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05 mars 2014

HG AG, 5 mars 2014, HOR.2012.23 (d)

sic! 9/2014, p. 545-554, « Rollmate » ; conditions de la protection du design, novae, égouttoir mobile, principe de la rapidité de la procédure, principe de la bonne foi en procédure, qualité pour agir du preneur de licence, présomption de la nouveauté du design, présomption de l’originalité du design, présomption du droit de déposer un design, nullité d’un design, fardeau de la preuve, fait dirimant, représentation du design, étendue de la protection, originalité en droit des designs, nouveauté en droit des designs, impression générale, souvenir à court terme, caractère techniquement nécessaire, cercle des destinataires pertinents, degré d’attention accru, concurrence déloyale, concurrents, risque de confusion nié, numerus clausus des droits de propriété intellectuelle ; art. 8 CC, art. 1 LDes, art. 2 al. 1 LDes, art. 2 al. 3 LDes, art. 4 lit. a LDes, art. 4 lit. b LDes, art. 4 lit. c LDes, art. 8 LDes, art. 19 al. 1 lit. b LDes, art. 21 LDes, art. 35 al. 4 LDes, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 3 al. 1 lit. e LCD, art. 9 al. 1 LCD, art. 52 CPC, art. 124 al. 1 CPC, art. 229 al. 1 lit. a CPC, art. 229 al. 1 lit. b CPC, art. 229 al. 2 CPC.

Les faits et moyens de preuves nouveaux ne peuvent plus être invoqués que de manière limitée après un second échange d’écritures. Ne sont alors procéduralement plus admissibles que les novae proprement dit (art. 229 al. 1 lit. a CPC) ou les novae improprement dit qui, en dépit de la diligence requise, ne pouvaient être invoqués plus tôt (art. 229 al. 1 lit. bCPC). Ces novae doivent dans tous les cas être invoqués immédiatement après leur découverte. Les conserver « en réserve » pendant des semaines ou des mois jusqu’à l’audience principale viole les principes du respect des règles de la bonne foi en procédure (art. 52CPC), ainsi que de la conduite rapide de la procédure au sens de l’art. 124 al. 1 CPC (c. 2.2). Invoquer comme en l’espèce des novae ou de faux novae plus de trois semaines après leur découverte est notoirement tardif (c. 2.3.2). En vertu de l’art. 35 al. 4 LDes, celui qui est au bénéfice d’une licence exclusive dispose de la qualité pour agir, indépendamment de l’inscription de la licence au registre, pour autant que le contrat de licence ne l’exclue pas explicitement. L’art. 35 al. 4 LDes confère ainsi au preneur de licence exclusif un droit d’agir général et indépendant. L’autorisation d’agir peut ensuite être limitée, matériellement, temporellement ou territorialement, par la portée de la licence (c. 3.2.1). Le tribunal considère qu’une confirmation écrite qu’une licence d’exploitation et de commercialisation du design enregistré « Rollmatte » pour la Suisse a été accordée au preneur de licence par le bénéficiaire de l’enregistrement de ce design, sans aucune restriction quant à la matière, ni quant au temps, constitue la preuve indirecte tant de l’existence d’un contrat de licence exclusive valant sans limitation pour l’ensemble du territoire de la Suisse, que de la qualité pour agir du preneur de licence (c. 3.2.2). La présomption de validité d’un design enregistré déduite de l’art. 21 LDes concerne les exigences de nouveauté et d’originalité du design, ainsi que celle se rapportant à la qualité pour le déposer. Cette présomption ne porte par contrepas sur le caractère techniquement nécessaire ou non du design, et il n’y a pas de raison d’en étendre le champ d’application au-delà de la lettre même de l’art. 21 LDes. Il devrait par conséquent revenir au titulaire du droit au design d’établir que les caractéristiques du design enregistré ne découlent pas exclusivement de sa fonction technique, au sens de l’art. 4 lit. c LDes. Comme toutefois il résulte d’une interprétation systématique de la LDes que le motif d’exclusion à l’enregistrement des caractéristiques techniquement nécessaires a été conçu par le législateur comme une exception à la protection qui ne doit être retenue que lorsque le caractère imposé par la technique d’un produit est établi, il s’agit d’un fait dirimant dont la preuve incombe à celui qui se prévaut de la nullité du design considéré (cons. 5.2). L’art. 4 lit. a LDes trouve application lorsque les illustrations déposées ne permettent pas de discerner clairement quel est l’objet de la protection ou lorsque la représentation qui en est donnée n’est pas suffisamment concrète. L’art. 19 al. 1 lit. b LDes ne précise pas quel doit être le contenu de la représentation du design que doit comporter le dépôt, dont il dit seulement qu’elle doit se prêter à la reproduction. Ce sont toutefois les représentations déposées qui constituent la base de la protection et leur choix est donc de grande importance, en particulier pour la détermination de l’étendue de la protection au sens de l’art. 8 LDes, et pour l’examen des conditions matérielles de la protection selon l’art. 2 LDes. N’est ainsi en particulier protégé que ce qui peut être reproduit sur la base de l’ensemble des représentations déposées ; et le titulaire d’un design ne peut pas se prévaloir dans la détermination du champ de protection de caractéristiques qui ne sont pas exprimées par les représentations déposées. De petites différences entre les illustrations ne portent pas à conséquence concernant l’existence même de l’enregistrement, mais sont prises en compte dans la détermination de l’étendue de la protection qu’elles contribuent le cas échéant à limiter en défaveur du déposant, dans la mesure où il convient alors d’ignorer les différences dans la détermination du champ de protection (c. 6.1.2 et c. 6.1.3). L’examen de l’exigence d’originalité de l’art. 2 al. 3 LDes constitue un examen élargi ou relatif de l’exigence de nouveauté, rendant l’examen séparé de cette dernière obsolète. Si l’exception d’absence d’originalité s’avérait infondée, celle se rapportant à l’absence de nouveauté le serait du même coup, l’absence d’originalité d’un design impliquant également son absence de nouveauté (c. 6.2.1.2). La Cour considère que l’acquéreur potentiel du produit, comme le professionnel d’ailleurs, sera attentif non seulement aux barreaux parallèles métalliques présents dans les deux objets, mais aussi à la terminaison de leurs extrémités dont la construction très différente marquera plus la mémoire que la présence de baguettes métalliques, l’utilisation de métal pour les ustensiles de cuisine étant peu frappante. Pour la Cour, la terminaison des côtés du dessous-de-plat détermine l’impression d’ensemble et génère une impression très technique avec ses différents maillons qui évoquent une chaîne de vélo et ressortent de manière proéminente en semblant opérer une coupure des baguettes, alors que celles-ci paraissent se prolonger jusqu’à l’extrémité des bords de l’égouttoir déroulant dans lesquels elles demeurent visibles en filigrane. Les deux produits étant d’une structure et d’une constitution largement différentes, le premier dessous-de-plat invoqué comme constituant une antériorité ne ruine pas l’originalité de l’égouttoir déroulant. Le deuxième dessous-de-plat examiné n’y réussit pas non plus, d’une part parce qu’il ne peut pas être roulé sur lui-même, ensuite parce qu’il est dépourvu d’éléments de liaison entre ses barres à leurs extrémités et que du fait des éléments métalliques utilisés et de la manière dont ils sont agencés, il frappe par son design minimaliste dont l’impression d’ensemble est marquée par des barreaux reposant sur deux éléments de liaison métallique également en forme de grille ouverte (c. 6.2.2.3). Le terme de « technique » doit être compris au sens large et englobe tous les aspects fonctionnels liés à l’utilisation d’un produit. Cela comprend les dispositions de forme qui découlent de l’utilisation conforme à sa destination, de l’emploi ou du maniement d’un produit sans qu’une liberté créatrice demeure, ou lorsqu’il n’existe aucune alternative de conception raisonnable pour atteindre le même effet technique. L’art. 4 lit. c LDes ne concerne ainsi que les cas dans lesquels aucune alternative de forme ne permet d’atteindre l’effet technique ou fonctionnel recherché et pour lesquels il n’existe donc qu’une seule forme d’exécution raisonnable (c. 6.3.2). Un égouttoir mobile doit bien remplir certaines caractéristiques techniques pour permettre à la fois l’écoulement de l’eau et la « portabilité » du dispositif. On peut se demander si le fait que l’égouttoir puisse se dérouler doit être ajouté à ces deux premières caractéristiques techniques dans la mesure où il s’agit seulement d’un élément nécessaire à la mobilité du tout, et pas à la qualité de l’égouttement. Comme toutefois l’enroulement du dispositif n’est qu’une manière d’en assurer le caractère mobile et qu’il en existe beaucoup d’autres, l’enroulement de l’égouttoir sur lui-même n’est pas un critère autonome à prendre en compte comme moyen technique d’assurer la mobilité de l’égouttoir, dans l’examen du caractère techniquement nécessaire du design. Dans le cas particulier du design dont la validité est attaquée, ni les baguettes parallèles dans leur milieu, ni leur dispositif de fixation aux extrémités ne sont dans leur apparence concrète exclusivement conditionnés par leur fonction technique. Les baguettes pourraient avoir d’autres formes (carrée, rectangulaire, ovale) permettant aussi bien l’égouttement que leur forme sphérique ; la distance entre les baguettes pourrait être différente. Elles pourraient aussi être de longueur différente avec des alternances, etc., et finalement le dispositif de fixation entre les baguettes pourrait aussi être conçu de manière complètement différente. Il existe ainsi, dans le cas d’espèce, une certaine liberté de création et des alternatives de forme qui permettraient d’obtenir le même effet fonctionnel recherché de disposer d’un égouttoir mobile déroulant (c. 6.3.3). Le caractère techniquement nécessaire du design de l’égouttoir n’est donc pas retenu. Le preneur de licence exclusive participe à la concurrence dans la mesure où il bénéfice des droits exclusifs d’utilisation et a la qualité pour agir au sens de l’art. 9 al. 1 LCD (c. 8.2.1). Cette légitimation active découle aussi de ce que les marchés visés par les deux produits sont les mêmes du point de vue matériel, temporel et géographique (c. 8.2.2). Les dispositions de la LCD s’appliquent indépendamment de celles du droit des biens immatériels et la théorie selon laquelle un acte ne tombant pas sous le coup d’un droit de propriété intellectuelle ne saurait devenir illicite du fait de la LCD « Umwegthese » a été abandonnée. Les prétentions fondées sur le droit du design et celles découlant de la LCD sont ainsi indépendantes et peuvent être allouées indépendamment l’une de l’autre, pour autant que leurs conditions d’application respectives soient satisfaites (c. 8.3). La différence visuelle importante que les deux designs présentent du point de vue de leur impression d’ensemble exclut tout risque de confusion entre eux au sens de la LCD également. Le choix du consommateur, s’il est guidé par l’esthétique des deux produits, exclut lui aussi tout risque de confusion, d’autant qu’on peut attendre de ce public cible, soucieux de l’esthétique de sa cuisine, un degré d’attention accru (c. 8.4.3). L’apposition de la marque de la défenderesse de manière bien visible sur ses produits est aussi de nature à lever tout risque de confusion éventuel (c. 8.4.3). [NT]

Chaîne de vélo
Chaîne de vélo
Dessous-de-plat
Dessous-de-plat
Égouttoir mobile
Égouttoir mobile

20 décembre 2017

TAF, 20 décembre 2017, B-7169/2015 (f)

Vacherin Mont-d’Or, AOP/AOC, appellation d’origine protégée, cahier des charges, modification du cahier des charges, opposition, qualité pour faire opposition, conditionnement, couvercle de la boîte, aire géographique, qualité pour recourir, intérêt digne de protection ; art. 48 al. 1 lit. c PA, art. 1 al. 1 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 1 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 5 al. 1 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 6 al. 1 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 6 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 7 al. 1 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 7 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 8 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 9 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 10 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 10 al. 3 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 11 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 12 al. 1 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 12 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 13 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 14 Ordonnance sur les AOP et les IGP.

