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  • Action, voir ég. cumul d’actions

12 septembre 2019

TAF, 12 septembre 2018, B-1714/2018 (d)

« Tarif commun 12 » ; tarifs des sociétés de gestion, gestion collective, approbation des tarifs, décision incidente, qualité de partie, action populaire, qualité pour recourir, intérêt pour agir, télévision de rattrapage, catch-up-TV ; art. 6 PA, art. 48 PA ; art. 42 al. 1 lit. d LDA.

En ce qui concerne leur qualité de parties en première instance, les recourantes peuvent attaquer la décision incidente qui la leur a niée (c. 1.2). Leur qualité pour recourir contre la décision d’approbation du tarif est étroitement liée à la question précédente (c. 1.3). Les conditions d’être spécialement atteintes par la décision attaquée, d’après l’art. 48 al. 1 lit. b PA, respectivement d’avoir un intérêt digne de protection selon l’art. 48 al. 1 lit. c PA, ne jouent pas de rôle pour les personnes qui sont destinataires matérielles (primaires) de la décision. Il en va différemment pour les tiers. Pour eux, les deux conditions doivent être réalisées cumulativement, selon un examen propre à chaque domaine juridique. Il convient d’éviter l’action populaire et de délimiter clairement le recours et la dénonciation à l’autorité de surveillance sans qualité de partie. Ont une importance, d’une part le fait pour les intéressés de pouvoir obtenir satisfaction par une autre voie, d’autre part le souci de ne pas compliquer excessivement l’activité administrative (c. 2.3). En ce qui concerne les tarifs de droit d’auteur, les critères ont été définis par l’ATF 135 II 172. En résumé, les tiers n’ont normalement pas de droit de recours, sauf s’ils se distinguent du gros des ayants droit et ont un intérêt divergent propre (c. 2.4). La partie recourante doit prouver sa qualité pour recourir, laquelle est examinée d’office (c. 2.5). En l’espèce, les recourantes ont cherché à participer à la procédure de première instance, mais la qualité de partie leur a été refusée par décision incidente du 22 mars 2017. Ainsi, elles ont pris part à la procédure devant l’autorité inférieure au sens de l’art. 48 al. 1 lit. a PA (c. 4.1). Les ayants droit eux-mêmes ne sont pas parties à la procédure d’approbation tarifaire mais, s’ils se distinguent du gros des ayants droit et sont spécialement atteints par le tarif, ils obtiennent la qualité de partie concernant la question de l’assujettissement à la gestion collective obligatoire des utilisations réglées par ce tarif (c. 4.2). Ils doivent se distinguer du gros des ayants droit non pas de manière générale, mais dans le cas particulier spécifique au litige. Or, en l’espèce, le tarif règle la reproduction d’œuvres et de prestations contenues dans des programmes de la même manière pour tous les ayants droit. Il ne contient aucune clause qui concernerait spécialement les organismes de diffusion. La condition de l’art. 48 al. 1 lit. b PA n’est donc pas remplie (c. 4.3.1). La question de l’intérêt digne de protection au sens de l’art. 48 al. 1 lit. c PA est étroitement liée à la précédente. Vu la multitude des ayants droit représentés par les sociétés de gestion, il est inévitable que leurs intérêts divergent. Mais, en l’espèce, les sociétés de gestion devaient représenter aussi les intérêts des organismes de diffusion, ce qu’elles ont fait effectivement. La formulation « spécialement atteint » à l’art. 48 al. 1 lit. b PA montre qu’un grand nombre de personnes concernées rend difficile la réalisation de la condition. Le droit de la gestion collective veut rassembler les droits en obligeant les ayants droit à passer par une société de gestion et en leur conférant un droit de participation approprié aux décisions de cette société. Les recourantes ne sont pas des ayants droit isolés, elles sont au nombre de 23. Si on admettait leur qualité pour recourir, on rendrait pratiquement impossible les négociations tarifaires et l’équilibre des intérêts entre associations d’utilisateurs et sociétés de gestion (c. 4.3.2). Une divergence d’opinion concernant la situation juridique n’est pas suffisante pour admettre cette qualité (c. 4.3.3). Au contraire de ce qui prévalait pour l’ATF 135 II 172, le TC 12 n’est pas un nouveau tarif et les organismes de diffusion n’ont pas jusqu’ici exercé individuellement leurs droits pour la télévision de rattrapage. De surcroît, l’autorité de première instance n’a fait que confirmer une analyse juridique précédente. Les recourantes ne peuvent rien tirer de la jurisprudence concernant la qualité pour recourir des concurrents directs, puisque la question doit être examinée de manière particulière pour chaque domaine juridique (c. 4.4). [VS]

08 février 2019

TF, 8 février 2019, 4A_433/2018 (d)

« Blocage de sites internet illicites » ; action en cessation, blocage de sites internet, fournisseur d’accès, responsabilité du fournisseur d’accès, solidarité, acte illicite, acte de participation, causalité adéquate, intérêt digne de protection, droit d’auteur, précision des conclusions, usage privé, piraterie ; art. 8 WCT, art. 42 al. 2 LTF, art. 76 al. 1 lit. b LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 4 CC, art. 28 CC, art. 50 CO, art. 19 al. 1 lit. a LDA, art. 24a LDA, art. 62 al. 1 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 110 LDIP.

La recourante a un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision. Son recours en matière civile est donc recevable, sous réserve qu’il soit suffisamment motivé (c. 1.1). Le droit d’auteur ne connait pas de disposition comme l’art. 66 lit. d LBI ou l’art. 9 al. 1 LDes qui traiterait des actes de participation. L’art. 50 CO ne règle pas seulement la responsabilité solidaire pour la réparation d’un dommage, mais il constitue la base légale de la responsabilité civile des participants. Cette disposition peut être invoquée non seulement en cas d’action réparatoire, mais aussi en cas d’action en cessation. Les normes particulières du droit de la personnalité – art. 28 al. 1 CC – ou des droits réels ne sont pas applicables en droit d’auteur. Comme l’action en dommages-intérêts, l’action en cessation suppose une violation du droit d’auteur et un rapport de causalité adéquate entre la contribution du participant attaqué et cette violation (c. 2.2.1). Les clients de l’intimée, auxquels celle-ci confère l’accès à Internet, n’accomplissent aucune violation du droit d’auteur en consommant des films : l’exception d’usage privé est applicable, même si ces films ont été mis à disposition illicitement. Il ne peut donc pas y avoir de responsabilité de l’intimée pour un acte de participation (c.2.2.2). La protection de la LDA s’étend aussi aux actes commis à l’étranger mais produisant leurs effets en Suisse (c. 2.2.3). La question est de savoir si l’intimée, qui fournit l’accès à Internet, répond selon l’art. 50 al. 1 CO pour une participation à la mise à disposition illicite des films. Le rapport de causalité adéquate doit être apprécié dans chaque cas particulier selon les règles du droit et de l’équité au sens de l’art. 4 CC. Il implique donc un jugement de valeur. Pour qu’une participation soit adéquate, il faut un rapport suffisamment étroit avec l’acte illicite (c. 2.3.1). La prestation de l’intimée se limite à fournir un accès automatisé à Internet. Elle n’offre pas à ses clients des contenus déterminés. Les copies temporaires qu’implique son activité sont licites d’après l’art. 24a LDA. La déclaration commune concernant l’art. 8 WCT exclut que la fourniture d'installations techniques constitue un acte principal de communication au public ; elle n’empêche toutefois pas une responsabilité pour participation secondaire. En l’espèce, les auteurs principaux des violations ne sont pas clients de l’intimée et n’ont aucune relation avec elle. L’acte de mise à disposition est accompli déjà lorsque les films sont placés sur Internet de sorte à pouvoir être appelés aussi depuis la Suisse. L’intimée ne contribue pas concrètement à cet acte. Admettre le contraire sur la base de l’art. 50 al. 1 CO conduirait à retenir une responsabilité de tous les fournisseurs d’accès en Suisse, pour toutes les violations du droit d’auteur commises sur le réseau mondial. Une telle responsabilité « systémique », impliquant des devoirs de contrôle et d’abstention sous la forme de mesures techniques de blocage d’accès, serait incompatible avec les principes de la responsabilité pour acte de participation. Il n’y a donc aucun rapport de causalité adéquat avec les violations, justifiant une action en cessation. Une implication des fournisseurs d’accès dans la lutte contre le piratage nécessiterait une intervention du législateur (c. 2.3.2). [VS]

09 janvier 2019

TF, 9 janvier 2019, 4A_584/2017, 4A_590/2017 (f)

Qualité pour agir, qualité pour défendre, intérêt pour agir, décision partielle, devoir d’interpellation du Tribunal, bonne foi, précision des conclusions, interprétation d’un contrat, réelle et commune intention des parties, action en cessation, action en paiement, action en interdiction, action en constatation de droit, concurrence déloyale, exploitation indue du résultat d’un travail confié, stipulation pour autrui ; art. 91 lit. a LTF, art. 18 al. 1 CO, art. 112 CO, art. 5 lit. a LCD, art. 9 al. 1 lit. a LCD, art. 9 al. 1 lit. b LCD, art. 9 al. 1 lit. c LCD, art. 9 al. 2 LCD, art. 9 al. 3 LCD, art. 52 CPC, art. 56 CPC, art. 125 lit. a CPC, art. 227 al. 1 CPC, art. 230 CPC.

Les actions en cessation de trouble et les actions en paiement prévues tant par les différentes lois de propriété intellectuelle que par la LCD se prêtent à des jugements indépendants et pourraient être intentées dans des procès distincts. Le jugement limité en application de l’art. 125 lit. a CPC aux actions en cessation de trouble est donc une décision partielle visée par l’art. 91 lit. a LTF, susceptible d’un recours indépendant selon cette disposition (c. 2 et réf.cit.). Le résultat d’un travail est confié à une personne aux termes de l’art. 5 al. 1 lit. a LCD lorsque cette personne entre en possession de ce résultat par l’effet d’un rapport contractuel, précontractuel ou quasi contractuel. Le résultat d’un travail est notamment confié lorsque l’accomplissement du travail a été lui-même confié dans le cadre d’un contrat, en particulier à un travailleur par son employeur, à un mandataire par son mandant ou à un entrepreneur par le maître de l’ouvrage (c. 4 et réf.cit.). L’art. 5 LCD n’a pas pour objet de créer ni de protéger des droits de propriété intellectuelle, mais d’interdire des comportements contraires à une concurrence loyale. L’art. 9 al. 1 lit. c LCD prévoit une action en constatation de droits, mais celle-ci est subsidiaire par rapport aux actions en interdiction accordées par l’art. 9 al. 1 lit. a et b LCD, et elle ne porte de toute manière pas sur la constatation de droits de propriété intellectuelle. En règle générale, les actions en constatation de droits doivent répondre à un intérêt important et digne de protection du plaideur qui les exerce et elles sont subsidiaires par rapport aux actions en condamnation. Celui qui a déjà obtenu que l’exploitation de son savoir-faire soit interdite à un tiers, n’a pas d’intérêt à agir en constatation ni non plus à ce que le Juge constate formellement des recherches de quelles entités les procédés constituant ce savoir-faire sont le résultat aux termes de l’art. 5 LCD (c. 6). Le succès de toute action en justice suppose que les parties demanderesse et défenderesse aient respectivement qualité pour agir et pour défendre au regard du droit applicable. Le défaut de la qualité pour agir ou pour défendre entraîne le rejet de l’action. Les actions en cessation de trouble prévues par l’art. 9 al. 1 et 2 LCD sont destinées à la protection d’intérêts économiques individuels. La qualité pour agir est réservée au concurrent qui est directement lésé par un comportement déloyal et qui a un intérêt immédiat au maintien ou à l’amélioration de sa propre situation sur le marché (c. 8.1). Tel n’est le cas que si celui qui se prévaut d’une violation de l’art. 5 LCD et agit en cessation de trouble sur la base des art. 9 al. 1 et 2 LCD peut démontrer que les résultats exploités de manière indue devaient lui revenir. Pour le déterminer, il convient d’interpréter le contrat à l’origine des résultats concernés en recherchant la réelle et commune intention des parties conformément à l’art. 18 al. 1 CO. Dans ce cadre, le comportement que les cocontractants ont adopté dans l’exécution de leur accord peut dénoter, le cas échéant, de quelle manière ils l’ont eux-mêmes compris, et révéler ainsi leur réelle et commune intention (c. 8.3 et réf.cit.). Il peut résulter d’une stipulation pour autrui implicite au sens de l’art. 112 CO que le résultat de travaux de recherche doive profiter à un tiers autre que les seules parties au contrat à l’origine de ces résultats. En pareil cas, ce tiers a le droit de se défendre contre une exploitation indue de ces résultats par des entreprises concurrentes, et a qualité pour agir sur la base des art. 9 al. 1 et 2 LCD (c. 8.4). Quiconque exerce une action judiciaire portant sur une obligation de s’abstenir doit décrire avec précision, dans ses conclusions, le comportement à interdire. Si l’adverse partie succombe, elle doit apprendre ce qu’elle ne peut désormais plus faire, et les autorités d’exécution ou de poursuite pénale doivent elles aussi savoir quels actes elles doivent respectivement empêcher ou réprimer. S’il est allégué devant ces autorités que la partie condamnée ne respecte pas l’interdiction prononcée, il importe que lesdites autorités puissent agir sur la base du jugement, sans qu’une appréciation juridique du comportement dénoncé ne soit encore nécessaire. Ces exigences de précision relative aux conclusions de la partie demanderesse s’appliquent aussi, par suite, au dispositif du jugement (c. 10.1 et réf.cit.). Des conclusions insuffisamment précises sont en principe irrecevables. La partie qui les présente est cependant autorisée à les préciser sans égard aux conditions d’une modification de la demande posée par l’art. 227 al. 1 CPC ou au stade des débats principaux par l’art. 230 CPC. En vertu du devoir d’interpellation que l’art. 56 CPC assigne au Juge instructeur, celui-ci doit inviter la partie concernée à préciser, s’il y a lieu, ses conclusions défectueuses. Les règles de la bonne foi, à respecter aussi dans le procès civil en vertu de l’art. 52 CPC, s’imposent également au Juge. Elles commandent que la partie dont les conclusions sont défectueuses au sens de ce qui précède reçoive une nouvelle possibilité de les préciser (c. 10.5 et réf.cit.). [NT]

