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28 novembre 2014

TF, 28 novembre 2014, 4A_295/2014 (d)

ATF 140 III 616 ; sic! 3/2015, p. 155-164, « Bibliothekslieferdienst » (Dr. Brigitte Bieler, Anmerkungfine ), JdT 2015 II 207 ; usage privé, compétence matérielle, pouvoir de cognition, motivation du recours, devoir d'allégation qualifié, fait nouveau, méthodes d’interprétation, interprétation conforme au droit international, triple test, œuvre, cercle de personnes étroitement liées, utilisation de l’œuvre, imprimés, revue, articles scientifiques, service de livraison de documents, copie numérique, envoi électronique, violation des droits de propriété intellectuelle, appareil pour la confection de copies, tiers chargé d'effectuer une reproduction, droit de reproduction, exemplaire d’œuvre disponible sur le marché, bibliothèque ; art. 5 ch. 1 CB, art. 9 ch. 2 CB, art. 42 al. 1 LTF, art. 42 al. 2 LTF, art. 99 al. 1 LTF, art. 106 al. 1 LTF, art. 10 al. 2 lit. a LDA, art. 19 al. 2 LDA, art. 19 al. 3 lit. a LDA, art. 20 al. 2 LDA ; cf. N 786 (HG ZH, 7 avril 2014, HG110271).

Le TF applique le droit d’office d’après l’art. 106 al. 1 LTF. Cependant, vu le devoir de motivation du recourant, prévu par l’art. 42 al. 1 et al. 2 LTF, le TF ne traite en principe que des griefs allégués, sauf si le droit a été manifestement mal appliqué. Le TF n’est pas tenu d’examiner les questions litigieuses abandonnées en procédure de recours. S’agissant de la violation de droits fondamentaux ou du droit cantonal ou intercantonal, il existe un devoir d’allégation qualifié: le TF ne traite le grief que s’il a été allégué précisément dans le recours et que s’il a été motivé (c. 1.2). Des faits nouveaux et de nouvelles preuves ne sont admissibles devant le TF que si c’est la décision attaquée qui donne lieu à ces nouveaux moyens, conformément à l’art. 99 al. 1 LTF (c. 1.3). La loi doit d’abord être interprétée à partir d’elle-même, c’est-à-dire d’après son texte, son sens, son but et les valeurs qui la sous-tendent, cela sur la base d’une approche téléologique. L’interprétation doit se fonder sur l’idée que la norme ne découle pas simplement du texte, mais de la loi comprise et concrétisée selon l’état de fait. Ce qui est demandé, c’est la décision objectivement juste dans le système normatif, orientée vers un résultat qui satisfait la ratio legis. Le TF suit un pluralisme pragmatique de méthodes, et il refuse de hiérarchiser les éléments d’interprétation selon un ordre de priorité. Le point de départ est le texte de la loi. S’il est clair, il n’y a lieu d’y déroger qu’exceptionnellement, notamment s’il y a des raisons pertinentes de penser que ce texte ne reflète pas le sens véritable de la norme (c. 3.3). L’art. 19 al. 2 LDA doit empêcher qu’un tiers comme une bibliothèque viole le droit de l’art. 10 al. 2 lit. a LDA lorsqu’il réalise une copie pour une personne pouvant se prévaloir de l’exception d’usage privé. La loi n’exige pas que le service du tiers se limite à la copie si les autres prestations ne tombent pas sous le coup du droit d’auteur (c. 3.4.2). Or, la remise de la copie à la personne qui l’a commandée n’est pas un acte couvert par le droit d’auteur. Dans le cadre de l’art. 19 al. 2 LDA, la confection de cette copie est attribuée à la personne qui la commande, ce qui exclut un acte de distribution (au sens du droit d’auteur) lorsque le tiers livre la reproduction à cette personne (c. 3.4.3). La limite de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA est applicable lorsqu’une personne recourt à un tiers selon l’art. 19 al. 2 LDA pour réaliser une copie privée (c. 3.5.1). La révision de la LDA en 2007 n’a rien changé à cette situation (c. 3.5.2). Tout autre résultat serait contraire au test des trois étapes prévu par l’art. 9 al. 2 CB (c. 3.5.3). Ce n’est pas l’œuvre selon l’art. 2 LDA qui forme un exemplaire d’œuvre au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA, mais l’objet offert sur le marché, c’est-à-dire le livre, la revue, le CD, le DVD, etc. (c. 3.6.3). L’exemplaire d’œuvre visé par l’art. 19 al. 3 lit. a LDA est celui qui est concrètement utilisé pour réaliser la copie. D’après le texte de cette disposition, une reproduction d’un exemplaire d’œuvre (par exemple d’une revue), sous forme d’extrait, ne constitue pas une reproduction d’un autre exemplaire d’œuvre disponible sur le marché (par exemple un document en ligne), lequel contiendrait aussi l’article copié, mais n’aurait pas été utilisé pour réaliser la copie dans le cas concret. Il n’y a pas lieu d’exiger que la personne réalisant la copie se renseigne pour savoir si l’extrait reproduit est disponible autrement sur le marché, sous forme d’unité vendue séparément (c. 3.6.4). D’après le droit international et le test des trois étapes, les restrictions au droit de reproduction doivent certes être interprétées de manière à ne pas porter concurrence à la vente d’exemplaires d’œuvres, mais l’art. 19 LDA vise un équilibre avec les intérêts de tiers. L’intérêt de la collectivité à s’informer doit donc aussi être pris en compte. Or, celui-ci serait menacé s’il suffisait aux éditeurs, pour empêcher la reproduction d’une revue sous forme d’extraits, de mettre en ligne séparément les différents articles ou chapitres (c. 3.6.5). Au surplus, l’exploitation normale de l’œuvre, au sens du test des trois étapes, n’est pas menacée, puisque le tiers visé par l’art. 19 al. 2 ne peut pas procéder aux copies à l’avance (en dehors de toute commande concrète), alors que les articles figurant dans des archives en ligne peuvent être recherchés et téléchargés directement. S’agissant de la troisième étape du test, les intérêts de la collectivité l’emportent sur ceux des ayants droit, puisque ces derniers sont rémunérés conformément à l’art. 20 al. 2 LDA (c. 3.6.6). En résumé, sur demande d’une personne bénéficiant de l’exception d’usage privé, la défenderesse peut reproduire des articles tirés d’une revue ou d’un recueil, cela même si ces articles sont offerts individuellement dans un service d’archives en ligne; elle peut ensuite livrer les copies à la personne qui les a commandées (c. 3.6.7). [VS]

27 février 2014

TF, 27 février 2014, 2C_783/2013 (d)

ATF 140 II 305 ; sic! 6/2014, p. 362-364, « Gemeinsamer Tarif Sender (GT S) », medialex 2/2014, p. 111, « Tarif commun S », JdT 2015 II 206 ; gestion collective, tarifs des sociétés de gestion, tarifs communs S, recours en matière de droit public, redevance équitable, pouvoir de cognition, équité du tarif, règle des 10%, règle des 3%, calcul de la redevance, déduction des frais d’acquisition de la publicité, comparaison avec l’étranger ; art. 15 WPPT, art. 16 WPPT, art. 190 Cst., art. 82 lit. a LTF, art. 86 al. 1 lit. a LTF, art. 90 LTF, art. 49 PA, art. 47 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA.

Contre une décision du TAF concernant l’approbation d’un tarif par la CAF, c’est le recours en matière de droit public qui est ouvert (c. 1.1). Les critères de l’art. 60 LDA sont contraignants pour la CAF et ils ne représentent pas seulement des lignes directrices pour l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Ce sont des notions juridiques indéterminées, dont le TF revoit l’interprétation et l’application. Toutefois, ce dernier fait preuve d’une certaine retenue dans le contrôle des décisions prises par des autorités spécialisées, lorsque des aspects techniques particuliers sont en discussion. Cette retenue vaut aussi pour le TAF, malgré sa cognition illimitée selon l’art. 49 PA (c. 2.2.1). Comme la CAF est une autorité spécialisée, le TAF doit respecter son pouvoir d’appréciation dans l’application des critères de l’art. 60 LDA, ce qui revient finalement à ne sanctionner que les abus ou les excès (c. 2.2.2). D’après la systématique de l’art. 15 WPPT, des réserves au sens de l’alinéa 3 ne sont nécessaires que s’il s’agit de déroger au principe de l’alinéa 1, c’est-à-dire à la redevance équitable elle-même. Aussi longtemps qu’une telle redevance équitable est prévue, l’art. 16 WPPT ne s’applique pas (c’est-à-dire notamment l’obligation de ne pas instaurer, dans le domaine des droits voisins, des exceptions plus larges qu’en droit d’auteur) (c. 6.2). Ni l’art. 12 CR, ni l’art. 15 WPPT, ne précisent ce qu’il faut entendre par redevance équitable. Les législateurs nationaux ont donc une marge de manœuvre relativement large pour transposer les obligations internationales. Le simple fait que les droits d’auteur et les droits voisins doivent tous deux être protégés ne signifie pas qu’ils doivent être valorisés de la même manière : la valeur des droits voisins est indépendante de celle des droits d’auteur et la relation entre ces deux catégories de droits varie selon les circonstances. Il est possible de leur attribuer la même valeur, mais cela n’est pas obligatoire (c. 6.3). Les pourcentages de 10 %, respectivement de 3 %, prévus par l’art. 60 LDA, ne représentent pas des taux normaux, mais sont des limites supérieures qui ne peuvent être dépassées qu’à la condition prévue par l’art. 60 al. 2 LDA, à savoir que lesdits pourcentages ne suffisent pas à procurer une rémunération équitable aux ayants droit. A cette condition, un dépassement est alors possible (c. 6.4). Pour juger de ce qui est équitable, il est difficile de se baser sur des valeurs du marché réelles, car la gestion collective obligatoire empêche justement le développement d’un marché comparable. Si l’on voulait rechercher des valeurs du marché fictives, il faudrait tenir compte des difficultés pratiques auxquelles se heurterait la gestion individuelle, qui conduiraient souvent à une rémunération moindre, voire à une disparition de la rémunération. La détermination d’un prix concurrentiel fictif semble donc plutôt hypothétique (c. 6.5). Dans ces conditions, il ne peut être reproché au législateur d’avoir concrétisé la notion d’équité sur la base d’une appréciation politique, et d’avoir attribué aux droits voisins une autre valeur qu’aux droits d’auteur. Le rapport légal 10 : 3 est compatible avec les traités internationaux et lie le TF d’après l’art. 190 Cst. La loi prévoit certes expressément une possibilité de déroger aux limites maximales, donc au rapport 10 : 3, s’il y a pour cela des raisons particulières. Une interprétation ayant pour conséquence une dérogation générale à ce rapport ne serait toutefois plus conforme à la loi, et n’est pas imposée par l’art. 15 al. 1 WPPT (c. 6.6). La déduction des frais d’acquisition de la publicité de l’assiette de la redevance peut être rediscutée dans le cadre d’un tarif futur, mais le rapport 10 : 3 s’oppose à ce qu’elle soit compensée par un supplément seulement pour les droits voisins, et pas pour les droits d’auteur (c. 7.1). Il n’est pas démontré que le marché en ligne soit comparable à celui de la radio et de la télévision, et l’affirmation selon laquelle les droits de reproduction étaient plus valorisés avant d’être soumis à la gestion collective obligatoire (le 1er juillet 2008) n’est pas suffisamment étayée (c. 7.2). D’après la jurisprudence du TF, les comparaisons tarifaires avec l’étranger sont certes admissibles et judicieuses ; elles n’ont cependant qu’une valeur limitée, vu que les législations nationales connaissent des critères différents et que les circonstances de fait peuvent varier. Néanmoins, étant donné les difficultés à apprécier la rémunération équitable, la comparaison avec l’étranger est encore l’un des critères les moins discutables, pour autant que l’on puisse tenir compte de manière appropriée des différences pertinentes (c. 7.3.1). [VS]