Le cahier des charges est l’élément central de la demande et il constitue pour ainsi dire le mode d’emploi pour l’élaboration d’un produit agricole déterminé. Il doit permettre aux producteurs de la région ou du lieu concernés, comme aussi aux organes de contrôle, de juger si un produit concret répond ou non aux conditions d’utilisation de l’appellation d’origine. L’art. 7 al. 1 de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP prévoit que le cahier des charges comprend le nom du produit comprenant l’appellation d’origine ou l’indication géographique (lit. a), la délimitation de l’aire géographique (lit. b), la description du produit, notamment ses matières premières et ses principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques et organoleptiques ; pour les produits sylvicoles et les produits sylvicoles transformés, il comprend la description de l’essence forestière et des caractères physiques ou d’autres caractéristiques intrinsèques (lit. c) ; la description de la méthode d’obtention du produit (lit. d) et la désignation d’un ou de plusieurs organismes de certification, ainsi que les exigences minimales relatives au contrôle (lit. e). Selon l’art. 7 al. 2 de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP, le cahier des charges peut également comprendre les éléments spécifiques de l’étiquetage (lit. a), la description de la forme distinctive du produit si elle existe (lit. b), et les éléments relatifs au conditionnement, lorsque le groupement demandeur peut justifier que le conditionnement doit avoir lieu dans l’aire géographique délimitée afin de sauvegarder la qualité du produit et d’assurer la traçabilité ou le contrôle (lit. c) (c. 4.2.1). La jurisprudence rendue en application de l’art. 48 al. 1 PA considère comme intérêt digne de protection (art. 48 al. 1 lit. c PA) tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l’annulation de la décision attaquée que peut avoir une personne atteinte par cette dernière. L’intérêt digne de protection consiste ainsi en l’utilité pratique que l’admission du recours apporterait au recourant en lui procurant un avantage de nature économique, matérielle, idéale ou autre, ou en lui évitant de subir un préjudice que la décision attaquée lui occasionnerait. Il implique que le recourant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que l’ensemble des administrés. L’intérêt invoqué – qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé mais qui peut être un intérêt de fait – doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération au regard du droit fédéral déterminant. Un intérêt digne de protection virtuel est une construction étrangère à l’art. 48 al. 1 PA et est dès lors insuffisant pour conférer la qualité pour recourir (c. 7.2.2.1). Le Tribunal fédéral considère que le cahier des charges est une réglementation générale et abstraite devant être concrétisée par des décisions individuelles dans des cas d’espèce (voir jurisprudence citée). Il estime par conséquent qu’il est possible, comme c’est le cas pour une ordonnance (cantonale) de vérifier, à titre préjudiciel et indépendamment du résultat de la procédure d’opposition, la conformité du cahier des charges à la loi ou à la constitution (ATF 134 II 272 c. 3.2 in fine « Gruyère [AOP] »). Selon une jurisprudence constante, la qualité pour recourir contre un acte normatif cantonal appartient à toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse se voir un jour appliquer les dispositions contestées (ATF 136 I 17 c. 2.1, ATF 135 II 243 c. 1.2). Le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si un intérêt virtuel pouvait suffire dans le cadre d’une opposition contre l’enregistrement d’une AOP ou d’une IGP (c. 7.2.3, voir jurisprudence citée). Le recourant a qualité pour recourir devant le TAF contre une décision d’irrecevabilité pour défaut de qualité pour agir rendue par l’autorité inférieure. Peu importe que la décision d’irrecevabilité ait été rendue à juste titre ou à tort par l’autorité inférieure. Le recourant n’est pas tenu d’apporter de preuve supplémentaire d’un intérêt digne de protection à l’annulation de la décision d’irrecevabilité (c. 8.2). Du point de vue de la qualité pour recourir en lien avec la demande d’annulation de la rectification du cahier des charges, il n’est pas contesté que la boîte et la sangle font partie des caractéristiques organoleptiques du « Vacherin Mont-d’Or ». Il n’est pas non plus contesté que, du fait qu’elle est productrice de boîtes de « Vacherin Mont-d’Or », la recourante est concernée par la réglementation de l’AOP. Un tel intérêt reste toutefois trop général pour demander l’annulation de la rectification de l’art. 22 al. 1 du cahier des charges [commercialisation du « Vacherin Mont-d’Or » dans des boîtes ou des demi-boîtes avec un couvercle d’au maximum 6 mm d’épaisseur contre 5 mm précédemment]. La recourante n’explique en effet pas en quoi l’admission de son recours lui procurerait un avantage de nature économique, matérielle, idéale ou autre, ou lui éviterait de subir un préjudice (c. 9.2.2, voir jurisprudence citée). En lien avec l’art. 22 du cahier des charges, la recourante se limite pour l’essentiel à faire valoir les intérêts des consommateurs de « Vacherin Mont-d’Or » dont elle considère qu’ils sont trompés par l’augmentation potentielle du poids de la boîte [et la diminution proportionnelle de la part de fromage achetée]. Du moment qu’il ne ressort pas de son but social qu’elle puisse être considérée comme une consommatrice de « Vacherin Mont-d’Or », la recourante n’établit pas que l’admission de son recours lui procurerait un avantage de nature économique, matérielle, idéale ou autre, ou lui éviterait de subir un préjudice. Elle agit en réalité dans l’intérêt de la loi ou d’un tiers [les consommateurs auxquels il sera vendu plus de bois et moins de fromage pour un même poids], ce qu’elle confirme notamment en soutenant que l’autorité vise à codifier une pratique qui viole les règles découlant du cahier des charges (c. 9.3.2.1). Lorsqu’elle soutient que l’augmentation du poids de la boîte porte particulièrement atteinte à la réputation de l’AOP, la recourante ne défend d’ailleurs pas non plus ses propres intérêts, en tout cas pas d’une manière directe (c. 9.3.2.2). Enfin, si elle indique que la modification de l’épaisseur du couvercle ne répond à aucun intérêt pratique, la recourante ne soutient pas qu’elle en subit un inconvénient (c. 9.3.2.3). Force est dès lors de constater que, tant en lien avec la rectification de l’art. 22 al. 1 du cahier des charges que, de manière plus générale, en lien avec la version modifiée de l’art. 22 du cahier des charges, la recourante n’établit pas que le maintien de l’épaisseur du couvercle de la boîte à 5 mm lui procurerait un avantage ou lui éviterait de subir un préjudice (c. 9.3.3). Dans la mesure donc où elle conclut à l’annulation de la rectification de l’art. 22 al. 1 du cahier des charges, la recourante n’a pas qualité pour recourir contre la décision attaquée (c. 9.4). Par contre, la qualité pour recourir (art. 48 al. 1 PA) doit être reconnue à la recourante dans la mesure où cette dernière conclut à l’annulation de la partie de la décision attaquée par laquelle l’autorité inférieure déclare irrecevable l’opposition déposée en ce qui concerne les art. 2, 5 et 22 du cahier des charges, y compris la répartition des frais et des dépens y relative (c. 10). En l’espèce, la recourante se limite à critiquer le fait que l’aire géographique comprend des territoires situés en France. Elle ne conteste en revanche pas les explications de l’autorité inférieure selon lesquelles la modification de l’art. 2 du cahier des charges n’a aucune incidence sur l’aire géographique [mais ne constitue qu’une modification formelle qui a pour but de tenir compte du remaniement des districts et des fusions des communes]. Elle n’indique par ailleurs pas en quoi elle aurait un intérêt digne de protection (même virtuel) à l’annulation de cette modification purement formelle (c. 13.3.1.1). Elle ne précise en outre nullement en quoi la distorsion de la concurrence qu’elle allègue serait due à la simple modification formelle de l’art. 2 du cahier des charges, qui a pour but de tenir compte du remaniement des districts et des fusions de communes (c. 13.3.1.2). La recourante n’a ainsi pas qualité pour faire opposition contre la modification de l’art. 2 du cahier des charges. D’ailleurs, vu l’art. 14 al. 2 lit. c de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP, les modifications du cahier des charges qui touchent la description de l’aire géographique font l’objet d’une procédure simplifiée si elles résultent du fait que les entités géographiques sont renommées, notamment en cas de fusion de communes. Or, en procédure simplifiée, il est en particulier renoncé à la publication la décision prévue à l’art. 9 de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP et la procédure d’opposition prévue aux art. 10 et 11 de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP ne s’applique pas (art. 14 al. 3 de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP) (c. 13.3.1.3). En se limitant à critiquer le fait que l’aire géographique définie à l’art. 2 du cahier des charges comprend des territoires situés en France, la recourante ne s’en prend en réalité pas à la version modifiée de l’art. 2 du cahier des charges, mais bien à la version actuelle de cette disposition. Or, l’aire géographique, telle qu’elle ressort de la version actuelle de l’art. 2 du cahier des charges, a fait l’objet d’une décision rendue antérieurement par l’autorité inférieure. Cette décision antérieure est entrée en force, de sorte que l’aire géographique qui y est définie ne peut plus être attaquée dans le cadre d’une procédure de modification du cahier des charges qui ne la modifie pas. Peu importe en particulier que la recourante ait ou non fait opposition contre cette décision antérieure (c. 13.3.2.2). Par ailleurs, même s’il devait être considéré que, par son opposition, la recourante formule une demande en constatation de la nullité de l’art. 2 du cahier des charges, il convient d’admettre que l’autorité inférieure n’a pas à entrer en matière. La recourante ne prouve en effet pas qu’elle a un intérêt digne  de protection à ce que l’aire géographique de l’AOP « Vacherin Mont-d’Or » définie par l’art. 2 du cahier des charges ne comprenne pas des pâturages franco-suisses. Une vérification de la conformité à la loi et à la Constitution du cahier des charges demeure en revanche possible, à titre préjudiciel, dans le cadre d’une éventuelle demande de certification (c. 13.3.2.3, voir jurisprudence citée). Le déplacement à l’art. 22 du cahier des charges des caractéristiques de la boîte prévues à l’art. 5 in fine du cahier des charges n’entraîne aucune modification matérielle (c. 15.1.1). Sur ce point, la recourante ne saurait être suivie lorsqu’elle affirme que les caractéristiques organoleptiques de la boîte sont requalifiées et reléguées au rang de simples exigences de conditionnement. Dans la nouvelle teneur de l’art. 5 du cahier des charges, la boîte et la sangle en épicéa demeurent des caractéristiques organoleptiques du « Vacherin Mont-d’Or ». N’y change rien le fait que la version modifiée de l’art. 5 du cahier des charges ne répète pas que la boîte est en épicéa. Peu importe d’ailleurs que la version modifiée de l’art. 5 du cahier des charges ne donne pas les dimensions détaillées de cette boîte et ne précise pas que le bois est issu de l’aire géographique. De telles caractéristiques ne jouent en effet pas de rôle sur le plan organoleptique (c. 15.2.1.1). En outre, les indications présentes dans le paragraphe consacré à la « Boîte » dans la version actuelle de l’art. 5 du cahier des charges (en particulier le fait que le bois servant à la fabrication de la boîte est issu de l’aire géographique) sont intégralement reprises dans la version modifiée de l’art. 22 al. 1 du cahier des charges (c. 15.2.1.2). La modification des art. 5 et 22 du cahier des charges ne saurait dès lors faire l’objet d’une opposition. Elle n’entraîne en effet (sous réserve de la modification des dimensions de la boîte) aucun changement matériel par rapport à la version actuelle des art. 5 et 22 du cahier des charges (c. 15.2.1.3). Contrairement aux autres modifications du cahier des charges examinées plus haut, la modification des dimensions de la boîte introduites par le nouvel art. 22 du cahier des charges entraîne un changement matériel de la réglementation. Il n’en demeure pas moins que la recourante doit avoir un intérêt digne de protection à l’annulation de cette modification matérielle (c. 16.1). Par ses écritures, la recourante n’établit pas que le maintien de la hauteur du couvercle de la boîte à 5 mm lui procurerait un avantage ou lui éviterait de subir un préjudice. Elle ne peut par conséquent pas se prévaloir d’un intérêt digne de protection (même virtuel) à l’annulation de la modification de l’art. 22 du cahier des charges. Dans ces conditions, il convient de retenir que la recourante n’a pas qualité pour faire opposition contre la modification de l’art. 22 du cahier des charges (c. 16.2). Le recours est rejeté. [NT]

Ordonnance sur les AOP et les IGP (RS 910.12)

- Art. 13

- Art. 12

-- al. 2

-- al. 1

- Art. 11

- Art. 5

-- al. 1

- Art. 1

-- al. 1

-- al. 2

- Art. 10

-- al. 3

-- al. 2

- Art. 14

- Art. 7

-- al. 2

-- al. 1

- Art. 9

-- al. 2

- Art. 8

- Art. 6

-- al. 2

-- al. 1

PA (RS 172.021)

- Art. 48

-- al. 1 lit. c

26 avril 2017

TAF, 26 avril 2017, B-5594/2015 (d)

sic ! 11/2017, p. 649-652, « Visartis » ; procédure d'opposition, rectification du registre des marques, rectification d'office, rectification à la demande du titulaire, défaut formel, procuration, erreur imputable à l'IPI, légitimation, qualité de partie, intérêt particulier, recours en matière civile, produit cosmétique, produit de beauté ; art. 6 PA, art. 48 PA, art. 71 PA, art. 72 al. 2 lit. b ch. 2 LTF, art. 73 LTF, art. 32 al. 1 OPM, 32 al. 2 OPM.


