées, même si elles ont un impact sur l'aspect de la maison, elles sont de nature fonctionnelle, de sorte que les atteintes sont de celles qui ne commandent pas une protection impérative de l'auteur. C'est ainsi en transgressant l'art. 11 al. 2 LDA que la cour cantonale a admis la demande et fait interdiction aux défendeurs de mettre en œuvre les travaux modifiant leur villa. Les propriétaires n’ont commis aucun abus de droit (c. 5.2.2). [VS]