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16 janvier 2019

HG.2018.48-HGK (d)

Droit d’auteur, gestion collective, « ProLitteris »; instance cantonale unique, compétence matérielle, procédure simplifié ; art. 5 al. 1 lit. a CPC, art. 5 al. 1 lit. c CPC, art. 6 al. 4 lit. a CPC, art. 243 CPC.

L’instauration d’une instance cantonale unique en propriété intellectuelle a pour but de concentrer les connaissances juridiques et spécialisées auprès d’un seul tribunal. La valeur litigieuse ne joue aucun rôle, sauf pour les litiges concernant la LCD selon l’art. 5 al. 1 lit. d CPC. Pour ceux-ci, la procédure simplifiée selon les art. 243 ss CPC est applicable lorsque la valeur litigieuse est inférieure à CHF 30'000.- (c. 3.1). Si le législateur avait voulu que la procédure simplifiée influence la compétence matérielle de l’instance cantonale unique, il aurait été inutile de prévoir une valeur litigieuse minimale pour les litiges relevant de la LCD (c. 3.2). Devant l’instance cantonale unique, la procédure simplifiée est inapplicable d’après l’art. 243 al. 3 CPC. Les litiges sont soumis à la procédure ordinaire, aussi pour une valeur litigieuse inférieure à CHF 30'000.-. La compétence matérielle de l’instance cantonale unique l’emporte ainsi sur la règle de procédure générale de l’art. 243 al. 1 CPC, aussi lorsque c’est le Tribunal de commerce qui fonctionne comme instance cantonale unique (c. 3.3). La jurisprudence du TF selon laquelle les règles sur le type de procédure l’emportent sur la compétence matérielle du tribunal de commerce n’est pas applicable (c. 3.4 et 3.5). [VS]

CPC (RS 272)

- Art. 243

- Art. 6

-- al. 4 lit. a

- Art. 5

-- al. 1 lit. c

-- al. 1 lit. a

08 février 2019

TF, 8 février 2019, 4A_433/2018 (d)

« Blocage de sites internet illicites » ; action en cessation, blocage de sites internet, fournisseur d’accès, responsabilité du fournisseur d’accès, solidarité, acte illicite, acte de participation, causalité adéquate, intérêt digne de protection, droit d’auteur, précision des conclusions, usage privé, piraterie ; art. 8 WCT, art. 42 al. 2 LTF, art. 76 al. 1 lit. b LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 4 CC, art. 28 CC, art. 50 CO, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 24a LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 110 LDIP.

La recourante a un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision. Son recours en matière civile est donc recevable, sous réserve qu’il soit suffisamment motivé (c. 1.1). Le droit d’auteur ne connait pas de disposition comme l’art. 66 lit. d LBI ou l’art. 9 al. 1 LDes qui traiterait des actes de participation. L’art. 50 CO ne règle pas seulement la responsabilité solidaire pour la réparation d’un dommage, mais il constitue la base légale de la responsabilité civile des participants. Cette disposition peut être invoquée non seulement en cas d’action réparatoire, mais aussi en cas d’action en cessation. Les normes particulières du droit de la personnalité – art. 28 al. 1 CC – ou des droits réels ne sont pas applicables en droit d’auteur. Comme l’action en dommages-intérêts, l’action en cessation suppose une violation du droit d’auteur et un rapport de causalité adéquate entre la contribution du participant attaqué et cette violation (c. 2.2.1). Les clients de l’intimée, auxquels celle-ci confère l’accès à Internet, n’accomplissent aucune violation du droit d’auteur en consommant des films : l’exception d’usage privé est applicable, même si ces films ont été mis à disposition illicitement. Il ne peut donc pas y avoir de responsabilité de l’intimée pour un acte de participation (c.2.2.2). La protection de la LDA s’étend aussi aux actes commis à l’étranger mais produisant leurs effets en Suisse (c. 2.2.3). La question est de savoir si l’intimée, qui fournit l’accès à Internet, répond selon l’art. 50 al. 1 CO pour une participation à la mise à disposition illicite des films. Le rapport de causalité adéquate doit être apprécié dans chaque cas particulier selon les règles du droit et de l’équité au sens de l’art. 4 CC. Il implique donc un jugement de valeur. Pour qu’une participation soit adéquate, il faut un rapport suffisamment étroit avec l’acte illicite (c. 2.3.1). La prestation de l’intimée se limite à fournir un accès automatisé à Internet. Elle n’offre pas à ses clients des contenus déterminés. Les copies temporaires qu’implique son activité sont licites d’après l’art. 24a LDA. La déclaration commune concernant l’art. 8 WCT exclut que la fourniture d'installations techniques constitue un acte principal de communication au public ; elle n’empêche toutefois pas une responsabilité pour participation secondaire. En l’espèce, les auteurs principaux des violations ne sont pas clients de l’intimée et n’ont aucune relation avec elle. L’acte de mise à disposition est accompli déjà lorsque les films sont placés sur Internet de sorte à pouvoir être appelés aussi depuis la Suisse. L’intimée ne contribue pas concrètement à cet acte. Admettre le contraire sur la base de l’art. 50 al. 1 CO conduirait à retenir une responsabilité de tous les fournisseurs d’accès en Suisse, pour toutes les violations du droit d’auteur commises sur le réseau mondial. Une telle responsabilité « systémique », impliquant des devoirs de contrôle et d’abstention sous la forme de mesures techniques de blocage d’accès, serait incompatible avec les principes de la responsabilité pour acte de participation. Il n’y a donc aucun rapport de causalité adéquat avec les violations, justifiant une action en cessation. Une implication des fournisseurs d’accès dans la lutte contre le piratage nécessiterait une intervention du législateur (c. 2.3.2). [VS]

01 mars 2019

TF, 26 février 2019, 4A_629/2018 (d)

« fixation du dommage » ; droit d’auteur, dommage, fardeau de l’allégation, fardeau de la preuve, preuve du dommage, fixation du dommage ; art. 42 al. 2 CO.