D’une précédente procédure d’opposition à l’enregistrement d’une marque s’étant déroulée entre 2001 et 2003, il résulte que la marque « VISARTIS » n° 488 467, est enregistrée en classe 3 pour des « produits pour les soins corporels et de beauté », ainsi que pour des « motifs ornementaux cosmétiques », alors que les parties à la procédure de l’époque s’étaient entendues pour limiter cet enregistrement aux seuls « motifs ornementaux cosmétiques » (État de fait A.). Fin 2013, la demanderesse, qui n’était pas partie à la procédure de 2001-2003, a présenté à l’enregistrement la marque « VISARTIS » n° 651 630 pour différents produits et services en classes 5, 10 et 44. Le titulaire de l’enregistrement antérieur « VISARTIS » n° 488 467 en classe 3 a formé opposition à l’enregistrement de ce signe et obtenu partiellement gain de cause. Il a fait recours de cette décision auprès du TAF (procédure B-6154/2014). Parallèlement à cette procédure pendante devant le TAF, la demanderesse a demandé à l’autorité précédente de procéder à une rectification du registre des marques concernant la marque antérieure « VISARTIS » n° 488 467, dans le sens d’une limitation aux seuls « motifs ornementaux cosmétiques » en classe 3, sur la base des événements entourant la procédure de 2001 à 2003. L’IPI a invité la défenderesse à prendre position sur cette rectification, tout en attirant son attention sur le fait qu’elle pouvait intervenir d’office, car elle résultait d’une erreur de l’IPI (art. 32 al. 2 OPM) (État de fait B.). L’autorité précédente n’a finalement pas procédé d’office à la rectification du registre des marques, car, en 2003, la notification de la limitation de la liste de produits qui lui a été transmise souffrait d’un défaut formel : le représentant disposait d’une procuration pour la procédure d’opposition, mais pas pour la modification de l’enregistrement. Dès lors, l’autorité précédente considère que c’est à juste titre qu’elle n’a pas procédé à la modification à l’époque. Le registre des marques ne présente donc pas d’erreur imputable à l’IPI au sens de l’article 32 al. 2 OPM, et l’IPI n’est ainsi pas habilité à modifier cet enregistrement d’office. La défenderesse s’étant prononcée contre la rectification de l’enregistrement, la rectification n’est pas possible non plus sous l’angle de l’article 32 al. 1 OPM (État de fait C.). C’est cette décision de l’autorité précédente qui fait l’objet de la présente procédure de recours. La demanderesse souhaite obtenir la modification de la décision de l’autorité précédente et, par ce biais, la rectification de la liste des produits de la marque opposante « VISARTIS » n° 488 467 (État de fait D.). En ce qui concerne la rectification du registre sur la base de l’article 32 OPM, l’alinéa 1 ouvre cette possibilité exclusivement au titulaire de l’enregistrement et l’alinéa 2 permet à des tiers d’interpeller l’IPI, mais ne confère pas le statut de partie à ces tiers. Sur la base de l’article 32 OPM, la demanderesse ne jouit donc d’aucune qualité de partie au sens de l’article 71 PA (c. 3.1). Il reste à examiner si la qualité de partie pourrait découler des règles générales des articles 6 et 48 PA lus conjointement, dans le cas particulier des tiers qui dénoncent une situation à une autorité de surveillance et qui disposent d’un intérêt particulier (c. 3.2 3.2.1). La demanderesse prétend avoir un intérêt particulier à la rectification du registre en raison de la procédure d’opposition pendante au TAF (procédure B-6154/2014) (c. 3.2.2). Or la question centrale de la présente procédure n’est pas la conséquence de la rectification du registre, mais de déterminer s’il y a ou non un motif qui aurait dû conduire, en 2003 ou aujourd’hui, à cette rectification. La demanderesse n’a pas d’intérêt particulier à cette rectification (c. 3.2.2). Compte tenu de ce qui précède, la demanderesse ne jouit pas de la qualité de partie au sens des articles 6 et 48 PA lus conjointement (c. 3.2.3). La demanderesse ne jouissait d’aucune légitimation lors de la procédure devant l’autorité précédente, qui n’aurait pas dû entrer en matière. La décision de l’autorité précédente est donc annulée (c. 3.3). Le recours au Tribunal fédéral en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque est exclu (art. 73 LTF), alors que le recours en matière civile est ouvert pour les décisions relatives à la tenue du registre des marques (art. 72 al. 2 lit. b ch. 2 LTF). Bien que la cause soit étroitement liée à une procédure d’opposition en matière d’enregistrement de marque, il convient, en l’espèce, d’accorder une voie de recours en matière civile au Tribunal fédéral (c. 6). [AC]

16 août 2017

HG BE, 16 août 2017, HG 15 100 (d)

« Blocage de sites internet illicites » ; action en cessation, blocage de sites internet, fournisseur d’accès, intérêt digne de protection, novae, droit d’auteur, précision des conclusions, qualité pour agir, qualité pour défendre, usage privé, piraterie ; art. 28 CC, art. 50 CO, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 59 al. 2 lit. a CPC, art. 229 CPC.

La demanderesse conclut à ce qu’il soit ordonné à la défenderesse, un fournisseur d’accès à Internet, de prendre  des mesures techniques appropriées empêchant ses clients d’accéder à divers sites, lesquels fournissent des liens vers d’autres sites qui mettent à disposition des films de manière illicite (c. 1 à 13). Elle a un intérêt digne de protection à la demande, au sens de l’art. 59 al. 2 lit. a CPC, même si les mesures de blocage pourraient être contournées et même si les films litigieux resteraient disponibles sur d’autres sites (c. 17.3). Il est douteux que les conclusions soient suffisamment précises, car la demanderesse mentionne trois mesures de blocage sans expliquer laquelle lui donnerait satisfaction. De plus, si les conclusions étaient reprises telles quelles dans le dispositif, la défenderesse ne saurait pas comment s’exécuter (c. 18.5). Des novas – aussi bien proprement dits qu’improprement dits – ne sont plus admissibles après la clôture des débats principaux, lorsque le jugement est en délibération (c. 22.3.4). Le droit suisse est applicable en l’espèce, puisque la demanderesse et la défenderesse ont leurs sièges et leurs activités en Suisse, cela même si les sites internet litigieux sont étrangers (c. 23). La demanderesse dispose de la légitimation active, car il y a suffisamment d’éléments pour admettre qu’elle est licenciée exclusive au sens de l’art 62 al. 3 LDA (c. 25.7.7). Lorsque l’auteur principal d’une violation du droit d’auteur agit grâce aux services d’un tiers, il se pose la question de la participation de ce dernier à l’acte illicite et de sa légitimation passive (c. 26.2). Cette question se résout d’après l’art. 50 al. 1 CO, et non d’après l’art. 28 CC. En effet, les droits d’utilisation selon la LDA ont essentiellement une nature patrimoniale, tandis que le droit de la personnalité a une signification psychologique et spirituelle. Les deux domaines ne sont donc pas comparables. De surcroît, une application de l’art. 50 al. 1 CO n’empêche pas une approche unitaire de la légitimation passive dans tous les domaines de la propriété intellectuelle (c. 26.3.4). Pour qu’il y ait une participation au sens de l’art. 50 al. 1 CO, il doit y avoir une violation du droit d’auteur par un tiers et une contribution juridiquement pertinente de la part du participant. De plus, la doctrine exige parfois la réalisation de certains éléments subjectifs concernant la conscience de participer à un acte illicite avec un tiers (c. 28). D’après le Conseil fédéral, les « déclarations communes » concernant le WCT excluent seulement que la fourniture d'installations techniques constitue un acte principal de communication au public au sens de l’art. 8 WCT ; elles n’empêchent pas la responsabilité en tant que participant secondaire (c. 29.1 et c. 29.2). Les conclusions de la demanderesse sont orientées vers le comportement des clients de la défenderesse, à savoir des internautes. Elles ne visent pas directement les personnes qui mettent les films à disposition sur Internet (c. 32.1.1). Or, les actes des internautes sont couverts par l’exception d’usage privé au sens de l’art. 19 al. 1 lit. a LDA et ne sont pas illicites. La première condition à laquelle la défenderesse pourrait se voir reprocher une participation au sens de l’art. 50 al. 1 CO n’est donc pas réalisée (c. 32.1.2 et c. 32.1.3). Au surplus, la défenderesse fournit un accès (automatique) à Internet. Elle intervient « en fin de chaîne » dans le processus de communication des œuvres et n’est pas très proche des actes illicites d’origine (c. 32.2.2). Sa prestation n’est pas apte à favoriser les infractions d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie. Elle n’est donc pas dans un rapport de causalité adéquate avec les actes illicites et n’apporte aucune contribution juridiquement pertinente à ceux-ci (c. 32.2.3). La défenderesse n’est ainsi pas légitimée passivement, si bien que la question de savoir si des éléments subjectifs sont nécessaires peut être laissée ouverte (c. 32.4). Même si la défenderesse disposait de la légitimation passive, les mesures de blocage demandées devraient satisfaire au principe de la proportionnalité, ce qui signifie qu’elles devraient être appropriées pour atteindre le but visé, qu’elles ne devraient pas aller au-delà de ce qui est nécessaire et qu’elles devraient être raisonnables compte tenu du rapport entre la fin et les moyens (c. 34). La première condition serait remplie, même si une partie des utilisateurs pouvaient contourner les mesures de blocage et même si les films continuaient à être disponibles sur d’autres sites internet (c. 34.1.3). En revanche, il serait douteux que la deuxième condition soit réalisée, car la demanderesse a investi de grands moyens pour agir contre la défenderesse, alors qu’elle s’est contentée de mesures limitées à l’encontre des auteurs principaux des violations (c. 34.2.3). La réalisation de la troisième condition serait également discutable car les blocages concerneraient aussi des films non visés par la demande, car l’accès à du contenu licite pourrait être bloqué collatéralement (« overblocking ») et car ces blocages pourraient avoir des effets techniques indésirables (c. 34.3.1). Le caractère raisonnable des mesures demandées serait douteux, car il faudrait au moins veiller à réduire au minimum le risque d’atteindre des tiers non concernés par le litige (c. 34.3.5). Enfin, le projet de révision de la LDA du 22 novembre 2017 prévoit divers nouveaux moyens de lutte contre le piratage, mais il a renoncé à instaurer des mesures de blocage à charge des fournisseurs d’accès (c. 36). La demande doit donc être rejetée. [VS]

07 mai 2018

TAF, 7 mai 2018, B-5220/2014 (d)

« ProLitteris » ; gestion économique, société de gestion, qualité pour recourir, intérêt digne de protection, action en constatation, droit d’être entendu,  réparation de la violation du droit d’être entendu, principe de la proportionnalité, surveillance des sociétés de gestion par l’IPI ; art. 29 al. 2 Cst, art. 25 al. 2 PA, art. 48 al. 1 lit. c PA, art. 45 LDA, art. 50 LDA, art. 54 LDA.