30 mars 2015

TAF, 30 mars 2015, B-1298/2014 (d)

« Tarif A Fernsehen (Swissperform) » ;  gestion collective, tarifs des sociétés de gestion, tarif A télévision, tarif contraignant pour les tribunaux, tarifs séparés, question préalable, pouvoir d’appréciation, pouvoir de cognition, autonomie des sociétés de gestion, synchronisation, droits voisins, phonogramme disponible sur le marché, vidéogramme disponible sur le marché, support disponible sur le marché, reproduction à des fins de diffusion, droit à rémunération, intégrité de l’œuvre, œuvre musicale non théâtrale, films musicaux ; art. 11 LDA, art. 22c LDA, art. 24b LDA, art. 35 LDA, art. 38 LDA, art. 46 LDA, art. 47 LDA, art. 59 LDA ; cf. N 608 (vol. 2012-2013 ; TF, 20 août 2012, 2C_146/2012 ; sic! 1/2013, p. 30-37, « Tarif A Fernsehen ») et N 800 (TF, 4 juin 2015, 2C_394/2015 ; sic! 10/2015, p. 603-605, « Tarif A Fernsehen II (Swissperform) »).

Lorsque la gestion des droits est soumise à la surveillance de la Confédération, les sociétés de gestion ne peuvent exercer ces droits que sur la base de tarifs valables. Ces derniers doivent certes respecter la réglementation légale des droits exclusifs et des utilisations autorisées et ils ne peuvent pas instaurer de prérogatives incompatibles avec la loi. Mais ils lient le juge en ce qui concerne leur caractère équitable et fondent les prétentions civiles des sociétés de gestion. Grâce à des tarifs formulés en termes généraux et approuvés par l’autorité, la gestion collective doit résoudre les difficultés pratiques qu’occasionnent le recensement et le contrôle des utilisations massives (c. 2.1). Lorsqu’elle vérifie l’équité d’un tarif, la CAF poursuit l’objectif d’un équilibre approprié des intérêts des ayants droit et des utilisateurs, qui doit aussi servir la sécurité juridique, et elle s’appuie sur le critère d’une rémunération conforme au marché. Elle doit en particulier examiner à titre préjudiciel l’existence des droits couverts par le tarif et l’assujettissement au contrôle fédéral des utilisations qu’il vise. Elle doit faire en sorte que des utilisations connexes d’un point de vue économique soient si possible réglées par le même tarif, même si elles relèvent de la compétence de sociétés de gestion différentes. La CAF ne doit cependant pas interférer dans l’autonomie tarifaire des sociétés de gestion plus que le nécessite un équilibre approprié des intérêts entre ayants droit et utilisateurs. Si plusieurs solutions sont possibles, elle ne peut pas imposer la sienne contre la volonté des sociétés de gestion. Elle dispose d’un plein pouvoir d’examen, mais doit respecter une certaine liberté de disposition et l’autonomie des sociétés de gestion (c. 2.2). Le TAF examine l’affaire avec une pleine cognition. Cependant, il fait preuve de retenue là où la CAF, en tant qu’autorité judiciaire indépendante et spécialisée, a tranché des questions complexes concernant la gestion collective ou a pesé les intérêts en présence en respectant l’autonomie tarifaire des sociétés de gestion. Cela revient à ne sanctionner que les excès ou les abus du pouvoir d’appréciation de la CAF (c. 2.3). La synchronisation va au-delà de l’intégration d’un phonogramme dans un vidéogramme: elle implique une interaction coordonnée dans le temps entre le son et l’image (c. 3.3) et la création d’un arrangement ou d’une œuvre dérivée, de même que l’enregistrement d’un phonogramme dans un vidéogramme. Elle n’est pas couverte par l’art. 35 LDA (c. 3.4). L’art. 35 LDA doit permettre d’indemniser les ayants droit pour les utilisations secondaires du support disponible sur le marché, qui ne sont pas comprises dans le prix d’achat de ce support. Comme la synchronisation n’est ni visée par l’art. 35 LDA, ni comprise dans le prix d’achat du support, elle doit être autorisée par les ayants droit (c. 4.1). L’art. 24b LDA n’y change rien, puisqu’il réserve l’art. 11 LDA. Cette réserve concerne aussi les droits voisins, étant donné le renvoi de l’art. 38 LDA. Vu la théorie de la finalité, l’accord des ayants droit englobe toutes les copies qui sont nécessaires pour la synchronisation. Par conséquent, celles-ci ne doivent pas être couvertes par le tarif, d’autant plus qu’elles ne sont pas visées par l’art. 24b LDA (c. 4.2). Le TF a estimé contraire à la volonté du législateur qu’un phonogramme intégré dans un vidéogramme soit exclu du droit à rémunération, cela aussi lorsque le vidéogramme n’est pas disponible sur le marché (cf. N 608, vol. 2012-2013) (c. 5). La demande d’enregistrements sonores synchronisés à des fins de diffusion dans des propres productions du diffuseur est en augmentation (c. 6.2). Les art. 24b et 35 LDA instaurent la gestion collective pour des raisons pratiques, les ayants droit n’étant plus en mesure de faire valoir leurs droits individuellement. Pour ces ayants droit, licencier la diffusion de leurs enregistrements en même temps que leur synchronisation pourrait être difficile, car la réalité et la fréquence de la diffusion ne sont pas forcément connues au moment où la synchronisation est autorisée. Pour cette raison, la gestion collective prévue par les art. 35 et 24b LDA s’impose (c. 6.3). Il est donc juste, comme le veut la recourante, que le tarif A Télévision englobe aussi la diffusion de phonogrammes du commerce synchronisés dans des propres productions du diffuseur. L’affaire doit ainsi être renvoyée à la CAF pour qu’elle examine l’équité de la redevance compte tenu de cette constatation juridique (c. 6.4). Les vidéos musicales, les vidéoclips et les films musicaux sont disponibles sur le marché en tant que tels et ne tombent pas sous le coup de la notion de musique de film ayant fait l’objet de l’arrêt du TF 2A_288/2002 du 24 mars 2003. Les films d’opéras, de danse, de concerts ou de comédies musicales sont des films musicaux et leur diffusion relève traditionnellement des grands droits. Dans un film musical, l’image suit la musique (d’un point de vue dramaturgique) et la souligne d’une manière théâtrale (c. 7.2). Pour cette raison, les art. 22c et 24b LDA ne s’appliquent pas aux films musicaux (c. 7.3). [VS]

02 septembre 2015

TAF, 2 septembre 2015, B-1736/2014 (d)

medialex 10/2015, « Tarif commun H » ; tarifs des sociétés de gestion, tarifs séparés, tarif H, modification des conclusions, conclusions nouvelles, motivation du recours, droit d’être entendu, équité du tarif, augmentation du tarif, autonomie des sociétés de gestion, obligation de collaborer, cognition de la CAF, cognition du TAF, pouvoir de cognition, constatation inexacte de faits pertinents ; art. 13 PA, art. 49 lit. b PA, art. 49 lit. c PA, art. 52 al. 1 PA, art. 59 LDA, art. 60 LDA.