La fixation du dommage selon la méthode de l’analogie avec la licence nécessite aussi la preuve d’un dommage. Le demandeur ne peut pas se borner à alléguer l’utilisation sans licence de son logiciel et l’obtention du prix catalogue par le défendeur (c. 5.1). Quelle que soit la méthode de détermination du dommage, l’art. 42 al. 2 CO ne dispense pas le demandeur d’alléguer tous les éléments qui lui sont accessibles et qui permettront au juge d’évaluer le dommage (c. 5.2). [VS]

25 mars 2019

TF, 25 mars 2019, 4A_590/2018 (d)

sic! 7-8/2019, p. 436-439, « Riverlake / RiverLake » ; raison de commerce, raison sociale, signe fantaisiste, néologisme, force distinctive moyenne, reprise d’une raison de commerce, terme générique, terme descriptif, droit de la personnalité, risque de confusion indirect, risque de confusion admis, impression générale, registre du commerce, droit au nom, usurpation, nom de domaine, transfert de nom de domaine, site Internet, anglais, Riverlake, RiverLake Capital AG, riverlake.com, transport maritime, finance, services financiers ; art. 29 al. 2 CC, art. 951 CO, art. 956 al. 2 CO.

Un prestataire logistique genevois, actif notamment dans le transport maritime de marchandises et ayant fait inscrire entre 1985 et 2011 quatre raisons de commerce contenant principalement le terme « Riverlake », a attaqué une entreprise zougoise, « RiverLake Capital AG », fournissant des services dans le domaine de la finance, suite à l’inscription en 2017 de sa raison de commerce dans le registre du commerce du canton de Zoug. Dans son jugement, l’instance précédente a interdit à la société zougoise d’utiliser l’élément « RiverLake » dans sa raison sociale, ainsi que dans les affaires en Suisse, notamment sur son site Internet, pour la désigner ou pour désigner ses services. Selon l’instance précédente, le terme « Riverlake », bien que composé de deux désignations génériques, constitue un néologisme. Elle considère qu’il s’agit d’un signe fantaisiste doté d’une force distinctive au moins moyenne, et que ni l’élément descriptif « Capital AG », ni l’utilisation d’un « L » majuscule dans la raison de commerce de la recourante ne lui permettent de se distinguer suffisamment nettement de la raison de commerce antérieure de la défenderesse, d’une manière qui permettrait d’exclure tout risque de confusion indirect (c. 2.2). Dans l’examen de l’existence d’un risque de confusion entre les raisons de commerce litigieuses, c’est à raison que l’instance cantonale s’est fondée sur l’impression d’ensemble produite sur le public, doté de connaissances moyennes de l’anglais. Elle n’a pas violé le droit fédéral en considérant que l’expression « Riverlake », considérée dans son ensemble, ne constitue pas une désignation descriptive, mais bien plutôt une désignation fantaisiste, certes dénuée d’originalité particulière. Contrairement à ce que soutient la recourante, et à l’inverse de ce qui prévaut en droit des marques, les raisons de commerce sont aussi protégées contre leur emploi par des entreprises actives dans d’autres branches. Par ses considérations, l’instance précédente n’a commis aucune violation de l’art. 951 CO, en lien avec l’art. 956 al. 2 CO (c. 2.3). Selon l’art. 29 al. 2 CC, celui qui est lésé par une usurpation de son nom peut intenter action pour la faire cesser. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’usage du nom d’autrui porte atteinte à ses intérêts lorsque l’appropriation du nom entraîne un risque de confusion ou de tromperie ou que cette appropriation est de nature à susciter dans l’esprit du public, par une association d’idées, un rapprochement qui n’existe en réalité pas entre le titulaire du nom et le tiers qui l’usurpe sans droit. Le degré d’atteinte requis par la loi est réalisé lorsqu’une association d’idées implique le titulaire du nom dans des relations qu’il récuse et qu’il peut raisonnablement récuser. L’usurpation du nom d’autrui ne vise pas seulement l’utilisation de ce nom dans son entier, mais aussi la reprise de sa partie principale si cette reprise crée un risque de confusion (c. 3.1). Dans son mémoire de recours, la demanderesse ne démontre pas que l’instance inférieure ait commis une violation de l’art. 29 al. 2 CC (c. 3.2). La recourante, qui s’est vu ordonner par l’instance précédente de transférer à la défenderesse le nom de domaine www.riverlake.com dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement, ne traite pas dans son mémoire des considérations de la décision attaquée. Elle affirme seulement que le domaine de premier niveau « .com » ne s’adresse pas seulement à la population suisse, et doit pouvoir continuer à être utilisé dans le monde entier. Comme l’explique à raison la défenderesse, les noms de domaine en « .com » peuvent être consultés depuis la Suisse, et atteignent donc aussi le public Suisse. L’atteinte produit des effets en Suisse. Le blocage d’un nom de domaine ne peut être limité ni territorialement, ni sur le fond. La recourante n’explique pas en quoi la décision de l’instance précédente serait disproportionnée, et ne met pas en cause le fondement de la prétention au transfert du nom de domaine (c. 4). Le recours est rejeté (c. 5). [SR]

07 mai 2019

TF, 7 mai 2019, 4A_510/2018 (d)  

TECTON/DEKTON, droit des marques, droit de la personnalité, droit au nom, raison de commerce, raison sociale, action en constatation de la nullité d’une marque, action en interdiction, motifs d’exclusion relatifs, similarité des produits ou services, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des raisons de commerce, élément caractéristique essentiel, élément dominant, degré d’attention légèrement accru, cercle des destinataires pertinent, risque de confusion direct, risque de confusion indirect, service de construction, matériaux de construction, usage de la marque, usage à titre de marque, fait notoire, fardeau de la preuve ; art. 8 CC, art. 29 al. 2 CC, art. 951 al. 1 CO, art. 956 CO, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 2 LPM, art. 11 al. 3 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 13 al. 2 LPM, art. 151 CPC.