ProLitteris demande l’annulation d’une décision de l’IPI lui enjoignant de réclamer à trois anciens directeurs le remboursement des parts de l’employé sur des versements complémentaires effectués à des fins de prévoyance professionnelle. La société de gestion a un intérêt digne de protection à recourir, car elle sauvegarde son autonomie privée ; en revanche, il n’existe pas un tel intérêt au niveau pécuniaire, puisque l’exécution de la décision attaquée placerait la recourante dans une meilleure situation financière que son annulation (c. 1.2). Des conclusions en constatation de la licéité des versements litigieux ne sont pas recevables, vu que l’intérêt digne de protection de la recourante est déjà sauvegardé par les conclusions en annulation (c. 1.3). Une lettre précédente de l’IPI, par laquelle il avait considéré comme licites les paiements disputés, doit aussi être qualifiée de décision (c. 2.4.1). Cette dernière, de même que l’approbation du rapport annuel 2012 par l’IPI, se basaient toutefois sur des informations incomplètes (c. 2.4.3). Au surplus, elle n’est pas la cause des versements. La recourante ne peut donc pas invoquer la protection de sa bonne foi (c. 2.4.4). Elle ne prouve pas que le remboursement ordonné serait impossible à exécuter (c. 2.4.5). Une pesée des intérêts ne joue pas non plus en sa faveur : elle est certes une société privée, mais elle accomplit des tâches d’intérêt public, ce qui explique le contrôle de la Confédération. D’après l’art. 45 al. 1 et 3 LDA, elle doit administrer ses affaires selon les règles d’une gestion saine et économique et ne doit pas viser de but lucratif, ce qui optimise la rémunération des ayants droit. L’intérêt de ceux-ci a une importance particulière et l’emporte sur celui de la recourante ou de ses trois anciens directeurs (c. 2.4.7). La recourante a eu suffisamment l’occasion de s’exprimer sur les circonstances de l’affaire, mais elle n’a pas été transparente. Le rapport du Contrôle fédéral des finances, sur lequel se base la décision attaquée, ne repose pas sur des éléments inconnus de la recourante. Par conséquent, l’IPI n’était pas obligé de lui donner une nouvelle fois l’occasion de prendre position sur l’appréciation juridique des faits. Mais même s’il y avait eu une violation du droit d’être entendu, celle-ci aurait été réparée dans le cadre de la procédure de recours (c. 3.3.1). Un délai convenable pour régulariser la situation illicite a été imparti à la recourante, conformément à l’art. 54 al. 1 LDA. Elle n’avait pas droit à un avertissement préalable informel, vu que l’IPI était déjà intervenu à plusieurs reprises, vu qu’elle était tenue de renseigner l’autorité de surveillance d’après l’art. 50 LDA et vu qu’un tel avertissement informel n’est pas prévu par la loi. Sur la base des informations limitées données par la recourante, l’IPI pouvait considérer qu’un avertissement informel ne suffirait pas pour rétablir la légalité. Les mesures prises respectent donc le principe de la proportionnalité (c. 3.3.2). La décision attaquée a été suffisamment motivée (c. 3.3.3). Quant au fond, l’ubiquité des œuvres, le nombre d’utilisateurs et d’utilisations, de même que le progrès technique contraignent les auteurs à recourir à une société de gestion collective. Celle-ci agit comme intermédiaire entre les ayants droit et les utilisateurs, sur la base de tarifs négociés approuvés par la CAF (c. 4.2.1). La société répartit les redevances perçues en se fondant sur un règlement approuvé par l’IPI, selon les prescriptions de l’art. 49 LDA (c. 4.2.2). Les règles de l’art. 45 LDA protègent les ayants droit et les utilisateurs. Les sociétés de gestion agissent à titre fiduciaire et, pour cette raison, elles sont tenues d’administrer leurs affaires selon les règles d’une gestion saine et économique, ce qui implique de renoncer à tout arbitraire, de procéder selon des règles fixes et de minimiser les frais de gestion. L’obligation d’agir selon des règles déterminées et selon le principe d’égalité de traitement a pour corollaire d’exercer les tâches de manière transparente et prévisible. De là découle le devoir d’établir des règles de répartition et des tarifs. Si les sociétés de gestion ont l’interdiction de viser un but lucratif, c’est parce qu’elles sont au service des ayants droit originaires et qu’elles doivent leur reverser tout l’argent perçu, après couverture des frais. Enfin, l’obligation de conclure des contrats de représentation réciproque selon l’art. 45 al. 4 LDA a pour but d’offrir aux ayant droit suisses une gestion simple de leurs droits à l’étranger (c. 4.2.3). Le contrôle de la Confédération sur les sociétés de gestion concerne d’une part les tarifs, d’autre part la conduite des affaires. Le premier est exercé par la CAF et porte sur les rapports externes de la société avec les utilisateurs, le second est du ressort de l’IPI et concerne avant tout les relations internes de la société avec ses membres (c. 4.2.5). La surveillance de la CAF s’étend à l’équité du tarif, mais l’autorité reconnaît une certaine liberté de disposition et une certaine autonomie aux sociétés de gestion. En revanche, le contrôle de l’IPI est limité à la légalité (c. 4.2.6). L’abus, l’excès ou le non-exercice du pouvoir d’appréciation relèvent du contrôle de la légalité (c. 4.2.7). Avec la révision totale de la LDA en 1989, la surveillance de l’Etat sur les sociétés de gestion a été renforcée (c. 4.3.1). Elle doit assurer la protection des ayants droit et des utilisateurs et une gestion des droits efficiente ; mais au surplus, l’autonomie privée des sociétés doit être préservée (c. 4.3.2). L’ampleur des coûts totaux de gestion ne dit encore rien sur le respect de l’obligation d’agir économiquement selon l’art. 45 al. 1 LDA. C’est la finalité des moyens investis qui doit être conforme aux normes légales. Si ce n'est pas le cas, la gestion ne saurait être économique au sens de l’art. 45 al. 1 LDA. En l’espèce, les versements litigieux aux anciens directeurs ne peuvent être justifiés par une clause statutaire tolérant des frais administratifs allant jusqu’à un quart des recettes perçues. En effet, il est douteux que l’IPI ait approuvé cette clause, qui ne figure pas dans le règlement de répartition. La question peut toutefois rester ouverte : lesdits versements ont été effectués dans le seul intérêt des trois anciens directeurs, ce qui n’est pas conforme au but des normes réglant la gestion collective et n’est donc pas économique (c. 4.3.3). Le fait que la recourante soit une coopérative n’y change rien : son autonomie privée n’existe que dans le cadre des dispositions légales. Même s’il était usuel, dans l’économie privée, que l’employeur prenne à sa charge les parts de cotisations sociales dues par ses cadres, cela ne serait pas compatible avec la situation particulière de la recourante et les tâches publiques qu’elle accomplit (c. 4.3.4). Le respect de la gestion saine et économique est d’autant plus important que la recourante est en position de monopole, ce qui empêche les ayants droit de mandater une autre entité (c. 4.3.5). Les anciens directeurs sont eux-mêmes responsables de la couverture de prévoyance professionnelle insuffisante qu’ils ont tolérée pendant 20 ans. Par les versements complémentaires subséquents, ils sont mieux traités que si la couverture avait été adéquate dès le départ. La recourante ne prouve pas les raisons qui auraient justifié une prise en charge par l’employeur des parts de cotisations dues par l’employé. L’IPI devait intervenir d’office vu que la gestion n’a pas été saine et économique (c. 4.3.6). Les mécanismes de contrôle interne de la recourante n’étaient pas suffisants, car le Conseil d’administration avait lui-même décidé des versements litigieux. De plus, l’Assemblée générale n’a pas été informée de manière transparente et l’organe de contrôle n’avait pas à vérifier ces versements. Enfin, le cercle des ayants droit protégés par l’art. 45 LDA est plus large que celui des seuls membres de la recourante (c. 4.3.7). Il y a en l’espèce une faute qualifiée dans l’exercice du pouvoir d’appréciation, qui devait être sanctionnée par l’IPI dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes de gestion (c. 4.3.9). [VS]

Tarif commun 5 » ; tarifs des sociétés de gestion, association, qualité pour participer aux négociations tarifaires, devoir de collaboration accru des parties en procédure tarifaire; art. 46 al. 2 LDA.

En procédure tarifaire, malgré le fait que la CAF établisse les faits d’office, les parties ont un devoir de collaboration accru, qui concerne aussi la question de leur qualité de partie (c. 4). D’après la doctrine, une association est représentative au sens de l’art. 46 al. 2 LDA si elle a comme membres un nombre significatif d’utilisateurs. Les associations affiliées à une association faîtière n’ont pas le droit de participer aux négociations tarifaires, sauf si l’association faîtière y renonce. D’après le TF, est représentative une association qui rassemble au moins 20 à 25% des utilisateurs concernés par le tarif. Le TF estime aussi que, d’après le principe de la bonne foi, une association a le droit de participer à la procédure d’approbation si sa participation n’a pas été contestée durant les négociations tarifaires et devant la CAF. Il a en outre jugé qu’une représentation de neuf membres ne suffisait pas pour que l’association soit représentative. Enfin, les statuts de l’association doivent prévoir la représentation de ses membres en procédure tarifaire. De son côté, la CAF a estimé qu’une organisation représentant à peine 10% des utilisateurs dans une région linguistique n’avait pas la qualité de partie. Mais si les sociétés de gestion négocient avec elle faute d’autres associations, elle est alors admise en procédure devant la CAF. Les associations doivent démontrer combien de leurs membres sont actifs dans le domaine du tarif ou combien le deviendront prochainement. La CAF considère que, pour être représentative, une association doit rassembler au moins un tiers des utilisateurs dans une région linguistique. En revanche, elle a laissé ouverte la question de savoir si une représentation de 12 à 13% des usagers suffisait déjà. Une association faîtière doit être mandatée par au moins une association représentative pour participer à la procédure. Mais une participation conjointe des deux associations est alors exclue, même si cela a déjà été admis occasionnellement (c. 5). En l’espèce, l’association faîtière et l’une de ses associations membres participent à la procédure, mais d’autres associations de bibliothèques sont aussi représentées par l’association faîtière. Il n’est pas nécessaire à ce stade de déterminer si ces bibliothèques procèdent uniquement à du prêt ou aussi à de la location au sens du tarif, puisque la distinction entre ces deux notions forme justement une importante question matérielle litigieuse en l’espèce. Sans compter les membres de l’association qui participe directement à la procédure, l’association faîtière représente, d’après les chiffres qu’elle a fournis, 34.225% des bibliothèques concernées par le tarif. Même si ces chiffres comportent certaines incertitudes et ne sont pas à l’abri d’objections méthodologiques, la CAF n’en a pas d’autres à disposition et l’association faîtière a satisfait à son devoir de collaboration. Un chiffre de 34.225% plaide d’ailleurs clairement pour sa qualité de partie. De plus, ses statuts l’autorisent à participer à la procédure tarifaire et elle bénéficie de mandats écrits de deux associations sur trois, lesquelles, ensemble, sont représentatives au sens de la jurisprudence (c. 6). Les sociétés de gestion n’avaient d’ailleurs pas contesté la qualité de partie de l’association faîtière dans d’autres procédures concernant le même tarif, et il ne semble pas que les circonstances aient changé depuis lors (c. 7). Cette qualité doit donc être reconnue aussi en l’espèce (c. 8). [VS]

12 septembre 2019

TAF, 12 septembre 2018, B-1714/2018 (d)

« Tarif commun 12 » ; tarifs des sociétés de gestion, gestion collective, approbation des tarifs, décision incidente, qualité de partie, action populaire, qualité pour recourir, intérêt pour agir, télévision de rattrapage, catch-up-TV ; art. 6 PA, art. 48 PA ; art. 42 al. 1 lit. d LDA.

En ce qui concerne leur qualité de parties en première instance, les recourantes peuvent attaquer la décision incidente qui la leur a niée (c. 1.2). Leur qualité pour recourir contre la décision d’approbation du tarif est étroitement liée à la question précédente (c. 1.3). Les conditions d’être spécialement atteintes par la décision attaquée, d’après l’art. 48 al. 1 lit. b PA, respectivement d’avoir un intérêt digne de protection selon l’art. 48 al. 1 lit. c PA, ne jouent pas de rôle pour les personnes qui sont destinataires matérielles (primaires) de la décision. Il en va différemment pour les tiers. Pour eux, les deux conditions doivent être réalisées cumulativement, selon un examen propre à chaque domaine juridique. Il convient d’éviter l’action populaire et de délimiter clairement le recours et la dénonciation à l’autorité de surveillance sans qualité de partie. Ont une importance, d’une part le fait pour les intéressés de pouvoir obtenir satisfaction par une autre voie, d’autre part le souci de ne pas compliquer excessivement l’activité administrative (c. 2.3). En ce qui concerne les tarifs de droit d’auteur, les critères ont été définis par l’ATF 135 II 172. En résumé, les tiers n’ont normalement pas de droit de recours, sauf s’ils se distinguent du gros des ayants droit et ont un intérêt divergent propre (c. 2.4). La partie recourante doit prouver sa qualité pour recourir, laquelle est examinée d’office (c. 2.5). En l’espèce, les recourantes ont cherché à participer à la procédure de première instance, mais la qualité de partie leur a été refusée par décision incidente du 22 mars 2017. Ainsi, elles ont pris part à la procédure devant l’autorité inférieure au sens de l’art. 48 al. 1 lit. a PA (c. 4.1). Les ayants droit eux-mêmes ne sont pas parties à la procédure d’approbation tarifaire mais, s’ils se distinguent du gros des ayants droit et sont spécialement atteints par le tarif, ils obtiennent la qualité de partie concernant la question de l’assujettissement à la gestion collective obligatoire des utilisations réglées par ce tarif (c. 4.2). Ils doivent se distinguer du gros des ayants droit non pas de manière générale, mais dans le cas particulier spécifique au litige. Or, en l’espèce, le tarif règle la reproduction d’œuvres et de prestations contenues dans des programmes de la même manière pour tous les ayants droit. Il ne contient aucune clause qui concernerait spécialement les organismes de diffusion. La condition de l’art. 48 al. 1 lit. b PA n’est donc pas remplie (c. 4.3.1). La question de l’intérêt digne de protection au sens de l’art. 48 al. 1 lit. c PA est étroitement liée à la précédente. Vu la multitude des ayants droit représentés par les sociétés de gestion, il est inévitable que leurs intérêts divergent. Mais, en l’espèce, les sociétés de gestion devaient représenter aussi les intérêts des organismes de diffusion, ce qu’elles ont fait effectivement. La formulation « spécialement atteint » à l’art. 48 al. 1 lit. b PA montre qu’un grand nombre de personnes concernées rend difficile la réalisation de la condition. Le droit de la gestion collective veut rassembler les droits en obligeant les ayants droit à passer par une société de gestion et en leur conférant un droit de participation approprié aux décisions de cette société. Les recourantes ne sont pas des ayants droit isolés, elles sont au nombre de 23. Si on admettait leur qualité pour recourir, on rendrait pratiquement impossible les négociations tarifaires et l’équilibre des intérêts entre associations d’utilisateurs et sociétés de gestion (c. 4.3.2). Une divergence d’opinion concernant la situation juridique n’est pas suffisante pour admettre cette qualité (c. 4.3.3). Au contraire de ce qui prévalait pour l’ATF 135 II 172, le TC 12 n’est pas un nouveau tarif et les organismes de diffusion n’ont pas jusqu’ici exercé individuellement leurs droits pour la télévision de rattrapage. De surcroît, l’autorité de première instance n’a fait que confirmer une analyse juridique précédente. Les recourantes ne peuvent rien tirer de la jurisprudence concernant la qualité pour recourir des concurrents directs, puisque la question doit être examinée de manière particulière pour chaque domaine juridique (c. 4.4). [VS]

09 janvier 2019

TF, 9 janvier 2019, 4A_584/2017, 4A_590/2017 (f)

Qualité pour agir, qualité pour défendre, intérêt pour agir, décision partielle, devoir d’interpellation du Tribunal, bonne foi, précision des conclusions, interprétation d’un contrat, réelle et commune intention des parties, action en cessation, action en paiement, action en interdiction, action en constatation de droit, concurrence déloyale, exploitation indue du résultat d’un travail confié, stipulation pour autrui ; art. 91 lit. a LTF, art. 18 al. 1 CO, art. 112 CO, art. 5 lit. a LCD, art. 9 al. 1 lit. a LCD, art. 9 al. 1 lit. b LCD, art. 9 al. 1 lit. c LCD, art. 9 al. 2 LCD, art. 9 al. 3 LCD, art. 52 CPC, art. 56 CPC, art. 125 lit. a CPC, art. 227 al. 1 CPC, art. 230 CPC.