L’objet de la procédure de recours ne peut être constitué que de ce qui faisait déjà l’objet de la procédure de première instance, ou de ce qui aurait dû l’être selon une interprétation correcte de la loi. Les sociétés de gestion recourantes peuvent restreindre l’objet du litige par rapport à ce qu’elles demandaient en première instance (c. 1.2.1). La motivation du recours doit indiquer quels points de la décision attaquée sont critiqués, et pourquoi. Il faut montrer quels considérants de fait ou de droit sont faux ou non pertinents, et en quoi. Ces conditions sont réunies en l’espèce (c. 1.2.2). Le droit d’être entendu de l’intimée au recours n’est pas violé, puisqu’elle a la possibilité de s’exprimer sur les modifications du tarif devant le TAF, lequel a la même cognition que la CAF (c. 1.3). Des utilisations semblables d’un même cercle d’utilisateurs, relevant de la compétence de diverses sociétés de gestion, doivent être réglées par un seul tarif commun, sauf s’il existe des raisons objectives pour des tarifs séparés (c. 2.1). Pour appliquer les critères de l’art. 60 LDA, la CAF poursuit le but d’un équilibre objectif des intérêts entre les ayants droit et les utilisateurs d’œuvres et elle s’oriente sur le critère d’une rémunération conforme au marché. L’équité se détermine aussi en fonction du rapport de la redevance avec les recettes, subsidiairement les frais, de l’utilisateur. Les bases de calcul de la redevance doivent tenir compte des difficultés pratiques de contrôler l’utilisation des œuvres. Des forfaits et des approximations sont admissibles. Une redistribution de la charge financière et même une augmentation générale du tarif peuvent être équitables si les redevances précédentes étaient trop basses, si les critères d’évaluation défavorisaient certains utilisateurs ou si un changement dans le système de calcul se justifie pour une autre raison. Dans le cadre du contrôle de l’équité du tarif, il faut aussi examiner le niveau et le mode de calcul de la redevance (c. 2.2). Pour l’utilisation de musique lors d’événements combinant de la musique avec des prestations non artistiques, un certain pourcentage de redevance peut être équitable soit d’un point de vue économique, par exemple lorsque les recettes procurées par la musique sont plus importantes que le coefficient de recettes utilisé comme base de calcul, soit d’un point de vue juridique, sur la base de l’expérience artistique collective et de l’intensité particulière de l’utilisation de la musique pour l’événement en question. La détermination des paramètres de calcul doit cependant être effectuée sur la base de chiffres fiables et un accord intervenu sur un tarif précédent ne signifie pas que les bases de calcul sont incontestées (c. 2.4). La CAF peut apporter des modifications au tarif proposé, mais elle n’est pas obligée d’indiquer aux parties à quelles conditions son approbation pourrait être donnée (c. 3.1). Elle ne doit pas interférer dans l’autonomie tarifaire des sociétés de gestion plus que ne le nécessite un équilibre objectif des intérêts entre ayants droit et utilisateurs. Si plusieurs solutions sont envisageables, la CAF dépasserait ses compétences en imposant la sienne. C’est pourquoi les sociétés de gestion ont un devoir de collaboration dans la procédure et sont tenues de fournir à la CAF les éléments de fait fondant le projet de tarif. Celle-ci examine ce projet avec pleine cognition, mais doit respecter une certaine liberté de disposition des sociétés de gestion et leur autonomie (c. 3.2). Quant au TAF, il décide aussi avec pleine cognition et examine l’opportunité de la décision attaquée. Il revoit complètement les questions d’interprétation juridique, mais il fait preuve de retenue là où la CAF, en tant qu’autorité judiciaire spécialisée indépendante, a traité de questions complexes concernant la gestion collective ou a pesé les intérêts en présence tout en respectant l’autonomie des sociétés de gestion. En fin de compte, cela revient à rechercher si la CAF a excédé son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (c. 3.3). En l’espèce, les pourcentages de redevances ne peuvent être examinés indépendamment de l’assiette de la redevance. La CAF doit se prononcer sur l’équité du tarif dans son ensemble (c. 3.4). On ne sait pas si cette autorité, lorsqu’elle a approuvé les tarifs communs H précédents, a examiné leur équité sous un angle économique ou sous un angle juridique comme expliqué au c. 3.4 (recte: 2.4) ci-dessus. En l’espèce, le pourcentage de redevance est appliqué sur la somme du prix d’entrée et de la boisson alcoolisée la moins chère. Le fait que cette base de calcul ne tienne pas compte des revenus de boissons plus élevés dus à la danse pourrait plaider, du point de vue économique, pour un pourcentage de redevance majoré. Mais la danse nécessite aussi de la place, ce qui influe négativement sur le nombre de visiteurs. Ainsi, les arguments économiques se compensent et ne plaident pas en faveur d’une différenciation du pourcentage par rapport aux événements non dansants. L’argument juridique de la haute intensité de l’utilisation musicale doit aussi être relativisé. Cette intensité s’exprime moins dans les mouvements rythmiques accompagnant la danse que dans la concentration cognitive du public relative à ce qu’il écoute, que l’on rencontre surtout en cas de concert. Les événements dansants ne sont pas seulement formés de danse commune, mais aussi de rencontres, de discussions et de consommations qui amoindrissent l’intensité de l’utilisation musicale. Celle-ci est toutefois plus grande que pour le divertissement d’ambiance (c. 3.6.3). En résumé, il existe certes des arguments objectifs allant dans le sens d’une plus grande intensité de l’utilisation musicale en cas de manifestations dansantes ; mais cet argument juridique doit être mis en relation avec les considérations économiques, qui peuvent rendre floue la différence entre les manifestations dansantes et les autres événements musicaux dans l’industrie de la restauration. Les recourantes n’ont pas suffisamment motivé leurs prétentions sous l’angle de ces aspects économiques (c. 3.6.4). La CAF a eu raison de ne pas comparer le pourcentage du tarif commun H à ceux des autres tarifs, puisque les bases de calcul auxquelles s’appliquent ces pourcentages sont différentes d’un tarif à l’autre (c. 3.7.3). Le grief de constatation inexacte de faits pertinents n’est pas réalisé en l’espèce : la CAF a tenu compte correctement d’une étude, réalisée à la demande des parties, sur les facteurs poussant le public à fréquenter un club ou une soirée dansante (c. 4). [VS]

27 novembre 2014

TF, 27 novembre 2014, 4A_585/2014 (d)

sic! 3/2015, p. 175-176, « Bergsteigen im Flachland » ; décision incidente, pouvoir de cognition, compétence matérielle, mesures provisionnelles, assistance judiciaire, recours, préjudice irréparable, dommage ; art. 29 al. 1 LTF, art. 93 LTF ; cf. N 785 (HG ZH, 18 septembre 2014, HE140296 (mes. prov.)).

Le TF examine d’office et avec pleine cognition si un recours est recevable (c. 1). Les décisions indépendantes sur les mesures provisionnelles, rendues avant ou pendant une procédure principale et qui ne valent que pour la durée de cette procédure principale, respectivement à la condition qu’elle soit introduite, sont des décisions incidentes au sens de l’art. 93 LTF. Un recours au TF n’est donc recevable contre elles que si elles peuvent causer un préjudice irréparable. Anciennement, la jurisprudence admettait régulièrement un tel préjudice en cas de décision incidente sur des mesures provisionnelles. Désormais, elle exige du recourant qu’il explique pourquoi un préjudice irréparable de nature juridique le menace dans le cas concret (c. 1.1). En l’espèce, la vente de l’œuvre litigieuse n’a pas pour effet de positionner le recourant sur le marché, aussi par rapport à ses concurrents. L’œuvre a été commercialisée pendant quatre mois, puis sa distribution a été interdite par voie de mesures provisionnelles. À supposer que celles-ci soient injustifiées, il ne paraît pas exclu que le dommage puisse être chiffré sur la base des premiers mois d’exploitation de l’œuvre, ou au moins qu’il puisse être estimé conformément à l’art. 42 al. 2 CO, et que la créance en dommages-intérêts soit ensuite recouvrable. Une atteinte à la réputation pourrait aussi être réparée par des mesures de publication. Un préjudice irréparable n’est donc pas démontré et le recours est irrecevable (c. 1.1.1). D’après la jurisprudence, une décision sur les frais et sur l’assistance judiciaire gratuite, contenue dans une décision incidente ayant un autre objet principal, n’occasionne pas de préjudice irréparable, car la procédure incidente est déjà terminée et l’avocat a déjà fait son travail. Une décision incidente ayant pour objet principal l’assistance judiciaire pourrait toutefois être attaquée au TF, aux conditions de l’art. 93 al. 1 LTF (c. 1.1.2). La requête du recourant concernant une telle assistance pour la procédure devant le TF ne peut pas être admise, car son recours apparaît d’emblée voué à l’échec (c. 2). [VS]

15 septembre 2014

TC VD, 15 septembre 2014, MP/2014/6 (f) (mes.prov.)

Motifs absolus d’exclusion, forme techniquement nécessaire, forme constituant la nature même du produit, droit de réplique inconditionnel, autorité de l’arrêt de renvoi, pouvoir de cognition, fait nouveau, expertise sommaire, concurrence déloyale, imposition par l’usage, besoin de libre disposition absolu, domaine public, étendue de la protection, liberté d’imitation, café, capsule de café, Nespresso, Nestlé, Ethical Coffee Compagnie ; art. 6 CEDH, art. 29 al. 2 Cst., art. 66 al. 1 OJ, art. 107 al. 2 LTF, art. 1 LPM, art. 1 al. 2 LPM, art. 2 lit. a LPM, art. 2 lit. b LPM, art. 3 LPM, art. 13 al. 1 LPM, art. 2 LCD, art. 3 al. 2 lit. d LCD ; cf. N 208 (vol. 2007-2011 ; ATF 137 III 324 ; sic! 10/2011, p. 589-593, « Nespresso »), N 660 (vol. 2012-2013 ; TF, 26 juin 2012, 4A_36/2012 ; sic! 10/2012, p. 627-632, « Nespresso II »), N 662 (vol. 2012-2013 ; HG SG, 21 mai 2013, HG.2011.199 ; sic! 12/2013, p. 759-766, « Nespresso IV »), N 737 (vol. 2012-2013 ; TF, 9 janvier 2013, 4A_508/2012 ; sic! 5/2013, p. 310-314, « Nespresso III ») et N 765 (vol. 2012-2013 ; TF, 27 août 2013, 4A_142/2013 ; sic! 1/2014, p. 32-37, « Nespresso V »).