24 août 2018

TFB, 24 août 2018, S2018_003 (f)

Action en cession d’une demande de brevet, mesures provisionnelles avant litispendance, mesures super-provisionnelles, vraisemblance, droit à la délivrance du brevet, invention de service, machine à café ; art. 3 al. 1 LBI, art. 29 al. 1 LBI, art. 332 al. 1 CO.

S’agissant de la prétention en cession d’une demande de brevet au sens de l’art. 29 al. 1 LBI, le demandeur, prétendu ayant droit, doit alléguer et, en cas de contestation, prouver : 1. Qui est l’inventeur de quel enseignement technique, 2. De quelle manière le droit à la délivrance du brevet pour cet enseignement technique a été transféré par l’inventeur au prétendu ayant droit, 3. Comment et quand l’enseignement technique en question a été porté à la connaissance de la déposante inscrite auprès de l’autorité d’enregistrement et 4. En quoi l’enseignement technique coïncide avec la demande de brevet litigieuse. Des allégations générales ne suffisent pas : il convient de décrire l’enseignement technique concret. Il appartient précisément au tribunal de déterminer la mesure dans laquelle l’enseignement technique de l’ayant droit et l’enseignement technique de la demande litigieuse correspondent (c. 8). Aux termes de l’art. 3 al. 1 LBI, le droit à la délivrance du brevet appartient à l’inventeur, à son ayant cause ou au tiers à qui l’invention appartient à un autre titre. L’inventeur est la personne physique à l’origine de la création technique constitutive d’une invention. Selon l’art. 332 al. 1 CO, les inventions que le travailleur a fait dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles appartiennent à l’employeur, qu’elles puissent être protégées ou non. La titularité des droits sur de telles inventions, dites de service, dépend donc de la réalisation de deux conditions : 1. L’invention a été faite « dans l’exercice de son activité au service de l’employeur » et 2. L’invention (ou la participation à sa réalisation) a été faite par l’employé « conformément à ses obligations contractuelles ». Selon la jurisprudence, est décisive la question de savoir si le travailleur a l’obligation de mettre ses capacités inventives au service de son employeur (c. 9). Lorsque des employés sont engagés en tant qu’ingénieurs de développement, ils sont chargés de développer des innovations techniques. Que ces inventions aient été faites pendant les heures de travail à leur bureau ou après les heures de travail à leur domicile n’a pas d’importance tant que la réalisation des inventions faisait partie de leurs obligations contractuelles. Le développement litigieux a donc été réalisé dans l’exercice des activités des travailleurs au service de leur employeur (c. 42). Lorsque des employés sont chargés de mettre au point un système de production rapide de vapeur, le développement d’un dispositif de production d’eau chaude fait partie de leurs obligations contractuelles. En effet, tout système capable de produire de la vapeur produit nécessairement de l’eau chaude et les différences techniques entre un dispositif de production d’eau chaude et un dispositif de production de vapeur sont minimes. Le développement a donc in casu également été effectué conformément aux obligations contractuelles des deux employés. En vertu de l’art. 332 al. 1 CO, la demanderesse est ainsi l’ayant droit de l’invention ou des inventions revendiquées dans les revendications des demandes de brevet litigieuses et a par conséquent droit à ce que celles-ci lui soient partiellement transférées selon l’art. 29 al. 1 LBI (c. 44). [NT]

29 mai 2019

TF, 29 mai 2018, 4A_12/2018 (d)

Harry Potter, préservatif, produits pornographiques, marque combinée, remise du gain, fourniture de renseignements, jugement partiel, action échelonnée, obligation de renseigner, intérêt digne de protection, fardeau de la preuve, fardeau de l’allégation, appréciation des preuves, arbitraire, maxime des débats, participation à l’administration des preuves, droit d’être entendu ; art. 9 Cst., art. 29 al. 2 Cst., art. 8 CC, art. 42 al. 2 CO, art. 55 CPC, art. 59 al. 2 lit. a CPC, art. 164 CPC ; cf. N415 (vol. 2007-2011 ; KGSZ, 17 août 2010, ZH 2008 19 ; sic ! 2/2011, p. 108-110, « Harry Potter / Harry Popper (fig.) ») ; N900 (TF, 7 novembre 2013, 4A_224/2013 ; sic ! 3/2014, p. 162-163, « Harry Potter / Harry Popper (fig.) II ») et N902 (TF, 26 janvier 2015, 4A_552/2014).

Selon l’art. 42 al. 2 CO, le dommage qui ne peut pas être exactement établi doit être déterminé par le Juge équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par le lésé. Hormis dans le cas rare de la prise en compte des principes abstraits déduits de l’expérience, cette détermination équitable du dommage se base sur une appréciation de l’état de fait et relève ainsi de la détermination des faits qui n’est revue par le TF qu’en cas d’arbitraire. Il incombe au Juge dans le cadre d’un exercice correct de sa liberté d’appréciation de faire la lumière sur les critères de décision dont il envisage de tenir compte, respectivement sur ceux pour lesquels il a besoin d’informations complémentaires. La latitude donnée au Juge de considérer le dommage comme établi sur la base d’une simple estimation n’a pas pour but d’exonérer le demandeur de manière générale du fardeau de la preuve, ni non plus de lui conférer la possibilité d’élever des prétentions en dommages et intérêts de n’importe quelle hauteur sans avoir à fournir de plus amples indications. Bien au contraire, l’application de cette disposition ne le dispense pas d’alléguer, dans toute la mesure possible et exigible, toutes les circonstances qui constituent un indice de l’existence d’un dommage et en permettent la détermination. L’art. 42 al. 2 CO ne libère pas le demandeur de son obligation d’étayer sa réclamation. Les circonstances alléguées doivent être de nature à justifier suffisamment l’existence d’un dommage, ainsi qu’à en rendre l’ordre de grandeur saisissable. Cela vaut aussi en cas de réclamation de la remise du gain en ce qui concerne les circonstances que la partie chargée du fardeau de la preuve souhaite invoquer concernant la réalisation d’un gain, respectivement sa diminution. Un établissement exact des faits ne doit cependant pas être exigé dans les cas où l’art. 42 al. 2 CO s’applique, dans la mesure où l’allégement du fardeau de la preuve consacré en faveur du demandeur par cette disposition comporte aussi une limitation du fardeau de l’allégation et de l’étayement des faits (« Substanziierung ») (c. 3.1). Du moment qu’en dépit de l’obligation qui découlait pour elle du jugement partiel précédent, la recourante refusait de communiquer à l’autre partie les informations nécessaires pour établir le montant du gain que cette dernière ne pouvait pas fournir, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en fixant le gain dans le cadre d’une application par analogie de l’art. 42 al. 2 CO et en le déterminant en fonction de l’ensemble des circonstances. Il n’est pas nécessaire pour permettre de recourir à une telle application par analogie de l’art. 42 al. 2 CO de se trouver en présence d’un refus injustifié de collaborer au sens de l’art. 164 CPC (c. 3.5). Le respect du droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. implique que le tribunal entende, examine et prenne en compte dans son processus décisionnel les éléments avancés par celui que la décision atteint dans ses droits. Le jugement doit être motivé pour que les parties puissent se faire une idée des considérants du tribunal. La motivation doit mentionner de manière succincte les considérations qui ont guidé le tribunal et sur lesquelles il fonde son jugement. Il n’est par contre pas nécessaire que la décision passe en revue de manière détaillée et réfute chacun des arguments soulevés par les parties. Il suffit que le jugement soit motivé de telle sorte qu’il puisse, le cas échéant, être contesté de manière adéquate. Le fait qu’une autre solution ait pu entrer en ligne de compte ou même être préférable n’est pas déjà constitutif d’arbitraire. Tel n’est le cas que lorsque le jugement attaqué est manifestement insoutenable, en contradiction claire avec la situation de fait, viole crassement une norme ou un principe de droit incontesté ou contrevient d’une manière choquante aux principes de la justice (c. 4.1). [NT]

29 janvier 2019

TF, 29 janvier 2019, 4A_435/2018, 4A_441/2018 (f)  

Maxime des débats, procédure devant le TFB, activité inventive, approche « problème-solution », action en constatation de la nullité d’un brevet, action en constatation de l’illicéité de l’atteinte, action en interdiction, intérêt pour agir, intérêt digne de protection, arbitraire ; art. 9 Cst., art. 105 al. 1 LTF, art. 105 al. 2 LTF, art. 106 al. 1 LTF, art. 106 al. 2 LTF, art. 55 al. 1 CPC.

La réelle et commune intention des parties quant à la portée d’un accord de transfert d’une demande de brevet, respectivement de l’invention correspondante et des droits s’y rapportant, relève non pas du domaine du droit, mais de celui des faits. Elle ne peut être revue par le TF que si elle se révèle manifestement inexacte, c’est-à-dire arbitraire ; ce qui implique qu’il soit démontré dans le cadre du recours devant le TF que la constatation factuelle en question serait manifestement insoutenable, méconnaîtrait gravement une norme ou un principe juridique clair et reconnu ou encore heurterait de manière choquant le sentiment de la justice et de l’équité (c. 3.2). Lorsque la maxime des débats est applicable (art. 55 al. 1 CPC), il incombe aux parties et non au Juge de rassembler les faits du procès. Il importe peu de savoir laquelle des parties a allégué les faits déterminants puisqu’il suffit que ceux-ci fassent partie du cadre du procès pour que le Juge puisse en tenir compte (c. 4.3.1). Il n’est pas contesté en l’espèce que tous les éléments de faits nécessaires à l’analyse de l’activité inventive déployée par l’inventeur ont été rassemblés par les parties. Le TFB n’a pas eu à suppléer ou suggérer des faits non allégués par les parties. La juridiction précédente était ainsi en mesure de procéder à l’analyse de l’activité inventive, une question de droit, ce qu’elle a fait en se fondant sur l’approche « problème-solution » consacrée par la jurisprudence. Il est sans importance à cet égard que la présence ou l’absence de caractéristiques litigieuses dans la présentation et/ou le brevet ait été alléguée par la défenderesse ou la demanderesse. En se fondant sur les faits rassemblés par les parties afin d’examiner une question de droit, la juridiction précédente n’a pas violé la maxime des débats (c. 4.3.2). L’action en constatation de droit est subsidiaire par rapport à l’action condamnatoire ou à l’action formatrice et seule l’existence de circonstances exceptionnelles peut conduire à admettre un intérêt digne de protection à la constatation de droit bien qu’une action condamnatoire soit ouverte. Ne constitue pas de telles circonstances le fait qu’au moment de l’introduction de l’action ou de la modification de ses conclusions, aucune vente du produit litigieux n’ait été encore été réalisée. Cela ne justifie en rien un intérêt digne de protection à la constatation de la violation du brevet. Dans un tel cas, outre la possibilité d’intenter une action tendant à la divulgation d’informations, le titulaire du brevet peut, en particulier, intenter une action condamnatoire visant à interdire la commercialisation du produit litigieux (c. 6.1.2). Les deux recours sont rejetés.  [NT]

07 mai 2019

TF, 7 mai 2019, 4A_510/2018 (d)  

TECTON/DEKTON, droit des marques, droit de la personnalité, droit au nom, raison de commerce, raison sociale, action en constatation de la nullité d’une marque, action en interdiction, motifs d’exclusion relatifs, similarité des produits ou services, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des raisons de commerce, élément caractéristique essentiel, élément dominant, degré d’attention légèrement accru, cercle des destinataires pertinent, risque de confusion direct, risque de confusion indirect, service de construction, matériaux de construction, usage de la marque, usage à titre de marque, fait notoire, fardeau de la preuve ; art. 8 CC, art. 29 al. 2 CC, art. 951 al. 1 CO, art. 956 CO, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 2 LPM, art. 11 al. 3 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 13 al. 2 LPM, art. 151 CPC.

