Sic! 12/2021, p. 671 (rés.) « CANTIQUE/CANTI »,
vins, marque verbale, motifs d’exclusion relatifs, impression
d’ensemble, force distinctive moyenne, cercle des destinataires
pertinent, produits de consommation courante, degré d’attention
moyen, contenu significatif, contenu sémantique, risque de confusion
nié, similarité des signes, similarité des signes sur le plan
sémantique, similarité des signes sur le plan sonore, similarité
des signes sur le plan visuel, identité des produits, action en
constatation de la non violation d’une marque ; art. 3 al. 1
lit. c LPM.
L’existence
d’un risque de confusion est une question de droit que le TF
examine librement dans le cadre d’un recours en matière civile. Un
risque de confusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM existe
lorsque la fonction distinctive de la marque est atteinte par
l’utilisation du signe le plus récent. On admettra cette atteinte
lorsqu’il est à craindre que les milieux intéressés se laissent
induire en erreur par la similitude des signes et imputent les
marchandises qui les portent au faux titulaire ; on l’admettra
aussi lorsque le public arrive à distinguer les signes mais présume
des relations en réalité inexistantes, par exemple en y voyant des
familles de marques qui caractérisent différentes lignes de
produits de la même entreprise ou des produits d’entreprises liées
entre elles. Plus les produits et services pour lesquels les marques
sont enregistrées sont proches, plus il y a un risque de confusion
et plus le signe postérieur devra se distinguer du signe antérieur
pour exclure ce risque et inversement. Il convient d’être
particulièrement strict lorsque les deux marques sont destinées à
des types de marchandises identiques. La sphère de protection d’une
marque dépend de sa force distinctive. Pour les marques faibles, la
sphère est plus restreinte que pour les marques fortes. Ainsi, pour
les marques faibles, des différences plus modestes suffiront déjà
à créer une distinction suffisante. Sont considérées comme
faibles, en particulier, les marques dont les éléments essentiels
dérivent des notions descriptives utilisées dans le langage
courant. En revanche, sont considérées comme fortes les marques
imaginatives ou qui ont acquis une notoriété dans le commerce. De
plus, il est important de savoir à quels cercles de consommateurs
les produits sont adressés et dans quelles circonstances ils sont
vendus. Pour les articles de masse d’usage quotidien, il faut
compter avec une attention moindre et une capacité de
différenciation plus restreinte des consommateurs que pour des
produits spécialisés dont le marché est limité à un cercle plus
ou moins fermé de professionnels. Contrairement au droit de la
concurrence déloyale, les signes litigieux doivent être comparés
en tant que tels, tandis que les circonstances extérieures ne sont
pas prises en considération. Par conséquent, en l’espèce, les
différentes circonstances de la commercialisation des deux lignes de
vins ne sont pas pertinentes pour déterminer si les signes sont
similaires au regard du droit des marques (c. 2.1). L’impression
d’ensemble des marques verbales est d’abord déterminée par leur
sonorité et leur image visuelle ; le cas échéant, si elle est
suffisamment claire, leur signification peut aussi revêtir une
importance décisive. La sonorité découle en particulier du nombre
de syllabes, de la cadence de prononciation et de la succession des
voyelles, tandis que l’image visuelle se caractérise surtout par
la longueur des mots et par les particularités des lettres
employées. Le début d’un mot, respectivement sa racine, de même
que sa terminaison, surtout lorsqu’elle est accentuée à la
prononciation, suscitent généralement plus l’attention que les
syllabes intermédiaires non accentuées. De plus, en règle
générale, le public attache moins d’importance aux éléments de
la marque qu’il reconnaît immédiatement comme descriptifs du fait
de leur signification, qu’aux éléments originaux de la marque.
Enfin, il faut tenir compte du fait que les mots plus longs
s’imprègnent moins bien dans la mémoire que les mots courts, si
bien que les différences seront plus facilement manquées à la
lecture ou à l’audition (c. 2.2). Concernant l’image visuelle
des marques litigieuses, la Cour cantonale a retenu à juste titre
que « CANTIQUE » contenait trois syllabes selon les
règles de la grammaire française CAN-TI-QUE. Si le nombre de
syllabes ne doit pas être pris en considération sous l’angle de
l’image visuelle mais de la sonorité, une appréciation globale
doit de toute façon être effectuée. Les considérations quant au
nombre de syllabes peuvent être prises en compte au titre de la
« longueur du mot » ; à cet égard, la Cour
cantonale retient correctement que « CANTIQUE » se
compose de huit lettres au lieu des cinq lettres de « CANTI ».