L’expertise sommaire a permis d’établir que la forme tronconique des capsules Nespresso est celle qui présente l’avantage de contenir le plus de café et d’offrir une résistance à la pression hydrostatique importante, ce qui permet d’obtenir le meilleur café en augmentant le volume de café en contact avec le flux d’eau sous pression. Cette forme tronconique se terminant par un cône obtus, outre qu’elle permet un précentrage parfait et précis de la pointe de la capsule par rapport aux aiguilles de perforation, offre une stabilité mécanique accrue à la pression hydrostatique et au moment de la perforation par les aiguilles dans le compartiment en assurant un centrage correct de la capsule dans le compartiment de la machine. Ce qu’aucune des capsules dites alternatives proposées par les requérantes ne permet de faire. Pour l’expert, la forme double tronconique et cône obtus des capsules Nespresso est aussi celle qui en rend l’utilisation la plus commode permettant d’assurer une auto-extraction de la capsule usagée et améliorant également la préhension des capsules, leur introduction dans la machine, le temps que prend ainsi la confection d’un bon café et enfin leur conservation. Grâce à leur forme, les capsules Nespresso sont à la fois commodes et résistantes et présentent des avantages notables par rapport aux capsules prépercées compatibles qui doivent être conservées dans une pochette étanche pour que l’arôme du café demeure (c. 19). Les coûts de fabrication des capsules Nespresso par emboutissage d’une feuille d’aluminium très fine sont en outre très peu onéreux alors que ceux de fabrication d’une capsule biodégradable sont légèrement plus élevés et l’épaisseur des parois nettement plus importante de sorte que le volume de poudre de café contenue par la capsule diminue. L’expert souligne que toutes les autres formes de capsules non tronconiques examinées ont des coûts de fabrication plus élevés, leur processus de fabrication étant plus compliqué (c. 19). En vertu du principe de l’autorité de l’arrêt de renvoi, l’autorité cantonale est tenue de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l’arrêt du TF. Elle est liée par ce qui a déjà été tranché définitivement par le TF, ainsi que par les constatations de faits qui n’ont pas été critiquées devant lui. Des faits nouveaux ne peuvent être pris en considération que sur les points qui ont fait l’objet du renvoi, lesquels ne peuvent être ni étendus, ni fixés sur une base juridique nouvelle (c. Ia). Dans le cas d’espèce, le TF a enjoint à l’autorité cantonale de juger à nouveau la cause en intégrant les résultats d’une expertise judiciaire sommaire destinée à déterminer s’il est possible de fabriquer une capsule de forme différente pour la même utilisation (absence de forme alternative) ou si une autre forme présenterait des inconvénients empêchant une concurrence efficace (c. Ib). L’art. 2 lit. b LPM exclut de la protection légale les formes constituant la nature même du produit, ainsi que les formes du produit ou de l’emballage qui sont techniquement nécessaires. Cette disposition circonscrit, dans le domaine des marques de forme, les signes pour lesquels il existe un besoin de libre disposition absolu. L’art. 2 lit. b LPM dispose d’une portée propre par rapport à la clause générale de l’art. 2 lit. a LPM en ce que les formes inhérentes à la nature même du produit, ou les formes du produit ou de l’emballage qui sont techniquement nécessaires, demeurent exclues de la protection légale, même si leur utilisation comme marque a pu s’imposer dans le commerce. Ainsi, à la différence de ce qui vaut pour les autres signes appartenant au domaine public, une utilisation même prolongée et exclusive d’une forme de ce genre ne permet pas d’en obtenir le monopole dans le cadre du droit des marques (c. III.a). Il résulte de l’exclusion des formes constituant la nature même d’un produit qu’une forme ne peut bénéficier de la protection du droit des marques que si elle se différencie des caractéristiques fonctionnelles ou esthétiquement nécessaires du produit concerné. La forme dictée par de telles caractéristiques n’est pas susceptible de protection et demeure à la libre disposition de tous les concurrents (c. III.a). La question à examiner n’est pas seulement de savoir s’il est possible de produire une capsule de forme différente qui soit utilisable de la même manière (donc dans les mêmes machines) et avec la même efficacité. Il convient également de tenir compte que la capsule de forme différente ne peut être considérée comme une forme alternative que si elle n’entre pas dans le champ de protection de la capsule Nespresso. Il s’agit donc aussi de se demander si la ou les autres formes se distinguerait suffisamment dans l’esprit du public acheteur de la capsule Nespresso pour éviter d’entrer dans sa sphère de protection (art. 3 LPM) (c. III.a). Les formes alternatives qui, selon l’arrêt de renvoi, entrent en ligne de compte sont des formes de capsules compatibles avec le système de la machine Nespresso, et les autres façons de conditionner le café (dans des boîtes ou des sachets), tout comme les capsules non compatibles avec cette machine, n’ont pas être considérées (c. III.c). L’expertise judiciaire rend vraisemblable l’importance technique de la forme tronconique surmontée par un cône obtus caractérisant les capsules Nespresso. Même si cette forme double tronconique et conique n’est pas la seule qui garantisse la compatibilité d’une capsule avec une machine Nespresso, elle est indispensable pour disposer de la quantité de café déterminée qui est celle des capsules Nespresso et est la seule qui permette d’obtenir un volume utile optimal d’une capsule. Il n’apparaît ainsi pas que les requérantes puissent revendiquer, par le biais du droit des marques, le monopole d’exploiter une forme décisive sur le volume net maximal d’une capsule pouvant être utilisée dans une machine Nespresso (c. III.c). Il ressort en outre de l’expertise qu’aucune des capsules alternatives proposées par les requérantes n’a les propriétés requises pour un bon fonctionnement dans les machines Nespresso. Elles n’ont pas la longueur suffisante pour une perforation efficace de la capsule par les aiguilles, la forme adéquate pour être guidées correctement lors de la fermeture du compartiment contre la contre-pièce, pour garantir l’étanchéité et empêcher le blocage du mécanisme, ni la forme adéquate pour assurer l’auto-extraction de la capsule usagée. La forme de la capsule Nespresso apparaît ainsi comme une forme techniquement nécessaire au sens de l’art. 2 lit. b LPM et ne peut pas être protégée comme marque (c. III.c). Pour que l’on soit en présence d’une violation des règles relatives à la concurrence déloyale, il faut que le concurrent utilise une prestation d’autrui d’une manière qui ne soit pas conciliable avec les règles de la bonne foi dans les affaires. En vertu du principe de la liberté d’imitation, en l’absence de protection découlant des droits de propriété intellectuelle, il ne suffit pas que les marchandises puissent être confondues ensuite de l’imitation pour que le comportement soit déloyal. Il faut au contraire qu’à l’imitation s’ajoutent d’autres circonstances faisant apparaître le comportement de l’imitateur comme déloyal. Un imitateur agit de manière déloyale au sens de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD en particulier s’il prend des mesures de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui, en imitant la forme d’une marchandise dépourvue de force distinctive, alors qu’il aurait pu lui donner une autre forme sans modification de la construction technique et sans que cela ne porte atteinte à la destination du produit (c. IV.a). Le principe de la liberté de copie ne justifie pas que le consommateur soit induit en erreur de manière évitable sur la provenance d’une marchandise ou que l’imitateur exploite de façon parasitaire la bonne renommée d’autrui; l’imitateur doit prendre, dans les limites raisonnables, les mesures propres à écarter ou à diminuer le risque de confusion du public sur la provenance du produit (c. IV.a). Comme, lorsqu’une forme est techniquement nécessaire, l’imitation de celle-ci n’est pas déterminante pour juger de l’existence d’un risque de confusion et que les requérantes n’ont pas fait valoir que les intimés auraient adopté une autre attitude constitutive d’un comportement déloyal au sens de la LCD, la reprise de la forme double tronconique et conique de leurs capsules n’apparaît pas déloyale (c. IV.b). La requête de mesures provisionnelles est donc rejetée. [NT]

19 mars 2014

TFB, 19 mars 2014, O2013_007 (d)

sic! 9/2014, p. 560-562, « Netzstecker » ; action en dommages-intérêts, action en remise du gain, licence exclusive, remise du gain, mauvaise foi, violation d’un brevet, fardeau de la preuve, vraisemblance, pouvoir d’appréciation, frais ; art. 2 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 423 CO, art. 73 LBI.

Le lésé au bénéfice d’une licence exclusive peut agir en dommages-intérêts aux conditions qui prévalent en droit des obligations ou, alternativement, en remise du gain, selon les dispositions applicables en matière de gestion d’affaires sans mandat (art. 423 CO) (c. 4.2). Le gain consiste alors en la différence entre le patrimoine effectif du contrefacteur et la valeur de ce même patrimoine s’il n’avait pas commercialisé les contrefaçons (en l’espèce des prises d’alimentation électrique (Netzstecker). Le revenu net étant déterminant, il convient de déduire les coûts engagés par le contrefacteur. La jurisprudence soumet de surcroît l’action en remise de gain à la condition de la mauvaise foi du contrefacteur. Agit notamment de mauvaise foi celui qui savait, devait savoir ou pouvait savoir qu’il agissait de manière contraire au droit (art. 2 CC). Cette condition est remplie si le contrefacteur maintient son activité litigieuse suite à la réception d’un courrier de mise en demeure l’informant qu’il agit de manière contraire au droit. Il en va de même lorsqu’un commerçant spécialisé dans les appareils high-tech commande, sans effectuer de recherches préalables, un produit potentiellement protégé, dans un pays dont il est connu qu’il n’offre pas une protection adéquate des droits immatériels (c. 4.3). Le fardeau de la preuve du gain manqué est supporté par le lésé. L’art. 42 al. 2 CO s’applique par analogie à l’action en remise du gain lorsqu’il n’est pas possible d’établir le gain manqué de manière exacte. Il suffit au lésé de rendre sa prétention plausible sur le fond et sur son étendue. Il n’est pas nécessaire que des factures détaillées soient produites. La remise du gain est au surplus conditionnée à la violation d’un droit. Il faut alors déterminer dans quelle mesure le droit violé est à l’origine de la décision d’achat ou si d’autres circonstances ont joué un rôle prépondérant dans ce cadre. La réponse à cette question relève du pouvoir d’appréciation du juge (c. 4.3). Les frais d’avocat et d’agent de brevets engagés par le lésé avant le procès en vue de contrôler l’existence d’une violation d’un brevet ou de faire notifier des courriers de demeure à la partie adverse constituent des frais en lien direct avec le procès. Leur remboursement peut être exigé par le lésé (c. 4.5). [FE]

13 décembre 2017

TF, 13 décembre 2017, 2C_685/2016, 2C_806/2016 (d)

« Tarif commun 3a complémentaire » ; jonction de causes, motivation du recours, décision incidente, tarifs des sociétés de gestion, tarifs complémentaires, divertissement de fond ou d’ambiance, test des trois étapes, triple test, usage privé, équité du tarif, tarif contraignant pour les tribunaux, cognition de la CAF, pouvoir de cognition de la CAF, pouvoir de cognition du TAF, pouvoir de cognition du TF, effet rétroactif, effet suspensif; art. 11bis CB, art. 8 WCT, art. 6 WPPT, art. 8 Cst, art. 42 LTF, art. 71 LTF, art. 93 al. 3 LTF, art. 95 LTF, art. 97 LTF, art. 105 LTF, art. 106 LTF, art. 107 al. 2 LTF, art. 10 al. 2 lit. e LDA, art. 10 al. 2 lit. f LDA, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 22 LDA, art. 46 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA, art. 83 al. 2 LDA, art. 24 PCF ; N 797 (CAF, 2 mars 2015)