Un risque de confusion existe au sens de l’art. 3 al. 1 LPM lorsqu’un signe plus récent porte atteinte à la force distinctive d’une marque antérieure. Tel est le cas lorsqu’il doit être craint que les cercles des destinataires pertinents soient induits en erreur par la similitude du signe et que les produits ou les services portant l’un ou l’autre des signes soient attribués au mauvais titulaire de la marque (risque de confusion direct) ou au cas où le public fait la différence entre les deux signes, s’il déduit de leur ressemblance l’existence de liens en fait inexistants, en particulier s’il croit y voir des marques de séries qui désignent les différentes lignes de produits de la même entreprise ou de différentes entreprises économiquement liées entre elles (risque de confusion indirect). Pour trancher du risque de confusion entre des marques, c’est l’impression d’ensemble que celles-ci laissent dans le souvenir du consommateur qui est déterminante. Plus un signe s’est imposé de manière forte dans le commerce, plus son champ de protection est large et plus les produits pour lesquels les marques sont enregistrées sont proches, plus le risque que des confusions interviennent est élevé et plus le signe le plus récent doit se différencier nettement des signes antérieurs pour bannir tout risque de confusion. La vérification de l’existence d’un tel risque de confusion est une question de droit. Le TF examine ainsi en particulier librement comment a été établi le cercle des destinataires pertinent des produits ou services enregistrés et – pour les biens de consommation courante – comment les destinataires perçoivent le signe en fonction du degré d’attention qui peut être attendu d’eux (c. 2.1). Après l’écoulement du délai de carence de 5 ans de l’art. 12 al. 1 LPM, une marque n’est protégée que dans la mesure où elle est effectivement utilisée en relation avec les produits et les services enregistrés (au sens de l’art. 11 al. 1 LPM). L’objet de l’utilisation à titre de marque doit en outre concorder avec l’objet de la protection à titre de marque. La marque doit dès lors fondamentalement être utilisée telle qu’elle est enregistrée puisque ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra déployer l’effet distinctif qui correspond à sa fonction. L’art. 11 al. 2 LPM admet cependant que l’usage d’une forme de la marque ne divergeant pas essentiellement de celle qui est enregistrée suffit pour maintenir le droit. Il convient alors que l’identité du noyau distinctif de la maque qui en détermine l’impression d’ensemble soit conservée et qu’en dépit de l’utilisation différente qui en est faite, le caractère distinctif de la maque demeure. Cela n’est le cas selon la jurisprudence du TF que lorsque le commerce, malgré sa perception des différences, met l’impression d’ensemble dégagée par le signe différent utilisé sur le même plan que celle de la marque enregistrée et voit ainsi encore et toujours la même marque dans la forme utilisée. Il faut donc se demander si le commerce voit dans la forme enregistrée et la forme utilisée un seul et même signe et n’attribue aucun effet distinctif propre aux éléments modifiés, ajoutés ou abandonnés. Les exigences d’identité des signes lorsqu’elles concernent l’élément central (« Kernbereich ») de la marque sont ainsi bien plus élevées que dans le cadre de l’examen d’une confusion. Enfin, l’usage destiné à maintenir le droit ne suppose pas que le titulaire de la marque utilise lui-même le signe en relation avec les produits ou les services enregistrés. L’usage de la marque auquel le titulaire consent est assimilé à l’usage par le titulaire selon l’art. 11 al. 3 LPM (c. 2.3.1). Une utilisation de la marque avec des éléments descriptifs additionnels qui ne font pas disparaître l’identité de l’élément caractéristique central de celle-ci, soit in casu le vocable « tecton », vaut usage de la marque, le commerce voyant un seul et même signe entre la marque enregistrée et la forme sous laquelle elle est utilisée. Il ne saurait être exigé du titulaire de la marque qu’il fasse du marketing, mais uniquement qu’il utilise effectivement sa marque. Ce qui est déterminant est l’existence d’un usage conforme de la marque au sens de l’art. 11 LPM. Il ne saurait être considéré qu’un usage de la marque sur des cartes de visite, la home page du site de la société ou des documents de présentation de celle-ci, sur des véhicules ou des bâtiments ne serait pas sérieux (c. 2.3.1.3). Le cercle des destinataires pertinents pour des travaux de couverture et de construction offerts sous les marques « tecton » et « tecton (fig.) » sont des acheteurs privés et publics du domaine du bâtiment auxquels les prestations du titulaire de la marque sont généralement présentées par un architecte. Aucune des marques litigieuses ne vise exclusivement des professionnels. Du moment que les prestations offertes par le titulaire de ces marques dans le domaine de la construction ne se rapportent pas à des besoins courants, un degré d’attention légèrement accru peut être attendu de leurs destinataires. Il ne suffit toutefois pas à exclure l’existence d’un risque de confusion (c. 2.3.2). Un risque de confusion direct entre les deux signes doit être admis. En effet, ces derniers, respectivement en tout cas leurs éléments caractéristiques essentiels « tecton » et « dekton » sont si semblables tant sur les plans visuel que sonore qu’ils sont susceptibles d’être confondus même par ceux qui feraient preuve d’un degré d’attention légèrement accru, par exemple en étant perçus comme résultant de simples fautes de frappe. Dans la mesure où des produits semblables sont offerts sous ces désignations, un risque de confusion est sans autre donné, de sorte que le signe le plus récent doit se voir dénier la protection à titre de marque (c. 2.3.3). Il y a similitude entre des services d’une part et des produits d’autre part lorsqu’il existe un lien commercialement usuel entre eux dans le sens où les deux sont typiquement offerts par les mêmes entreprises comme constituant un paquet de prestations unique (c. 2.3.4). Tel est le cas entre des matériaux de construction comme produits de la classe 19, d’une part, et des travaux de construction, de réparation et d’installation en tant que services de la classe 37, d’autre part. Le tout constitue en effet du point de vue de l’acheteur un paquet de prestations cohérent impliquant qu’une similitude soit admise au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 2.3.4.1-2.3.4.5). Selon l’art. 13 al. 1 LPM, le droit à la marque confère à son titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits enregistrés. Le titulaire peut, selon l’art. 13 al. 2 LPM ; interdire à des tiers l’usage d’un signe exclu de la protection en vertu de l’art. 3 al. 1 LPM. L’action en interdiction que le titulaire déduit de l’art. 13 al. 2 LPM découle de son enregistrement au registre des marques et vaut pour toute la Suisse (c. 3). Il en va de même pour la protection de la raison sociale d’une société commerciale (c. 4.4). Une prétention à la protection du nom, selon l’art. 29 al. 2 CC, suppose que le titulaire du nom soit lésé par l’usurpation qu’en fait un tiers. Tel est le cas lorsque cette dernière occasionne un risque de confusion ou de tromperie ou lorsqu’elle est de nature à susciter par une association d’idées dans l’esprit du public l’existence de liens en fait non avérés entre le titulaire du nom et celui qui l’usurpe. Le titulaire peut ainsi être lésé du fait que l’association d’idées suggère une relation qui n’existe pas, que le titulaire n’admet pas et qu’il est raisonnablement fondé à ne pas admettre. Il n’y a pas usurpation seulement en cas de reprise injustifiée de l’entier du nom d’un tiers, mais aussi de l’élément caractéristique essentiel de celui-ci, lorsqu’il en résulte un risque de confusion (c. 5.2). La portée matérielle et spatiale de la protection du nom se détermine en fonction d’utilisations concrètes de ce nom et de ses répercussions effectives. Comme la portée de la protection du nom dépend de l’activité effectivement déployée sur un certain territoire respectivement, pour ce qui est du risque de confusion, des contacts avec certains adressataires, elle ne peut être déterminée sur la seule base de l’enregistrement au registre du commerce. Si un extrait du registre du commerce est un fait notoire au sens de l’art. 151 CPC, il ne permet pas de déterminer si la société exerce bien aussi son activité statutaire au lieu de son siège. Pour admettre une violation du droit au nom, il convient de vérifier dans quelle mesure son titulaire l’utilisait sur le territoire concerné et est par conséquent lésé par l’usurpation dont il se plaint (c. 5.5). Le recours est partiellement admis. [NT]

31 octobre 2018

Appellationsgericht des Kantons Basel-Stadt, 31 octobre 2018, ZK.2017.2 (d)

sic! 6/2019, p. 367-375, « Lichtgestalten »; action en constatation, action en interdiction, qualité pour agir, licence exclusive, droit de citation, droit à l’intégrité de l’œuvre, intégrité de l’œuvre, publication du jugement, tort moral, action en remise du gain, remise du gain, action en dommages-intérêts, dommage, preuve du dommage, obligation de renseigner, fixation du dommage ; art. 41 CO, art. 49 CO, art. 423 CO, art. 11 al. 1 LDA, art. 11 al. 2 LDA, art. 25 LDA, art. 61 LDA, art. 62 al. 1 lit. a LDA, art. 62 al. 2 LDA, art. 62 al. 3 LDA, art. 66 LDA.