Un risque de confusion existe au sens de l’art. 3 al. 1 LPM lorsqu’un signe plus récent porte atteinte à la force distinctive d’une marque antérieure. Tel est le cas lorsqu’il doit être craint que les cercles des destinataires pertinents soient induits en erreur par la similitude du signe et que les produits ou les services portant l’un ou l’autre des signes soient attribués au mauvais titulaire de la marque (risque de confusion direct) ou au cas où le public fait la différence entre les deux signes, s’il déduit de leur ressemblance l’existence de liens en fait inexistants, en particulier s’il croit y voir des marques de séries qui désignent les différentes lignes de produits de la même entreprise ou de différentes entreprises économiquement liées entre elles (risque de confusion indirect). Pour trancher du risque de confusion entre des marques, c’est l’impression d’ensemble que celles-ci laissent dans le souvenir du consommateur qui est déterminante. Plus un signe s’est imposé de manière forte dans le commerce, plus son champ de protection est large et plus les produits pour lesquels les marques sont enregistrées sont proches, plus le risque que des confusions interviennent est élevé et plus le signe le plus récent doit se différencier nettement des signes antérieurs pour bannir tout risque de confusion. La vérification de l’existence d’un tel risque de confusion est une question de droit. Le TF examine ainsi en particulier librement comment a été établi le cercle des destinataires pertinent des produits ou services enregistrés et – pour les biens de consommation courante – comment les destinataires perçoivent le signe en fonction du degré d’attention qui peut être attendu d’eux (c. 2.1). Après l’écoulement du délai de carence de 5 ans de l’art. 12 al. 1 LPM, une marque n’est protégée que dans la mesure où elle est effectivement utilisée en relation avec les produits et les services enregistrés (au sens de l’art. 11 al. 1 LPM). L’objet de l’utilisation à titre de marque doit en outre concorder avec l’objet de la protection à titre de marque. La marque doit dès lors fondamentalement être utilisée telle qu’elle est enregistrée puisque ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra déployer l’effet distinctif qui correspond à sa fonction. L’art. 11 al. 2 LPM admet cependant que l’usage d’une forme de la marque ne divergeant pas essentiellement de celle qui est enregistrée suffit pour maintenir le droit. Il convient alors que l’identité du noyau distinctif de la maque qui en détermine l’impression d’ensemble soit conservée et qu’en dépit de l’utilisation différente qui en est faite, le caractère distinctif de la maque demeure. Cela n’est le cas selon la jurisprudence du TF que lorsque le commerce, malgré sa perception des différences, met l’impression d’ensemble dégagée par le signe différent utilisé sur le même plan que celle de la marque enregistrée et voit ainsi encore et toujours la même marque dans la forme utilisée. Il faut donc se demander si le commerce voit dans la forme enregistrée et la forme utilisée un seul et même signe et n’attribue aucun effet distinctif propre aux éléments modifiés, ajoutés ou abandonnés. Les exigences d’identité des signes lorsqu’elles concernent l’élément central (« Kernbereich ») de la marque sont ainsi bien plus élevées que dans le cadre de l’examen d’une confusion. Enfin, l’usage destiné à maintenir le droit ne suppose pas que le titulaire de la marque utilise lui-même le signe en relation avec les produits ou les services enregistrés. L’usage de la marque auquel le titulaire consent est assimilé à l’usage par le titulaire selon l’art. 11 al. 3 LPM (c. 2.3.1). Une utilisation de la marque avec des éléments descriptifs additionnels qui ne font pas disparaître l’identité de l’élément caractéristique central de celle-ci, soit in casu le vocable « tecton », vaut usage de la marque, le commerce voyant un seul et même signe entre la marque enregistrée et la forme sous laquelle elle est utilisée. Il ne saurait être exigé du titulaire de la marque qu’il fasse du marketing, mais uniquement qu’il utilise effectivement sa marque. Ce qui est déterminant est l’existence d’un usage conforme de la marque au sens de l’art. 11 LPM. Il ne saurait être considéré qu’un usage de la marque sur des cartes de visite, la home page du site de la société ou des documents de présentation de celle-ci, sur des véhicules ou des bâtiments ne serait pas sérieux (c. 2.3.1.3). Le cercle des destinataires pertinents pour des travaux de couverture et de construction offerts sous les marques « tecton » et « tecton (fig.) » sont des acheteurs privés et publics du domaine du bâtiment auxquels les prestations du titulaire de la marque sont généralement présentées par un architecte. Aucune des marques litigieuses ne vise exclusivement des professionnels. Du moment que les prestations offertes par le titulaire de ces marques dans le domaine de la construction ne se rapportent pas à des besoins courants, un degré d’attention légèrement accru peut être attendu de leurs destinataires. Il ne suffit toutefois pas à exclure l’existence d’un risque de confusion (c. 2.3.2). Un risque de confusion direct entre les deux signes doit être admis. En effet, ces derniers, respectivement en tout cas leurs éléments caractéristiques essentiels « tecton » et « dekton » sont si semblables tant sur les plans visuel que sonore qu’ils sont susceptibles d’être confondus même par ceux qui feraient preuve d’un degré d’attention légèrement accru, par exemple en étant perçus comme résultant de simples fautes de frappe. Dans la mesure où des produits semblables sont offerts sous ces désignations, un risque de confusion est sans autre donné, de sorte que le signe le plus récent doit se voir dénier la protection à titre de marque (c. 2.3.3). Il y a similitude entre des services d’une part et des produits d’autre part lorsqu’il existe un lien commercialement usuel entre eux dans le sens où les deux sont typiquement offerts par les mêmes entreprises comme constituant un paquet de prestations unique (c. 2.3.4). Tel est le cas entre des matériaux de construction comme produits de la classe 19, d’une part, et des travaux de construction, de réparation et d’installation en tant que services de la classe 37, d’autre part. Le tout constitue en effet du point de vue de l’acheteur un paquet de prestations cohérent impliquant qu’une similitude soit admise au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 2.3.4.1-2.3.4.5). Selon l’art. 13 al. 1 LPM, le droit à la marque confère à son titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits enregistrés. Le titulaire peut, selon l’art. 13 al. 2 LPM ; interdire à des tiers l’usage d’un signe exclu de la protection en vertu de l’art. 3 al. 1 LPM. L’action en interdiction que le titulaire déduit de l’art. 13 al. 2 LPM découle de son enregistrement au registre des marques et vaut pour toute la Suisse (c. 3). Il en va de même pour la protection de la raison sociale d’une société commerciale (c. 4.4). Une prétention à la protection du nom, selon l’art. 29 al. 2 CC, suppose que le titulaire du nom soit lésé par l’usurpation qu’en fait un tiers. Tel est le cas lorsque cette dernière occasionne un risque de confusion ou de tromperie ou lorsqu’elle est de nature à susciter par une association d’idées dans l’esprit du public l’existence de liens en fait non avérés entre le titulaire du nom et celui qui l’usurpe. Le titulaire peut ainsi être lésé du fait que l’association d’idées suggère une relation qui n’existe pas, que le titulaire n’admet pas et qu’il est raisonnablement fondé à ne pas admettre. Il n’y a pas usurpation seulement en cas de reprise injustifiée de l’entier du nom d’un tiers, mais aussi de l’élément caractéristique essentiel de celui-ci, lorsqu’il en résulte un risque de confusion (c. 5.2). La portée matérielle et spatiale de la protection du nom se détermine en fonction d’utilisations concrètes de ce nom et de ses répercussions effectives. Comme la portée de la protection du nom dépend de l’activité effectivement déployée sur un certain territoire respectivement, pour ce qui est du risque de confusion, des contacts avec certains adressataires, elle ne peut être déterminée sur la seule base de l’enregistrement au registre du commerce. Si un extrait du registre du commerce est un fait notoire au sens de l’art. 151 CPC, il ne permet pas de déterminer si la société exerce bien aussi son activité statutaire au lieu de son siège. Pour admettre une violation du droit au nom, il convient de vérifier dans quelle mesure son titulaire l’utilisait sur le territoire concerné et est par conséquent lésé par l’usurpation dont il se plaint (c. 5.5). Le recours est partiellement admis. [NT]