Les recours concernent le même jugement, ils contiennent pour l’essentiel les mêmes conclusions et ils soulèvent des questions juridiques identiques. Il se justifie donc de joindre les procédures (c. 1.1). Contre une décision du TAF concernant l’approbation d’un tarif par la CAF, c’est le recours en matière de droit public qui est ouvert (c. 1.2). Le TF revoit l’interprétation du droit fédéral et des traités internationaux avec un plein pouvoir de cognition. Il base sa décision sur l’état de fait constaté par l’autorité inférieure, mais il peut le rectifier ou le compléter s’il apparaît manifestement inexact ou s’il a été établi en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (c. 1.3). Le TF applique le droit d’office et n’est pas lié par les arguments des parties ou par les considérants de la décision attaquée (c. 1.4). Les motifs du recours doivent exposer succinctement en quoi l'acte attaqué viole le droit. Cela implique que le recourant doit se pencher au moins brièvement sur ses considérants. En matière de violation des droits fondamentaux et de violation du droit cantonal ou intercantonal, il existe un devoir de motivation qualifié : le grief doit être invoqué et motivé précisément d’après l’art. 106 al. 2 LTF (c. 1.5). Les tarifs approuvés et entrés en force sont contraignants pour les tribunaux. Toutefois, un tarif ne peut pas prévoir de redevance pour une utilisation libre d’après la LDA. En cas de litige, il appartient au juge civil de décider de ce qui est couvert ou non par le droit d’auteur. L’approbation d’un tarif par la CAF ne peut pas créer des droits à rémunération qui ne découlent pas de la loi. A l’inverse, une redevance prévue par la loi ne peut pas être exercée s’il n’existe pas un tarif valable et approuvé. Les tarifs des sociétés de gestion sont donc soumis à un double contrôle complémentaire, d’une part par la CAF et d’autre part par les tribunaux civils (c. 2.2). Si une partie veut attaquer une décision incidente avec la décision finale, elle doit prendre une conclusion spéciale à cet effet, la motiver et expliquer en quoi la décision incidente influe sur la décision finale. Ces exigences sont implicitement respectées en l’espèce (c. 2.2). Lorsqu’un hôtel reçoit des programmes de radio et de télévision grâce à sa propre antenne et les diffuse dans les chambres, il y a un acte de retransmission au sens de l’art. 10 al. 2 lit. e LDA et non de « faire voir ou entendre » au sens de l’art. 10 al. 2 lit. f LDA, car il y a une nouvelle restitution à un cercle indéterminé de destinataires (c. 5.1). Il paraît douteux que l’exception de l’art. 22 al. 2 LDA puisse s’appliquer, vu le texte de la disposition («destinées à un petit nombre d’usagers ») et vu que le législateur voulait avant tout éviter la multiplication d’antennes sur le toit des maisons (c. 5.2.3). Il faut aussi prendre en compte le droit international, qui a évolué depuis 1993, en particulier le test des trois étapes prévu par la CB et les accords ADPIC, et les droits des art. 11bis CB, 8 WCT et 6 WPPT (c. 5.2.4). La CJUE a estimé, dans son arrêt du 7 décembre 2006 C-306/05, que les art. 11bis al. 1 chiffre 2 et 3 CB et 8 WCT s’opposaient à ce que la diffusion d’émissions dans des chambres d’hôtel soit libre sous l’angle du droit d’auteur. Cette décision n’est certes pas contraignante pour les tribunaux suisses, mais elle peut servir à l’interprétation de dispositions juridiques peu claires. Et le TF a déjà reconnu que l’idée d’une harmonisation avec le droit européen avait inspiré le droit d’auteur suisse (c. 5.2.5). Au vu de ce qui précède et des critiques de la doctrine, il faut admettre que la retransmission d’œuvres dans des chambres d’hôtel est une communication publique au sens de l’art. 11bis al. 1 CB, en partie au contraire de ce qui avait été retenu par l’ATF 119 II 51. L’art. 22 al. 2 LDA n’est donc pas applicable (c. 5.2.6). Un but lucratif est incompatible avec l’exception d’usage privé au sens de l’art. 19  al. 1 lit. a LDA. En cas de retransmission d’émissions dans des chambres d’hôtel, l’utilisation d’œuvres est réalisée par l’hôtelier et pas par le client de celui-ci. Cela résulte déjà du fait que les actes d’utilisation de l’art. 10 al. 2 lit. a à f se situent en amont de la jouissance de l’œuvre (c. 5.3.2). La « convergence des technologies » n’y change rien : l’obligation de payer des redevances dépend de l’ampleur de l’infrastructure mise à la disposition du client (c. 5.3.3). En cas de recours au TF, les griefs doivent porter sur les considérants de l’arrêt du TAF, pas sur ceux de la décision de la CAF (c. 6.1). L’industrie de l’électronique qui loue des appareils de réception n’est pas dans la même situation que l’hôtelier : il n’y a donc pas de violation de l’égalité de traitement si elle ne doit pas payer de redevance de droit d’auteur (c. 6.3). La redevance de réception selon la LRTV ne couvre pas les droits d’auteur et les droits voisins : elle profite à d’autres ayants droit et elle relève du droit public, alors que l’indemnité tarifaire relève du droit privé (c. 6.4). Les critères de l’art. 60 LDA sont contraignants pour la CAF et ils ne représentent pas seulement des lignes directrices pour l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Ils sont des notions juridiques indéterminées, dont le TF revoit l’interprétation et l’application. Toutefois, ce dernier fait preuve d’une certaine retenue dans le contrôle des décisions prises par des autorités spécialisées, lorsque des aspects techniques particuliers sont en discussion. Cette retenue vaut aussi pour le TAF, malgré sa cognition illimitée selon l’art. 49 PA (c. 7.2.1). Comme la CAF est une autorité spécialisée, le TAF doit respecter son pouvoir d’appréciation dans l’application des critères de l’art. 60 LDA, ce qui revient finalement à ne sanctionner que les abus ou les excès (c. 7.2.2). En l’espèce le TAF s’est tenu à juste titre à ces exigences (c. 7.2.3). En ce qui concerne l’entrée en vigueur d’un tarif, il faut s’en tenir en principe à l’interdiction d’un effet rétroactif. Pour éviter d’autres retards, le TF peut renoncer à renvoyer l’affaire à la CAF et trancher lui-même la question de l’entrée en vigueur et de la durée de validité du tarif, en application de l’art. 107 al. 2 LTF (c. 8.3). La jurisprudence distingue entre la rétroactivité véritable et la rétroactivité impropre. Dans le premier cas, un acte applique le nouveau droit à un état de fait révolu au moment de son entrée en vigueur. Pour que cette rétroactivité proprement dite soit admissible, il faut qu’elle soit expressément prévue par la loi ou qu’elle en résulte clairement, qu'elle soit raisonnablement limitée dans le temps, qu'elle ne conduise pas à des inégalités choquantes, qu'elle réponde à un intérêt public digne de protection et, enfin, qu'elle respecte les droits acquis. En cas de rétroactivité improprement dite, la nouvelle règle s'applique à un état de fait durable, qui a débuté sous l’ancien droit mais qui n’est pas entièrement révolu au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. La rétroactivité impropre est en principe admise si elle ne porte pas atteinte à des droits acquis. En ce qui concerne l’exigence de la limitation dans le temps, un effet rétroactif d’une année a déjà été admis. Cette exigence découle du principe de la proportionnalité, et avant tout de ce qui est raisonnable. Lorsque la rétroactivité favorise certaines personnes et en désavantage d’autres, comme en l’espèce, les conditions susmentionnées doivent être remplies (c. 8.4). Une entrée en vigueur rétroactive d’un tarif n’est pas exclue, mais elle doit être limitée dans le temps (c. 8.5.1). En l’espèce, la CAF a admis un effet rétroactif de deux ans et deux mois, ce qui est excessif. Les recourantes devaient certes s’attendre à l’introduction du tarif, mais on ne peut pas leur reprocher d’avoir retardé la procédure de manière inconvenante (c. 8.5.3). Une si longue rétroactivité poserait aussi des problèmes pratiques et soulèverait des questions d’égalité de traitement, par exemple lorsque des hôtels ont cessé leur activité ou ont changé de propriétaires (c. 8.5.4). La question de l’effet rétroactif doit cependant être distinguée de celle de la liquidation de l’effet suspensif ordonné suite aux recours (c. 8.6). En principe, l’effet suspensif ne doit pas favoriser matériellement la partie qui succombe au détriment de la partie qui l’emporte (c. 8.6.1). Lorsque le recours est rejeté ou qu’il est irrecevable, l’effet suspensif tombe et un examen du cas particulier conduit en général à admettre que la décision attaquée entre en vigueur avec effet au moment où elle a été rendue, pour ne pas favoriser indûment le recourant (c. 8.6.2). En l’espèce, l’effet suspensif n’avait été ordonné que partiellement et les redevances litigieuses sont perçues depuis le 8 juillet 2015. Il ne paraît pas justifié que le tarif entre en vigueur le 2 mars 2015, soit à la date de la décision de la CAF (c. 8.6.3). Pour les raisons pratiques et juridiques déjà évoquées en relation avec la rétroactivité, il se justifie que le tarif entre en vigueur au 8 juillet 2015. Cela permet aussi d’accorder un délai d’introduction aux recourantes, ce qui se justifie vu la longueur de la procédure qui ne leur est pas imputable (c. 8.6.4). [VS]

CB (RS 0.231.15)

- Art. 11bis

Cst. (RS 101)

- Art. 8

LDA (RS 231.1)

- Art. 83

-- al. 2

- Art. 59

- Art. 22

- Art. 60

- Art. 46

- Art. 19

-- al. 1 lit. a

- Art. 10

-- al. 2 lit. e

-- al. 2 lit. f

LTF (RS 173.110)

- Art. 71

- Art. 93

-- al. 3

- Art. 106

- Art. 107

-- al. 2

- Art. 42

- Art. 95

- Art. 105

- Art. 97

PCF (RS 273)

- Art. 24

WCT (RS 0.231.151)

- Art. 8

WPPT (RS 0.231.171.1)

- Art. 6

« Tarif commun 4i » ; tarif des sociétés de gestion, équité du tarif, durée de validité du tarif, prolongation automatique, devoir de négocier, pouvoir de cognition de la CAF ; art. 19 LDA, art. 20 LDA, art. 40 LDA, art. 46 al. 2 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA.