La mise en œuvre de droits à rémunération s’avère en général difficile dans le domaine du droit d’auteur. Si l’action en constatation était subsidiaire par rapport à l’action en exécution d’une prestation, il y aurait en l’espèce un risque important qu’elle soit irrecevable faute d’intérêt et que l’action en remise du gain soit rejetée en raison de l’inexistence d’un gain, quand bien même il y a apparemment une violation du droit d’auteur. De plus, la jurisprudence sur la subsidiarité de l’action en constatation a pour but d’éviter plusieurs procès successifs, d’abord en constatation puis en exécution. En l’espèce, ces considérations d’économie de la procédure ne valent pas puisque les demandeurs font valoir les deux actions dans le même procès. Enfin, la constatation peut offrir une protection juridique d’une autre nature ou supplémentaire par rapport à l’action en exécution. Il y a donc en l’espèce un intérêt à la constatation (c. 2.1). L’action en constatation n’est pas liée à la titularité du droit invoqué, mais à la preuve d’un intérêt. Elle est normalement à disposition du licencié exclusif lorsque son droit relatif dépend du droit d’auteur à constater. S’agissant de l’action en exécution d’une prestation, la qualité pour agir du licencié exclusif résulte de l’art. 62 al. 3 LDA (c. 2.2). Une citation au sens de l’art. 25 LDA doit servir de commentaire, de référence ou d’illustration. Elle ne doit pas avoir un but autonome, mais une fonction de justification. Il doit exister, d’une part, un rapport matériel entre l’œuvre citée et la représentation propre ; d’autre part, la citation doit être d’importance subordonnée. Si le texte cité suscite un intérêt principal, l’art. 25 LDA n’est pas applicable (c. 3.2). En l’espèce, les conditions d’application de l’art. 25 LDA ne sont pas remplies (c. 3.3). Le doit à l’intégrité de l’œuvre vaut aussi bien pour les petites modifications que pour les grandes. Il est violé par toute modification non autorisée. En l’espèce, il n’est donc pas nécessaire de déterminer si les modifications sont seulement marginales, comme le prétend la défenderesse (c. 4.2). Une citation falsifiée, ou sortie de son contexte de sorte à présenter l’auteur sous un autre jour, est inadmissible au même titre qu’une utilisation de l’œuvre dans un contexte rejeté par l’auteur. Une altération portant atteinte à la personnalité, au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, ne sera reconnue que pour les modifications importantes ayant des conséquences négatives, et cela de manière restrictive. Il s’agira alors d’une forme de détérioration particulièrement grave, d’une falsification flagrante du contenu de l’expression intellectuelle, cette dernière se manifestant dans l’œuvre en tant qu’émanation de la personnalité de l’auteur. Il n’y a pas une telle altération en l’espèce (c. 4.3). L’action en interdiction de l’art. 62 al. 1 lit. a LDA suppose un intérêt à la protection actuel et suffisant. Celui-ci existera en cas de mise en danger concrète du droit, c’est-à-dire lorsqu’une violation future est sérieusement à craindre. Les conclusions en interdiction doivent viser des actes concrets réservés à l’auteur d’après l’art. 10 LDA et elles doivent être rédigées précisément, de sorte que les actes interdits soient sans autre reconnaissables pour la partie défenderesse et les autorités d’exécution (c. 5.2). Etant donné que la défenderesse conteste l’illicéité de son comportement, il y a un risque de récidive donc un intérêt actuel et suffisant pour demander l’interdiction (c. 5.3). La fonction première d’une publication du jugement est de mettre fin à la violation du droit d’auteur. Pour l’ordonner, le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il devra peser les intérêts divergents des parties et s’orienter sur le principe de la proportionnalité. Les demandeurs devront avoir un intérêt à la publication, par exemple le besoin d’informer un cercle de personnes dépassant leurs proches des violations constatées du droit d’auteur, afin de mettre fin au trouble ou à la confusion sur le marché. Une publication pourra être opportune lorsque la partie violant les droits conteste l’illicéité de son comportement, de sorte que d’autres atteintes sont à craindre. En revanche, on pourra renoncer à la publication si les violations datent déjà de quelques temps ou qu’elles n’ont pas eu de retentissement, ni chez les professionnels ni dans le public. En l’espèce, les violations n’ont pas fait de bruit et n’ont pas occasionné de confusion au sein des lecteurs, si bien qu’une publication du jugement serait injustifiée (c. 6). Comme il n’y a aucune altération au sens de l’art. 11 al. 2 LDA, l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre n’est pas suffisamment grave pour fonder une indemnité pour tort moral selon l’art. 49 al. 1 CO (c. 7). Un droit à la remise du gain selon l’art. 423 CO suppose qu’une personne s’approprie une affaire, c’est-à-dire intervienne dans la sphère juridique d’autrui et en retire un gain de manière causale. La personne doit également agir de mauvaise foi, ce qui est le cas en l’espèce. C’est le gain net qui est pris en considération, c’est-à-dire que les frais du gérant sont déduits du montant brut. Ce dernier devra être prouvé par le lésé, tandis que le gérant supportera le fardeau de la preuve de ses frais. Dans la présente affaire, l’action en remise de gain serait justifiée, si bien que le titulaire du droit d’auteur doit être renseigné par la défenderesse sur les éventuels gains qu’elle a réalisés. Ce droit n’appartient pas au licencié exclusif, qui n’est pas habilité à demander la remise du gain (c. 8.2). La fixation du dommage selon la méthode de l’analogie avec la licence nécessite que le titulaire du droit d’auteur ait été prêt à autoriser l’utilisation de l’œuvre. Elle ne dispense pas le demandeur de prouver l’existence d’un dommage. Il faut donc encore examiner si le demandeur aurait été prêt à conclure un contrat de licence (c. 8.3). [VS]

15 mai 2019

TFB, 15 mai 2019, O2016_010 (d)

Homme de métier, conclusion précise, action en annulation partielle, nullité partielle d’un brevet, limitation des revendications, modifications des revendications en cours de procédure ; art. 123 al. 2 CBE, art. 26 al. 1 lit. c LBI, art. 27 LBI, art. 97 al. 1 OBI.

L'homme du métier, en tant que personne juridique fictive, est une personne de la pratique au courant de l'état des connaissances générales dans le domaine concerné au moment pertinent (date de dépôt ou date de priorité). Il faut également partir du principe que cette personne a accès à tout ce qui appartient à l’état de la technique et qu'elle dispose des moyens et des compétences normaux pour des travaux et des essais de routine. L'homme de métier est l'homme de métier moyen qui n'a pas lui-même de talent inventif dans le domaine technique concerné. L'homme du métier moyennement bien formé n’est ni expert dans le domaine technique concerné ni un spécialiste possédant des connaissances exceptionnelles. Il n'a pas besoin d'avoir une vision globale de l'état de la technique, mais doit posséder des connaissances, des compétences et une formation solides ainsi qu’une expérience suffisante ; il connaît donc bien le domaine en question. Pour déterminer la qualification requise, il faut tenir compte des particularités de la branche technique. Il faut en particulier tenir compte de l’objectif industriel poursuivi et de la manière dont les hommes de métiers sont employés dans un secteur donné. La personne de métier déterminante pour l'appréciation de la nouveauté et de l'activité inventive et les connaissances techniques que l’on peut lui attribuer correspondent au niveau d'examen appliqué à la question de la faisabilité et à celle de savoir si les documents initialement soumis sont suffisants pour l’étayer (c. 16). Selon la jurisprudence constante des Chambres de recours de l'Office européen des brevets, la demande de brevet européen modifiée ne peut rien contenir qui ne puisse être déduit directement et sans ambiguïté des documents de demande initialement déposés. Il ne suffit pas qu'une modification proposée ne soit " pas incompatible " avec la divulgation initiale. Selon le Goldstandard, la question décisive est la suivante : qu'est-ce que l'homme du métier pouvait déduire directement et sans équivoque de l'ensemble de la divulgation originale en se fondant sur ses connaissances générales, objectivement, à la date de dépôt ? (c. 20). Ni l'article 26 al. 1 LBI ni les articles 138 al. 1 et 139 CBE ne mentionnent le manque de clarté comme motif de nullité. Les listes des motifs de nullité figurant dans ces dispositions sont exhaustives. La recevabilité d'une demande du point de vue de la procédure civile ne doit pas être confondue avec cela. Toutefois, pour qu'une conclusion soit recevable, elle doit également être formulée de manière suffisamment précise. L'exigence de précision concerne non seulement les mesures d’interdiction dans un procès en contrefaçon de brevet, mais également les conclusions en limitation des revendications dans un procès en nullité de brevet (art. 27 LBI). Comme dans le cas d'une renonciation partielle en procédure civile, les conclusions en limitation d’une revendication de brevet (art. 27 LBI) doivent donc être claires dans les procédures civiles (cf. art. 97 al. 1 OBI). Une conclusion qui limite une revendication indépendante accordée en incluant une revendication dépendante connexe ne constitue pas une limitation matérielle de la revendication dépendante qui a été accordée. Ainsi, la revendication indépendante est abandonnée et la revendication dépendante correspondante est maintenue en tant que revendication indépendante dans le brevet ayant été limité. La renonciation à la revendication indépendante accordée constitue certes une limitation du brevet conformément à l'art. 27 (1) LBI. Toutefois, cette renonciation ne peut soulever aucune question de clarté, puisque la simple reformulation de la revendication dépendante en revendication indépendante ne constitue pas une limitation supplémentaire du brevet au sens de l'article 27 al. 1 LBI; par conséquent, sa clarté ne peut être examinée (c. 34). [DK-CS]

05 août 2020

TF, 5 août 2020, 4A_97/2020 (f)

Action en constatation de la nullité d’une marque, marque de base, marque internationale, enregistrement international, intérêt digne de protection, intérêt pour agir, attaque centrale, sécurité du droit, recours admis ; art. 6 al. 3 PAM, art. 52 LPM, art. 59 al. 2 lit. a CPC.

Une société fait enregistrer en novembre 2016 le signe « EF-G […] ». En se basant sur cette marque, elle obtient l’enregistrement international du signe auprès de l’OMPI. En mars 2018, les demanderesses ont ouvert une action en constatation de nullité (art. 52 LPM) contre elle, et demandé la radiation de la marque. Le Tribunal cantonal, considérant qu’elles n’ont aucun intérêt digne de protection à l’issue d’un procès en Suisse, a rejeté leur action. La question de savoir s'il convient d'examiner l'exigence d'un intérêt à l'action à la lumière de l'art. 59 al. 2 lit. a CPC (intérêt digne de protection) ou à l'aune de l'art. 52 LPM (intérêt juridique) peut rester ouverte. A cet égard, la notion d' « intérêt juridique » telle qu'elle découle de l'art. 52 LPM doit être comprise largement, et n'exclut pas la prise en compte d'un intérêt de fait. Comme l'art. 59 al. 2 lit. a CPC, l'art. 52 LPM consacre en réalité, malgré la formulation employée par le législateur, l'exigence d'un intérêt digne de protection à la constatation immédiate. Un intérêt digne de protection à l’action en nullité existe lorsqu'une incertitude plane sur les relations juridiques des parties, qu'une constatation touchant l'existence et l'objet du rapport de droit pourrait l'éliminer et que la persistance de celle-ci entrave le demandeur dans sa liberté de décision au point d'en devenir insupportable (c. 3.1). Indépendamment des éventuelles activités commerciales menées (ou qui seront menées) par les demanderesses sur le territoire suisse, celles-ci ont un intérêt (digne de protection) évident à introduire leur action en nullité. Il faut en effet tenir compte du fait que la demande en constatation de nullité des demanderesses est une « attaque centrale » en vertu du système de Madrid, qui leur permettrait, dans l’hypothèse d’une admission, de réduire à néant la protection conférée à la marque de la défenderesse dans tous les pays étrangers désignés par celle-ci dans son enregistrement international (obtenu sur la base de la marque suisse) (c. 3.2). Selon le mécanisme prévu par le système de Madrid, l’enregistrement international s’appuie toujours sur une marque déposée ou enregistrée (la marque de base) sur le plan national (c’est-à-dire dans le pays d’origine). La marque internationale est dépendante de la marque de base nationale durant cinq ans, à partir de la date de l’inscription dans le registre du Bureau international de l’OMPI (c. 4.1). En vertu de l'art. 6 al. 3 PM, si, avant l'expiration du délai de cinq ans, une action visant à la radiation ou à l'invalidation de l'enregistrement issu de la demande de base (dans le pays d'origine) aboutit, la protection résultant de l'enregistrement international ne pourra plus être invoquée et celle conférée (ou demandée) dans tous les territoires étrangers désignés par le titulaire s'éteint également automatiquement. La possibilité d’une telle action, dite « attaque centrale », est une pierre angulaire du système de Madrid (c. 4.2). La demande de constatation de nullité a été introduite alors que l’enregistrement international était encore dépendant de l’enregistrement de base (suisse). Partant, si la marque suisse est déclarée nulle, la protection internationale ne pourra plus être invoquée et elle s’éteindra dans tous les territoires nationaux désignés par la défenderesse. Il résulte des constatations cantonales que les parties sont en litige, au sujet de la marque « EF-G. _____ » dans de nombreux pays, parmi lesquels ceux qui sont désignés dans l’enregistrement international de la défenderesse. En outre, l’une des demanderesses détient, dans certains de ses pays, plusieurs enregistrements de marques qui contiennent l’acronyme « EFG.______ » (c. 4.3.1). Dans ces conditions, les demanderesses disposent d’un intérêt réel (concret) à actionner en nullité la marque (de base) suisse de la défendresse : ce n’est qu’ainsi qu’elles peuvent bénéficier des effets de l’ « attaque centrale », prévue par le système de Madrid. L’admission de cette action aura un effet direct sur les litiges opposant les parties dans les pays désignés par l’enregistrement international de la défenderesse. L'intérêt (à l'action) est d'autant plus marqué que la Suisse est membre de l'Arrangement et du Protocole de Madrid et que, en comparaison internationale, elle est à l'origine d'un grand nombre d'enregistrements internationaux. Il serait dès lors tout à fait inapproprié de soustraire ceux-ci à l'examen de l'autorité judiciaire (seule à même de trancher définitivement la question de la nullité) pour la seule raison que les parties ne sont pas en concurrence sur le territoire suisse (c. 4.3.2). A cela s'ajoute que l’ « attaque centrale » incite les déposants (qui ne souhaitent pas prendre le risque, en cas d'admission de cette « attaque », de perdre leur marque dans l'ensemble des pays désignés) à entreprendre une évaluation sérieuse de la qualité de leurs marques (s'agissant en particulier de leur force distinctive), avant tout dépôt dans le pays d'origine. Cela a pour effet de favoriser la clarté des registres et, de manière générale, la sécurité juridique, que les milieux intéressés suisses actifs dans le domaine des marques appellent de leurs vœux ; le contrôle par l'autorité judiciaire est à cet égard un corollaire utile est nécessaire (c. 4.3.3). Il en résulte que, contrairement à l'opinion de l'autorité précédente, les demanderesses ont un intérêt digne de protection à faire constater la nullité de la marque de base (suisse) (c. 4.4). Le recours est admis (c. 5). [SR]

07 septembre 2020

TF, 7 septembre 2020, 4A_297/2020 (d)

Action en interdiction, intérêt pour agir, intérêt digne de protection, risque d’atteinte, raison de commerce, raison sociale, marque verbale, marque combinée, recours admis ; art. 55 al. 1 lit. a LPM.