22 septembre 2020

TF, 22 septembre 2020, 4A_115/2020 (d)

Mesures provisionnelles, décision incidente, préjudice irréparable, droit d’être entendu, arbitraire, arbitraire dans la constatation des faits, droit d’auteur, programme d’ordinateur, concurrence déloyale, droit des obligations, contrat, recours rejeté ; art. 9 Cst., art. 29 Cst., art. 93 al. 1 lit. a LTF, art. 1 CO, art. 2 LDA, art. 5 LCD.

La demanderesse, alléguant l’utilisation et la transmission non autorisées de logiciels nouvellement développés, a demandé sans succès l’octroi de mesures provisionnelles. Un recours contre une décision rendue en matière de mesures provisionnelles, lorsqu’elle constitue une décision incidente, n’est recevable que si lesdites mesures peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 lit. a LTF). La réalisation de cette condition suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qu’une décision favorable ultérieure ne permettrait pas de faire disparaître. Les inconvénients de pur fait, tels que l’accroissement des frais de procédure ou la prolongation de celle-ci, ne sont pas considérés comme un préjudice irréparable de ce point de vue (c. 1.2). En l’espèce, c’est à juste titre que la plaignante affirme être exposée à un préjudice qui dépasse l’inconvénient de pur fait. Par sa demande de mesures provisionnelles, elle cherche notamment à prévenir la divulgation de secrets à des tiers, qui ne pourrait être empêchée par un jugement au principal qui lui serait favorable. Par ailleurs, en ce qui concerne les autres actes couverts par l’interdiction requise, le préjudice dont elle est concrètement menacée ne peut pas non plus être éliminé par une éventuelle décision future qui lui serait favorable, d’autant plus que les fonctions de programme du logiciel litigieux prétendument utilisées par le défendeur constituent les éléments d’un nouveau produit, pour lequel le chiffre d’affaire et le bénéfice sont inconnus. Il faut en outre partir du principe, avec la plaignante, que les motifs pour lesquels la clientèle pourrait être amenée à choisir des produits de la concurrence, élaborés en utilisant des composants logiciels protégés, sont peu susceptibles d'être démontrables. Dans ces circonstances, contrairement à l'opinion de la partie défenderesse, il ne faut pas s'attendre à ce que le préjudice dont la plaignante est menacée puisse être réparé par le versement de dommages et intérêts, par une réparation du tort moral ou par la remise du gain (c. 1.3). Relativement aux mesures provisionnelles qu’elle a requis en se fondant sur le droit d’auteur, sur le droit de la concurrence déloyale et sur le droit des contrats, la demanderesse invoque une violation par l’autorité inférieure de son droit d’être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) et de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.). Aucune violation du droit d’être entendu ne peut être reprochée à l’instance inférieure (c. 4). Quant à l’arbitraire, il ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération, ou même qu’elle serait préférable, mais seulement du fait que la décision attaquée apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d’un droit certain. Il ne suffit en outre pas que les motifs de la décision soient insoutenables, mais il faut encore que celle-ci soit arbitraire dans son résultat (c. 5.1). Selon la demanderesse, l’autorité inférieure a violé de manière « flagrante et arbitraire » plusieurs dispositions de droit fédéral en considérant que, dans la demande de mesures provisionnelles, aucune violation du droit d’auteur n’a été rendue vraisemblable, au motif qu’elle n’a pas démontré les fonctions du programme qui auraient été copiées et la contribution personnelle créative de son employé. La demanderesse ne parvient pas à démontrer l’existence d’une violation de l’art. 9 Cst. : outre le fait qu'elle se fonde de manière irrecevable sur des éléments factuels relatifs au contexte technique de son logiciel et à l'effort de développement qui a été consenti, qui ne peuvent être déduits de la décision attaquée, elle se contente de présenter son avis juridique sur la protection des programmes d'ordinateur et des parties de programmes ainsi que son avis selon lequel son logiciel est protégé par le droit d'auteur. Elle ne peut démontrer que les considérations de la décision attaquée, selon lesquelles elle n’a ni expliqué le contenu des fonctions prétendument copiées, ni fait de déclarations quant à la contribution créative de son employé, sont arbitraires. Elle affirme avoir montré le contenu des fonctions du programme copiées, mais, dans sa demande de mesures provisionnelles, elle ne révèle pas le code du programme, mais se contente d’une brève description de son objectif, avec des mots-clés individuels. Du point de vue de l'arbitraire, l'objection de la juridiction inférieure selon laquelle la demande de mesures provisionnelles n'était pas suffisamment motivée ne peut pas être contestée. La demanderesse ne parvient pas non plus à démontrer une application anticonstitutionnelle de l’art. 2 LDA en soulignant que l’instance inférieure a elle-même, dans une décision en matière de mesures super-provisionnelles, initialement assumé la protection par le droit d’auteur des composants logiciels en question, l’instance inférieure n’étant bien entendue pas liée par cette décision (c. 5.2). Concernant ses prétentions reposant sur le droit de la concurrence déloyale, la demanderesse ne parvient pas non plus à démontrer une violation de l’interdiction de l’arbitraire. En alléguant une prétendue violation de l’art. 5 LCD, elle s’appuie sur des éléments de fait qui ne peuvent être déduits de la décision attaquée. Elle n’est pas non plus en mesure de démontrer que l’appréciation de l’instance précédente, selon laquelle les faits à l’origine de la demande n’ont pas été exposés de manière suffisamment étayée, est arbitraire (c. 5.3). La plaignante ne parvient pas non plus à démontrer une violation de l’interdiction d’arbitraire en ce qui concerne ses prétentions contractuelles (c. 5.4). Le recours est rejeté (c. 6). [SR]