Tandis que l’équité de la redevance se détermine d’après l’art. 60 LDA, les autres dispositions du tarif relèvent d’une libre appréciation de la CAF d’après l’art. 59 al. 1 LDA (c. 3). Sous l’angle du contrôle de l’équité, la CAF doit aussi examiner la charge diachronique du tarif pour les utilisateurs (c. 4). La CAF n’a pas de jurisprudence bien établie en ce qui concerne les clauses tarifaires prévoyant une prolongation automatique du tarif pour une durée illimitée. L’équité de la durée de validité du tarif doit être examinée de cas en cas, en fonction du système tarifaire, des faits qui l’ont déterminé et de leur caractère durable ou au contraire changeant (c. 4.2). En l’espèce, le tarif contient une clause selon laquelle il se prolonge automatiquement d’année en année, sauf résiliation donnée par une partie au moins une année à l’avance. La durée de validité initiale de deux ans pourrait donc rester lettre morte et le tarif pourrait se prolonger à l’infini, sans que la CAF puisse à nouveau vérifier son équité. Cela paraît problématique, d’autant que les parties au tarif se sont réservées d’étendre ce dernier à d’autres appareils permettant la copie privée (c. 4.3). Les tendances en matière de copie privée sont en constante évolution. En particulier, les appareils ont des capacités de stockage de plus en plus grandes, et les prix sont en baisse. Il n’est donc pas garanti que le tarif soit toujours équitable dans cinq ou dix ans. Le besoin de flexibilité et de prévisibilité à long terme des parties est certes légitime. Mais, dans un environnement en mutation, il est difficilement compatible avec le devoir de négocier des sociétés de gestion, prévu par l’art. 46 al. 2 LDA, et de faire approuver le tarif par la CAF comme exigé par les art. 40 et 46 al. 2 LDA. L’admissibilité d’une clause de prolongation automatique dépend des circonstances et il s’impose en l’espèce de limiter son effet dans le temps, afin que les sociétés de gestion et les associations d’utilisateurs examinent à l’échéance si le tarif correspond toujours aux circonstances (c. 4.4). Il y a un certain déséquilibre entre les parties, s’agissant de la possibilité de résiliation. Les sociétés de gestion sont spécialisées dans les questions de gestion collective, ce qui n’est pas le cas des utilisateurs. Tendanciellement, il n’est pas à exclure que les sociétés de gestion n’aient aucun intérêt à résilier le tarif. De leur côté, les utilisateurs, moins organisés, pourraient oublier de procéder à une telle résiliation dans les délais. Et, s’ils le font, ce sera à eux de démontrer que le tarif est devenu inéquitable si les sociétés de gestion veulent le prolonger (c. 4.5). La limitation dans le temps de la prolongation automatique obligera les parties, à l’échéance, à examiner si le tarif est encore actuel. En cas de réponse affirmative, une requête de prolongation pourra être adressée à la CAF selon une procédure relativement simple et peu coûteuse (c. 4.6). Cette démarche peut être exigée pour éviter le risque d’un tarif inéquitable. Le mécontentement des parties concernant l’actuelle procédure d’approbation tarifaire, soumise à un système de triple instance et impliquant des décisions de renvoi aux autorités inférieures, n’est pas une raison d’instaurer une clause de prolongation automatique illimitée contournant le devoir de négocier et de soumettre les tarifs à la CAF. Une telle clause n’est pas équitable au sens de l’art. 59 al. 1 LDA (c. 4.7). L’accord des parties ne restreint pas la cognition de la CAF. Toutefois, cette dernière ne modifie qu’avec retenue un tarif sur lequel les parties sont d’accord. Sinon personne n’aurait de raisons de faire des concessions dans les négociations tarifaires et de rechercher une solution de compromis. Cependant, en l’espèce, il ne s’agit pas de modifier une disposition matérielle du tarif, mais uniquement sa durée de validité. Le droit d’être entendu au sens de l’art. 59 al. 2 LDA a été respecté et les sociétés de gestion ont accepté que la CAF modifie elle-même le tarif si elle devait l’estimer inéquitable. La CAF décide donc de limiter la prolongation automatique d’année en année, au plus tard jusqu’à fin 2020. Ainsi, le tarif aura une durée maximale de quatre ans (c. 4.8). [VS]

« Tarif commun K » ; tarif des sociétés de gestion, équité du tarif, durée de validité du tarif, prolongation automatique, devoir de négocier, pouvoir de cognition de la CAF ; art. 40 LDA, art. 46 al. 2 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA ; cf. N 1067 (CAF, 8 décembre 2016)

Même motivation que CAF, 8 décembre 2016, « Tarif commun 4i » (N 1067). En l’espèce, le marché des concerts et des spectacles serait en évolution parce que les recettes des sociétés de gestion ont continuellement augmenté ces dernières années, comme les coûts des organisateurs. De plus, ces derniers ont émis des doutes sur le tarif. Ces facteurs justifieraient une limitation dans le temps de la prolongation automatique, pour que les parties examinent à l’échéance si le tarif correspond toujours aux circonstances (c. 4.4). [VS]

« Tarif commun 1 » ; tarif des sociétés de gestion, équité du tarif, durée de validité du tarif, prolongation automatique, devoir de négocier, pouvoir de cognition de la CAF ; art. 40 LDA, art. 46 al. 2 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA ; cf. N 1067 (CAF, 8 décembre 2016)

Même motivation que CAF, 8 décembre 2016, « Tarif commun 4i » (N 1067). En l’espèce, le marché de la retransmission serait en évolution parce que la part de la télévision dans les offres groupées est de moins en moins importante selon les utilisateurs. De plus, les réseaux doivent constamment être améliorés en raison des besoins accrus en bande passante dus à Internet et à la haute définition, ce qui a une incidence sur les prix des abonnements. Dans un environnement en mutation, il n’est pas exclu que les études sur lesquelles repose le tarif soient vite dépassées (c. 4.4). La doctrine s’est prononcée en faveur de tarifs avec une durée de validité ouverte surtout en raison de la problématique de l’entrée en vigueur rétroactive des nouveaux tarifs et pour éviter des périodes de vide tarifaire. Mais les tarifs de sociétés de gestion contiennent désormais des clauses empêchant un vide tarifaire tant qu’un nouveau tarif n’est pas encore entrée en vigueur. De plus, une prolongation automatique des tarifs n’occasionne pas forcément une économie de la procédure (c. 4.5). [VS]

« Tarif commun 7 » ; tarifs des sociétés de gestion, équité du tarif, pouvoir de cognition de la CAF, surveillance de la Confédération ;  art. 19 al. 3 LDA, art. 20 LDA, art. 40 al. 1 LDA.

Le tarif commun 7 comprend des utilisations qui ne sont soumises ni à la licence légale de l’art. 19 LDA, ni à la surveillance de la Confédération d’après l’art. 40 al. 1 LDA. Il en va ainsi de la reproduction d’oeuvres des beaux-arts et de partitions musicales selon l’art. 19 al. 3 lit. b et c LDA, de la reproduction d’émissions entières à partir de la radio ou de la télévision et de leur mise à disposition gratuite sur une plateforme protégée par un mot de passe (y compris consultation et téléchargement à partir de l’intranet de l’école), de la reproduction de la totalité ou de l’essentiel d’exemplaires d’oeuvres disponibles sur le marché selon l’art. 19 al. 3 lit. a LDA, de même que de la reproduction de textes, d’oeuvres des beaux-arts et de photographies en dehors de l’usage privé au sens de l’art. 19 LDA. Cela n’est pas une raison de refuser l’approbation du tarif. Toutefois, le contrôle de l’équité et la décision d’approbation ne concerneront que les parties du tarif qui portent sur des droits dont la gestion est soumise à la surveillance de la Confédération selon l’art. 40 al. 1 LDA (c. 2).

Dans le même sens, voir N 1073 (CAF, 20 décembre 2016 « Tarif commun K »), c. 2, s’agissant de la gestion du droit exclusif des artistes et producteurs de reproduire leurs prestations sur des phonogrammes destinés à une exécution publique (dont la gestion n’est pas soumise à la surveillance de la Confédération). [VS]

18 février 2019

TAF, 18 février 2019, B-1624/2018, B-1699/2018 (d)

« Tarif A radio (Swissperform) » ; tarifs des sociétés de gestion, compétence de la CAF, pouvoir de cognition du TAF, pouvoir de cognition de la CAF, équité du tarif, recettes brutes, déduction des frais d’acquisition de la publicité, procédure devant la CAF, gestion économique, webcasting, simulcasting, streaming, règle du ballet, musique fonction subordonnée ou d’accompagnement, règle prorata temporis, test des trois étapes, triple test, augmentation de redevance, vente de programmes, obligation d’informer les sociétés de gestion; art. 16 WPPT, art. 13 ADPIC, art. 22c LDA, art. 35 al. 1 LDA, art. 40 LDA, art. 45 al. 1 LDA, art. 47 LDA, art. 51 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA.