La recourante, FRACTAL-SWISS AG, est titulaire de la marque verbale « Fractal » et de la marque combinée «Fractal-Swiss », revendiquant toutes deux la protection pour des produits et services de la classe 9. La défenderesse a été inscrite au registre du commerce en janvier 2017 sous la raison sociale « FRACTA-SWISS (pma) Sàrl ». En mai 2018, la demanderesse a résilié l’accord de licence qui existait entre les deux parties. En mars 2019, la défenderesse a tenté d’enregistrer le signe « Fractal-Swiss » comme marque pour la protection de produits et services des classes 35 et 45. En juillet 2019, la demanderesse a notamment requis devant l’autorité précédente, sans succès, qu’il soit fait interdiction à la défenderesse d’utiliser le signe « FRACTAL » en Suisse comme raison sociale ou comme partie d’une raison sociale, et qu’il lui soit ordonné de faire radier la raison sociale « FRACTAL-SWISS (pma) Sàrl » du registre du commerce. La défenderesse n’a pas répondu à la plainte, et s’est contentée de modifier sa raison sociale en août 2019. Dans son jugement, l’autorité inférieure a, au vu du changement de nom, admis le bien fondé de la première demande et considéré que l’action pouvait être radiée du rôle sur ce point. Elle a rejeté les autres demandes. L’action en interdiction de l’art. 55 al. 1 lit. a LPM nécessite un intérêt digne de protection, qui n’existe que lorsqu’une atteinte menace, c’est-à-dire lorsque le comportement du défendeur fait sérieusement craindre un acte illicite dans le futur. Un indice de menace d’une atteinte peut résider dans le fait que des atteintes analogues ont déjà été commises dans le passé et qu’on peut en craindre la répétition. Le danger existe lorsque celui qui a lésé un droit conteste l’illicéité du comportement incriminé (c. 2.1). La menace d’une atteinte est présente en l’espèce, la demanderesse ayant demandé à plusieurs reprises à la défenderesse, sans succès, de changer sa raison sociale avant d’ouvrir action contre elle, et cette dernière ayant déposé une demande d’enregistrement pour le signe « Fractal-Swiss ». Bien que la défenderesse ait changé de raison sociale entre-temps, elle ne l’a fait qu’après l’ouverture de l’action. Selon la jurisprudence, le simple fait de faire cesser une atteinte en vue d’un procès, tout en continuant à soutenir que son attitude est acceptable, ne suffit pas à renverser cette présomption de risque d’atteinte future. La défenderesse n’a pas reconnu le droit exclusif (prétendu) de la demanderesse sur le signe « FRACTAL », et paraît maintenir son dépôt de marque. C’est donc à tort que l’instance précédente a nié le risque d’atteinte (c. 2.3). Le recours est admis (c. 4). [SR]

26 octobre 2020

TF, 26 octobre 2020, 4A_129/2020 (d)

Action en constatation, action en constatation négative, intérêt digne de protection, action en exécution, action formatrice, opposition, marque verbale, marque combinée, marque figurative, interprétation du contrat, principe de la confiance, principe de la bonne foi, droit d’être entendu, arbitraire, Von Roll, recours rejeté ; art. 9 Cst., art. 29 al. 2 Cst., art. 18 al. 1 CO, art. 3 LPM, art. 14 LPM, art. 31 al.1 LPM, art. 33 LPM, art. 52 LPM, art. 59 al. 2 lit. a CPC, art. 88 CPC.

L’un des plus anciens groupes industriels de Suisse, le groupe Von Roll, s’est restructuré en 2003. Les contrats conclus au moment de la scission ont fait l’objet de plusieurs contentieux. L’un d’entre eux prévoyait notamment que la défenderesse avait le droit d’utiliser et/ou de faire protéger la dénomination sociale « vonRoll » avec les adjonctions « infratec », « hydro », « casting » et « itec », en tant que raison sociale et/ou en tant que marque. En 2017, la défenderesse a déposé quatre marques combinées contenant ces désignations. Après que la demanderesse ait fait opposition à ces enregistrements, la défenderesse a intenté avec succès devant le tribunal cantonal soleurois une action en constatation de droit contre elle. La demanderesse, qui recourt contre le jugement du tribunal cantonal, ne parvient pas à démontrer l’existence d’une violation de son droit d’être entendue au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. ou de l’interdiction de l’arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. par l’instance précédente (c. 2.2 – 2.4). Elle fait aussi valoir que l’instance inférieure aurait estimé à tort que la défenderesse avait un intérêt à la constatation et qu’elle aurait violé, en entrant en matière sur le recours, les art. 59 al. 2 lit. a et 88 CPC, ainsi que l’art. 52 LPM (c. 3). L’action en constatation de droit vise à faire constater l’existence ou l’inexistence d’un droit ou d’un rapport de droit. Le demandeur doit établir un intérêt digne de protection à la constatation immédiate. Cet intérêt n’est pas nécessairement de nature juridique, il peut s’agir d’un pur intérêt de fait. Cette condition est notamment remplie lorsque les relations juridiques entre les parties sont incertaines et que cette incertitude peut être levée par la constatation judiciaire. Toute incertitude n’est pas suffisante : il faut qu’on ne puisse plus attendre du demandeur qu’il en tolère le maintien, parce qu’elle l’entrave dans sa liberté de décision. Dans le cas d’une action en constatation négative, notamment, il faut également tenir compte des intérêts de la partie intimée, qui est contrainte d’entrer de manière prématurée dans une procédure. Cela enfreint la règle selon laquelle c’est en principe au créancier, et non au débiteur, de déterminer à quel moment il entend faire valoir son droit. Une procédure judiciaire précoce peut désavantager le créancier s’il est obligé de fournir des preuves avant qu’il ait la volonté et les moyens de le faire. En règle générale, l’intérêt à la constatation fait défaut lorsque le titulaire d’un droit dispose d’une action en exécution ou d’une action formatrice, immédiatement ouverte, qui lui permettrait d’obtenir directement le respect de son droit ou l’exécution de l’obligation. En ce sens, l’action en constatation de droit est subsidiaire par rapport à ces actions (c. 3.2). C’est à tort que la demanderesse nie l’intérêt à la constatation de la défenderesse, en faisant valoir que l’IPI peut examiner avec un plein pouvoir de cognition s’il existe un risque de confusion, et donc un motif d’exclusion, dans le cadre de la procédure d’opposition pendante en vertu des art. 31 al. 1 et 33 LPM. En réalité, sa cognition est strictement limitée, le conflit de signes devant être évalué tel qu’il ressort du registre. Par conséquent, dans une procédure d’opposition, l’intimé ne peut pas se défendre en faisant valoir que l’opposant ne tient pas compte des accords contractuels. La demanderesse ne peut pas non plus être suivie lorsque, dans le même contexte, elle estime qu’il est (matériellement) sans importance dans la présente procédure que la défenderesse soit habilitée à enregistrer les marques en cause sur la base de la relation contractuelle existant entre les parties. Si la demanderesse est contractuellement obligée de tolérer les enregistrements litigieux, elle ne peut pas invoquer son droit à la marque prioritaire pour les empêcher. Le titulaire de la marque ne peut faire valoir son droit exclusif à l'encontre de la partie contractante que si celle-ci viole le contrat (c. 3.3). L’argument de la demanderesse selon lequel, en vertu du principe de subsidiarité de l’action en constatation, la défenderesse aurait pu introduire une action en exécution pour mettre fin à la situation illicite ne peut pas non plus être suivi. Compte tenu des incertitudes découlant de la relation contractuelle spécifique entre les parties quant à l’admissibilité de l’usage respectif des signes, ainsi que des différents litiges juridiques survenus entre les parties ou entre les sociétés de leurs groupes, la défenderesse a un intérêt digne de protection à ce qu’il soit établi, au-delà de la procédure d’opposition en cours, que ses signes ne portent pas atteinte aux marques de la plaignante. L’incertitude existant dans la relation juridique entre les parties peut être levée par la décision judiciaire demandée, et on ne peut attendre de la défenderesse qu’elle tolère le maintien de cette incertitude (c. 3.4). La demanderesse reproche à l’instance précédente, en se basant sur l’art. 18 al.1 CO, une interprétation erronée des conventions passées entre les parties (c. 4). Compte tenu de la formulation et des circonstances concrètes de la conclusion des deux contrats en cause, la juridiction inférieure a considéré que les parties n’avaient pas eu l’intention, en utilisation la désignation « vonRoll » dans le second contrat, de restreindre l’orthographe de cet élément du signe. Ce faisant, elle a notamment tenu compte du comportement ultérieur de la demanderesse, qui a elle-même utilisé le signe verbal « vonRoll » dans cette orthographe. Le Tribunal fédéral est lié par ces constatations. Même si l’on n’admettait pas qu’il existait une concordance de volontés entre les parties, on ne pourrait reprocher à l’instance précédente de ne pas avoir tenu compte des principes d’interprétation pertinents du droit des contrats, conformément au principe de la confiance. Une partie ne peut en effet s’appuyer sur le fait que son cocontractant aurait dû comprendre une disposition contractuelle de bonne foi dans un certain sens que dans la mesure où elle a elle-même effectivement compris cette disposition de cette manière. Si la demanderesse n’a pas compris l’utilisation de l’orthographe « vonRoll » au moment de la conclusion du second contrat comme une restriction de l’utilisation autorisée du signe, elle ne peut attribuer, selon le principe de la bonne foi, un tel sens à cette disposition. En tout état de cause, compte tenu de la disposition contractuelle permettant expressément à la défenderesse d’enregistrer le signe « VON ROLL » avec certains ajouts en tant que « marque verbale et/ou figurative », la simple utilisation d’une orthographe différente dans la deuxième convention, qui ne sert en outre qu’à « confirmer, préciser et compléter » la première, ne saurait être comprise, même d’un point de vue objectif, comme une restriction de la forme d’usage autorisée sans autre indication particulière. Selon le principe de la bonne foi, il ne pouvait être déduit du simple fait de l'orthographe spécifique utilisée qu'une représentation graphique des éléments du mot, telle qu'elle était utilisée dans les marques déposées par la défenderesse, n'était pas contractuellement autorisée (c. 4.3.2). Compte tenu des accords passés entre les parties, la demanderesse ne peut pas s’opposer aux enregistrements effectués en se fondant, sur la base de l’art. 3 LPM, sur ses propres marques prioritaires « VON ROLL » et « VON ROLL ENERGY ». Elle ne dispose d’aucun droit de priorité fondé sur le droit des marques sur le logo déposé par la défenderesse, puisqu’elle admet elle-même que sa marque « VON ROLL » (fig.), incorporant ce logo, a été radiée, et que les marques opposantes sont des marques purement verbales. En conséquence, c’est à raison que l’instance précédente a considéré que, compte tenu des accords conclus entre les parties, les marques déposées par la défenderesse ne violent pas les marques verbales "VON ROLL" et "VON ROLL ENERGY" détenues par la requérante, et que celles-ci ne font pas obstacle à leur enregistrement (c. 4.4). Le recours est rejeté (c. 5). [SR]

07 septembre 2020

TF, 7 septembre 2020, 4A_297/2020 (d)

Action en interdiction, intérêt pour agir, intérêt digne de protection, risque d’atteinte, raison de commerce, raison sociale, marque verbale, marque combinée, recours admis ; art. 55 al. 1 lit. a LPM.