15 mars 2019

TAF, 15 mars 2019, B-5334/2016 (d)

sic! 9/2019 p. 491 (rés), « Think different/Tick different » (fig.) ; Motifs d’exclusion relatifs, marque verbale, marque figurative, marque notoirement connue, fardeau de la preuve, maxime inquisitoire, fait notoire, légitimation active, slogan, apple, défaut d’usage, droit étranger américain ; art. 13 PA, art. 3 al. 2 lit. b LPM, art. 11 LPM, art. 12 LPM.

La recourante est titulaire de la marque « THINK DIFFERENT ». Invoquant l’article 3 al. 1 lit b LPM, elle considère que l’instance précédente a, à tort nié la notoriété de sa marque en lui imposant des exigences trop importantes en matière de preuve (c. 4.1). La titulaire de marque opposante « TICK DIFFERENT », enregistrée en Suisse le 19 octobre 2015 conteste la qualité pour agir de la recourante et, subsidiairement le caractère notoire de la marque opposante (c. 4.2). C’est « l’untersuchungsmaxime » (maxime inquisitoire) qui s’applique dans la procédure d’opposition. Or, les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits, d’amener les éléments de preuve et d’invoquer les droits sur lesquels elles fondent leurs conclusions. En particulier dans l’examen du caractère notoire d’une marque, le devoir de collaborer est fondamental. Chaque partie est en effet la plus à même de produire les documents nécessaires à l’établissement d’un tel caractère. (c. 5). Aux Etats-Unis, il n’est pas obligatoire d’enregistrer un signe afin de bénéficier de la protection du droit des marques. Une marque non-enregistrée voit sa protection limitée aux produits et services pour lesquels elle est utilisée, et à l’aire géographique dans laquelle elle est également utilisée (c. 6.1). Celui qui se fonde sur la notoriété d’une marque non enregistrée doit au moins rendre vraisemblable son droit à s’opposer, de la même manière que le titulaire d’une marque enregistrée doit définir la marque sur laquelle se fonde l’opposition. En l’espèce, la recourante doit démontrer que sa marque existe encore aux Etats-Unis au moment du dépôt de la marque attaquée (c. 6.3). La recourante a déposé de nombreux éléments, mais aucun n’est daté. Toutefois, il est possible d’en déduire une date approximative. La notion de notoriété, au sens de la LPM ne doit pas être confondue avec les faits qui sont notoires pour l’autorité en procédure. On attend donc d’une partie qu’elle démontre l’utilisation et l’existence de sa marque au moyen de preuves. Il n’est pas exorbitant d’exiger de la recourante qu’elle amène des preuves permettant de dater ses documents, et quand c’est possible, de préciser cette datation avec des éléments complémentaires. En effet, c’est la recourante qui est la plus à même de savoir quand, sous quelle forme et pour quels produits elle a utilisé sa marque (c. 6.5). La recourante parvient à rendre vraisemblable l’utilisation de la marque « THINK DIFFERENT » entre 1997 et 2002, puis depuis 2014 en rapport avec des ordinateurs en classe 9. Bien qu’elle ait produit deux photographies de montres, rien ne permet de les dater, si bien que rien ne laisse supposer un usage pour des produits en classe 14, le signe « THINK DIFFERENT » était bien utilisé au moment du dépôt de la marque attaquée. La recourante dispose donc bien de la légitimation active, dans la mesure où la similarité des produits et services n’est pas une condition d’entrée en matière (c. 6.6 et 6.7). Une marque peut être notoirement connue, et cette caractéristique peut être un fait notoire pour le tribunal, mais les deux notions ne sont pas synonymes (c. 7.1). La notoriété d’une marque n’est pas facilement admise (7 à refaire). La marque « THINK DIFFERENT » est un très bon slogan court et frappant, très lié à la politique marketing de la recourante comme à son fondateur, Steve Jobs, mais cela ne suffit pas à rendre sa notoriété au sens de la LPM notoire pour le tribunal (c. 7.2.1-7.3.3). Au sein des divers éléments invoqués, divers articles publiés dans des rubriques « médias et informatique » permettent de rendre vraisemblable la notoriété de la marque « THINK DIFFERENT » pour les destinataires pertinents jusqu’à 2006. Cependant, la recourante ne parvient pas à prouver un usage en suisse ou à l’étranger de sa marque au moment du dépôt de la marque attaquée. Si une marque, même non utilisée, peut rester notoire pour les consommateurs, elle peut également perdre sa notoriété des suites de sa non-utilisation (c. 7.3.4). En l’espèce, la marque opposante a avant tout servi à caractériser Steve Jobs et sa philosophie jusqu’à à son décès. A partir de 2009, la recourante ne parvient plus à démontrer la notoriété de sa marque, et ne peut démontrer un usage sérieux au sens des articles 11 et 12 LPM. C’est donc à raison que l’instance précédente a reconnu la qualité pour agir à la recourante tout en rejetant son opposition au motif que la marque « THINK DIFFERENT » n’était pas notoire au sens de l’article 3 al.1 lit. b LPM (c. 7.3.5-8). [YB]

12 novembre 2019

TF, 12 novembre 2019, 4A_88/2019 (f)  

Contrat de distribution, escroquerie, concurrence déloyale, droit des marques, droit d’auteur, remise du gain, appréciation des preuves, arbitraire, allégation des parties, gestion d’affaires, fardeau de la preuve, fardeau de l’allégation, remise du gain, atteinte combinée, concours de causes ; art. 9 Cst., art. 8 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 62 CO, art. 423 CO, art. 70 CP, art. 62 al. 2 LDA.