Le TAF dispose d’un plein pouvoir de cognition et peut aussi examiner l’équité de la décision tarifaire attaquée. Il fait toutefois preuve de retenue là où la CAF, en tant qu’autorité judiciaire spécialisée indépendante, a traité de questions complexes concernant la gestion collective ou a pesé les intérêts en présence tout en respectant l’autonomie des sociétés de gestion. En fin de compte, cela revient à rechercher si la CAF a excédé son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (c. 2.2). Les tarifs doivent respecter l’ordre juridique instauré par la loi au sujet des droits exclusifs et des utilisations autorisées, ils ne peuvent pas instaurer des prérogatives incompatibles avec la loi. S’agissant de l’équité dans le cadre de l’ordre légal, ils lient le juge civil et servent de base juridique pour les prétentions civiles des sociétés de gestion (c. 3.1). Dans le cadre de la procédure d’approbation tarifaire, la CAF poursuit le but d’un équilibre objectif des intérêts entre les parties concernées. Celui-ci s’oriente sur les redevances pratiquées sur le marché et sert la sécurité juridique. La CAF n’a pas seulement une compétence d’approbation puisqu’elle peut modifier le tarif sur la base de l’art. 59 al. 2 LDA. Elle doit de plus examiner à titre préjudiciel si les droits mentionnés par le tarif existent, et si les utilisations sont soumises à la surveillance de la Confédération. Dans l’intérêt des utilisateurs, d’après l’art. 47 LDA, elle doit aussi faire en sorte que des utilisations connexes d’un point de vue économique soient si possible réglées par le même tarif, même si elles relèvent de sociétés de gestion différentes. Si toutes les associations d’utilisateurs n’ont pas consenti au tarif, la CAF organise en général une audience. Toutefois, elle ne doit pas interférer dans l’autonomie tarifaire des sociétés de gestion plus que ne le nécessite un équilibre objectif des intérêts entre ayants droit et utilisateurs. Si plusieurs solutions sont envisageables, la CAF dépasserait ses compétences en imposant la sienne. Elle examine le projet tarifaire avec pleine cognition, mais doit respecter une certaine liberté de disposition des sociétés de gestion et leur autonomie (c. 3.2). Le webcasting se distingue du simulcasting par le fait qu’il n’y a pas de transmission d’un signal d’émission par voie terrestre ou par câble ; la technique du streaming est utilisée. La mise à disposition n’est pas couverte par l’art. 35 al. 1 LDA, sinon l’art. 22c LDA n’aurait aucun sens (c. 4.5.3). La transmission de signaux de programmes par Internet constitue une diffusion ou une retransmission si elle a lieu de manière linéaire, c’est-à-dire si l’utilisateur ne peut pas influencer le déroulement du programme (c. 4.5.4). En l’espèce, le webcasting d’événements isolés transmis originairement par Internet ne constitue pas un acte de diffusion : il a lieu de manière non linéaire car les utilisateurs peuvent choisir le moment de la consultation (c. 4.5.5). L’art. 60 LDA a pour but de permettre aux ayants droit de participer proportionnellement aux revenus générés par les biens protégés, mais il n’empêche pas des différenciations fondées dans la pondération (c. 5.5.2). Réduire de moitié le taux tarifaire lorsque les enregistrements musicaux sont utilisés en même temps qu’une propre prestation rédactionnelle de la SSR compliquerait l’application du tarif et serait difficilement praticable. Pour cette raison, une forfaitisation est possible. La situation n’est pas comparable avec celle du tarif commun H dans l’arrêt B-1736/2014 du 2 septembre 2015. La concentration cognitive des utilisateurs ne constitue pas un critère de fixation de l’indemnité au sens de l’art. 60 LDA (c. 5.5.3). La formulation « en relation avec la diffusion d’émissions » utilisée par l’art. 22c LDA ne contient pas de composante temporelle et doit être comprise de manière fonctionnelle. La condition peut être réalisée même si l’émission reste disponible sur Internet pour une longue période, dépassant 7 jours suivant la première diffusion. Selon l’interprétation fonctionnelle, la condition de l’art. 22c LDA est réalisée lorsque la musique est contenue dans une émission et que cette dernière, et non les morceaux de musique de manière isolée, est mise à disposition sur Internet (c. 6.6.2). Une limitation temporelle n’est pas nécessaire pour que l’art. 22c LDA soit compatible avec le test des trois étapes prévu par les art. 16 al. 2 WPPT et 13 ADPIC (c. 6.6.3 et 6.6.4). Les recettes au sens de l’art. 60 LDA ne correspondent pas au bénéfice, mais au chiffre d’affaires c’est-à-dire au revenu brut. Elles font partie des bases de calcul de la redevance si elles proviennent de l’utilisation des biens protégés. Elles doivent avoir un rapport direct avec les utilisations régies par le tarif (c. 7.5.1). Une déduction forfaitaire sur les recettes brutes est prévue par le tarif commun S. Par conséquent, une telle déduction dans le tarif A radio ne représente pas une dérogation à un principe constant ou un changement de système inutile et injustifié (c. 7.5.2). Cette réglementation correspond à ce que les parties ont convenu à l’amiable jusqu’ici et elle apparaît justifiée vu l’abolition prévue de la possibilité de déduire les frais d’acquisition de la publicité : il faut en effet éviter les augmentations de redevances abruptes (c. 7.5.3). Une déduction forfaitaire facilite en outre l’application du tarif, car elle évite à la SSR de devoir prouver ses frais d’acquisition et à Swissperform de devoir les contrôler. Des forfaitisations sont dans une certaine mesure inévitables en matière tarifaire (c. 7.5.4). Les recettes provenant de la vente de programmes sans musique ne sont pas dans un rapport direct avec l’activité de diffusion. En effet, les phonogrammes disponibles sur le marché ne contribuent pas à ces recettes (c. 8.6.2). D’après la systématique de l’art. 60 LDA, il faut d’abord déterminer les bases de calcul de la redevance – alinéa 1 – puis ensuite fixer la participation des ayants droit – alinéa 2. Les deux étapes poursuivent toutefois l’objectif d’une indemnité équitable. Il n’y a pas d’ordre de priorité entre les deux et le principe de la participation des ayants droit peut aussi servir à fixer les recettes prises en compte pour calculer la redevance. Cela ne conduit pas à une double déduction. Les frais pour déterminer les programmes sans musique devraient rester raisonnables, si bien que l’art. 45 LDA est respecté (c. 8.6.3). Le devoir d’information selon l’art. 51 LDA englobe tout ce qui permet aux sociétés de gestion de connaître les œuvres utilisées et l’ampleur de l’utilisation. Il n’existe cependant que dans la mesure du raisonnable. Il faut entendre par là qu’il ne doit pas occasionner des coûts disproportionnés pour l’utilisateur d’œuvres (c. 9.6.2). Le tarif prévoit que le code ISRC doit être annoncé s’il est livré à la SSR en même temps que l’enregistrement, ou après coup en référence à un enregistrement donné (c. 9.6.3). Le but de la gestion collective est notamment un encaissement simple, praticable et prévisible des redevances, ce qui est aussi dans l’intérêt des utilisateurs. Pour cette raison, l’interprétation de l’art. 51 al. 1 LDA doit tenir compte de l’art. 45 al. 1 LDA, qui oblige les sociétés de gestion à administrer leurs affaires selon les règles d’une gestion saine et économique. Le code ISRC s’est imposé comme un standard mondial pour les enregistrements musicaux. Il est juste que la SSR doive le fournir à Swissperform, lorsqu’elle l’a reçu, car ce code est nécessaire pour assurer à long terme une gestion saine et économique. Dans son arrêt 2A.539/1996 du 20 juin 1997, c. 6b, le TF a aussi estimé qu’un tarif pouvait obliger les utilisateurs à fournir des codes d’identification (c. 9.6.4). Les coûts pour la SSR paraissent raisonnables (c. 9.6.5). Un tarif peut contenir des règles sur les obligations d’annonce et sur les conséquences en cas d’inobservation. L’exécution du devoir d’information a lieu par la voie civile. Vu l’importance du code ISRC dans le secteur musical et son rôle pour assurer une gestion saine et économique, le tarif peut renforcer le devoir d’information en mettant à la charge de la SSR les frais de recherche démontrés dus à une violation de son obligation de déclarer le code ISRC (c. 10.5.2). [VS]

22 octobre 2018

TAF, 22 octobre 2018, B-3812/2016 (d)

« Tarif A Fernsehen (Swissperform) » ; tarifs des sociétés de gestion, pouvoir de cognition de la CAF, pouvoir de cognition du TAF, arrêt de renvoi, force obligatoire, unité de la procédure, effet rétroactif, effet suspensif, pouvoir d’appréciation, renvoi de l’affaire, novae, synchronisation, droits voisins, phonogramme disponible sur le marché, vidéogramme disponible sur le marché, support disponible sur le marché, œuvre musicale non théâtrale, effet rétroactif, devoir de collaboration accru des parties en procédure tarifaire, règle du ballet, augmentation de redevance, augmentation du tarif ; art. 12 CR, art. 15 WPPT, art. 11 LDA, art. 22c LDA, art 24b LDA, art. 35 LDA, art. 38 LDA, art. 46 LDA, art. 59 LDA.

Lorsque le TAF a renvoyé antérieurement l’affaire à l’autorité précédente et qu’il y a un nouveau recours sur la nouvelle décision de cette dernière, aussi bien l’autorité précédente que le TAF sont liés par le dispositif de la décision de renvoi, lequel forme le cadre de la nouvelle procédure de recours (c. 1.2). Lorsque le renvoi portait sur un nouvel examen du montant de la redevance, les mesures à prendre pour éviter une augmentation abrupte et la date d’entrée en vigueur de la redevance font partie du cadre fixé par la décision de renvoi (c. 1.2 et 1.3). L’effet contraignant de celle-ci ne s’oppose pas à la prise en compte de novae, pour autant que le droit de procédure et le principe de l’unité de la procédure le permettent (c. 1.4). A supposer que l’obligation de paiement de la redevance soit reportée en raison de l’interdiction de l’effet rétroactif, c’est aussi l’entrée en vigueur de toutes les autres dispositions tarifaires qui devrait être retardée, y compris de celles en défaveur des ayants droit (c. 3.3). En l’espèce, le tarif a produit ses effets dès la date d’entrée en vigueur prévue, car les recours n’ont pas eu d’effet suspensif. En cas de redevance tarifaire trop basse, un recours serait rendu illusoire si la redevance ne pouvait pas être augmentée dès la date d’entrée en vigueur du tarif. De plus, les utilisations déjà entreprises seraient illicites si le tarif corrigé ne pouvait pas les couvrir, ce qui conduirait à des négociations sur les dommages-intérêts. En l’espèce, on est en présence d’un tarif qui est entré en vigueur à la date prévue, mais qui a été modifié suite à un recours. Le cas se distingue des affaires 2C_685/2016 et 2C_806/2016 tranchées par le TF, où un nouveau tarif devait entrer en vigueur pour la première fois à titre rétroactif. Il n’y a donc pas ici d’effet rétroactif non autorisé (c. 3.4). Les tarifs doivent faciliter les utilisations d’œuvres en instaurant une redevance homogène, prévisible et praticable dans l’intérêt des ayants droit et des utilisateurs. La CAF fixe son niveau en ayant pour but un équilibre objectif des intérêts entre les parties concernées, et en respectant l’autonomie tarifaire des sociétés de gestion. Un devoir de collaboration accru des parties les oblige à fournir les chiffres et statistiques permettant le contrôle de l’équité. Le TAF se prononce avec un plein pouvoir de cognition, mais il fait preuve de retenue là où la CAF, en tant qu’autorité judiciaire spécialisée indépendante, a traité de questions complexes concernant la gestion collective ou a pesé les intérêts en présence tout en respectant l’autonomie des sociétés de gestion. En fin de compte, cela revient à rechercher si la CAF a excédé son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (c. 4.1). Un tarif est équitable lorsqu’il repose sur un équilibre approprié, semblable en substance à ce qui aurait découlé d’un accord entre les parties dans une situation de concurrence. Les difficultés d’application sont à prendre en compte. Des forfaits et des approximations sont admissibles pour mieux couvrir toutes les utilisations et améliorer la praticabilité. L’art. 12 CR et l’art. 15 WPPT ne donnent aucune garantie minimum valable dans tous les cas particuliers (c. 4.3). Le tarif concerne l’utilisation de phonogrammes disponibles sur le marché, sans considération d’une protection éventuelle sur les images. Il est donc compréhensible que la CAF n’ait pas différencié la redevance selon que les phonogrammes sont ou non synchronisés avec des images (c. 5.1). Une utilisation moins intensive des supports lorsqu’ils sont synchronisés n’est pas constatable. La règle du ballet, qui justifierait une diminution de 50% de la redevance, n’est donc pas applicable (c. 5.2). Il est compréhensible également que la CAF, lorsqu’elle s’oppose aux augmentations abruptes de redevance, ne prenne en compte que la charge tarifaire des utilisateurs, et non les montants à répartir aux ayants droit : cette charge détermine en effet les offres des utilisateurs sur le marché et le calcul de leurs prix, alors qu’elle n’a que peu d’influence sur les cachets que touchent les titulaires de droits voisins. Mais il est vrai que la CAF évite les augmentations abruptes unilatéralement en faveur des utilisateurs, alors qu’elle ne recherche pas à assurer la continuité des recettes tarifaires pour les ayants droit, par exemple en évitant des périodes sans tarif ou des retards dans l’approbation des tarifs pour des raisons de procédure. Ainsi, l’interdiction des augmentations abruptes (principe de la continuité) n’est pas un critère qui relève du contrôle de l’équité. Une partie de la doctrine le prétend, mais cela ne découle pas de la loi. Le TF a aussi plusieurs fois admis qu’une augmentation importante de la redevance était admissible en cas de changement dans les bases de calcul justifié objectivement, et qu’elle pouvait même démontrer que la redevance antérieure était trop basse. Ainsi, le principe de la continuité ne sert pas à distinguer une charge tarifaire équitable d’une charge inéquitable mais, en aval, au choix d’une solution préférable parmi plusieurs solutions tarifaires équitables. Il est alors permis d’y recourir et de le mettre en œuvre par un échelonnement annuel des taux tarifaires ou des montants maximaux à payer (c. 6.3). En l’espèce, le plafonnement des redevances ne peut pas être confirmé car le nouveau tarif se base sur un changement des bases de calcul justifié objectivement (c. 6.4.1), les forfaits avaient été payés précédemment expressément « sans valeur de précédent » (c. 6.4.2), depuis 2013 ils n’étaient versés qu’à titre d’acomptes (c. 6.4.3) et, enfin, parce que le plafonnement a été calculé par la CAF en fonction de l’intégralité des recettes tarifaires, alors qu’il a été appliqué uniquement sur la redevance due pour l’utilisation de supports synchronisés, ce qui défavorise les interprètes dont la prestation figure sur de tels supports (c. 6.4.4). L’introduction d’un système de calcul proportionnel à l’utilisation, vingt ans après l’entrée en vigueur de la LDA, plaide contre un échelonnement de l’augmentation, ce qui rend inutile un deuxième renvoi à l’autorité précédente (c. 6.5). [VS]