Les actions en cessation de trouble et les actions en paiement prévues tant par les différentes lois de propriété intellectuelle que par la LCD se prêtent à des jugements indépendants et pourraient être intentées dans des procès distincts. Le jugement limité en application de l’art. 125 lit. a CPC aux actions en cessation de trouble est donc une décision partielle visée par l’art. 91 lit. a LTF, susceptible d’un recours indépendant selon cette disposition (c. 2 et réf.cit.). Le résultat d’un travail est confié à une personne aux termes de l’art. 5 al. 1 lit. a LCD lorsque cette personne entre en possession de ce résultat par l’effet d’un rapport contractuel, précontractuel ou quasi contractuel. Le résultat d’un travail est notamment confié lorsque l’accomplissement du travail a été lui-même confié dans le cadre d’un contrat, en particulier à un travailleur par son employeur, à un mandataire par son mandant ou à un entrepreneur par le maître de l’ouvrage (c. 4 et réf.cit.). L’art. 5 LCD n’a pas pour objet de créer ni de protéger des droits de propriété intellectuelle, mais d’interdire des comportements contraires à une concurrence loyale. L’art. 9 al. 1 lit. c LCD prévoit une action en constatation de droits, mais celle-ci est subsidiaire par rapport aux actions en interdiction accordées par l’art. 9 al. 1 lit. a et b LCD, et elle ne porte de toute manière pas sur la constatation de droits de propriété intellectuelle. En règle générale, les actions en constatation de droits doivent répondre à un intérêt important et digne de protection du plaideur qui les exerce et elles sont subsidiaires par rapport aux actions en condamnation. Celui qui a déjà obtenu que l’exploitation de son savoir-faire soit interdite à un tiers, n’a pas d’intérêt à agir en constatation ni non plus à ce que le Juge constate formellement des recherches de quelles entités les procédés constituant ce savoir-faire sont le résultat aux termes de l’art. 5 LCD (c. 6). Le succès de toute action en justice suppose que les parties demanderesse et défenderesse aient respectivement qualité pour agir et pour défendre au regard du droit applicable. Le défaut de la qualité pour agir ou pour défendre entraîne le rejet de l’action. Les actions en cessation de trouble prévues par l’art. 9 al. 1 et 2 LCD sont destinées à la protection d’intérêts économiques individuels. La qualité pour agir est réservée au concurrent qui est directement lésé par un comportement déloyal et qui a un intérêt immédiat au maintien ou à l’amélioration de sa propre situation sur le marché (c. 8.1). Tel n’est le cas que si celui qui se prévaut d’une violation de l’art. 5 LCD et agit en cessation de trouble sur la base des art. 9 al. 1 et 2 LCD peut démontrer que les résultats exploités de manière indue devaient lui revenir. Pour le déterminer, il convient d’interpréter le contrat à l’origine des résultats concernés en recherchant la réelle et commune intention des parties conformément à l’art. 18 al. 1 CO. Dans ce cadre, le comportement que les cocontractants ont adopté dans l’exécution de leur accord peut dénoter, le cas échéant, de quelle manière ils l’ont eux-mêmes compris, et révéler ainsi leur réelle et commune intention (c. 8.3 et réf.cit.). Il peut résulter d’une stipulation pour autrui implicite au sens de l’art. 112 CO que le résultat de travaux de recherche doive profiter à un tiers autre que les seules parties au contrat à l’origine de ces résultats. En pareil cas, ce tiers a le droit de se défendre contre une exploitation indue de ces résultats par des entreprises concurrentes, et a qualité pour agir sur la base des art. 9 al. 1 et 2 LCD (c. 8.4). Quiconque exerce une action judiciaire portant sur une obligation de s’abstenir doit décrire avec précision, dans ses conclusions, le comportement à interdire. Si l’adverse partie succombe, elle doit apprendre ce qu’elle ne peut désormais plus faire, et les autorités d’exécution ou de poursuite pénale doivent elles aussi savoir quels actes elles doivent respectivement empêcher ou réprimer. S’il est allégué devant ces autorités que la partie condamnée ne respecte pas l’interdiction prononcée, il importe que lesdites autorités puissent agir sur la base du jugement, sans qu’une appréciation juridique du comportement dénoncé ne soit encore nécessaire. Ces exigences de précision relative aux conclusions de la partie demanderesse s’appliquent aussi, par suite, au dispositif du jugement (c. 10.1 et réf.cit.). Des conclusions insuffisamment précises sont en principe irrecevables. La partie qui les présente est cependant autorisée à les préciser sans égard aux conditions d’une modification de la demande posée par l’art. 227 al. 1 CPC ou au stade des débats principaux par l’art. 230 CPC. En vertu du devoir d’interpellation que l’art. 56 CPC assigne au Juge instructeur, celui-ci doit inviter la partie concernée à préciser, s’il y a lieu, ses conclusions défectueuses. Les règles de la bonne foi, à respecter aussi dans le procès civil en vertu de l’art. 52 CPC, s’imposent également au Juge. Elles commandent que la partie dont les conclusions sont défectueuses au sens de ce qui précède reçoive une nouvelle possibilité de les préciser (c. 10.5 et réf.cit.). [NT]

31 octobre 2018

Appellationsgericht des Kantons Basel-Stadt, 31 octobre 2018, ZK.2017.2 (d)

sic! 6/2019, p. 367-375, « Lichtgestalten »; action en constatation, action en interdiction, qualité pour agir, licence exclusive, droit de citation, droit à l’intégrité de l’œuvre, intégrité de l’œuvre, publication du jugement, tort moral, action en remise du gain, remise du gain, action en dommages-intérêts, dommage, preuve du dommage, obligation de renseigner, fixation du dommage ; art. 41 CO, art. 49 CO, art. 423 CO, art. 11 al. 1 LDA, art. 11 al. 2 LDA, art. 25 LDA, art. 61 LDA, art. 62 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 2 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 66 LDA.

La mise en œuvre de droits à rémunération s’avère en général difficile dans le domaine du droit d’auteur. Si l’action en constatation était subsidiaire par rapport à l’action en exécution d’une prestation, il y aurait en l’espèce un risque important qu’elle soit irrecevable faute d’intérêt et que l’action en remise du gain soit rejetée en raison de l’inexistence d’un gain, quand bien même il y a apparemment une violation du droit d’auteur. De plus, la jurisprudence sur la subsidiarité de l’action en constatation a pour but d’éviter plusieurs procès successifs, d’abord en constatation puis en exécution. En l’espèce, ces considérations d’économie de la procédure ne valent pas puisque les demandeurs font valoir les deux actions dans le même procès. Enfin, la constatation peut offrir une protection juridique d’une autre nature ou supplémentaire par rapport à l’action en exécution. Il y a donc en l’espèce un intérêt à la constatation (c. 2.1). L’action en constatation n’est pas liée à la titularité du droit invoqué, mais à la preuve d’un intérêt. Elle est normalement à disposition du licencié exclusif lorsque son droit relatif dépend du droit d’auteur à constater. S’agissant de l’action en exécution d’une prestation, la qualité pour agir du licencié exclusif résulte de l’art. 62 al. 3 LDA (c. 2.2). Une citation au sens de l’art. 25 LDA doit servir de commentaire, de référence ou d’illustration. Elle ne doit pas avoir un but autonome, mais une fonction de justification. Il doit exister, d’une part, un rapport matériel entre l’œuvre citée et la représentation propre ; d’autre part, la citation doit être d’importance subordonnée. Si le texte cité suscite un intérêt principal, l’art. 25 LDA n’est pas applicable (c. 3.2). En l’espèce, les conditions d’application de l’art. 25 LDA ne sont pas remplies (c. 3.3). Le doit à l’intégrité de l’œuvre vaut aussi bien pour les petites modifications que pour les grandes. Il est violé par toute modification non autorisée. En l’espèce, il n’est donc pas nécessaire de déterminer si les modifications sont seulement marginales, comme le prétend la défenderesse (c. 4.2). Une citation falsifiée, ou sortie de son contexte de sorte à présenter l’auteur sous un autre jour, est inadmissible au même titre qu’une utilisation de l’œuvre dans un contexte rejeté par l’auteur. Une altération portant atteinte à la personnalité, au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, ne sera reconnue que pour les modifications importantes ayant des conséquences négatives, et cela de manière restrictive. Il s’agira alors d’une forme de détérioration particulièrement grave, d’une falsification flagrante du contenu de l’expression intellectuelle, cette dernière se manifestant dans l’œuvre en tant qu’émanation de la personnalité de l’auteur. Il n’y a pas une telle altération en l’espèce (c. 4.3). L’action en interdiction de l’art. 62 al. 1 lit. a LDA suppose un intérêt à la protection actuel et suffisant. Celui-ci existera en cas de mise en danger concrète du droit, c’est-à-dire lorsqu’une violation future est sérieusement à craindre. Les conclusions en interdiction doivent viser des actes concrets réservés à l’auteur d’après l’art. 10 LDA et elles doivent être rédigées précisément, de sorte que les actes interdits soient sans autre reconnaissables pour la partie défenderesse et les autorités d’exécution (c. 5.2). Etant donné que la défenderesse conteste l’illicéité de son comportement, il y a un risque de récidive donc un intérêt actuel et suffisant pour demander l’interdiction (c. 5.3). La fonction première d’une publication du jugement est de mettre fin à la violation du droit d’auteur. Pour l’ordonner, le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il devra peser les intérêts divergents des parties et s’orienter sur le principe de la proportionnalité. Les demandeurs devront avoir un intérêt à la publication, par exemple le besoin d’informer un cercle de personnes dépassant leurs proches des violations constatées du droit d’auteur, afin de mettre fin au trouble ou à la confusion sur le marché. Une publication pourra être opportune lorsque la partie violant les droits conteste l’illicéité de son comportement, de sorte que d’autres atteintes sont à craindre. En revanche, on pourra renoncer à la publication si les violations datent déjà de quelques temps ou qu’elles n’ont pas eu de retentissement, ni chez les professionnels ni dans le public. En l’espèce, les violations n’ont pas fait de bruit et n’ont pas occasionné de confusion au sein des lecteurs, si bien qu’une publication du jugement serait injustifiée (c. 6). Comme il n’y a aucune altération au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre n’est pas suffisamment grave pour fonder une indemnité pour tort moral selon l’art. 49 al. 1 CO (c. 7). Un droit à la remise du gain selon l’art. 423 CO suppose qu’une personne s’approprie une affaire, c’est-à-dire intervienne dans la sphère juridique d’autrui et en retire un gain de manière causale. La personne doit également agir de mauvaise foi, ce qui est le cas en l’espèce. C’est le gain net qui est pris en considération, c’est-à-dire que les frais du gérant sont déduits du montant brut. Ce dernier devra être prouvé par le lésé, tandis que le gérant supportera le fardeau de la preuve de ses frais. Dans la présente affaire, l’action en remise de gain serait justifiée, si bien que le titulaire du droit d’auteur doit être renseigné par la défenderesse sur les éventuels gains qu’elle a réalisés. Ce droit n’appartient pas au licencié exclusif, qui n’est pas habilité à demander la remise du gain (c. 8.2). La fixation du dommage selon la méthode de l’analogie avec la licence nécessite que le titulaire du droit d’auteur ait été prêt à autoriser l’utilisation de l’œuvre. Elle ne dispense pas le demandeur de prouver l’existence d’un dommage. Il faut donc encore examiner si le demandeur aurait été prêt à conclure un contrat de licence (c. 8.3). [VS]

05 septembre 2017

TAF, 5 septembre 2017, B-1251/2015 (f)

sic! 2/2018 « Sky/skybranding; Sky TV/skybranding », p. 63 ; Motifs d’exclusion relatifs , cercle des destinataires pertinents, grand public, entreprise, spécialiste de la branche scientifique et technologique, degré d’attention accru, degré d’attention moyen, identité des produits et services, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan graphique, similarité des signes sur le plan sémantique, similarité des signes, vocabulaire anglais de base, sky, force distinctive normale, risque de confusion indirect, risque de confusion admis, recours admis, pouvoir de cognition, qualité pour défendre, recours rejeté ; art. 4 PA, art. 22 al. 2 PA, art. 3 al. 1 lit. c LPM.