Selon l’art. 423 al. 1 CO, auquel renvoie l’art. 62 al. 2 LDA (de même que l’art. 55 al. 2 LPM et l’art. 9 al. 3 LCD), lorsque la gestion n’a pas été entreprise dans l’intérêt du maître, celui-ci n’en a pas moins le droit de s’approprier les profits qui en résultent (c. 3.1). Cette disposition vise l’hypothèse de la gestion d’affaires imparfaite de mauvaise foi, le gérant intervenant illicitement dans les affaires du maître en agissant non pas dans l’intérêt de ce dernier mais dans son propre intérêt ou celui d’un tiers. L’art. 423 CO a pour but essentiel d’éviter que le gérant, auteur de l’ingérence, ne profite de celle-ci et qu’il en conserve les profits. La remise du gain remplit ainsi aujourd’hui également une fonction préventive (ou punitive) et plus seulement une fonction de rééquilibrage. Pour que la règle de l’art. 423 CO trouve application, trois conditions cumulatives doivent être réalisées : 1) une atteinte illicite aux droits d’autrui, l’intervention du gérant ayant lieu sans cause et ne reposant ni sur un contrat, ni sur la loi. En matière de droit d’auteur, toute utilisation non autorisée des droits appartenant à des tiers est considérée comme une intervention illicite ; 2) le gérant intervenant sans droit dans les affaires d’autrui doit avoir la volonté de gérer celle-ci exclusivement ou de manière prépondérante dans son propre intérêt ; 3) la mauvaise foi du gérant est nécessaire qui est donnée s’il sait ou doit savoir qu’il s’immisce dans la sphère d’autrui sans avoir de motif pour le faire (c. 3.1.1). Si ces conditions sont remplies, le gérant est tenu de restituer au maître le profit (illégitime) qu’il a réalisé, soit tout avantage pécuniaire résultant de l’ingérence qui réside dans la différence entre le patrimoine effectif de l’auteur de la violation et la valeur qu’aurait ce patrimoine en l’absence de toute violation. Le profit doit être en lien de causalité avec l’atteinte illicite incriminée. Il incombe au maître de rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’atteinte illicite à ses biens juridiques et les profits nets réalisés par le gérant. A cet égard, une vraisemblance prépondérante suffit (c. 3.1.2). On est en présence d’une « atteinte combinée » ou d’un « concours de causes » lorsque le profit réalisé par le gérant résulte aussi bien de l’atteinte aux biens juridiquement protégés d’un tiers (le maître) que de l’activité licite menée par le gérant lui-même (know-how, qualité de ses services, recours à une campagne de marketing particulièrement réussie, réseau de distribution performant, etc.). La restitution (au maître) ne peut alors porter que sur la partie du profit qui découle de l’atteinte, par le gérant, aux biens juridiquement protégés du maître. Ce concours de causes a été envisagé par le législateur puisque celui-ci a explicitement exprimé sa volonté de laisser le Juge apprécier librement (parmi les divers facteurs ayant permis au gérant de réaliser un gain) la mesure dans laquelle celui-ci résulte de l’atteinte illicite aux biens du maître. Lorsque le gérant ayant porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle du maître a également commis une infraction pénale (in casu : une escroquerie) au détriment d’une tierce personne, la part du profit qui en découle (soit le produit de l’infraction) ne devra pas être restituée au maître. Dans cette situation, le comportement du gérant, qui s’est enrichi illégitimement au dépens du consommateur (lésé), donne naissance à un (nouveau) fondement juridique (distinct de celui à l’origine de la remise de gain) permettant exclusivement à ce lésé de faire valoir sa prétention tendant au remboursement du montant qu’il a versé sans cause (c. 3.1.3). Dans la mesure où la restitution porte sur l’enrichissement net du gérant, le maître a la charge de prouver le montant de la recette brute, alors que le gérant doit établir le montant des coûts engagés. Une évaluation par application analogique de l’art. 42 al. 2 CO n’est admissible que si les conditions en sont remplies. La preuve facilitée prévue par cette règle ne libère pas le demandeur de la charge de fournir au Juge, dans la mesure où cela est possible et où on peut l’attendre de lui, tous les éléments de faits qui constituent des indices de l’existence du profit et qui permettent ou facilitent son estimation ; elle n’accorde pas au lésé la faculté de formuler, sans indication plus précise, des prétentions en remise de gain de n’importe quelle ampleur. Par conséquent, si le lésé ne satisfait pas entièrement à son devoir de fournir des éléments utiles à l’estimation, l’une des conditions dont dépend l’application de l’art. 42 al. 2 CO n’est pas réalisée, alors même que, le cas échéant, l’existence d’un dommage est certaine. Le lésé est alors déchu du bénéfice de cette disposition ; la preuve du dommage n’est pas rapportée et, en conséquence, conformément au principe de l’art. 8 CC, le Juge doit refuser la réparation (c. 3.1.4). In casu, en amenant par une construction astucieuse, ses clients à lui payer des montants surfacturés, le défendeur a en réalité adopté un comportement constitutif d’escroquerie. Celui-ci lui a permis de s’enrichir illégitimement au dépens des clients lésés, donnant ainsi naissance à un (nouveau) fondement juridique (distinct de celui applicable pour la remise du gain). L’enrichissement du défendeur découle de la mise en scène, constitutive d’une infraction pénale, que celui-ci a élaborée au préjudice de ses clients. Lésés par les agissements du défendeur, ce sont ses clients qui, sur le plan civil, sont légitimés à demander la restitution de l’indu au défendeur qui s’est enrichi illégitimement (art. 62ss CO ; cf. éventuellement aussi l’art. 70 CP sur la confiscation de valeurs patrimoniales). La défenderesse ne saurait dès lors prétendre au paiement d’un montant dont un tiers (le client lésé) est le seul créancier et qui repose sur un fondement différent de celui qui sous-tend l’art. 423 CO (c. 3.2.1). Le recours est rejeté. [NT]

23 mai 2019

TF, 23 mai 2019, 4A_22/2019 (d)  

« Otto’s » ; droit des marques, risque de confusion, priorité, usage de la marque en Allemagne, motifs d’exclusion relatifs, vente par correspondance, vente de produits sur Internet, action en radiation d’une marque, territorialité, péremption, concurrence déloyale ; art. 5 du Traité entre la Suisse et l’Allemagne sur l’usage de la marque, art. 3 al. 1 LPM, art. 6 LPM, art. 11 LPM, art. 13 LPM.