23 mai 2019

TAF, 23 mai 2019, B-5852/2017 (d)

« Tarif commun 3a » ; tarifs des sociétés de gestion, compétence matérielle, Commission arbitrale fédérale, pouvoir de cognition du TAF, pouvoir de cognition de la CAF, pouvoir d’appréciation, équité du tarif, autonomie des sociétés de gestion, obligation de collaborer, comparaison avec l’étranger, valeur litigieuse, conclusion nouvelle ; art. 13 al. 1 lit. b PA, art. 52 PA, art. 53 PA, art. 46 LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA.

Les recourantes ont suffisamment motivé leur contestation de la prolongation de l’ancien tarif jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau, si bien que l’art. 52 al. 1 PA est respecté (c. 1.2). L’objet du litige en procédure de recours ne peut que correspondre à celui qui était ou aurait dû être débattu en première instance. Il peut être restreint, mais ne peut pas être étendu ou modifié. Exceptionnellement, des conclusions nouvelles sont recevables pour des raisons d’économie de la procédure, si elles ont un rapport très étroit avec l’objet du litige en première instance, et si l’autorité inférieure s’est prononcée sur les nouvelles questions litigieuses. Une fois que le délai de recours est écoulé, les conclusions ne peuvent plus être étendues, mais seulement diminuées ou précisées, sous réserve des art. 52 al. 2 et 53 PA (c. 1.3.2). Le projet de tarif présenté par les recourantes dans leurs conclusions principales n’a pas été négocié, les recourantes ne sont pas légitimées à en demander l’approbation d’après l’art. 46 LDA et ce tarif ne formait pas l’objet de la procédure de première instance. Les conclusions principales sont donc irrecevables (c. 1.3.4). La CAF examine un projet tarifaire avec pleine cognition, mais elle doit respecter une certaine liberté de disposition des sociétés de gestion. Elle ne doit pas interférer dans leur autonomie tarifaire plus que ne le nécessite un équilibre objectif des intérêts entre ayants droit et utilisateurs. Si plusieurs solutions sont envisageables, la CAF dépasserait ses compétences en imposant la sienne (c. 2.1). Un tarif est équitable lorsqu’il repose sur un équilibre approprié, semblable en substance à ce qui aurait découlé d’un accord entre les parties dans une situation de concurrence. L’équité se détermine d’après le rapport entre la redevance tarifaire et les recettes de l’utilisateur, à défaut ses frais, et d’après le choix des bases de calcul. Les difficultés d’application sont à prendre en compte. Des forfaits et des approximations sont admissibles pour mieux couvrir toutes les utilisations et améliorer la praticabilité (c. 2.2). Le TAF dispose d’un plein pouvoir de cognition et peut aussi examiner l’équité de la décision tarifaire attaquée. Il fait toutefois preuve de retenue là où la CAF, en tant qu’autorité judiciaire spécialisée indépendante, a traité de questions complexes concernant la gestion collective ou a pesé les intérêts en présence tout en respectant l’autonomie des sociétés de gestion. Le TAF vérifie si la CAF a appliqué correctement les critères parfois très ouverts de l’art. 60 LDA. Mais il restreint son pouvoir d’examen concernant la question - partiellement non justiciable - de la pondération des différents critères dans le cas concret et de leur influence chiffrée sur le tarif à approuver. En fin de compte, cela revient à rechercher si la CAF a excédé son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (c. 2.3). La doctrine estime qu’il est correct de tenir compte des difficultés ou des facilités dans l’encaissement des redevances par des suppléments ou des rabais tarifaires. Jusqu’à la fin de l’année 2018, le tarif commun 3a (TC 3a) était encaissé par Billag SA pour le compte des sociétés de gestion. Il y avait des synergies avec la perception de la redevance prévue par la LRTV, notamment parce que Billag SA bénéficiait d’un accès gratuit aux registres cantonaux et communaux des habitants d’après l’art. 69 al. 2 aLRTV. Le nouvel organe d’encaissement selon la LRTV a l’interdiction d’exercer une autre activité économique, d’après l’art. 69e al. 3 LRTV, et il ne peut donc plus gérer le TC 3a. Quant à elle, Billag SA n’a plus accès aux registres des habitants et aux banques de données de la Confédération, si bien qu’elle ne pourrait plus percevoir les redevances du TC 3a à des conditions aussi favorables que dans le passé. Cela vaut aussi pour d’éventuelles autres sociétés d’encaissement. Le choix de SUISA pour remplacer Billag SA n’est pas critiquable vu l’autonomie des sociétés de gestion, d’autant que SUISA a déjà encaissé une partie des redevances du TC 3a par le passé et que la gestion de droits d’auteur est son activité habituelle. Les intimées ont démontré que la disparition des synergies précitées occasionnerait des coûts supplémentaires d’environ CHF 2 mios. On ne peut pas reprocher à SUISA d’être inefficiente. Comme l’encaissement du TC 3a, et donc le niveau de la redevance, doivent être adaptés à la révision de la LRTV, les taux tarifaires prévus par l’ancien tarif en cas d’encaissement par Billag SA ne peuvent servir de point de départ pour le contrôle de l’équité. Ce contrôle doit être effectué à partir des taux prévus en cas d’encaissement par SUISA, qui ont été approuvés par la CAF en 2007 déjà et qui ont été plusieurs fois prolongés avec l’accord des utilisateurs. L’objection des recourantes selon laquelle ces taux ont été négligés durant les négociations passées, parce qu’ils ne concernaient qu’un petit nombre de personnes, ne convainc pas. Le fait que les recettes procurées par le TC 3a aient augmenté depuis 2000 peut s’expliquer par un meilleur contrôle du marché de Billag SA et par une augmentation du nombre d’utilisateurs. Il ne démontre pas que le tarif est inéquitable, pas plus que les augmentations tarifaires entre 1996 et 2007 ou que l’avis du préposé à la surveillance des prix de 2007 (c. 5.1). Les recourantes critiquent les chiffres des intimées sur les coûts d’utilisation au sens de l’art. 60 LDA, mais elles ne produisent aucun moyen de preuve. D’après leur devoir de collaboration selon l’art. 13 al. 1 lit. b PA, particulièrement important en procédure tarifaire, ce serait pourtant à elles de démontrer par des chiffres et des statistiques les faits sur lesquels le tarif doit se fonder. La diminution des coûts des appareils de réception et le renchérissement négatif ont été pris en compte pour calculer les redevances du nouveau tarif. Les recourantes n’ont pas démontré que d’autres coûts déterminants auraient baissé. Ni la situation économique des utilisateurs, ni la force du franc suisse ne sont des critères pertinents pour apprécier l’équité, car les utilisateurs sont libres de renoncer aux utilisations d’œuvres et parce que l’équité des redevances (aussi pour des ayants droit à l’étranger) ne peut pas dépendre des taux de change (c. 5.2). Les recourantes ne peuvent pas en appeler à l’expérience générale de la vie au lieu de produire leurs propres chiffres et statistiques. Il ressort des calculs et études des intimées que le nouveau tarif respecte les pourcentages maximaux de l’art. 60 al. 2 LDA. Une baisse des redevances ne se justifie pas, celles-ci se situant à un bas niveau par rapport à celles pratiquées à l’étranger. La comparaison avec l’étranger est en effet un critère reconnu par le Tribunal fédéral. L’autorité inférieure a également admis à juste titre que les obligations internationales de la Suisse s’opposaient à une nouvelle baisse du tarif (c. 5.3). C’est à bon droit que la CAF a approuvé le nouveau tarif et a prolongé l’ancien jusqu’à son entrée en vigueur, pour éviter un vide tarifaire (c. 5.4). La valeur litigieuse correspond à la différence entre le tarif approuvé par la CAF et celui voulu par les recourantes, pour la période de validité prévue. Une réduction pour tenir compte de la seule part concernant les recourantes ne se justifie pas, car le tarif ne vaut pas seulement pour les parties à la procédure (c. 6.2). [VS]