Marque(s) attaqué(s)
Marque(s) opposante(s)

« skybranding »

« SKY TV »

Classe 9 : Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours (sauvetage) et d'enseignement ; appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l'accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique ; appareils pour l'enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d'enregistrement magnétiques, disques acoustiques ; disques compacts, DVD et autres supports d'enregistrement numériques ; mécanismes pour appareils à prépaiement ; caisses enregistreuses, machines à calculer, équipements pour le traitement d'informations, ordinateurs ; logiciels ; extincteurs.



Classe 35 : Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau.



Classe 42 : Services scientifiques et technologiques ainsi que services de recherches et de conception y relatifs ; services d'analyses et de recherches industrielles ; conception et développement d'ordinateurs et de logiciels.

Pour la marque « SKY TV » : de très nombreux produits en classes 9, 16, 28, 35, 36, 38, 41, 42, 45

Contenu de la décision

Produits faisant l’objet de l’opposition

Classe 9 : Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours (sauvetage) et d'enseignement ; appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l'accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique ; appareils pour l'enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d'enregistrement magnétiques, disques acoustiques ; disques compacts, DVD et autres supports d'enregistrement numériques ; mécanismes pour appareils à prépaiement ; caisses enregistreuses, machines à calculer, équipements pour le traitement d'informations, ordinateurs ; logiciels.



Classe 35 : Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau.



Classe 42 : Services scientifiques et technologiques ainsi que services de recherches et de conception y relatifs ; services d'analyses et de recherches industrielles ; conception et développement d'ordinateurs et de logiciels.

Cercle des destinataires pertinent et degré d’attention des consommateurs

Les produits revendiqués en classe 9 s’adressent aux consommateurs moyens et dans une moindre mesure aux spécialistes, puisque les appareils en question ne sont pas destinés à des usages industriels ou scientifiques (c. 5.3).

Les services revendiqués en classe 35 s’adressent aux entreprises (c. 5.3).


Les services revendiqués en classe 42 sont principalement destinés aux spécialistes des domaines scientifiques et technologiques, mais également au grand public (5.3).

Les consommateurs font preuve d’un degré d’attention au moins moyen, mais celui-ci est accru pour les services revendiqués en classe 35 (c. 5.3).

Identité/similarité des produits et services

Les produits revendiqués par la marque attaquée se retrouvent dans la liste des produits de la marque opposante, induisant une identité des produits et services (c. 6.3).

Similarité des signes

Sur le plan graphique, les signes partagent leurs trois premières lettres. Le début du mot revêt une importance particulière dans l’examen, si bien qu’il y a lieu d’admettre une similarité sur le plan graphique (c. 7.3.1). Les marques sont prononcées selon la même cadence, possèdent le même nombre de syllabes et la même syllabe d’attaque, ce qui permet de conclure à une similarité sur le plan sonore également (c. 7.3.2). Le mot « sky » appartient au vocabulaire anglais de base, et l’acronyme « TV » est largement connu du public. Les consommateurs comprendront ce signe comme « télévision du ciel » qui fait allusion aux grands espaces, à une impression de liberté mais également au mode de retransmission hertzien ou satellitaire. Le mot « branding », que l’on peut traduire comme la discipline consistant à gérer les marques commerciales n’est pas connu du public suisse. Celui-ci verra dans le signe « skybranding » un signe de fantaisie. Il n’existe donc pas de similarité sur le plan sémantique (c. 7.3.3).

Force distinctive des signes opposés

Force distinctive de la marque attaquée



La marque attaquée ne dispose pas d’une force distinctive plus élevée que la normale (c. 8.3).



Force distinctive de la marque opposante et champ de protection



Le signe « SKY TV » dispose d’une force distinctive normale. L’adjonction de l’élément « TV » n’est pas de nature à modifier celle-ci (c. 8.3).

Risques de confusion admis ou rejetés / motifs

Les deux marques concordent sur l’élément initial « SKY ». Il s’agit de l’élément frappant des deux marques. Même si l’on fait preuve d’un degré d’attention plus élevé que la moyenne les signes laissent facilement à penser qu’il s’agit d’une déclinaison partant du signe « SKY ». Il existe donc au moins un risque de confusion indirect (c. 9.3).

Divers

L’instance précédente a admis l’opposition à l’exception des extincteurs en classe 9 (c. A.c.a). Les recours portant sur chacune des marques opposantes sont joints (c. 2). Le TAF n’examine que la validité de l’opposition relative à la marque « SKY » dans la mesure où, ayant déjà rejeté le recours se fondant sur la marque « SKY TV », il devient sans objet (c. 3). La cause est ainsi radiée du rôle, et renvoyée à l’instance inférieure afin qu’elle statue une nouvelle fois sur les frais et dépens (c. 12.2).

La cession des droits portant sur la marque en cours d’instance n’influence pas la qualité pour agir ou pour défendre (c. 4-4.2).

Conclusion : le signe attaqué est enregistré / refusé

Le recours est rejeté, la décision rendue par l’instance précédente confirmée (c. 11). [YB]

11 décembre 2017

TAF, 11 décembre 2017, B-5145/2015 (f)

sic! 5/2018 «The SwissCellSpa Exerience (fig.)/Swisscell» (rés.), p. 244 ; Motifs d’exclusion relatifs, cercle des destinataires pertinent, grand public, degré d’attention moyen, similarité des signes, similarité des produits et services, similarité des signes sur le plan graphique, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan sémantique, complémentarité, indication de provenance, force distinctive moyenne, force distinctive faible, risque de confusion direct, légitimation passive, qualité pour recourir, objet du litige ; art. 62 PA, art. 3 al. 1 lit. c LPM.

Marque(s) attaqué(s)
Marque(s) opposante(s)

SWISSCELL

swisscellspa.jpg

Classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; préparations [sic] pour la peau ; tous les produits précités de provenance suisse. »



Classe 5 : « Substances diététiques à base de ou contenant de [sic] placenta de mouton ; substances diététiques à base de ou contenant de [sic] placenta végétal ; substances diététiques à base de ou contenant des extraits de poisson ; vitamines ; préparations de vitamines ; compléments vitaminés ; compléments alimentaires pour la santé ; compléments et suppléments nutritionnels à usage médical ; produits pharmaceutiques pour les soins de la peau ; compléments alimentaires minéraux ; produits pharmaceutiques [sic] pour la thérapie par des cellules vivantes ; produits pharmaceutiques et vétérinaires ; produits hygiéniques pour la médecine ; substances diététiques [sic] à usage médical, aliments pour bébés ; emplâtres, matériel pour pansements ; matières pour plomber les dents et pour empreinte [sic] dentaires ; désinfectants ; produits pour la destruction des animaux nuisibles ; fongicides, herbicides ; tous les produits précités de provenance suisse. »



Classe 44 : « Services médicaux ; services vétérinaires ; soins d’hygiène et de beauté pur [sic] êtres humains ou pour animaux ; services d’agriculture, d’horticulture et de sylviculture. »

Classe 3 : « Cosmétiques, savons, parfumerie, huiles essentielles ; déodorants corporels ; crèmes, laits, lotions, gels, poudres, sérums, masques et gommages à usage cosmétique pour les soins du visage et du corps ; crèmes, lotions et sérums restructurant à usage cosmétique ; préparations cosmétiques pour l’amincissement ; préparations cosmétiques pour la douche et/ou le bain ; laits, gels et huiles de bronzage et après-soleil ; produits de maquillage ; produits de démaquillage ; produits dépilatoires ; produits pour le soin et le nettoyage des cheveux, notamment shampooings, crèmes, masques, sérums, mousses ; teinture pour les cheveux ; tous les produits précités de provenance suisse. »



Classe 35 : « Services de publicité ; services rendus par un franchiseur, à savoir aide dans l’exploitation ou la direction d’entreprises commerciales, mise à disposition de savoir-faire commercial [franchisage], les services précités dans le domaine des soins d’hygiène et de beauté ; mise à disposition d’informations sur Internet en matière de produits de beauté à des fins de publicité et de vente. »



Classe 41 : « Cours et formation dans le domaine des soins d’hygiène et de beauté ; cours et formation pour l’utilisation et l’application de produits cosmétiques ; cours et formation pour le personnel de vente de produits cosmétiques. »



Classe 44 : « Soins d’hygiène et de beauté pour êtres humains ; services de spa, services de saunas, services de massage, services de manucure, services de pédicure, services de maquillage ; services de physiothérapie ; instituts de beauté ; conseils en matière de soins d’hygiène et de beauté ; mise à disposition d’informations sur Internet en matière de soins de beauté ; conseils en matière d’alimentation. »

Contenu de la décision

Produits faisant l’objet de l’opposition

Dans sa duplique auprès de l’instance précédente, la marque attaquée demande que sa demande soit limitée aux produits suivants :



Classe 3 : « Cosmétiques, préparations [sic] pour la peau ; tous les produits précités de provenance suisse. »



Classe 5 : « Substances diététiques à base de ou contenant de [sic] placenta de mouton ; substances diététiques à base de ou contenant de [sic] placenta végétal ; substances diététiques à base de ou contenant des extraits de poisson ; compléments alimentaires pour la santé ; compléments et suppléments nutritionnels à usage médical ; produits pharmaceutiques pour les soins de la peau ; compléments alimentaires minéraux ; produits pharmaceutiques pour la thérapie par des cellules vivantes ; produits pharmaceutiques ; substances diététiques [sic] à usage médical ; tous les produits précités de provenance suisse. » (c. A.b.e.b).

L’instance précédente admet l’opposition pour les produits en classe 3 et la rejette pour les produits en classe 5 (c. A.b.f)

Cercle des destinataires pertinent et degré d’attention des consommateurs

Les services d’hygiène en classe 44 s’adressent avant tout au grand public qui fait preuve d’un degré d’attention moyen (c. 5.2.1). Les produits cosmétiques revendiqués en classe 3 sont destinés au grand public. La jurisprudence est partagée en lien avec le degré d’attention des consommateurs. La question peut être laissée ouverte dans la mesure où c’est le degré d’attention des consommateurs des services de la marque opposante qui est déterminant (c. 5.2.2.2-5.2.2.3).

Identité/similarité des produits et services

Les services de soins d’hygiène et de beauté sont fournis soit dans des locaux indépendants, soit dans des locaux appartenant à des structures offrant d’autres services, tandis que les produits cosmétiques en classe 3 sont vendus dans des boutiques plus ou moins spécialisées ou des grandes surfaces (c. 6.3.1). Bien qu’il s’agisse d’une part de produits et d’autre part de services, ceux-ci partagent de nombreux points communs. Ils impliquent un même savoir-faire et répondent à un même besoin. Bien qu’ils ne soient pas substituables, et n’appartiennent pas à la même classe selon la classification de Nice ils entretiennent un rapport étroit de complémentarité et partagent les mêmes canaux de distribution. L’ancienne jurisprudence rendu par la CREPI puis le TAF retenant qu’une similarité entre produits cosmétiques et sois d’hygiène n’existe que si la marque opposante jouit d’un degré élevé de notoriété et qu’il existe une forte similarité entre les signes n’est pas pertinente dans la mesure où de telles considérations ne font pas partie des indices énumérés par la jurisprudence (c. 6.3.2) (c. 6.3.3.3). Les produits cosmétiques ne sont pas seulement des accessoires nécessaires aux prestations de soin et d’hygiène (c. 6.3.4). Les produits et services revendiqués peuvent être considérés comme similaires (c. 6.3.6).

Similarité des signes

Les éléments graphiques de la marque opposante ne sont pas frappants. L’élément principal est donc l’élément verbal « SwissCellSpa », repris dans la marque attaquée (c. 8.1.1.2). Les éléments « The », et « Swiss » appartiennent au vocabulaire anglais de base contrairement au terme « Cell », qui est cependant très proche de du début des mots correspondants en allemand, français et italien et qui, sans être descriptifs, ne sont pas complètement étrangers aux domaines des services et des produits revendiqués (c. 8.2.1.1-8.2.1.3). Les éléments communs « Swiss » et « cell » seront compris de la même manière pour chaque signe. Ceux-ci sont donc similaires sur le plan sémantique (c. 8.2-8.2.1.4). Au niveau sonore, les deux signes seront perçus comme des uns ensemble de mots anglais, leur prononciation sera identique pour le sous-élément « SwissCell » (c. 8.3.2). La marque attaquée reprend à l’identique les deux premiers sous-éléments de la marque opposante. De plus, les éléments « Swiss » et « Cell » sont accolés dans chaque marque. Une forte similarité doit dès lors être admise (c. 10.2.4).