La recourante, FRACTAL-SWISS AG, est titulaire de la marque verbale « Fractal » et de la marque combinée «Fractal-Swiss », revendiquant toutes deux la protection pour des produits et services de la classe 9. La défenderesse a été inscrite au registre du commerce en janvier 2017 sous la raison sociale « FRACTA-SWISS (pma) Sàrl ». En mai 2018, la demanderesse a résilié l’accord de licence qui existait entre les deux parties. En mars 2019, la défenderesse a tenté d’enregistrer le signe « Fractal-Swiss » comme marque pour la protection de produits et services des classes 35 et 45. En juillet 2019, la demanderesse a notamment requis devant l’autorité précédente, sans succès, qu’il soit fait interdiction à la défenderesse d’utiliser le signe « FRACTAL » en Suisse comme raison sociale ou comme partie d’une raison sociale, et qu’il lui soit ordonné de faire radier la raison sociale « FRACTAL-SWISS (pma) Sàrl » du registre du commerce. La défenderesse n’a pas répondu à la plainte, et s’est contentée de modifier sa raison sociale en août 2019. Dans son jugement, l’autorité inférieure a, au vu du changement de nom, admis le bien fondé de la première demande et considéré que l’action pouvait être radiée du rôle sur ce point. Elle a rejeté les autres demandes. L’action en interdiction de l’art. 55 al. 1 lit. a LPM nécessite un intérêt digne de protection, qui n’existe que lorsqu’une atteinte menace, c’est-à-dire lorsque le comportement du défendeur fait sérieusement craindre un acte illicite dans le futur. Un indice de menace d’une atteinte peut résider dans le fait que des atteintes analogues ont déjà été commises dans le passé et qu’on peut en craindre la répétition. Le danger existe lorsque celui qui a lésé un droit conteste l’illicéité du comportement incriminé (c. 2.1). La menace d’une atteinte est présente en l’espèce, la demanderesse ayant demandé à plusieurs reprises à la défenderesse, sans succès, de changer sa raison sociale avant d’ouvrir action contre elle, et cette dernière ayant déposé une demande d’enregistrement pour le signe « Fractal-Swiss ». Bien que la défenderesse ait changé de raison sociale entre-temps, elle ne l’a fait qu’après l’ouverture de l’action. Selon la jurisprudence, le simple fait de faire cesser une atteinte en vue d’un procès, tout en continuant à soutenir que son attitude est acceptable, ne suffit pas à renverser cette présomption de risque d’atteinte future. La défenderesse n’a pas reconnu le droit exclusif (prétendu) de la demanderesse sur le signe « FRACTAL », et paraît maintenir son dépôt de marque. C’est donc à tort que l’instance précédente a nié le risque d’atteinte (c. 2.3). Le recours est admis (c. 4). [SR]

28 décembre 2020

TF, 28 décembre 2020, 4A_265/2020 (d)

Motifs relatifs d’exclusion, similarité des produits ou services, similarité des signes, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sémantique, risque de confusion, cercle des destinataires pertinents, consommateur moyen, degré d’attention moyen, force distinctive faible, force distinctive accrue par l’usage, usage de la marque, usage à titre de marque, interruption de l’usage de la marque, délai de grâce, action en interdiction, action en constatation de la nullité d’une marque, intérêt digne de protection, nullité d’une marque, marque défensive, marque combinée, marque verbale, logo, territorialité, territoire suisse, lien géographique suffisant, apposition de signe, dilution de la marque, péremption, abus de droit, site Internet, blocage de sites Internet, nom de domaine, contournement, lumière, lampe, luminaire, Coop, recours rejeté ; art. 2 al. 2 CC, art. 3 al. 1 lit. c LPM, art. 11 al. 1 LPM, art. 12 al. 1 LPM, art. 13 al. 2 lit. e LPM, art. 52 LPM, art. 55 LPM, art. 55 al. 1 lit. a LPM.