Le
droit à la marque confère, selon l’art. 13 LPM, au titulaire le
droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les
produits ou les services enregistrés et d’en disposer. Le
titulaire peut interdire à des tiers l’usage des signes qui sont
similaires à une marque antérieure et destinés à des produits ou
services identiques ou similaires, lorsqu’il en résulte un risque
de confusion (art. 13 al. 2 LPM en lien avec l’art. 3 al. 1 lit. c
LPM). Un tel risque existe lorsque le signe le plus récent porte
atteinte à la force distinctive de la marque antérieure. Tel est le
cas lorsqu’il doit être craint que les cercles des destinataires
pertinents soient induits par la similitude des signes et attribuent
les produits qui portent l’un ou l’autre de ceux-ci au mauvais
titulaire de la marque ; ou lorsque le public fait bien la
différence entre les signes, mais déduit de leur similitude de faux
liens entre leurs titulaires (c. 2.1). L’autorité précédente a
constaté que l’intimée No 1 a enregistré ses marques
« OTTO-Versand » pour la Suisse en 1979 et « OTTO »
en 1994, alors que la recourante a déposé elle ses marques
« OTTO’S » et « OTTO’S » (fig.) en 1998
et 1999 (c. 2.2). L’intimée peut ainsi prétendre à un droit de
priorité pour les produits et services enregistrés par les deux
parties, au sens de l’art. 6 LPM (c. 2.2.1). Ne peut par contre pas
être suivi le point de vue de l’autorité précédente selon
lequel la prestation de service « vente par correspondance »
pour laquelle l’intimée 1 bénéficie d’un droit de priorité
par rapport à la recourante, concernerait la vente de produits sur
Internet. La simple vente ou distribution de produits n’entre pas
dans la notion de prestations de service de commerce de détail,
indépendamment du type de canaux de vente par lesquels elle
intervient. La vente de marchandise sur catalogue ou par Internet ne
constitue pas un service au sens du droit des marques ; au
contraire, les produits vendus sont distingués par la marque, quel
que soit leur mode de distribution (c. 2.2.2). L’art. 11 al. 1 LPM
prévoit qu’après l’échéance du délai de carence de l’art.
12 LPM, la marque est protégée pour autant qu’elle soit utilisée
en relation avec les produits ou les services enregistrés. Cette
obligation d’usage correspond à la fonction commerciale de la
marque et tend simultanément à empêcher que des marques soient
enregistrées quasiment à titre de réserve. En cas de non usage,
une action en radiation peut être intentée (c. 2.3). En vertu du
principe de la territorialité, le droit à la marque n’est donné
que par le dépôt et l’usage en Suisse. L’intimée No 1 n’a,
de manière incontestée, pas utilisé ses marques en Suisse. La
recourante aurait ainsi en principe pu agir en radiation de ces
marques. L’intimée No 1, dont le siège est en Allemagne, peut
toutefois de prévaloir de la convention entre la Suisse et
l’Allemagne du 13 avril 1892 (RS O.232.149.136) dont l’art. 5.1
prévoit qu’un usage de la marque en Allemagne vaut usage de la
marque en Suisse, le droit suisse déterminant ce qui est retenu
comme constitutif d’usage. Sur la base de ses marques antérieures
« OTTO » et « OTTO-Versand », l’intimée No
1 pourrait interdire à la recourante l’utilisation de sa marque
postérieure « OTTO’S » en vertu de l’art. 3 al. 1
LPM dans la mesure où il en résulte un risque de confusion. La
recourante s’est cependant prévalue de la péremption. Une
péremption du droit d’agir ne doit pas être admise à la légère
puisque seul l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé.
L’exercice tardif d’un droit peut ainsi être abusif lorsqu’il
repose sur une méconnaissance fautive de la violation de ce droit et
que l’auteur de la violation peut avoir considéré de bonne foi
que l’absence de réaction constituait une tolérance de cette
violation. La jurisprudence exige en plus que l’auteur de la
violation se soit constitué dans l’intervalle une situation digne
de protection. Si l’autorité précédente s’est bien basée sur
ces principes pour examiner la question de la péremption du droit
d’agir, elle aurait dû considérer que les conditions d’une
péremption du droit d’agir étaient remplies en l’espèce, en
particulier étant donné l’étendue de la position digne de
protection que s’est constituée la recourante et le fait que
l’intimée a non seulement toléré l’utilisation du signe
postérieur, mais a expressément renoncé à se prévaloir de son
droit de priorité. L’intimée No 1 ne peut ainsi pas se prévaloir
de son droit à la marque prioritaire pour interdire à la recourante
l’usage du signe « OTTO’S » (c. 2.3.2). L’autorité
précédente peut être suivie sur le point que la péremption du
droit d’agir de l’intimée No 1 vis-à-vis de la recourante ne
débouche pas sur une perte du droit à la marque prioritaire qui, au
contraire, en tant que droit absolu demeure vis-à-vis de tous les
autres participants au marché. Il n’existe aucune raison pour que
la recourante puisse de son côté, sur la base de l’art. 3 al. 1
LPM, exclure l’intimée No 1, en tant que titulaire d’un droit
prioritaire, de la protection du droit des marques (c. 2.3.3). Il en
résulte que chacune des parties peut utiliser ses marques pour
distinguer les produits et les services qui ont été revendiqués,
sans que l’autre partie puisse lelui interdire sur la base du droit
des marques (c. 2.3.4). Les dispositions de la loi contre la
concurrence déloyale disposent d’un domaine d’application propre
indépendant de celui du droit des marques (c. 3). L’autorité
précédente a omis à tort de vérifier si l’extension envisagée
de l’activité commerciale de l’intimée était susceptible de
créer un risque de confusion au sens de l’art. 3 lit. d LCD.
L’autorité précédente a ainsi violé l’art. 3 al. 1 lit. d LCD
en limitant à un seul canal de vente l’accès au marché sur
lequel l’intimée souhaitait développer son activité sous ses
marques et en niant par-là, de manière erronée, la priorité
temporelle de la recourante sur ce segment de marché (c. 3.6). Le
recours est partiellement admis. [NT]