Force distinctive des signes opposés

Force distinctive de la marque attaquée


L’élément « Swiss » dispose d’une force distinctive faible, tandis que l’élément « cell » dispose d’une force distinctive moyenne (c. 9.2-9.2.1.2). Dans son ensemble le signe « SWISSCELL » dispose d’une force distinctive moyenne (c. 9.2.2 et 11.3.2).



Force distinctive de la marque opposante et champ de protection



Les éléments « the » « swiss » et « experience » sont descriptifs. Seul élément « cell » dispose d’une force distinctive moyenne (c. 9.1-9.1.4 et 11.3.1).

Risques de confusion admis ou rejetés / motifs

La forte similarité des signes ainsi que la similarité des produits et services et la force distinctive normale des signes revendiqués permettent de retenir un risque de confusion direct, malgré un degré d’attention moyen des destinataires. Le TF peut laisser ouverte la question de savoir si l’usage de la marque opposante a été rendu vraisemblable pour une partie ou pour l’ensemble des services revendiqués en classe 3 ou 44 (c. 12.3.2).

Divers

Le transfert de la marque opposante ou attaquée en cours d’opposition n’a pas d’influence sur la légitimation active ou passive (c. 1.3). En l’espèce, la recourante demeure partie à la procédure. Étant contractuellement tenue de garantir l’existence de la marque attaquée envers le cessionnaire, elle dispose toujours de la qualité pour recourir (c. 1.4).



Dans son recours, la marque attaquée limite l’objet de la contestation à l’opposition admise par l’instance précédente pour les produits revendiqués en classe 3 (c. 2.2-2.2.2.1).



L’intimée, en revanche, n’a pas déposé de recours contre la décision attaquée, en particulier lorsque celle-ci rejette l’opposition pour les produits revendiqués en classe 5 (c. 2.2.2.2). Le fait de conclure dans sa réponse au recours à l’annulation de cette partie de la décision est tardif (c. 2.2.2.2). Le TAF ne peut modifier la décision attaquée au sens de l’article 62 PA pour se lancer dans l’examen d’une partie de la décision attaquée qui n’est pas comprise dans l’objet du litige (c. 3.3.3).

Conclusion : le signe attaqué est enregistré / refusé

Le recours est rejeté, et l’opposition admise pour les produits revendiqués en classe 3.[YB]

23 mars 2021

TAF, 23 mars 2021, B-2627/2019 (d)

sic! 9/2021, p. 487 (rés.) « Sherlock + Sherlock’s » ; Demande de radiation d’une marque, procédure administrative en radiation, abus de droit, qualité pour agir, légitimation active, swissness, usage de la marque, preuve du défaut d’usage, preuve de l’usage d’une marque, défaut d’usage, fardeau de la preuve ; art. 2 CC, art. 35a LPM

La recourante conteste la demande de radiation concernant les marques N°517'858 « SHERLOCK’S », et N°461’529 « SHERLOCK » effectuée par l’intimée au motif que celle-ci commet un abus de droit dans la mesure où elle a pour seul objectif d’agir contre les marques de la recourante mais ne prévoit pas d’utiliser elle-même les marques ainsi radiées (état de fait A et B). Bien que l’abus de droit n’ait été invoqué que lors du recours, les documents déposés par la recourante qui se rapportent à des faits produits avant l’admission des demandes de radiation doivent être pris en compte (c. 2.2). Comme l’abus de droit invoqué concerne la légitimation de l’intimée et qu’il s’agit d’une condition procédurale, le TAF doit l’examiner dans la procédure de recours et entendre les arguments de la recourante (c. 2.3). La demande de radiation pour défaut d’usage de l’art. 35a LPM est entrée en vigueur avec le paquet Swissness et a pour but de permettre une procédure plus simple et moins coûteuse que l’alternative qu’est la procédure civile (c. 3.2). Une marque n’est protégée que si elle est utilisée (c. 3.3). C’est le demandeur qui supporte le fardeau de la preuve de la vraisemblance du non-usage d’une marque. Le titulaire peut contester les éléments rendant vraisemblable le non-usage, démontrer qu’il utilise bien sa marque ou faire valoir des motifs légitimes (c. 3.4). La recourante considère que l’intimée commet un abus de droit dans la mesure où aucun intérêt à agir ne légitime sa demande de radiation (c. 4.1). L’intimée a respecté les prescriptions de forme et payé les frais afférents à sa demande de radiation (c. 5). La demande, ouverte à « toute personne », est fondée sur l’intérêt public à la bonne tenue du registre. De plus, la protection s’éteint non pas dès la radiation, mais dès que la marque n’est pas utilisée. Cette ouverture est limitée par la difficulté pour le demandeur de rendre vraisemblable le non-usage, mais est justifiée par l’insécurité juridique générée lorsqu’une marque est enregistrée mais pas utilisée (c. 5.1). Cette obligation de motivation doit prévenir les abus de droit (c. 5.2). C’est donc à raison que l’instance précédente a admis à l’intimée un intérêt à agir (c. 5.3). La demande peut cependant être abusive nonobstant l’intérêt public à la tenue du registre. Le TAF a ainsi considéré que l’abus de droit ne peut être invoqué dans une procédure d’opposition que contre les arguments disponibles dans cette procédure par exemple si la titulaire de la marque attaquée est responsable du non-usage de la marque opposante (c. 6.1). L’intérêt pour agir qui peut exceptionnellement faire défaut dans une procédure d’opposition, par exemple lorsque le demandeur ne peut ou ne doit pas utiliser le signe en question. Cette pratique ne se fonde pas sur l’interdiction de l’abus de droit de l’art. 2 CC, mais sur la nécessité d’un intérêt privé à la protection juridique dans la procédure civile qui n’existe pas dans la procédure administrative de radiation fondée sur l’intérêt public à la tenue du registre (c. 6.2). Le fait que l’intimée soit un « troll » des marques n’impacte pas sa légitimité pour agir (c. 7.1). La recourante n’a pas déposé de preuves supplémentaires destinées à rendre l’usage de ses marques vraisemblable (c. 7.2). L’intimée a demandé la radiation de deux marques et rendu vraisemblable leur non-usage. C’est à raison que l’instance précédente a admis la demande de radiation. Le recours est rejeté (c. 7.4). [YB]

25 août 2021

TAF, 25 août 2021, B-2608/2019 (d)

Motifs d’exclusion absolus, signe trompeur, indication de provenance, procédure, qualité pour agir, qualité pour recourir en matière d’enregistrement de marque, décision, égalité de traitement, garantie de l’accès au juge, opposition, procédure de radiation ; art. 8 Cst., art. 29a Cst., art. 31 LTAF, art. 32 LTAF, art. 5 PA, art. 44 PA, , art. 48 al. 1 lit. a PA, art. 48 al. 1 lit. b PA, art. 48 al. 1 lit. c PA, art. 2 lit. c LPM, art. 3 LPM, art. 35a LPM, art. 52 LPM, art. 59c LBI, art. 10 Ordonnance sur les AOP et les IGP.

En novembre 2018, les deux parties déposent chacune une demande d’enregistrement de la marque « HISPANO SUIZA » pour des produits en classe 12. L’instance précédente a admis la marque de l’intimée avec une limitation de la liste des produits revendiqués, et provisoirement rejeté la demande de la recourante. Celle-ci a par la suite déposé une demande de radiation contre l’enregistrement de la marque de l’intimée. Elle a également fait opposition à son enregistrement. La présente décision ne porte que sur la procédure d’enregistrement de la marque de l’intimée (état de fait A.). Le 16 avril 2019, la marque « HISPANO SUIZA » est enregistrée pour des produits en classe 12 et publiée sur Swissreg (état de fait B – B.e.). La recourante s’oppose à la décision de l’IPI d’enregistrer la marque de l’intimée et demande son annulation auprès du TAF. Elle fait valoir que l’enregistrement d’une marque est une décision au sens de l’art. 5 PA, qu’en tant que tiers à la procédure elle n’a pas pu participer à celle-ci et qu’ayant déposé une demande d’enregistrement pour un signe identique, elle est particulièrement touchée par la décision (état de fait D.). Le TAF examine librement les questions relatives à l’entrée en matière (c. 1). Selon l’art. 31 LTAF, le TAF connaît des recours contre les décisions au sens de l’art. 5 PA (c. 1.1). La décision d’enregistrement d’une marque par l’IPI est une décision au sens de l’art. 5 PA (c. 1.2). L’intimée et l’instance précédente contestent la capacité pour des tiers de recourir contre l’enregistrement d’une marque (c. 2.2). La LPM ne prévoirait pas la possibilité pour des tiers de recourir contre l’enregistrement et une telle possibilité était exclue dans l’ancien droit. En outre, la LPM, contrairement à l’art. 59c LBI ou à l’art. 10 de l’ordonnance sur les AOP et les IGP, ne prévoit pas de procédure d’opposition fondée sur des motifs d’exclusion absolus. L’art. 52 LPM donne la compétence exclusive au juge civil pour juger de la nullité ou de l’illégalité d’une marque. En outre, le recours selon l’art 44 PA n’est pas envisageable, dans la mesure où l’action civile garantit le droit constitutionnel à une voie de droit. Le fait que la décision d’enregistrer une marque ne fasse pas partie de la liste des exceptions de l’art. 32 LTAF ne serait pas pertinent (c. 2.3). Pour le TAF, l’art. 29a Cst garantit à chaque personne le droit d’être jugée par une autorité judiciaire en cas de litige. L’art. 44 PA a été introduit dans le but de combler les lacunes concernant l’accès au juge (c. 2.4). Le fait que la LPM soit muette concernant le droit pour des tiers de contester l’enregistrement d’une marque devant le TAF n’est pas pertinent. C’est en effet l’art. 31 LTAF qui a remplacé les diverses voies de recours alors mentionnées dans les lois spéciales, telles que la LPM, ouvrant en principe une voie de recours contre les décisions au sens de l’art. 5 PA. L’absence de disposition spécifique dans la LPM, contrairement à l’OAOP-IGP ou la LBI ne permet pas de déduire, en positif ou en négatif, l’absence de compétence du TAF lorsque les tiers contestent l’enregistrement d’une marque. Les références à l’ancien droit ne sont plus pertinentes, la justice et l’organisation judiciaire fédérale ayant été réformées en profondeur entre-temps (c. 2.5). Le droit en vigueur ne contient aucune disposition excluant le recours d’un tiers au TAF contre la décision de l’instance précédente d’enregistrer une marque. La jurisprudence ne s’y oppose pas non plus. Le fait qu’il existe des procédures d’opposition ou de radiation qui poursuivent des buts différents, n’exclue pas non plus la compétence du TAF en la matière. Enfin, le recours à la voie civile n’exclut pas fondamentalement le recours administratif ; la tenue des registres publics étant de nature administrative et devant être en principe examinée uniformément dans le cadre de la procédure administrative (c. 2.6). Le nombre de marques enregistrées et le risque qu’un afflux de recours contre les enregistrements ne vienne saper la légitimité du juge civil ne jouent pas de rôle dans l’examen de la compétence du TAF (c. 2.7). En conséquence, le TAF est compétent pour juger du présent recours (c. 2.8). Lors de la procédure d’enregistrement, les tiers n’ont aucune possibilité d’y participer avant la publication de l’enregistrement dans Swissreg. La protection juridique contre l’enregistrement d’une marque ne saurait être liée à la participation à la procédure (c. 3.4). En l’espèce, la recourante s’est manifestée dès qu’elle a eu la possibilité de le faire (c. 3.2). Concernant l’art. 48 al. Lit. b PA, la recourante doit démontrer un intérêt personnel qui se distingue de l’intérêt général des autres citoyens. La simple crainte d’une concurrence accrue n’est pas suffisante. Le besoin d’une protection spécifique et qualifiée doit être nécessaire. Le concurrent doit donc démontrer en quoi la décision de l’instance précédente traite ses concurrents de manière privilégiée. L’intérêt général à l’application correcte du droit ne fonde pas la qualité pour recourir (c. 3.5.1). En l’espèce, le fait que la recourante porte le signe « hispano Suiza » dans sa raison sociale, qu’elle dispose de nombreuses marques étrangères avec ces éléments et qu’elle ait déposé une demande d’enregistrement en Suisse pour la marque « HISPANO SUIZA » la met certes dans un rapport de concurrence avec l’intimée, mais ne permet pas de conclure qu’elle est spécialement atteinte par la décision (c. 3.5.2). La recourante considère qu’elle est particulièrement touchée parce que l’instance précédente a admis à tort la protection en la limitant aux produits d’origine espagnole. L’éventuelle application erronée du droit ne confère pas la qualité pour recourir à la recourante. De plus, celle-ci n’a pas de proximité particulière concernant les indications de provenance « HISPANO » et « SUIZA », qui présuppose en règle générale que le recourant soit mieux habilité que le déposant à utiliser un signe (c.3.5.3). En conséquence, la recourante n’est pas matériellement lésée par la décision de l’instance inférieure. L’éventuelle révocation de l’enregistrement n’aurait pas pour effet de conduire à l’enregistrement de sa propre marque. De plus, l’enregistrement ne l’empêche pas de continuer à utiliser sa raison sociale, ni ne constitue une entrave économique (c. 3.5.6). La recourante invoque l’égalité de traitement, arguant que la demande de l’intimée a été privilégiée par l’instance précédente. Certes, les deux parties ont déposé une demande d’enregistrement pour la même marque verbale et pour des produits identiques. Chacune des parties a reçu la même objection de la part de l’instance précédente concernant le caractère trompeur du signe et les différences de traitement résultent du fait que l’intimée a demandé un examen accéléré, ce que n’a pas fait la recourante. La manière dont l’intimée a utilisé les moyens procéduraux à sa disposition ne constitue pas une inégalité de traitement (c. 3.5.4). La recourante ne parvient pas à justifier sa légitimation pour recourir. Le TAF n’entre donc pas en matière sur le recours (c. 3.5.6 et 3.5.7). Les procédures engagées par les concurrents contre les enregistrements qui se limitent à faire valoir des motifs absolus d’exclusion doivent satisfaire à des exigences de légitimation plus strictes que pour une procédure d’opposition, soit une proximité particulière avec l’affaire litigieuse et un intérêt de protection de droit public (c. 3.5.8). [YB]