La défenderesse, le groupe Coop, est titulaire de la marque combinée « Lumimart » (fig. 1), déposée en 1996 en classe 11 pour des appareils et équipements d’éclairage. Elle détient une filiale qui distribue des luminaires et des sources lumineuses sous ce nom. Sur son site Internet www.lumimart.ch, elle utilise depuis 2018 un nouveau logo (fig. 2). La recourante, Luminarte GmbH, est une société allemande qui distribue le même types de produits en Suisse, sous le nom de « Luminarte ». Elle est titulaire de la marque verbale « Luminarte », déposée en 2013. En 2020, le tribunal de commerce du canton d’Argovie a constaté la nullité de la marque suisse « Luminarte » (sauf pour certains produits spécifiques), et a interdit à la demanderesse de commercialiser des luminaires et des sources lumineuses en Suisse sous ce signe. Selon le principe de territorialité, les droits de propriété intellectuelle et les prétentions découlant de la loi contre la concurrence déloyale sont limités au territoire de l’Etat qui accorde la protection. Par conséquent, l’action de l’art. 55 LPM ne permet d’interdire que les actes qui ont lien géographique suffisant avec la Suisse. La demande de l’intimée d’interdire certaines pratiques en Suisse ne constitue donc pas une « interprétation extensive de la territorialité du droit Suisse », comme le prétend la recourante, mais plutôt une conséquence du principe de territorialité (c. 5.2). En outre, contrairement à ce que soutient la recourante, le simple fait d’offrir la possibilité technique de consulter un signe sur Internet ne constitue pas un usage tombant sous le coup du droit suisse des marques. L’usage suppose un lien qualifié avec la Suisse, comme par exemple une livraison en Suisse ou une indication des prix en francs suisses. Il ne saurait être question d’interdire à la recourante d’être présente sur Internet dans le monde entier, d’autant plus qu’il est techniquement possible de bloquer l’accès à un site web aux utilisateurs d’un pays spécifique. La question de savoir si les mesures de géoblocage peuvent être contournées par des moyens techniques sophistiqués, comme le prétend la recourante, n’est pas pertinente (c. 5.3). Le prononcé d’une interdiction sur le fondement de l’art. 55 al. 1 lit. a LPM suppose l’existence d’un intérêt juridiquement protégé à obtenir l’interdiction, qui n’existe que lorsqu’une atteinte menace, c’est-à-dire lorsque le comportement visé fait sérieusement craindre un acte illicite dans le futur (c. 6.1). La recourante considère que la défenderesse n’a pas utilisé le logo déposé comme marque combinée depuis septembre 2018, et qu’elle n’aurait par conséquent d’intérêt juridiquement protégé ni à obtenir l’interdiction de l’usage litigieux, ni à faire constater la nullité de sa marque. La question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de l’existence d’un intérêt juridiquement protégé, mais plutôt de savoir dans quelle mesure le titulaire d’une marque qu’il n’utilise pas peut se prévaloir de son droit à la marque (c. 6.3.1). Selon l’art. 11 al. 1 LPM, la protection n’est accordée que pour autant que la marque soit utilisée en relation avec les produits ou les services enregistrés. L’art. 12 al. 1 LPM prévoit qu’à l’expiration d’un délai de grâce de cinq ans, le titulaire qui n’a pas utilisé la marque en relation avec les produits ou les services enregistrés ne peut plus faire valoir son droit à la marque. La doctrine admet que le délai de grâce ne s’applique pas seulement pendant la période comprise entre l’enregistrement et la première utilisation, mais aussi en cas d’interruption de l’utilisation après que celle-ci a déjà commencé. Cela est également indiqué par l’art. 12 al. 2 LPM, qui mentionne la « reprise » de l’utilisation (c. 6.3.2). La juridiction inférieure a considéré que la marque de la défenderesse n’ayant pas été utilisée depuis septembre 2018, elle bénéficiait encore du délai de grâce de l’art. 12 al. 1 LPM, et que la défenderesse pouvait donc encore faire valoir son droit à la marque à l’encontre de la recourante. Cette dernière soutient qu’en l’espèce, l’usage de la marque a été définitivement abandonné, ce qui entraînerait l’inapplicabilité du délai de grâce (c. 6.3.3). Si l’usage de la marque peut cesser pendant la période de grâce de cinq ans sans atteinte au droit à la marque, il est toutefois exact que la règle de l’art. 12 LPM ne protège pas les marques enregistrées de manière abusive. Les marques qui ne sont pas déposées dans le but d'être utilisées, mais qui sont destinées à empêcher l'enregistrement de signes correspondants par des tiers ou à accroître l'étendue de la protection des marques effectivement utilisées, ne peuvent prétendre à la protection. En particulier, le titulaire d'une telle marque défensive ne peut pas invoquer le délai de grâce de cinq ans pour l'usage en vertu de l'article 12 al. 1 LPM. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la doctrine, principalement francophones, qui considère que l’abandon de la marque entraîne également une perte (définitive) des droits avant la fin du délai de grâce de cinq ans. Il s’agit de cas d’abus dans lesquels la marque est défendue sans qu’il n’y ait d’intention de l’utiliser à nouveau. De telles circonstances n'ont pas été établies en l'espèce. La défenderesse a utilisé le signe de manière continue pendant 20 ans en relation avec les produits pour lesquels la marque est revendiquée, et il n’apparaît pas qu’elle soit utilisée de manière défensive. Le simple fait que la défenderesse ne paraisse pas utiliser la marque actuellement ne permet pas de conclure à un abus. C'est par conséquent à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que la marque est encore protégée et que la défenderesse peut faire valoir son droit à la marque (c. 6.3.4). En lien avec l’action en interdiction, la recourante fait valoir que l’instance précédente a conclu à tort à l’existence d’un motif relatif d’exclusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (c. 7). Pour déterminer s’il existe une similarité de produits au sens de cette disposition, les produits pour lesquels la marque de la défenderesse est enregistrée doivent être comparés aux produits ou services pour lesquels il existe la menace d’un usage (c. 7.2). La défenderesse revendique la protection pour des appareils et équipements d’éclairage (classe 11). C’est à raison que l’instance précédente a conclu que ces produits sont similaires à ceux de la recourante. Même les armatures et équipements d’éclairage sont étroitement liés aux produits d’éclairage. En particulier, l'un ne peut être utilisé utilement sans l'autre. Ces produits sont perçus dans leur ensemble par le public. Ils ont la même finalité et sont destinés à des groupes de clients similaires (c. 7.3). La recourante estime que sa présence sur le marché suisse est limitée à la vente en ligne (dans les catégories des luminaires et des équipements d'éclairage). Les produits qu'elle vend proviendraient exclusivement de tiers et seraient identifiés comme tels. Le signe « Luminarte » qu'elle utilise ne serait donc pas associé par le consommateur suisse moyen aux luminaires, mais serait compris comme une indication se rapportant à ses services commerciaux. En particulier, ses activités ne relèveraient pas des classes de produits 9 et 11. Elle n'utiliserait pas les signes en cause à titre de marques, mais en ferait uniquement usage à d’autres fins, dont la désignation d’une boutique un ligne et d’un site web, et sur des documents commerciaux. La recourante se réfère à une ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle l’utilisation d’un signe pour nommer un magasin et sur des sacs cabas ne tombe pas sous le coup du droit des marques. Étant donné qu’elle n'a pas apposé les signes sur les produits eux-mêmes, la défenderesse ne pourrait selon elle pas faire interdire l'utilisation des signes litigieux (c. 7.4.1). Sous l'empire de l'ancienne loi sur les marques, abrogée le 1er avril 1993, la pratique du Tribunal fédéral était en effet que le droit à la marque d'un tiers ne pouvait être violé que par l'utilisation d'un signe sur le produit lui-même ou sur son emballage. Le législateur a estimé que cette situation juridique n'était pas satisfaisante, et s’est explicitement écarté de la pratique précitée du Tribunal fédéral en adoptant l’art. 13 al. 2 lit. e LPM dans la nouvelle loi sur la protection des marques de 1992. Ainsi, le titulaire de la marque peut interdire à des tiers l’usage de signes dont la protection est exclue en vertu de l’art. 3 al. 1 LPM sur des papiers d’affaires, à des fins publicitaires ou de quelque autre manière dans la vie des affaires. Cette notion doit être comprise dans un sens large ; elle couvre également l'usage d'un signe qui n'est pas directement lié aux produits ou aux services concernés (c. 7.4.2). La situation juridique créée par l'article 13 al. 2 lit. e LPM prive les arguments de la demanderesse de tout fondement. Il est incontestable qu'elle utilise le signe « Luminarte » (y compris le logo et le nom de domaine) à titre de marque. Le fait que les produits qu'elle vend ne portent pas ce signe est sans importance. La demanderesse se fonde essentiellement sur l'allégation selon laquelle elle fournit un service, alors que la marque de l'intimé n'est protégée que pour des produits. Or, selon les constatations de la juridiction inférieure, le « service » de la recourante consiste essentiellement en la vente de luminaires et d'appareils d'éclairage, c'est-à-dire les produits pour lesquels la marque de la défenderesse revendique la protection. Il existe donc un lien si étroit que l'offre de la recourante est facilement perçue comme liée à celle de la défenderesse. En outre, il n’est pas exact que les biens sont en soi dissemblables des services. Selon la jurisprudence, la similitude entre les services, d'une part, et les marchandises, d'autre part, doit être présumée, par exemple s'il existe un lien habituel sur le marché en ce sens que les deux produits sont typiquement proposés par la même entreprise sous la forme d'un ensemble de services uniforme. En l'espèce, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a affirmé la similarité au sens de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM, et il ne fait aucun doute que la défenderesse peut faire valoir l’art. 13 al. 2 lit. e LPM à l’encontre de la recourante. La question de savoir si la vente de produits sur Internet constitue un service au sens du droit des marques ou si la marque est utilisée pour identifier les produits vendus en eux-mêmes peut rester ouverte (c. 7.4.3). L’art. 3 al. 1 lit. c LPM suppose l’existence d’un risque de confusion (c. 8), que l’instance précédente a admis à raison (c. 8.3). Comme elle l’a expliqué à juste titre, les appareils et équipements d’éclairage sont vendus dans des magasins spécialisés et dans des magasins de meubles, ainsi que dans des grandes surfaces destinées au grand public. Les destinataires achètent ces produits avec un degré d’attention moyen, plus élevé que pour les biens de grande consommation d’usage courant (c. 8.3.1). Le tribunal de commerce a considéré que la marque de la recourante, bien que composée d’éléments descriptifs, bénéficie d’une certaine force distinctive, qui doit être considérée comme faible. Toutefois, il a constaté que cette force distinctive s’est accrue avec l’usage, en se fondant notamment sur l’utilisation de longue date du signe depuis 1998, sur la large diffusion des magasins spécialisés portant le signe ainsi que sur les efforts publicitaires intensifs consentis. Le Tribunal fédéral est lié par ces constatations (c. 8.3.2.1). Il faut donc admettre, comme l’a fait l’instance précédente, que la marque de la défenderesse possède une force distinctive accrue, et un large champ de protection (c. 8.3.2.4). La comparaison des signes « Lumimart » et « Luminarte » révèle leur similarité sur les plans visuel et sonore, notamment parce que leurs préfixes sont identiques et parce que la séquence des voyelles et des consonnes est quasiment identique. La différence dans le nombre de syllabes n'est pas d'une importance décisive au regard de la longueur totale des signes. Sur le plan sémantique, la juridiction inférieure a considéré, en se référant au sens lexical des différents éléments verbaux, que le public concerné comprend sans effort de réflexion significatif que les signes se réfèrent au marché des luminaires pour l’un, et à l’art de l’éclairage pour l’autre, et a ainsi reconnu leurs significations différentes. Les éléments figuratifs des signes respectifs sont eux aussi différents. C’est à raison que le tribunal de commerce a conclu que les signes utilisés par la recourante sont similaires à la marque de la défenderesse, en tenant compte que du fait que le caractère distinctif de la marque de la défenderesse a été substantiellement renforcé par de nombreuses années d’efforts publicitaires. C’est aussi à raison qu’il a adopté un standard particulièrement strict en tentant compte de la similitude des produits pour lesquels les signes sont utilisés. Même l'ajout par la recourante de l'indication « die Lichtmacher » en minuscules dans une police de caractères conventionnelle n'est pas de nature à éliminer le risque de confusion du point de vue de la clientèle concernée. La conclusion de l’instance précédente selon laquelle, sur la base d'une appréciation globale, il est clair que les signes de la recourante créent un risque de confusion, résiste à l'examen du Tribunal fédéral (c. 8.3.3). Le fait que les désignations du domaine public ne puissent être monopolisées n’implique pas que les termes « lumi », « mart » et « arte », qui appartiennent au domaine public, peuvent être exclus de l’évaluation de l’existence d’un risque de confusion. Même les éléments qui appartiennent au domaine public peuvent influencer l’impression générale produite par les marques (c. 8.3.4). La question d’une éventuelle dilution de la marque de la défenderesse ne se pose pas en l’espèce, car le caractère distinctif de la marque ne résulte pas principalement de son originalité, mais de la réputation qu’elle a acquise auprès du public. Le fait qu’il existe de nombreux enregistrements de marques avec les éléments « lumi » et « mart » est une expression du fait que ces éléments ne sont pas originaux. L’instance précédente en a tenu compte dans l’évaluation du risque de confusion (c. 8.3.5). L’instance précédente n’a commis aucune violation du droit fédéral en admettant l’existence d’un risque de confusion au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM, et en reconnaissant à la défenderesse le bénéfice des droits de l’art. 13 al. 2 LPM (c. 8.4). La recourante allègue en outre que les prétentions découlant du droit des marques sont périmées, car la défenderesse aurait trop tardé à réagir (c. 9). L’art. 2 al. 2 CC prévoit que l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi. La péremption présuppose que l’ayant droit avait connaissance de l’atteinte à ses droits par l’usage d’un signe identique ou similaire, ou qu’il aurait dû en avoir connaissance s’il avait fait preuve de la diligence requise, qu’il a toléré cet usage pendant une longue période sans s’y opposer et que l’auteur de la violation a acquis entre-temps, de bonne foi, une position digne de protection (c. 9.1). Il faut que l’auteur de l’atteinte ait acquis une confiance légitime dans le fait que sa responsabilité ne sera pas engagée à l’avenir. Il doit penser que l’ayant droit agit passivement en ayant connaissance de l’atteinte, et non par simple ignorance. Il va de soi que cette connaissance doit se rapporter à une atteinte à la marque en Suisse (c. 9.3.3). L’instance précédente a relevé que le domaine www.luminarte.ch était accessible depuis 2008. Elle considère toutefois que la défenderesse n’avait pas d’obligation générale de surveiller les domaines nationaux, d’autant plus que les visiteurs de ce site web étaient redirigés vers le domaine allemand www.luminarte.de. Ce site web, quant à lui, n’était pas clairement destiné à la Suisse. Ces considérations ne sont pas critiquables. L’auteur de l’infraction ne peut pas s’attendre à ce que l’ayant droit surveille en permanence tous les mouvements effectués sur le marché (c. 9.3.4). Si le titulaire tolère une atteinte à son droit, la période de tolérance après laquelle la péremption doit être admise dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La jurisprudence en matière de droit des signes distinctifs fluctue entre quatre et huit ans. Dans deux cas particuliers, une péremption a été admise après des périodes d'un an et demi et de deux ans. Toutefois, le temps écoulé n'est pas le seul facteur décisif. La question déterminante est de savoir si l’auteur de l’infraction pouvait, d’un point de vue raisonnable et objectif, supposer que l’ayant droit tolérait son comportement. En l’espèce, il ne peut être déduit des constatations de fait de l'arrêt attaqué que de telles circonstances particulières étaient présentes déjà après une période de trois ans. Comme l’a considéré avec raison le tribunal de commerce, la défenderesse n’a pas commis d’abus de droit manifeste au sens de l’art. 2 al. 2 CC (c. 9.4.2). Enfin, la recourante reproche à l’instance précédente d’avoir, partiellement, admis l’action en nullité (c. 10). Dans le cadre de l’action en nullité se fondant sur l’art. 52 LPM, les marques en cause doivent être comparées telles qu’inscrites au registre. La similarité des produits doit s’apprécier en prenant en compte les produits pour lesquels les marques revendiquent la protection, selon leur inscription au registre (c. 10.3). On ne saurait reprocher à l’instance précédente une violation du droit fédéral lorsqu’elle a constaté que la marque suisse de la recourante était nulle pour la plupart des produits revendiqués (c. 10.5). En résumé, c’est à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que les signes de la plaignante sont (dans une large mesure) exclus de la protection des marques en vertu de l'art. 3 al. 1 lit. c LPM. L’action en cessation fondée sur l’art. 55 al. 1 LPM, en lien avec l’art. 13 al. 2 LPM, doit donc être admise. C’est également à juste titre que le tribunal de commerce a admis l’action en constatation fondée sur l’art. 52 LPM (c. 11). Le recours est rejeté (c. 12). [SR]

28 décembre 2020

TF, 28 décembre 2020, 4A_267/2020 (d)

Concurrence déloyale, risque de confusion, risque de confusion indirect, force distinctive, force distinctive originaire, force distinctive acquise par l’usage, force distinctive faible, imposition dans le commerce, imposition par l’usage, dilution de la force distinctive, similarité des produits ou services, similarité des signes, similarité des signes sur le plan visuel, similarité des signes sur le plan sonore, similarité des signes sur le plan sémantique, priorité, logo, signe verbal, signe descriptif, consommateur moyen, territorialité, territoire suisse, lien géographique suffisant, action défensive, péremption, abus de droit, surveillance du marché, site Internet, blocage de sites Internet, nom de domaine, contournement, lumière, lampe, luminaire, Coop, recours rejeté ; art. 105 al. 2 LTF, art. 2 al. 2 CC, art. 3 al. 1 lit. d LCD, art. 9 LCD.