07 juillet 2021

TAF, 7 juillet 2021, B-798/2021 (f)

Droit des brevets, réintégration en l’état antérieur, annuité, radiation d’un brevet, demande de poursuite de la procédure, entrée en matière (refus), délai, tardiveté, recours rejeté ; art. 24 al. 1 PA, art. 2 LBI, art. 46a al. 2 LBI, art. 46a al. 4 let. c LBI, art. 47 LBI

Les recourantes ne paient pas la 10e annuité de leur brevet dans le délai ordinaire qui prend fin le 31 janvier 2018 ni dans le délai pour le paiement avec surtaxe qui arrive à échéance le 31 juillet 2018 (état de fait A.b.a). Suite à la décision de l’instance précédente de radier le brevet, les recourantes déposent une demande de réintégration en l’état antérieur (au sens de l’art. 47 LBI) concernant le délai arrivant à échéante le 31 octobre 2018 pour présenter une requête de poursuite de la procédure (au sens de l’art. 46a LBI) (état de fait A.b.c.a). Suite à la décision de l’instance précédente de ne pas entrer en matière, les recourantes recourent au TAF (état de fait A.b.c.b à D.). L’art. 24 al. 1 PA ne s’applique pas aux délais qui doivent être observés en matière de brevets (c. 4.2). Dans sa demande de réintégration en l’état antérieur (qui serait en soi tardive), les recourantes ne soutiennent pas avoir été empêchées d’observer le délai pour le paiement de la 10e annuité. Elles estiment avoir été empêchées d’observer le délai pour présenter une requête de poursuite de la procédure au sens de l’art. 46a LBI (c. 5 – 6.1). L’art. 46a al. 4 let. c prévoit et exclut la situation inverse (soit le fait de requérir la poursuite de la procédure lorsque le délai pour présenter une demande de réintégration en l’état antérieur est échu) (c. 6.2.1.2). Le délai de 6 mois prévu à l’art 46a LBI est un délai de péremption (c. 6.2.3.1). Ce délai relativement court se justifie par l’intérêt public à la libre utilisation de l’invention et la sécurité juridique (c. 6.2.3.2). En conséquence, la poursuite de la procédure et la réintégration en l’état antérieur entrent en ligne de compte (c. 6.2.3.3). Les délais prévus pour la poursuite de la procédure seraient dépourvus de sens si cette même procédure s’appliquait à eux. Il en est de même pour la réintégration en l’état antérieur (c. 6.2.4.1). Contrairement à l’avis de la recourante le fait que les articles 46a et 47 LBI ne soient pas soumis aux mêmes conditions n’implique pas nécessairement qu’ils puissent être invoqués cumulativement (c. 6.4.2.2). Rien ne s’oppose à ce que la jurisprudence du TAF, selon laquelle une réintégration en l’état antérieur est exclue lorsque le délai de 6 mois prévus à l’art 46a al. 2 LBI, n’a pas été observé (c. 6.3.1.1). En l’espèce, le délai pour déposer une requête de poursuite de la procédure en lien avec le paiement de la 10e annuité arrive à échéance le 31 janvier 2019. La demande de réintégration en l’état antérieur est tardive au sens de l’art. 47 LBI mais également concernant les délais pour présenter une requête en poursuite de la procédure au sens de l’art. 46 a LBI (c 6.3.1.2). La question de savoir si une demande de réintégration en l’état antérieur peut porter sur le délai relatif de deux mois de l’art. 46a LBI peut être laissée ouverte de même que celle portant sur les autres conditions matérielles de la réintégration en l’état antérieur (c. 6.3.2 – 6.3.2.2). Le recours est rejeté (c. 7 – 7.2). [YB]

07 novembre 2021

TAF, 17 novembre 2021, B-5258/2020 (d)

Droit des brevets, demande de brevet, homme de métier, revendication, exposé de l’invention ; art. 52 al. 1 PA, art. 50 LBI, art. 51 LBI.

L’instance précédente conteste la recevabilité du recours au motif que celui-ci ne contient pas de conclusions concrètes et n’a pas motivé suffisamment sa position (c. 1.2). En l’espèce, la recourante a bien déterminé l’objet du recours. La décision de l’instance précédente ne précisant que le rejet de la demande de brevet, il est clair que le recours vise à l’annulation du rejet de la demande. La recourante indique clairement qu’elle ne comprend pas la décision de l’instance précédente. Le TAF peut donc entre en matière (c. 1.3). L’homme de métier est un spécialiste disposant de connaissances en physique d’un niveau universitaire (c. 4.4). Il n’est pas nécessaire de recourir aux compétences d’un juge expert (c. 5.2). L’instance précédente a rejeté la demande au motif que la demande de brevet ne contient pas de revendications et que les documents déposés ne permettent pas à l’homme de métier d’exécuter l’invention (c. 6). La première revendication, « Zero Gravity Material ist ein Material oder eine Mischung von Materialien das durch teilweises oder vollständiges entfernen der Neutronen aus den Atomkernen reduziert und bis gegen Null nicht reagiert » se limite à la définition un produit final sans préciser quelle instruction concrète pourrait permettre d’atteindre ce résultat (c. 6.1.2). La seconde revendication, « Anspruch auf die Produktion von Zero Gravity Material, mittels Beschleunigung - Verzögerung - Zentrifugalkraft - Impulsen. Das heisst, wenn andere Zero Gravity Material produzieren, werden die Patentinhaber finanziell daran am Volumen beteiligt. » échappe à toute interprétation pertinente pour le droit des brevets (c. 6.1.2). La recourante revendique la protection d’un matériau ou d’un mélange de matériau dont les neutrons auraient été totalement ou partiellement éliminés du noyau atomique. La recourante ne précise pas si ses revendications portent sur un tel matériau en tant que produit ou sur la manière de le fabriquer ni comment les neutrons doivent être retirés. En l’espèce, il n’est pas possible pour l’homme de métier de réaliser l’invention à l’aide des informations contenues dans la demande de brevet (si tant est qu’il soit physiquement possible de fabriquer un tel matériau) (c. 6.2.2). La demande de brevet ne contient pas de revendication suffisante sur le plan juridique et elle ne remplit pas les exigences de l’art. 50 LBI. Le recours est rejeté (c.6.3). [YB]