02 juin 2021

TAF, 2 juin 2021 B-497/2019 (f)

Absinthe, eau-de-vie, boissons alcoolisées, indication géographique protégée, Fée verte, La Bleue, association, qualité pour agir des associations, Office fédéral de l’agriculture, preuve, fardeau de la preuve, IGP, opposition, groupement de producteurs, groupement représentatif, représentativité ; art. 1 LAlc, art. 5 al. 1 Ordonnance sur les AOP et les IGP, art. 5 al. 2 let. b Ordonnance sur les AOP et les IGP ; cf N°959, TAF, 8 août 2014, B-4820/2020 (f).

La notion de « producteurs » au sens de l’art. 5 al. 1 de l’Ordonnance sur les AOP et les IGP englobe les producteurs, les transformateurs et les élaborateurs. Elle correspond à la notion d’« opérateurs » que l’OFAG utilise pour désigner l’ensemble des acteurs qui interviennent dans la création d’un produit, jusqu’à ce que celui-ci porte la dénomination protégée. (c. 4.1.1). Cette notion très connotée commercialement correspond au but de l’ordonnance. Dans ce cadre, un producteur au sens de l’ordonnance est celui qui contribue à la création du produit dans la perspective de sa commercialisation et pas celui qui le créée uniquement à des fins personnelles (c. 4.1.2.1 et 4.1.2.2). Un groupement est « représentatif », au sens de l’art 5 de l’ordonnance, lorsqu’il reflète de manière appropriée chaque catégorie d’acteurs intervenant dans la création du produit et dont les intérêts économiques sont touchés par la demande d’enregistrement (c. 4.2.1.1). L’art. 5 al. 2 Ordonnance sur les AOP et les IGP prévoit notamment qu’un groupement est représentatif si ses membres représentent au moins 60% des acteurs au sein de chacune des catégories d’opérateurs correspondant aux principaux stades de création du produit (c. 4.2.2). Pour une indication géographique, le groupement ne doit pas être représentatif de tous les stades de la production mais au moins de ceux qui doivent se dérouler dans l’aire géographique déterminée. (c. 4.2.3 – 4.2.3.2). Le fardeau de la preuve de la représentativité incombe au demandeur qui supporte les conséquences de leurs absences ou de leur insuffisance (c. 5.1.1 – 5.1.3). La commercialisation de l’absinthe, en tant que boisson distillée, est régie par la LAlc et son ordonnance. Ainsi, le droit de fabriquer et de rectifier les boissons distillées appartient à la Confédération et fait l’objet de concessions (c. 6.2). Celles-ci sont regroupées en trois catégories : Les distilleries professionnelles, les distilleries à façon (qui ne travaillent pas pour leur propre compte mais distillent les produits d’autres opérateurs), et les distilleries agricoles (qui concernent la production non industrielle d’eau-de-vie à partir de matière provenant exclusivement de la récolte indigène ou cueillie à l’état sauvage par le producteur) (c. 6 – 6.3.2). Le Cahier des charges divise la production de l’appellation « Absinthe du Val-de-Travers » en six étapes (macération, distillation, coloration, réduction, aération et filtration) (c. 7.1.2). Il est ainsi possible de distinguer, au sein du groupement représentatif les producteurs au sens strict (qui cultivent et sèchent les plantes) et les transformateurs et élaborateurs (qui procèdent aux étapes de transformation décrites dans le cahier des charges) (c. 7.2.1.2 – 7.2.2). En l’espèce, l’instance précédente a estimé que l’intimée (l’association des Artisans-distillateurs d’Absinthe du Val-de-Travers) était représentative dans la mesure où elle regroupait 18 concessions professionnelles ou à façon sur un total de 29 (c. 8). Elle se focalise ainsi uniquement sur l’étape de distillation (c. 9). Si cette étape doit bien être prise en compte, les autres n’en sont pas moins importantes dans la mesure où elles sont décrites dans le cahier des charges et doivent avoir lieu dans l’aire déterminée. En particulier, l’Absinthe comporte une étape de macération qui laisse dans une certaine mesure à chaque élaborateur la possibilité de suivre la recette transmise de génération en génération dans une cadre familial. (c. 9.1 – 9.1.2.2). Ceux-ci contribuent ainsi fortement à donner des caractéristiques propres au produit. L’intimée elle-même concède que son cahier des charges vise à prendre en compte la grande diversité aromatique aujourd’hui présente (c. 9.2.1 – 9.2.1.2). Ainsi, même s’ils ne distillent pas eux-mêmes, les acteurs qui produisent de l’absinthe en participant aux diverses étapes du Cahier des charges contribuent de manière déterminante à la production d’absinthe (c. 9.2.2). L’Ordonnance sur les AOP et les IGP ne vise que les entités qui interviennent avec une intention commerciale (c. 10.2), ce qui exclut les particuliers qui ne produisent que pour leur consommation personnelle (c. 10.2.1.1). Il ne faut cependant pas en déduire automatiquement que ceux qui ne procèdent pas eux-mêmes à la distillation n’ont pas d’intentions commerciales (c. 10.2.1.2). De plus, certains producteurs agissent commercialement bien qu’ils recourent à une distillerie à façon (c. 10.2.2.1). La LAlc, en soumettant la distillation à l’octroi de concessions, n’empêche pas qu’un élaborateur soit considéré comme un producteur au sens de l’art. 5 al. 2 let. b Ordonnance sur les AOP et les IGP (c. 10.2.2.3). C’est le nombre de producteurs et non pas la quantité d’absinthe qu’ils écoulent sur le marché qui est déterminant (c. 10.2.2.4). Les « petits producteurs » ne constituent pas une catégorie très aléatoire et volatile. Ceux-ci sont en effet assujettis à l’impôt et quantifiables. Ils doivent être intégrés au calcul de la représentativité (c. 10.3 – 10.3.2.2). Si l’autorité ne requiert pas un état des lieux détaillé et exhaustif du marché, elle s’attend à ce que leur activité soit documentée dans le cadre de l’examen de la représentativité de l’intimée (c. 10.3.3.1). En résumé, tous les opérateurs qui contribuent de manière déterminante à la création de l’absinthe sans nécessairement procéder eux-mêmes à la distillation entrent en ligne de compte dans l’examen du caractère représentatif de l’intimée, pour autant qu’ils aient une activité commerciale (c. 11). En se limitant à prendre en compte le nombre de concessions, l’autorité n’a pas tenu compte suffisamment des collèges professionnels pertinents au sens de l’art 5 al. 2 let. b Ordonnance sur les AOP et les IGP (c. 12.1.1.1). Ce seul chiffre ne permet pas de dresser un panorama fidèle de la production d’absinthe (c. 12.1.2). Au surplus, le nombre de concessions n’est pas pertinent dans la mesure où certaines entités disposent à la fois de concessions professionnelles et à façon. Certains distillateurs à façon offrent leurs services à de nombreux commettants mais ne sont considérés que comme un seul et même acteur (c. 12.1.3.1 – 12.1.3.3). C’est donc à tort que l’instance précédente a admis la représentativité de l’intimée. La décision attaquée doit être annulée (c. 12.2 – 12.2.2). L’affaire est renvoyée à l’autorité inférieure afin qu’elle rende une nouvelle décision sur l’opposition formulée par les recourante (c. 13 – 13.2.2). [YB]

« Revue de presse interne » ; principe du créateur, présomption de la qualité d’auteur, transfert de droits d’auteur, théorie de la finalité, work for hire, qualité pour agir ; art. 321b al. 2 CO, art. 332 CO ; art. 6 LDA, art. 8 LDA, art. 16 LDA, art. 17 LDA, art. 62 LDA.

Le droit suisse connaît le principe du créateur, selon lequel seule une personne physique, à savoir celle qui a créé l’œuvre, peut être auteur. Une personne morale ne peut pas l’être. La règle de l’art. 8 al. 1 LDA, qui concerne le fardeau de la preuve, ne se rapporte qu’au créateur de l’œuvre selon l’art. 6 LDA, donc à une personne physique. Mais les personnes morales peuvent devenir titulaires de droits d’auteur à titre dérivé, à la suite d’un acte juridique. Le transfert de droits d’auteur - « cession » - a un effet absolu – quasi-réel – et a pour conséquence que la position juridique du cédant passe au cessionnaire. Ce dernier peut alors, en particulier, faire valoir en justice les droits d’auteur transférés. La règle de l’art. 8 al. 2 LDA doit être distinguée de ce qui précède. Elle prévoit que la personne qui a fait paraître l’œuvre, subsidiairement celle qui l’a divulguée, peut exercer le droit d’auteur lorsque l’auteur n’est pas désigné (ou est inconnu). Il peut s’agir d’une personne morale. La disposition a par ailleurs pour but de permettre à l’auteur de faire valoir ses droits tout en conservant l’anonymat. La personne qui a fait paraître l’œuvre ou celle qui l’a divulguée n’acquière pas de droit d’auteur propre, mais seulement le pouvoir d’exercer en son nom les droits de l’auteur. Si ce dernier est nommé par la suite, ledit pouvoir tombe (c. 4.1). Les règles précitées valent aussi en cas de création d’une œuvre dans le cadre de rapports de travail ou de mandat, sous réserve de l’art. 17 LDA pour les logiciels. Le travailleur qui crée une œuvre est donc originairement auteur. Le droit suisse ne connaît pas le principe anglo-saxon du « work for hire », selon lequel le droit d’auteur peut naître directement en la personne de l’employeur ou du mandant. Il en va différemment des droits sur les inventions et les designs, d’après les art. 332 et 321b al. 2 CO. L’employeur peut toutefois se faire céder les droits contractuellement, librement, également à l’avance et de manière globale. L’interprétation du contrat de travail conduira alors normalement à admettre rapidement une cession des droits d’auteur par acte concluant, ou au moins une licence, dont l’employeur a besoin pour atteindre son but. Mais cela doit être établi sur la base des rapports contractuels concrets et des circonstances du cas particulier. Dans la mesure où l’auteur n’est pas désigné sur l’exemplaire de l’œuvre et où l’employeur est la personne qui a fait paraître l’œuvre ou l’a divulguée, il pourra exercer les droits de son employé sur la base de l’art. 8 al. 2 LDA (c. 4.2). Vu ce qui précède, le jugement attaqué est conforme au droit fédéral : la recourante n’a pas établi qui avait écrit quelles contributions journalistiques ; elle n’a pas allégué non plus que les auteurs seraient non désignés au sens de l’art. 8 al. 2 LDA. Au contraire, elle donne le nom de certains auteurs. Sur la base de ses allégations de fait, on ne peut pas conclure qu’elle est légitimée à exercer les actions de l’art. 62 LDA : rien ne montre qu’elle aurait acquis des droits par cession ou qu’elle serait devenue licenciée exclusive au sens de l’art. 62 al. 3 LDA ; rien non plus ne dit qu’elle pourrait se prévaloir du pouvoir d’exercice prévu par l’art. 8 al. 2 LDA. L’argument selon lequel elle aurait qualité pour agir car toutes les contributions litigieuses émanent de ses employés est trop absolu et, sans examen des contrats de travail concrets, il n’est pas pertinent d’après la conception légale suisse (c. 4.3). [VS]