La séquence plus longue de trois lettres rend l’image visuelle de
« CANTIQUE » sensiblement différente de celle de
« CANTI », la lettre « Q » au milieu du mot
attirant l’attention par sa taille et son occurrence plus rare.
Selon la jurisprudence, l’image visuelle est aussi caractérisée
par les particularités des lettres utilisées. Ainsi, le fait que
les trois lettres supplémentaires de « CANTIQUE » non
seulement doublent presque la longueur du mot, mais se composent
également de deux voyelles clairement perceptibles « UE »
et d’un « Q », c’est-à-dire de lettres marquantes,
joue clairement un rôle. Ensuite, même si les quatre premières
lettres des deux signes sont identiques, l’image visuelle diffère
considérablement ; la syllabe finale « QUE »
transforme le mot court de deux syllabes « CANTI » en un
signe de trois syllabes et conduit donc, non seulement sur le plan
sonore, mais également sur le plan optique, à une autre impression,
avec un effet visuel très divergent. S’agissant d’une
comparaison avec un mot court, une modification même légère peut
créer une différenciation significative, même si le début du mot
est le même. Par conséquent, toute confusion est exclue (c. 3.2.1).
Sur le plan sonore, les deux mots sont prononcés aisément par tous
les groupes linguistiques du public suisse, en italien pour « CANTI »
et en français pour « CANTIQUE ». Etant donné que la
terminaison « QUE » n’existe pas en allemand, même un
suisse alémanique reconnaît immédiatement qu’il s’agit d’un
mot français, et le prononce en conséquence phonétiquement avec un
« a » nasal [ã]. En revanche, il prononce « CANTI »
avec un « a » clair. Il en résulte une différence de
sonorité marquante même si la comparaison est effectuée au sein du
même groupe linguistique. Cette prononciation différente de la
voyelle « a » relativise clairement la succession des
voyelles qui, elles, concordent. Il en va de même pour
l’accentuation. La Cour cantonale a correctement pris en compte, en
raison de l’appartenance des deux mots au français, respectivement
à l’italien, que « CANTIQUE » était accentué sur la
deuxième syllabe, et donc pas au début du mot, et « CANTI »
sur la première syllabe. Cet élément différencie également les
deux signes sur le plan de la sonorité. En tout état de cause, un
début de mot, respectivement une racine de mot, identique, n’aboutit
pas eo ipso à une similitude des signes (c. 3.2.2). Sur le
plan sémantique, la Cour cantonale a constaté que le terme
« CANTIQUE » avec clairement une connotation religieuse
et signifiait « chants religieux » ou « d’action
de grâce ». « CANTI » signifiait « des
chants » ou était une forme conjuguée du verbe « cantare »
(chanter). Dans la mesure où le français et l’italien étaient
deux langues nationales de la Suisse, il convenait de retenir que le
grand public suisse ne devrait pas confondre la signification des
deux mots en question. Certes ils évoquaient tous les deux l’univers
de la musique et avaient étymologiquement la même racine latine
(« cant- » ). Il n’en résultait toutefois
qu’une similarité des signes très limitée. Sur la base de ces
constatations de fait non remises en cause par la recourante, il peut
être retenu qu’en raison des différences du point de vue visuel
et sonore des deux marques, la vague similitude au niveau du sens
(même racine étymologique, évocation du monde de la musique) ne
conduit pas à un similitude des signes significative. En état de
cause, la recourante ne conteste pas, à juste titre, qu’il existe
également une nette différence au niveau du sens, dans la mesure où
la connotation religieuse est totalement absente du terme « CANTI »
alors qu’elle existe clairement pour « CANTIQUE ». En
italien, « CANTIQUE » correspondrait à « CANTICO ».
Dans les deux langues, il y a donc un mot particulier pour désigner
le chant religieux. Dès lors, si et dans la mesure où le public
comprend le sens du mot, il existe une différence notable dans la
signification des signes à comparer (c. 3.2.3). Les deux marques
verbales étant clairement différentes dans leur image visuelle,
leur sonorité et leur sens, il n’en résulte pas de risque de
confusion, même si les deux marques sont destinées à des produits
identiques ou fortement similaires et si la marque antérieure
« CANTI » bénéficie d’une force distinctive moyenne
(c. 3.3). Le recours est rejeté. [NT]