 La défenderesse, qui appartient au groupe Coop, est principalement active dans le commerce de détail. Elle exploite, sous le signe « Lumimart », des magasins spécialisés dans l’éclairage, dans lesquels elle vend des luminaires et des sources lumineuses. Ces produits sont également proposés dans une boutique en ligne, accessible sur le site Internet www.lumimart.ch. La défenderesse utilise le signe « Lumimart » depuis 1998, avec le logo (fig. 1). Depuis 2018, elle utilise le logo (fig. 2) dans ses magasins spécialisés et dans sa boutique en ligne. La recourante, Luminarte GmbH, est une société allemande qui exploite les sites Internet www.luminarte.ch et www.luminarte.de. Elle utilise le logo (fig. 3) sur ses sites et dans son matériel publicitaire. En 2020, le tribunal de commerce du canton d’Argovie lui a interdit de faire de faire la promotion, d’offrir ou de livrer en Suisse des lampes ou des luminaires sous sa raison de sociale, sous ses noms de domaine ou en utilisant son logo. Il a conclu que l’utilisation des signes litigieux tombe sous le coup de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD (c. 4.3). La recourante considère que la restriction territoriale imposée par l’instance précédente est impossible à mettre en œuvre en pratique, notamment parce que le site www.luminarte.de est accessible depuis la Suisse. Même si elle a introduit des mesures de géoblocage, les utilisateurs suisses peuvent le contourner à l’aide de moyens techniques tels qu’un VPN, même sans connaissances techniques particulières (c. 5.1.1). Les droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale sont limités territorialement. Par conséquent, un lien géographique suffisant avec la Suisse est nécessaire pour admettre l’existence d’atteintes à ces droits, et les actions qui en découlent. La demande de l’intimée d’interdire certaines pratiques en Suisse ne constitue donc pas une « interprétation extensive de la territorialité du droit suisse », comme le prétend la recourante. Par ailleurs, contrairement à ce qu’elle soutient, la simple possibilité technique de consulter un signe sur Internet ne constitue pas un usage pertinent sous l’angle du droit des signes distinctifs. Pour tomber sous le coup des interdictions du droit de la concurrence déloyale, un lien qualifié avec la Suisse, comme par exemple une livraison en Suisse ou une indication des prix en francs suisses, est nécessaire. Il ne saurait être question d’interdire à la recourante d’être présente sur Internet dans le monde entier, d’autant plus qu’il est techniquement possible de bloquer l’accès à un site web aux utilisateurs d’un pays spécifique. La question de savoir si ces mesures de géoblocage peuvent être contournées par des moyens techniques sophistiqués, comme le prétend la recourante, n’est pas pertinente (c. 5.1.2). La création d’un risque de confusion n’est relevante en droit de la concurrence déloyale que si le signe imité présente une force distinctive, à titre originaire (en raison de son originalité) ou dérivé (parce qu’elle s’est imposée) (c. 7.1). L’instance précédente a considéré que le signe verbal « Lumimart » et le nom de domaine « lumimart.ch » sont descriptifs, car ils peuvent aisément être compris par le consommateur moyen francophone et italophone comme se rapportant au marché de l’éclairage ou de la lumière, et n’ont donc pas de force distinctive originaire. Par contre, les deux logos de la défenderesse présentent une certaine originalité, faible mais suffisante, en raison de la combinaison d’éléments qu’ils contiennent. Ces considérations ne sont pas contestées par la recourante (c. 7.2). Un signe s’est imposé dans le commerce s’il est compris par une partie substantielle des destinataires des produits ou services qu’il désigne comme une référence à une entreprise déterminée (c. 7.3.1). L’imposition d’un signe est en tant que telle est une question de droit, mais savoir si les conditions sont remplies dans un cas concret constitue une question de fait, que le Tribunal fédéral n’examine que dans la mesure de l’art. 105 al. 2 LTF. En revanche, savoir si les exigences en matière de preuve ont été dépassées par les autorités est une question de droit (c. 7.3.2). L’instance précédente a estimé que le signe « Lumimart » et le nom de domaine « lumimart.ch » ont une force distinctive dérivée, et que le périmètre de protection des deux logos, qui possédaient déjà une force distinctive originaire faible, s’est étendu. Elle s’est notamment fondée sur la position importante de la défenderesse sur le marché, sur ses importants efforts publicitaires et sur une enquête démoscopique (c. 7.3.3). La recourante ne parvient pas à démontrer que cette appréciation serait erronée (c. 7.3.4.1). La recourante reproche ensuite au tribunal de commerce d’avoir admis un caractère distinctif dérivé pour l’ensemble de la Suisse, alors même que la défenderesse n’a ni affirmé, ni prouvé que ses signes se sont imposés en Suisse italienne et en suisse romanche, régions dans lesquelles il n’y a pas de succursale « Lumimart ». En droit de la concurrence déloyale, il est concevable qu’un signe ne s’impose que sur un territoire limité, et que la protection soit dès lors limitée à ce territoire. Toutefois, lors de l’examen du caractère distinctif dérivé, on ne peut exiger que soit apportée la preuve distincte que le signe s’est imposé dans chaque canton. S’il est établi que le signe est compris par une partie considérable des destinataires en Suisse comme une référence à une certaine entreprise en raison d’efforts publicitaires considérables, la protection concerne également l’ensemble de la Suisse (c. 7.3.4.3). La recourante allègue ensuite à tort que le logo (fig. 2) ne peut s’être imposé sur le marché parce qu’il n’est utilisé que depuis septembre 2018. D’une part, la doctrine admet qu’un signe peut s’imposer très rapidement, et même immédiatement, sur le marché. D’autre part, le logo (fig. 2) était déjà distinctif à l’origine. En outre, il est fortement influencé par le mot « Lumimart », qui s’est à son tour imposé sur le marché. La recourante considère également que le logo (fig. 1) n’ayant été utilisé que jusqu’en septembre 2018, on ne pouvait plus considérer qu’il s’était imposé sur le marché au moment du jugement de l’instance précédente, en mars 2020. Cela ne peut être admis de manière générale. Même dans le cas de l'imitation de signes qui n'ont pas été utilisés depuis peu de temps, il peut y avoir un risque de fausse attribution. Le facteur décisif doit être de savoir si le public cible continue d'associer le signe imité, c'est-à-dire s'il le comprend toujours comme une indication de l'origine d'une entreprise malgré le fait qu'il ne soit plus utilisé. La recourante ne prétend pas que tel n'est plus le cas (c. 7.3.5). Enfin, la recourante allègue que les signes de l’intimée ont perdu leur force distinctive en raison d’une dilution. La notion de dilution du caractère distinctif vise les signes qui sont à l’origine particulièrement distinctifs (notamment les signes de fantaisie), mais qui sont utilisés si fréquemment que leur caractère individuel se perd. Tel n’est pas le cas en l’espèce (c. 7.3.6). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a conclu que les signes de l’intimée sont distinctifs (c. 7.4). L’art. 3 lit. d LCD suppose la création d’un risque de confusion (c. 9), qui peut être direct ou indirect (c. 9.1). L’instance précédente a admis l’existence d’un risque de confusion indirect. Compte tenu du fait que les deux parties se présentent comme des fournisseurs spécialisés de luminaires, il faut en tous les cas considérer que les signes en cause donnent l’impression de provenir d’entreprises économiquement proches. Il semble probable que les consommateurs sont amenés à supposer, au moins temporairement, qu'il existe un lien économique ou organisationnel entre les entreprises (c. 9.2). L’instance précédente a rappelé à juste titre que plus les produits pour lesquels les signes en cause sont utilisés sont proches, plus le risque de confusion est grand. Elle a par ailleurs mis en évidence le fait que les canaux de vente sont en partie superposés : la recourante n’est présente sur le marché suisse que par le biais de ses sites Internet, sans y exploiter de succursale. La défenderesse vend également ses produits par le biais d’un site Internet, mais elle est aussi présente physiquement dans plus de trente sites avec des magasins de détail. Tous les signes des parties sont caractérisés par les éléments verbaux « Lumimart » et « Luminarte », dont la comparaison révèle leur similarité sur les plans visuel et sonore, notamment en raison de leurs préfixes identiques et de leurs séquences quasiment identiques de voyelles et consonnes. Sur le plan sémantique, la juridiction inférieure a considéré, en se référant au sens lexical des différents éléments verbaux, que le public concerné comprend sans effort de réflexion significatif que les signes se réfèrent pour l’un au marché des luminaires, et pour l’autre à l’art de l’éclairage, et reconnaît ainsi leurs significations différentes. Le risque de confusion doit être évalué principalement sur la base du caractère distinctif acquis par l’imposition des signes sur le marché. Dans ce contexte, c’est à raison que le tribunal de commerce a conclu que les signes utilisés par la recourante étaient trop similaires à ceux de la défenderesse. Compte tenu du critère strict d'appréciation à appliquer en ce qui concerne la similitude des produits, combiné à l'étendue de la protection du signe « Lumimart » (et des logos qui le contiennent) obtenue en vertu de l’imposition des signes sur le marché, l’utilisation des signes par la recourante, qui sont presque identiques dans l'écriture et le langage et sont en tout cas comparables dans leur signification, apparaît comme illicite. C’est à juste titre que l’instance précédente a considéré que la similarité des signes entraîne un risque de confusion indirect (c. 9.3.2). Seule la partie qui utilise le signe depuis le plus longtemps dans le commerce, de manière démontrable, peut invoquer la protection de l’art. 3 lit. d LCD (« priorité d’usage »). La simple intention d’utiliser le signe n’est pas suffisante (c. 10.1). L’instance précédente a constaté que la recourante est apparue sur le marché suisse avec le signe « Luminarte » à partir d’octobre 2013. On peut aisément conclure des considérations du tribunal du commerce que les signes de la défenderesse s’étaient déjà imposés sur le marché à cette époque (c. 10.3). C’est ainsi à juste titre que l’instance précédente a constaté que la recourante a agi de manière déloyale au sens de l’art. 3 al. 1 lit. d LCD en utilisant les signes litigieux, et que l’intimée dispose par conséquent des voies de droit correspondantes (c. 10.5). La recourante considère que les actions de la défenderesse sont périmées car elle a trop tardé à réagir aux atteintes (c. 11). La péremption est un cas d'exercice inadmissible des droits en raison d'un comportement contradictoire, et donc abusif (art. 2 al. 2 CC). La doctrine et la jurisprudence admettent que les actions défensives du droit de la concurrence déloyale peuvent également être périmées si elles sont invoquées trop tardivement. Il convient toutefois de faire preuve de retenue, car le droit de la concurrence déloyale, et en particulier l'art. 3 al. 1 lit. d LCD, protège non seulement les intérêts particuliers, mais aussi les intérêts généraux. Il garantit une concurrence loyale et non faussée dans l'intérêt de tous les participants (art. 1 LCD) et, en particulier, la protection du public contre l'usage trompeur de signes, comme c’est le cas en l'espèce. Une péremption, fondée uniquement sur le comportement d'un concurrent, doit donc être examinée avec une prudence particulière. Au surplus, selon l'art. 2 al. 2 CC, un droit ne peut plus être protégé que si son abus est manifeste. En tous les cas, la péremption suppose que le plaignant ait eu connaissance de l’acte de concurrence déloyale, ou qu’il ait dû en avoir eu connaissance s’il avait preuve de la diligence requise, qu’il l’ait toléré sans s’y opposer durant une longue période et que l’auteur de l’atteinte ait acquis de bonne foi une position digne de protection. Plus le concurrent lésé par le comportement concurrentiel déloyal attend pour faire valoir ses droits, plus l’auteur de l’atteinte peut s'attendre de bonne foi à ce qu’il continue à tolérer l'atteinte à la concurrence et ne s'attende pas à ce qu'il cède la position acquise (c. 11.1). L’exercice tardif des droits peut également être abusif s’il est dû à l’ignorance négligente de l’atteinte, le concurrent atteint ayant insuffisamment surveillé le marché (c. 11.3.2). Il est alors déterminant de savoir si le demandeur avait ou aurait dû avoir connaissance de l'acte déloyal, du point de vue de l’auteur de l’atteinte. La péremption n'est pas une fin en soi : le contrevenant doit avoir une confiance légitime dans le fait que sa responsabilité ne sera pas engagée à l'avenir. Par conséquent, il doit également penser que le concurrent agit passivement en ayant connaissance de l'infraction, et non par simple ignorance. Bien entendu, cette connaissance doit se référer à une atteinte à la concurrence en Suisse (c. 11.3.3). L’instance précédente a considéré que la défenderesse n'avait pas une obligation générale de surveillance des domaines nationaux, d'autant plus que les visiteurs du site Internet suisse de la recourante étaient redirigés vers le domaine allemand www.luminarte.de. Ce site Internet, à son tour, ne visait pas clairement le marché suisse. Ces considérations ne sont pas critiquables. Il faut en particulier souligner que le commerçant qui commet un acte de concurrence déloyale ne peut pas partir du principe que ses concurrents surveillent en permanence tous les mouvements sur le marché. Le droit suisse ne connaît pas d’obligation générale de surveillance du marché. La recourante, qui fait référence aux « possibilités et moyens considérables » dont dispose le Groupe Coop pour surveiller le marché, ne démontre pas suffisamment dans quelle mesure elle était en droit de supposer, déjà avant octobre 2013, que la défenderesse connaissait ou aurait dû connaître l’utilisation déloyale du signe litigieux (c. 11.3.4). La recourante fait encore valoir qu'au vu de « l'usage encore plus intensif » du signe « Luminarte » à partir de 2013, une période de trois ans et demi est suffisante pour admettre une péremption (c. 11.5.1). La période de tolérance après laquelle la péremption doit être admise dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. La jurisprudence en matière de droit des signes distinctifs fluctue entre quatre et huit ans. Dans deux cas particuliers, une péremption a été admise après des périodes d'un an et demi et de deux ans. Toutefois, le temps écoulé n'est pas le seul facteur décisif. La question déterminante est de savoir si l’auteur de l’infraction pouvait, d’un point de vue raisonnable et objectif, supposer que le concurrent tolérait son comportement. En l’espèce, il ne peut être déduit des constatations de fait de l'arrêt attaqué que de telles circonstances particulières étaient présentes déjà après une période de trois ans et demi. En particulier, il est important que la partie lésée dispose d'un délai raisonnable pour clarifier la situation juridique, l'importance de l'atteinte à la concurrence ainsi que les inconvénients résultant d'un éventuel risque de confusion et, sur cette base, puisse décider avec soin de l'engagement de démarches juridiques. Dans ce contexte, il n'y a pas d'abus manifeste du droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC (c. 11.5.2). La conclusion de l'instance précédente selon laquelle les prétentions du demandeur n'étaient pas périmées résiste donc à l’examen du Tribunal fédéral (c. 11.6). En résumé, c’est à juste titre que l’instance précédente a conclu que la requérante a agi de manière déloyale en utilisant les signes « Luminarte », « luminarte.de », « luminarte.ch » et « Luminarte GmbH » sur le marché et en créant ainsi un risque de confusion avec la présence sur le marché de l’intimée. Les actions des art. 9ss LCD sont donc ouvertes (c. 12). Le recours est rejeté (c. 13). [SR]